Après un second semestre difficile en 2014, la classe d’actifs a retrouvé les faveurs des investisseurs sur fond de quantitative easing européen. Quel bilan peut-on faire du premier trimestre ? Au-delà des flux, quels sont les moteurs de performance de la classe d’actifs (faiblesse des taux, perspective de reprise économique, etc.) ? Comment évolue le gisement ? Quels secteurs ou quelles notations privilégier ? Que peut-on attendre comme performance pour 2015 ?
Bilan 2014 et perspectives 2015 sur le high yield
Nolwenn Le Roux
L’année 2014 s’est achevée sur une certaine réticence des investisseurs à l’égard de la classe d’actifs, et plus particulièrement des crédits les plus fragiles notés B. La perception a cependant changé à partir du mois de janvier, dès que la BCE a confirmé son intention d’agir. Dans un environnement de taux bas, les investisseurs reviennent sur le high yield, ce qui a généré une très bonne performance depuis le début de l’année.
Les craintes des investisseurs fin 2014 étaient partiellement fondées. Il y a eu un mouvement en faveur de la classe d’actifs début 2014 de la part d’investisseurs qui n’en sont pas coutumiers. Dès que les risques sont apparus – baisse du prix du pétrole, statistiques macroéconomiques mal orientées, etc., ces investisseurs ont pris peur. A partir de l’automne, ils se sont rappelés que le risque de défaut existait notamment sur le crédit noté B et qu’il fallait être sélectif. Le risque lié à la baisse du prix du pétrole était bien fondé, mais il concernait uniquement le high yield américain. Le marché du high yield européen aurait donc dû être protégé, mais il y a une diffusion des craintes.
Eric Pictet
Régulièrement réapparaît la crainte d’un «accident important» sur le marché high yield. Cela arrive au final très rarement car, dès que le prix baisse, le rendement monte mécaniquement et attire les investissements. Les sociétés ont amélioré leurs bilans depuis la crise et les fusions-acquisitions redémarrent simplement depuis peu. L’univers du high yield est plutôt sain car, lorsqu’il y a un excès, le marché réagit rapidement. En Europe, les spreads sont aujourd’hui supérieurs à ceux d’il y a un an. Aux Etats-Unis, il faut distinguer le marché du high yield hors du secteur de l’énergie, qui représente 14 % du marché, et avec lui. Depuis le début de l’année, le secteur de l’énergie a largement contribué à la performance du marché du high yield, après avoir accusé une baisse de 7 % en 2014. Les risques de ralentissement existent aux Etats-Unis mais, lorsque les sociétés ont un bon bilan, une petite croissance sans déflation est suffisante pour que les coupons soient assurés et que la plupart des émetteurs puissent se refinancer. Les taux réels sont attractifs et les risques endogènes sur la classe d’actifs semblent donc limités.
Eric Bertrand
Il y a un an, les investisseurs en quête de rendement ont investi dans le high yield sans trop de discernement. Aujourd’hui, l’environnement a changé et la situation macroéconomique en Europe s’est améliorée. Nous sommes dans une phase de crédit plus saine pour le high yield. Les fondamentaux sont donc meilleurs pour les sociétés. L’appétit des investisseurs est plus rationnel et sélectif.
Le marché européen a cependant été pollué par la situation du marché high yield américain, notamment dans le secteur de l’énergie. La sanction a été très sévère sur le high yield et les actions. En réalité, sur les 16 sociétés américaines en défaut depuis le début de l’année, il n’y a que deux sociétés du secteur de l’énergie.
L'état du marché : volume d'émission, profil type d'émetteur ...
Nolwenn Le Roux
En fin d’année dernière, le marché primaire s’est pratiquement fermé alors qu’il y avait des projets, notamment en Espagne et en Italie. Depuis le début de l’année, il y a beaucoup d’émissions crossover que la politique menée par la BCE rend attractives pour les investisseurs. Nous avons vu également des émissions hybrides réalisées par des émetteurs investment grade solides, qui émettent une dette plus subordonnée porteuse de plus de rendement. La troisième tendance concerne les CoCos, bien qu’ils n’entrent pas dans les indices high yield. Parmi les émetteurs, on retrouve également des sociétés de taille moyenne italiennes ou espagnoles. Preuve aussi que le marché est plus sain, certains projets n’aboutissent pas car ils ne sont pas assez attractifs.
