ISR

Investir dans les actions avec une approche ISR

Publié le 2 juin 2014 à 16h30    Mis à jour le 15 octobre 2014 à 16h30

Catherine Rekik

Selon Novethic, le marché de l’ISR est passé de 3,9 à 169,7 milliards d’euros en dix ans. La conversion des fonds a été le principal moteur de cette progression. En 2013, la croissance des encours ISR a ralenti (+ 14 %, contre + 29 % en 2012). Les fonds actions représentent environ 30 % des encours ISR, la classe d’actifs ayant notamment bénéficié d’un effet marché. Funds s’interroge sur l’intérêt pour la gestion actions ISR : Que recherchent les investisseurs ? La clientèle privée est-elle plus sensible à l’ISR que par le passé ? Comment choisir entre les différentes approches ISR ? Les processus de gestion ont-ils évolué ? La généralisation des critères ESG dans la gestion traditionnelle joue-t-elle en faveur de la gestion ISR ? Après deux années de hausse des marchés actions, ces fonds ont-ils finalement démontré qu’ISR et performance n’étaient pas inconciliables ?

ISR et généralisation des critères ESG

Funds : Quels sont les objectifs de l’ISR ? Constate-t-on une évolution du type de clients intéressés par ce type de gestion ?

Dominique Blanc, directeur de la recherche, Novethic : D’un point de vue statistique, nous constatons des évolutions fortes et des grandes catégories d’investissement responsable. Les objectifs des institutionnels sont divers. Les plus matures évoluent vers une intégration des critères ESG directement dans leur gestion financière, laquelle vise à gérer les risques de long terme. Promouvoir le développement durable, un concept quelque peu galvaudé aujourd’hui et pour lequel l’ISR n’a pas encore donné des gages de performance extra-financière, n’est plus l’objectif premier des investisseurs responsables. Ces derniers s’orientent non plus vers des approches ISR stricto sensu mais plutôt vers une démarche d’intégration de critères ESG de plus en plus structurée. Cette démarche est assez conséquente en volume puisqu’elle s’applique à l’ensemble des actifs chez ces investisseurs et non plus à quelques fonds isolés.

Parmi les investisseurs qui se sont historiquement tournés vers l’ISR pour promouvoir un modèle de développement durable, il demeure une minorité qui poursuit toujours cet objectif et a fait évoluer son modèle du «best in class» vers des modèles combinés qui associent la sélection ISR des titres en portefeuille à un engagement actionnarial auprès des entreprises, ou encore qui déploient des outils pour évaluer l’impact concret de l’ISR sur son portefeuille, par exemple en matière d’émissions de CO2.

En Europe du Nord, où l’investissement responsable s’est développé avec l’objectif d’éviter les risques de réputation, il est attendu du gérant, quelle que soit l’approche retenue, d’avoir un suivi des controverses qui permet de se prémunir des enjeux réputationnels les plus importants. Cet objectif réputationnel n’a jamais été une préoccupation majeure en France ou en Europe continentale, mais les démarches d’exclusion basées sur les principes fondamentaux des droits de l’homme et de lutte contre la pollution ou les dégâts environnementaux majeurs y font leur chemin en complément du best in class multicritère. Historiquement, le marché français de l’ISR s’est structuré autour de quelques caisses de retraite et fonds de réserve dans le giron public mais, depuis deux ans, on assiste également à une montée des assureurs. Dans les pays du Nord, ce sont les fonds de pension qui tirent le marché.

Martine Léonard : L’épargne salariale est particulièrement dynamique dans l’ISR, avec encore une forte progression en 2014. La demande reste également forte chez les investisseurs institutionnels. Ceux qui n’ont pas fait le choix de l’ISR veulent de plus en plus connaître leur positionnement au travers d’une série de questions et d’évaluations des fonds sur la gouvernance, les risques, etc. Ils pourraient ensuite faire le choix de l’ISR. Enfin, du côté de la clientèle privée, il est difficile de parler d’augmentation de la demande, mais certaines personnes ayant des convictions fortes font ce choix.

