De plus en plus, les clients, institutionnels ou privés, souhaitent donner du sens à leur investissement. D’où un intérêt croissant pour la gestion thématique qui se traduit par un enrichissement de l’offre de fonds commercialisés. Environnement, vieillissement démographique ou ruptures technologiques sont les thèmes les plus recherchés.• Comment distinguer une thématique de long terme d’un simple effet de mode ?• La multiplication de fonds sur une même thématique peut-elle poser problème ?• Ces fonds s’adaptent-ils à toutes les configurations de marché ?• Sont-ils performants ?
- Comment s'isncrit l'offre des fonds thématiques dans l'univers des fonds actions ?
- Comment se distingue un fonds thématique d’un fonds sectoriel ?
- Comment définissez-vous l’univers d’investissement?
- La robotique est un thème à la mode, alors que son univers d’investissement est encore très restreint. Le lancement de nombreux fonds sur cette thématique ne pose-t-il pas des problèmes de valorisation des sociétés concernées ?
- Les fonds thématiques sont-ils construits de façon à être moins volatils que les fonds actions en général ?
Comment s'isncrit l'offre des fonds thématiques dans l'univers des fonds actions ?
Alice Lhabouz, présidente, Trecento Asset Management: Pour une boutique, il est important de se spécialiser et de montrer un savoir-faire permettant de se différencier des grands acteurs de la gestion. Pour travailler sur des thèmes d’investissement, il faut avoir une équipe très spécialisée qui gagne en compétence avec le temps. De leur côté, les clients cherchent de plus en plus à donner du sens à leurs investissements.
En France, de nombreux investisseurs se sont détournés du marché actions, en particulier la clientèle privée. Des thématiques de long terme comme l’environnement, la santé, le vieillissement de la population, la robotique, etc., ont plus de sens pour eux que l’évolution de l’Eurostoxx 50 ou autre indice.
Olivier Cassé, gérant, Generali Investments : Generali Investments, qui gère historiquement les encours d’assurance de Generali, a depuis quelques années mis l’accent sur la gestion pour compte de tiers. Nous partageons cette même vision : l’offre de fonds actions sur la zone euro, l’Europe ou les actions internationales étant saturée, il nous a semblé important de nous différencier pour séduire la clientèle externe. Après analyse de nos forces en interne, notamment en matière d’investissement socialement responsable (ISR) et de gestion actions, nous avons développé différentes thématiques d’investissement, dont celle liée au vieillissement de la population, assez proche des activités d’assurance du groupe Generali. Nous avons ainsi constitué une équipe qui fait à la fois de la gestion ISR et de la gestion de thématiques porteuses sur le moyen et long terme.
Vafa Ahmadi, directeur des gestions actions thématiques, CPR AM : L’intérêt pour les fonds thématiques se confirme depuis une quinzaine d’années, une période qui correspond à la déferlante des ETF sur les marchés actions. Ces marchés se sont polarisés avec, d’un côté, des ETF qui apportent le bêta de manière simple et remplissent une fonction bien identifiée et, d’un autre côté, des gérants actions en quête de solutions à plus forte valeur ajoutée. Cette valeur ajoutée n’est plus liée à d’éventuelles failles dans les indices. La gestion thématique, ISR compris, permet de se distinguer en matière de performance et de sens. C’est la partie à plus forte valeur ajoutée du spectre actions. Cette offre a trouvé un écho naturel et grandissant auprès des clients au niveau mondial, qu’ils soient privés ou institutionnels, qui cherchent à la fois du sens et de la performance sur le long terme.
Dans une allocation d’actifs, la poche actions est donc aujourd’hui composée d’ETF pour s’exposer à un indice ou un marché en particulier et des fonds thématiques pour avoir un surplus de performance…
Vafa Ahmadi : C’est un sujet de débat académique ! Il y a une approche core-satellite dès lors que les fonds thématiques sont très satellites dans leur conception. Prenons l’exemple de la robotique : elle a beaucoup de succès, mais c’est une thématique très satellite. De par son étroitesse, elle ne permet pas de rendre la gestion plus core.