Pascale Auclair, directeur général, La Française des Placements :  Sur le segment des investisseurs institutionnels, nous observons différentes approches. Il y a une clientèle avertie (principalement fonds de pension et caisses de retraite), rompue à la critériologie de l’ISR qui a un cahier des charges très précis et demande que ses portefeuilles soient audités ou gérés avec ces critères. Nous devons offrir à cette clientèle une vision sur mesure qui peut, parfois, être distincte de notre propre méthodologie. Il y a également des investisseurs dans l’attente d’une proposition de gestion différente qui s’apparente, sur un horizon long terme, à la recherche de performance assortie d’une bonne appréhension des risques. Ils attendent que nous donnions du sens à notre façon de sélectionner les titres et que nous identifiions des critères d’appréciation financiers et extra-financiers qui soient concrets et accessibles. Pour affiner notre approche ISR et mieux répondre à l’attente des clients, nous avons beaucoup observé leurs réactions sur l’immobilier ISR.

Nous nous sommes interrogés sur les raisons du succès des produits immobiliers ISR et avons réalisé que la tangibilité de l’approche ISR dans le secteur immobilier donne un véritable sens à cet investissement. L’objectif du client en matière d’environnement, de bien-être des occupants ou de positionnement territorial coïncide avec les critères de sélection des immeubles que nous leur proposons. Le client est tout de suite convaincu du concept et déploie ses investissements avec une forte adhésion. Forts de cette expérience, nous souhaitons faire adhérer l’investisseur en actions à notre approche ISR en élargissant notre critériologie aux données ESG, stratégiques et financières, et en étant transparents sur notre méthodologie de sélection de valeurs. Cette approche est plus large qu’une stricte démarche ISR. Du côté de la clientèle privée, les Family Offices sont des clients quasi institutionnels, souvent dotés d’un cahier des charges bien précis. Nous abordons aussi les associations et les fondations qui ont des approches éthiques ou ISR classiques. Dans les réseaux de distribution, il reste très difficile de convaincre les particuliers sur la gestion ISR.

Dominique Blanc : Dans la banque privée, l’exemple de BNP Paribas est assez intéressant. La banque a mis l’accent sur la démarche ISR et a fait beaucoup de pédagogie autour des critères basiques. Cela prend du temps car il faut former les conseillers, mais les résultats sont encourageants en termes de collecte. Il y a une équipe dédiée à l’ISR du côté de BNP Paribas Wealth Management, ce qui est assez original à ma connaissance.

Funds : Vous avez évoqué un intérêt croissant pour les questions environnementales ou de gouvernance. La généralisation des critères ESG joue-t-elle en faveur du développement de l’ISR ou bien, au contraire, s’achemine-t-on vers une sorte de version «light» de l’ISR ?

Martine Léonard, responsable de l’analyse et de la gestion ISR, CM CIC AM : Une gestion est ISR ou ne l’est pas ! Nous pratiquons une gestion ISR dont nous avons notre propre définition qui ne va pas au-delà du best in class, même si nous y intégrons les résultats de l’engagement actionnarial. L’intégration de critères ESG est un plus pour la gestion classique comme pour l’ISR. Cela peut amener des clients à se tourner vers des fonds ISR. Il faudrait que l’ISR conserve une marge d’avance et entraîne l’ensemble des fonds. Le travail sur l’information et la qualité de l’analyse portera ses fruits dans le futur, lorsque l’information extra-financière sera de même qualité que l’information financière, ce qui pourrait prendre une vingtaine d’années. L’intégration de critères ESG dans la gestion classique n’est qu’une forme de sensibilisation.

Dominique Blanc : Tous les encours intégrant des critères ESG n’ont pas vocation à se transformer en encours ISR. Les investisseurs sont assez ambivalents sur leurs attentes. Lorsque nous interrogeons plus de 150 institutionnels européens à ce sujet, la moitié d’entre eux met en avant un objectif de développement durable, l’objectif de gestion des risques n’intervenant qu’en second lieu. En revanche, lorsqu’on rentre dans la façon de mettre en œuvre l’analyse ESG dans leur gestion, nous constatons qu’ils visent d’abord à valoriser d’un point de vue financier les enjeux ESG. Nous sommes là dans la conviction que cette analyse contribue à la gestion des risques ou à la performance sur le long terme. La démarche best in class intervient en deuxième position pour un tiers des investisseurs seulement. Elle est souvent combinée avec une approche d’engagement actionnarial et des exclusions.

En France, au-delà de l’ambition théorique, les investisseurs ne sont pas si allants que l’on pourrait le penser sur le best in class : ils étaient 54 % à le pratiquer en 2012 mais ne sont plus que 32 % en 2013, tandis que 39 % déclaraient à présent déployer des démarches d’intégration ESG. Les deux continueront sans doute de se développer, le best in class suscitant actuellement des interrogations. Les processus de labellisation que nous menons depuis 2009 montrent d’ailleurs que, même avec un processus best in class, le niveau d’exigence sur l’ESG peut varier de 0 à 100 %. Cela n’existerait pas si les investisseurs avaient une vraie exigence de différenciation et de valeur ajoutée environnementale et sociale. Ceux-ci se reconnaissent plus dans la dimension de maîtrise des risques et l’intégration de critères ESG, mais ils ne vont pas au-delà car ils ne sont pas prêts à céder de la performance, l’ISR étant plutôt défensif et peut-être un peu moins profitable dans les périodes de hausse des marchés.

Il y aura peut-être, dans le futur, une montée d’investisseurs ayant une conviction forte en matière de développement durable et, pour la traduire, il faudra des fonds qui répondent aux enjeux de la transition écologique, des fonds apportant une valeur ajoutée sociétale. Pourquoi pas ! Nous verrons alors émerger des fonds thématiques capables de démontrer des impacts positifs sur les émissions de CO2 ou les emplois créés. D’ailleurs, le développement rapide ces derniers mois des obligations vertes (green bonds ou sustainable bonds) témoigne de ce regain d’intérêt des investisseurs pour un fléchage plus direct de l’impact ESG de leurs investissements.

Funds : Ces fonds thématiques « verts » ne sont-ils pas risqués ? Certains ont rencontré pas mal de succès auprès des investisseurs avant 2007 avant de connaître de sévères déconvenues. Un fonds « vert » n’est pas forcément un ISR…

Martine Léonard : Certains fonds peuvent répondre à différents enjeux de développement durable, comme le changement climatique, ce qui permet d’élargir l’univers.

Pascale Auclair : Il y a parfois confusion dans l’esprit des investisseurs entre fonds thématiques et fonds ISR. Les fonds thématiques visent une sélection de valeurs qui répondent à de grandes tendances fondamentales (démographie, technologie, environnement…), parfois peu compatible avec le respect de critères ISR, je pense en particulier aux fonds thématiques sur l’énergie…

Dominique Blanc : Il y a eu une bulle sur ces fonds dans le passé mais, aujourd’hui, les risques sont limités car les volumes sont faibles. Certains signes permettent cependant de penser que cela peut revenir assez vite. Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, nous constatons une mobilisation des investisseurs sur les questions de la bulle carbone : en investissant dans le secteur oil & gas, n’est-on pas en train de financer de la prospection sur des actifs qui ne pourront pas être brûlés sous peine de faire monter la température de deux, trois degrés ou plus ? Les investisseurs commencent à questionner les entreprises du secteur sur leur capacité à se prémunir contre ce type de risques.

Evolution des processus de gestion

Funds : Avez-vous fait évoluer les processus de gestion ISR ces dernières années ?

Pascale Auclair : Nous avons mené une réflexion de fond qui nous a fait passer d’une approche très longtemps «best in class» à une approche intégrée. L’aboutissement de cette réflexion se retrouve dans l’approche SAI, «Strategically Aware Investing», avec laquelle nous allons gérer toute notre gamme actions. Nous avons dénoué l’an dernier notre partenariat avec la société suisse Sarasin qui nous apportait un éclairage ESG depuis 2009 et nous avons mis en place un partenariat avec la société d’analyse et de recherche IPCM, basée à Londres, qui conseille l’ensemble de notre gestion actions. Nous sommes passés d’une approche ISR concentrée sur quelques portefeuilles actions à une approche plus globale sur l’ensemble de notre gamme. L’expérience nous a montré que l’ISR tel que nous l’avions pratiqué aboutissait trop souvent à la mise en avant de facteurs négatifs sur les entreprises. Nous préférons déployer une série de facteurs positifs de développement à moyen/long terme pour les entreprises, composés de critères qui relèvent d’une approche ESG classique ainsi que de critères stratégiques et financiers visant à sélectionner les entreprises gagnantes dans le contexte actuel.