Chez CPR AM, nous avons eu, dès le départ, l’intuition qu’il fallait rendre la gestion thématique un peu plus core sans pour autant remplacer les principaux indices. Nous cherchons avant tout à construire des fonds thématiques capables de résorber les drawdowns, en élargissant le thème identifié à l’ensemble des secteurs qui y sont liés et ainsi permettre une plus grande latitude. Certaines thématiques ont vocation à se substituer en grande partie à des fonds core.
Alice Lhabouz : Le positionnement du fonds est également lié à la maturité du marché. Les thèmes de la santé ou du vieillissement de la population sont relativement matures sur les marchés financiers.
L’univers est suffisamment large pour absorber des tailles d’investissement significatives. Les thématiques plus satellites concernent soit des niches plus restreintes, qui risquent de le rester, soit des marchés naissants. La robotique est un segment investi principalement par le private equity depuis une dizaine d’années. Ces investisseurs, passés sept à dix ans, préparent l’introduction en Bourse de ces sociétés. Aujourd’hui, cette thématique rassemble environ 400 sociétés dans le monde. L’univers est étroit mais va s’élargir avec la sortie des fonds de private equity. Cet élargissement de la cote finira par attirer plus de flux et rendre la thématique moins satellite.
Olivier Cassé : Je partage l’idée d’une bipolarisation du marché. Deux types d’investisseurs s’intéressent aux fonds thématiques : les institutionnels pour le côté satellite et diversification, et les particuliers soit en quête d’un investissement de conviction comme l’ISR – car ils veulent du sens et de l’éthique –, soit pour s’exposer aux megatrends. Ces investisseurs sont ainsi confiants sur le caractère porteur à long terme de la thématique.
En ce qui concerne l’ISR, il y a encore beaucoup de pédagogie à faire auprès de la clientèle privée. La création du Label ISR français par le ministère des Finances devrait permettre de gagner la confiance des particuliers. On parle d’ISR depuis dix ans et là, enfin, l’intérêt se matérialise dans la collecte depuis quelques mois.
Vafa Ahmadi : Globalement, l’offre thématique existant sur le marché a rempli son contrat en matière de surperformance. De nombreux fonds thématiques rencontrent un vrai succès.
Alice Lhabouz : Pour un gérant actions, il est préférable de faire du stock picking dans un univers d’investissement en forte croissance, où les sociétés affichent des chiffres d’affaires en hausse. La croissance est attendue autour de 8 % par an sur les vingt prochaines années pour la thématique de la santé et de 10 % dans la robotique. Le potentiel de performance sur longue période est donc bien plus élevé que pour un fonds multisectoriel.
Vafa Ahmadi : Fin 2016, nous avons lancé un fonds sur le thème de la disruption, avec un écosystème large qui va de la robotique à l’immunologie, en incluant le big data, les drones, etc. Depuis son lancement, le fonds surperforme de plus de 10 % son indice de comparaison, le MSCI World. Les thématiques doivent donc répondre à la quête de sens mais également à la recherche de performance de nos clients.
Comment se distingue un fonds thématique d’un fonds sectoriel ?
Alice Lhabouz : En effet, la distinction n’est pas toujours simple. Nous considérons notre fonds sur la santé comme un fonds thématique, car il rassemble quatre grands secteurs avec des modèles de développement et une sensibilité aux cycles de marché différents : les laboratoires pharmaceutiques, le matériel médical, les services à la santé et les sociétés de biotechnologie. La robotique est également une thématique transversale, liée à l’industrie et à la technologie dans le monde.
Olivier Cassé : L’approche transversale est très importante, ne serait-ce que pour avoir un univers d’investissement suffisamment large pour faire du stock picking et créer de l’alpha. Le thème du vieillissement de la population recouvre ainsi chez Generali l’épargne-retraite, la santé et la consommation. Cette approche se distingue de celles des concurrents et des fonds sectoriels (qui subissent la concurrence directe des trackers).
Comment définissez-vous l’univers d’investissement?