Il faut des moyens significatifs pour que la critériologie soit bien définie et nourrie de données tangibles opposables à des clients. La mise en place du partenariat avec IPCM nous permet de drainer l’ensemble des données ESG, stratégiques et financières qui permettront d’identifier les entreprises génératrices de développement et de performance. Ces critères et la méthodologie de sélection sont intégrés par IPCM au sein d’un modèle baptisé «Five Factor Model», qui s’articule autour de cinq piliers : le capital humain, le positionnement territorial des entreprises par rapport aux enjeux de développement et à la mondialisation, la durabilité environnementale, la capacité d’innovation et enfin la réactivité et la capacité de l’entreprise à migrer opérationnellement par rapport aux nouveaux enjeux, ce qui passe par un audit poussé de la gouvernance et de la qualité du management. De nouveaux défis s’imposent aux entreprises, les obligeant à développer de nouvelles aptitudes, et tout l’enjeu de cette gestion SAI est de permettre la détection en amont de ces capacités.

Tanguy de Grandpré : La complexité sans cesse croissante des règles de gestion et de limites liée à la gestion ISR impose des changements au niveau des processus métier, et donc en conséquence une adaptation du système d’information. Il est tout d’abord intéressant d’intégrer des workflows préparamétrés pour l’ISR dans la plateforme afin d’automatiser l’application des règles et d’industrialiser l’exécution des processus métier propres à ce type d’investissement. Au niveau des bases de données, plusieurs points sont à vérifier : il faut qu’elles supportent tout format et tout volume de données, qu’elles comportent suffisamment de champs pour intégrer les critères, qu’elles s’interfacent avec les bases du marché, qu’elles conservent l’historique et la traçabilité des opérations et enfin qu’elles permettent de sauvegarder les indices et ratings ISR.

Il est également important de pouvoir interfacer ses bases avec celles des agences de notation extra-financières. Sans compter que les ratings des agences de notation extra-financières peuvent se décliner en centaines de critères ou indicateurs ESG. Cette richesse de critères ou indicateurs augmente les volumes de données suivis par les sociétés de gestion, avec plusieurs impacts significatifs : le besoin encore plus prégnant d’avoir des données fiables et de qualité ; la nécessité de s’appuyer sur des systèmes logiciels ouverts et paramétrables permettant de stocker ces données et de les restituer facilement ; et la traçabilité de la donnée qui est indispensable pour garantir la transparence aux investisseurs. Ajoutons que l’intégration des critères ESG va au-delà de la gestion ISR.

Dans certaines sociétés, les notations extra-financières sont intégrées dans les outils de gestion classique. Ce qui veut dire que l’évaluation extra-financière des entreprises doit être mise à disposition de l’ensemble des gérants pour une classe d’actifs. Conséquence au niveau des outils d’aide à la décision : les différents systèmes utilisés pour statuer sur les investissements à effectuer tels que les outils de simulation doivent intégrer les différents indicateurs propres à la gestion ISR. Enfin, environ la moitié des actifs sous gestion en France sont concernés par des exclusions normatives liées à l’investissement responsable. Par conséquent, il est de plus en plus indispensable que les outils de suivi de limites d’investissement utilisés par les sociétés de gestion soient capables de prendre en compte des critères d’exclusion ou des notes extra-financières afin d’apporter une valeur ajoutée plus importante dans le processus de décision.

Martine Léonard : Nous avons surtout développé notre suivi des controverses et renforcé notre process d’engagement actionnarial et obligataire, qui est d’ailleurs appliqué à l’ensemble de notre gestion. Ainsi, dès lors que l’actualité le nécessite, nous mettons en place une démarche de dialogue ferme avec les sociétés, ainsi qu’un suivi de l’entreprise, avec une analyse commune de la situation et des points d’étapes réguliers. Nous avons également défini des thématiques d’engagement structuré, sur la base d’un questionnaire envoyé à toutes les sociétés, qui a pour objectif de mettre en évidence les sociétés les plus avancées et celles qui, du point de vue de l’investisseur, doivent consolider leur organisation.

Dominique Blanc : Quelques sociétés de gestion évoluent vers le «best in universe», qui recouvre l’idée que certains secteurs sont des concentrateurs de risques et d’autres des concentrateurs d’opportunités d’un point de vue ESG. Sans aller jusqu’à l’exclusion, cela permet d’avoir une pondération mettant l’ESG dans l’allocation sectorielle. D’autres sociétés de gestion vont chercher à combiner à leur approche best in class d’autres approches du type exclusion ou engagement envers des sociétés qui peuvent progresser moyennant un peu d’accompagnement. A l’origine anglo-saxonnes, ces démarches d’engagement et d’influence de l’investisseur sur l’émetteur sont en train de se structurer en France. Enfin, dernière évolution et non des moindres, le passage d’une gamme spécifique à une démarche plus intégrée. Jusqu’à il y a deux ou trois ans, elle consistait en une diffusion de l’analyse ESG, ce qui ne signifie pas qu’elle va être mise en œuvre par le gérant. Des processus d’intégration plus structurés se sont développés récemment.

Ils ne vont peut-être pas s’appliquer sur toute la gestion mais vont s’appliquer sur une classe d’actifs pour commencer. On définit alors un processus capable d’imbriquer l’analyse financière et l’analyse extra-financière pour générer de l’alpha. Pour y parvenir, il faut articuler l’ISR avec le positionnement stratégique des entreprises. Cette tendance est forte puisqu’il y a actuellement 400 milliards d’euros d’encours qui font l’objet d’une intégration assez structurée : une trentaine de milliards pour lesquels les critères ESG sont imbriqués dans l’analyse financière et plus de 200 milliards pour lesquels l’ESG n’est pas une contrainte forte, mais une prise en compte de l’ESG pour les émetteurs les plus en risque ou au contraire les plus prometteurs. C’est au Royaume-Uni que cette dimension ESG est la plus mise en avant.

ISR et performance

Funds : La gestion ISR est-elle plus résiliente dans les marchés baissiers ? Comment se comportent les fonds actions ISR dans les phases de hausse ? Peut-on faire un bilan de l’ISR en termes de performance ?

Dominique Blanc : L’ESG permet d’identifier sur un horizon de long terme les gagnants de demain, ceux qui sauront éviter les risques les plus importants. Dans les marchés baissiers, la capacité de résistance des fonds actions ISR semble avérée. Les investisseurs sortent moins de ces fonds dans les marchés chahutés. Dans l’analyse de la performance liée à l’ESG, ce n’est pas tant la comparaison gestion classique et gestion ISR qui est compliquée mais le fait d’identifier ce qui est considéré comme ISR : la contribution en termes de performance ne sera pas la même entre une gestion de conviction et une gestion ISR plus light.

Pascale Auclair : Une approche rigoureuse de l’ISR incluse dans le SAI – c’est-à-dire qui identifie les critères positifs sur lesquels nous allons sélectionner nos valeurs – et une sélection des entreprises ayant les meilleurs scores SAI permettent d’identifier les entreprises gagnantes sur le moyen terme. Il est important également de faire coïncider l’horizon d’appréhension des critères et l’horizon sur lequel on va mesurer la performance de la gestion. Nous avons un historique de performance de plus de trois ans sur notre fonds Euro ISR géré avec intégration de critères ESG et financiers. Ce fonds se situe dans le premier tiers des classements et est plutôt moins volatil que la moyenne. Il est dans une moyenne basse de performance dans les phases haussières mais amortit plutôt bien les chocs de marchés. Nous sommes convaincus que notre critériologie va permettre d’identifier les gagnants de demain en positionnant les entreprises sur le nouvel échiquier des enjeux mondiaux. Nous avons affecté des moyens importants à la mise en place de cet outil d’analyse qui est en soi un enjeu technologique important.

Martine Léonard : Les fonds ISR se distinguent par une solide construction de leur performance, avec une volatilité bien plus faible et une performance équivalente sur l’horizon de gestion. Depuis plus de dix ans, nous constatons qu’ils surperforment nettement lorsque le marché est difficile et sélectif. Ils progressent bien dans la hausse. En revanche, ils sont en retrait dans les phases d’euphorie.

Funds : Les sociétés de gestion sont-elles en capacité aujourd’hui de fournir aux investisseurs ayant fait le choix de l’ISR des données précises sur l’impact de leur démarche ?