Olivier Cassé : Il est important d’avoir une discipline stricte afin de délivrer une performance en ligne avec les attentes des clients. Une fois la thématique définie, il faut être rigoureux dans la sélection des valeurs qui vont en profiter. Dans le cas du vieillissement de la population, nous avons défini trois piliers d’investissements, précédemment cités, sur lesquels nous communiquons auprès de nos clients. Nous n’allons pas chercher de valeurs en dehors de ces trois piliers. C’est la même chose pour le fonds Generali IS European Equity Recovery, qui investit uniquement dans des sociétés qui profitent de la reprise économique, et Generali IS Euro Future Leaders, positionné sur des sociétés appelées à être la référence sur leur segment.
En matière d’ISR, nos équipes d’analystes extra-financiers notent les entreprises européennes au sein de leur secteur, et nous excluons de nos investissements près de la moitié des entreprises du MSCI Europe. Nous n’investissons donc que dans les sociétés qui ont les meilleures pratiques sociales, environnementales et de gouvernance.
Alice Lhabouz : Dans notre fonds santé, nous avons toujours souhaité avoir une bonne diversification entre les quatre secteurs qui composent la thématique tout en sous-pondérant le secteur des biotechs. En effet, nous avions constaté qu’il y avait, parmi les fonds concurrents, peu d’approche de la thématique par le risque. Certains fonds sur la santé sont investis de la même manière dans les grands laboratoires pharmaceutiques qui ont des casfh-flows récurrents que dans les biotechs dont la plupart ne sont pas rentables et peuvent apporter des drawdowns importants aux fonds.
Nous avons construit un fonds sur cette thématique avec le moins de volatilité possible et nous avons pu l’éprouver en 2015/2016 durant la campagne américaine. Certains thèmes peuvent en effet être liés à des modes ou à des cycles. A nous, gérants, de trouver des solutions pour limiter les risques dans les moments difficiles, même si cela implique de moins profiter des périodes de forte progression du secteur.
En ce qui concerne la sélection de valeurs dans le fonds santé, 100 % du chiffre d’affaires doit être exposé à la thématique. Dans la robotique, le marché étant plus étroit, il faut que la thématique fasse partie des grands axes stratégiques définis par le management d’une société et que des investissements importants soient consentis.
Vafa Ahmadi : Nous avons opté pour une approche très disciplinée afin de pouvoir donner à nos clients des gages de pureté de la thématique. Selon les thématiques, nous avons accès à des données comme la répartition du chiffre d’affaires qui permettent de définir l’exposition d’une société à un thème.
Mais cette information n’est pas toujours disponible dans les rapports annuels. Il faut alors procéder par une recherche top-down : quels sont les secteurs exposés à une thématique, et à quelle hauteur ?
C’est le travail que nous avons effectué pour concevoir notre fonds sur le thème de la disruption avec l’aide d’un expert mondial sur ce sujet.
La conception du fonds a pris treize mois. Il faut être en mesure d’expliquer clairement à nos clients la raison pour laquelle une société fait partie de notre univers disruptif.
Le gérant d’un fonds thématique n’a-t-il pas toujours la tentation, lorsqu’il découvre une belle valeur, de la rattacher à son univers d’investissement ?
Vafa Ahmadi : C’est une tentation fréquente, raison pour laquelle il faut vraiment s’imposer une forte discipline afin de ne pas recréer un fonds global equities.
Alice Lhabouz : Chez Trecento AM, j’ai également fait le choix, depuis la création de la société, de mettre en place un comité d’experts issus de l’économie réelle. Il y a parfois des écarts de perception importants entre les gens de la finance et des gens du secteur, qui ont une vision différente sur les carnets de commandes, les ruptures technologiques ou les barrières réglementaires à lever. Ce comité est consultatif, mais il permet d’éviter certaines erreurs.