Pascale Auclair : Tout dépend de la façon dont la société de gestion est équipée. Lorsque le gérant a une approche en profondeur des sociétés dans lesquelles il investit, il peut offrir ce service à l’investisseur qui demande des due diligences approfondies sur certains points. C’est une question de moyens humains et technologiques qui requiert un investissement élevé. Le travail ne peut cependant pas être fait uniquement sur des données, même si une partie de notre processus est purement quantitative. Il y a également une exigence importante d’analyse qualitative stratégique de l’entreprise et de dialogue avec son management. Nous réfléchissons actuellement à la mise en place d’une méthode permettant d’évaluer la performance extra-financière des portefeuilles.

Dominique Blanc : L’évaluation des performances extra-financières est très utile car elle permet de visualiser la valeur ajoutée du processus. Dans une étude réalisée l’an dernier, nous avons constaté qu’il y avait aujourd’hui une dizaine de sociétés de gestion en capacité de répondre à une demande comme celle de l’Erafp sur l’empreinte carbone de ses investissements ou la création d’emplois. Cependant, leur méthodologie est loin de faire consensus car la méthode retenue pour agréger les données peut faire varier considérablement d’une société de gestion à l’autre les résultats sur un portefeuille.

Martine Léonard : Nous sommes à même de fournir quelques indicateurs d’empreinte ISR de nos portefeuilles. Pour aller plus loin, il faudrait que les sociétés européennes fournissent des données plus fines et surtout plus homogènes, par exemple sur les choix de formation, sur la biodiversité…

Funds : La gestion ISR est-elle plus pertinente sur une classe d’actifs en particulier ? Est-elle plus facile à mettre en œuvre sur les actions, par exemple ?

Martine Léonard : L’ISR s’applique évidemment à toutes les classes d’actifs, en veillant à différencier les critères et à adapter leur pondération, afin d’être cohérent avec les spécificités de chacune d’elles et l’appréciation par le marché.

Dominique Blanc : Nous avons la conviction que l’ISR peut apporter de la valeur ajoutée sur toutes les classes d’actifs. Sur les actions, l’ISR confère une capacité à identifier les entreprises qui, d’un point de vue stratégique, se positionnent face aux enjeux de long terme. Dans le crédit, il a une capacité à identifier des risques plutôt de long terme, également. Pour ce qui est des Etats, nous pensons que c’est également pertinent car, derrière la crise de la zone euro ces dernières années, il y a aussi des questions ESG. Mais il y a encore peu de réponses concluantes sur la gestion obligataire ISR et la capacité à répondre aux enjeux de cette catégorie d’émetteurs spécifiques. Il est difficile d’avoir des critères qui ne soient pas que des repères sur le passé, sans parler de la difficulté d’articuler les enjeux ESG et la vision politique des Etats.

Sur le monétaire, il n’y a pas de frein technique et il est possible d’avoir une logique best in class sur le secteur financier, mais c’est sur ce dernier que l’analyse ESG est la moins mature aujourd’hui. La course aux volumes sur les fonds monétaires ISR ces dernières années a cependant contribué à décrédibiliser cette classe d’actifs, même si elle était aussi légitime qu’une autre pour porter les sujets ESG auprès des émetteurs de papier à court terme. Nous constatons en outre le développement d’une offre autour des fonds d’infrastructures pour répondre à la demande croissante des investisseurs.

Pascale Auclair : Sur l’immobilier, l’ISR est devenu la norme, du moins sur la partie environnement, mais il s’étend à l’ensemble des critères ESG. Sur l’obligataire, je partage ce qui a été dit précédemment. Nous avons un fonds obligataire ISR qui a une bonne performance. Pour étayer notre analyse ISR sur la dette publique et gouvernementale, nous avons pris les services de Vigeo. Sur la partie privée, nous privilégions une approche visant un objectif de solvabilité, couplée avec certains critères utilisés sur les actions, toujours grâce à l’analyse proposée par IPCM. Je suis convaincue que l’ISR sera un enjeu important pour certains investisseurs institutionnels dans l’obligataire. Dans le monétaire, l’enjeu pour les clients est l’apport marginal de performance lorsque les taux sont proches de 0. Il est donc difficile, dans ce contexte, d’évoquer la qualité ISR d’un fonds lorsqu’il est légèrement moins performant

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