Olivier Cassé : Il est important de s’assurer que la dynamique de l’entreprise est dépendante de la thématique d’investissement, et non pénalisée par d’autres facteurs conjoncturels ou structurels. Pour cela, nous rencontrons toujours les sociétés avant d’investir. Certaines sources d’information sont aussi externes. Beaucoup d’études sont par exemple menées sur les tendances démographiques de long terme. La sélection des valeurs constitue l’étape ultime et, dans l’équipe de gestion, nous travaillons tous sur la valorisation des entreprises basées sur la génération de trésorerie.
La robotique est un thème à la mode, alors que son univers d’investissement est encore très restreint. Le lancement de nombreux fonds sur cette thématique ne pose-t-il pas des problèmes de valorisation des sociétés concernées ?
Vafa Ahmadi : Oui, cela pose un problème de valorisation, et c’est la raison pour laquelle, chez CPR AM, nous avons souhaité avoir une vision plus large de la thématique. La tentation de lancer un fonds sur l’intelligence artificielle, une thématique plus compréhensible, était pourtant grande. Nous n’avons pas souhaité nous limiter à un segment de niche, trop étroit. Dans la robotique, les dépenses d’investissement sont la seule variable qui tire le secteur. Si ces dépenses sont réduites pour une raison ou une autre en fonction du cycle économique, cela pose problème. Parfois, un secteur, que ce soit dans la robotique, le vieillissement de la population ou autre thématique, peut être surinvesti et cher. Il faut avoir un univers d’investissement suffisamment large pour donner au gérant la capacité d’arbitrage.
Alice Lhabouz : Il y a clairement un engouement pour le thème de la robotique – dans lequel nous incluons aussi le big data, les imprimantes 3D, le transport autonome –, qui suscite beaucoup d’intérêt dans les médias et auprès des investisseurs. Les niveaux de valorisation sur ces sociétés sont déjà relativement élevés, mais c’est le travail du gérant de bien sélectionner les valeurs et de ne pas investir dans les plus chères.
Prenons l’exemple du leader mondial de la fabrication de robots, le japonais Fanuc : tous les gérants investis dans le thème de la robotique en détiennent en portefeuille et la valorisation est très tendue. Nous avons préféré investir dans son concurrent Yaskawa.
Olivier Cassé : Les fonds que nous gérons sont investis dans des thématiques de croissance. Il est donc normal de voir parfois les cours de Bourse de certaines valeurs s’envoler, mais cela accompagne des progressions de résultats et de génération de trésorerie des entreprises. La valorisation est dans ce cas le reflet de la dynamique de croissance des résultats. C’est en cela que la gestion thématique se distingue aujourd’hui des fonds lancés au début des années 2000, qui investissaient dans des sociétés non rentables. C’est au gérant de bien sélectionner des sociétés de croissance à des prix raisonnables.
Par ailleurs, l’engouement des investisseurs pour les gestions thématiques, et en particulier l’ISR, a aussi des effets positifs. Plus la gestion ISR suscitera d’intérêt, plus elle aura d’impact sur les bonnes pratiques des sociétés.
Les fonds thématiques sont-ils construits de façon à être moins volatils que les fonds actions en général ?
Vafa Ahmadi : Dans la construction de nos fonds, nous essayons effectivement d’avoir une bonne maîtrise de la volatilité. Cependant, je ne pense pas qu’il soit judicieux de véhiculer l’idée que les fonds thématiques sont moins volatils, car ce sont des fonds actions. Les marchés actions sont le premier contributeur à la performance de ces fonds.
Mieux vaut mettre l’accent sur la performance sur un horizon d’investissement plus long.
Alice Lhabouz : Les fonds thématiques sont commercialisés de la même façon que les fonds actions, avec toutes les informations relatives aux risques qu’impose la réglementation.
Certains thèmes sont cependant plus ou moins défensifs ou cycliques. Tout dépend des souhaits de l’investisseur.
Olivier Cassé : Un fonds sur le thème de la «recovery» en Europe du Sud est forcément plus cyclique qu’un fonds investi dans la thématique du vieillissement de la population.
Le plus important est de délivrer une stratégie d’investissement en ligne avec les objectifs du fonds, et donc les attentes du client.