Eric Pictet
Nous constatons également que des sociétés américaines viennent sur le marché du high yield européen pour profiter du différentiel de taux. Certains ont des activités en Europe mais, même si ce n’est pas le cas, les émissions libellées en euro sont intéressantes. Depuis quatre ans, les investisseurs craignent une remontée des taux, alors qu’ils n’ont pas cessé de baisser. La hausse des taux aux Etats-Unis pourrait d’ailleurs être repoussée à septembre, voire décembre.
Eric Bertrand
Nous avons constaté effectivement un retour des financières qui émettent désormais du vrai high yield, élargissant un peu plus l’univers. Face à cette offre, il y a en Europe un besoin important de rendement. Il y a 10 000 milliards d’euros de dettes à plus d’un an (le high yield représente environ 250 milliards). Le rendement est négatif pour 30 % de ces dettes et compris entre 0 et 1 % pour le reste, alors que le high yield procure un rendement supérieur à 2,5 %. De quoi attirer à la fois les investisseurs et les émetteurs, notamment les sociétés américaines. Le marché du high yield européen a un potentiel de croissance important, surtout si on compare la désintermédiation bancaire en Europe et aux Etats-Unis. Ce marché est aujourd’hui un des plus rémunérateurs et, contrairement aux actions, l’investisseur est payé pour attendre.
Eric Pictet
L’an dernier, il y a eu beaucoup de nouveaux émetteurs en Europe, notamment de petite taille. Sur le premier semestre, ils sont parvenus à émettre avec un même coupon que les émetteurs traditionnels avant que les investisseurs ne leur demandent une prime.
Nolwenn Le Roux
La situation est presque identique, car les primes à l’émission sont assez ténues. Les nouveaux émetteurs sont également de taille moyenne. Le mouvement des taux début mai a un peu changé la donne et certains deals ont été retardés.
Le volume d’émissions a été assez important, trop sans doute car cela laissait peu de temps aux gérants pour analyser les deals. Les gérants doivent être sélectifs, surtout lorsqu’il s’agit de nouveaux émetteurs.
Eric Bertrand
Le marché est en effet plus sélectif aujourd’hui. La demande est bien là mais, dès qu’il y a trop de deals avec des marges d’émissions trop serrées, des profils mal expliqués ou peu rémunérés dans le spread, le marché sature vite. Par ailleurs, il y a aussi un phénomène de liquidité. Certains mouvements de marché comme ceux que nous avons connus en octobre, en décembre ou plus récemment nous rappellent que nous sommes dans un univers porté par les liquidités des banques centrales et qu’il faut bien faire attention à ce que l’on achète. Cela permet d’éviter certains emballements trop forts sur le marché primaire comme nous en avons connu précédemment.
Eric Pictet
Les problèmes de liquidité augmentent. Si des ventes massives devaient subvenir, le marché dans son ensemble serait affecté, avec un effet encore plus important sur les émissions les plus liquides car les plus facilement cessibles. Ce sont ces mêmes émissions, si de bonne qualité, qui sont susceptibles de remonter le plus vite. L’analyse crédit est alors fondamentale.
Nolwenn Le Roux
C’est effectivement ce que nous avons constaté aux Etats-Unis l’an dernier : dès que le rendement dépassait 6 %, les acheteurs revenaient. C’est moins automatique en Europe.
Il y a par ailleurs le phénomène des fonds à maturité qui a porté le marché européen. Cela pèse sur la liquidité, mais explique que certains papiers aient de belles performances.
Eric Bertrand
Aujourd’hui, nous proposons à nos clients institutionnels des formats dédiés pour capter au mieux le rendement dans un cadre maîtrisé. De manière complémentaire, en fonds ouverts, nous privilégions une exposition high yield via les dérivés de crédit, format très liquide bien que plus volatil.
Eric Pictet
Depuis le début de l’année, les flux positifs dans les fonds européens s’élèvent à 8 milliards. Ces flux ont largement ralenti ces dernières semaines, ce qui est assez logique car la performance réalisée depuis le début de l’année est supérieure à la performance annualisée.
Eric Bertrand
Les investisseurs doivent être conscients qu’il ne s’agit pas d’un investissement de court terme. Il ne faut pas partir à la moindre réaction sur le marché des titres physiques.
Eric Pictet
Tous les fonds souhaitent avoir des positions très liquides pour répondre à des rachats potentiels. Le paradoxe est donc qu’un titre liquide et solide peut baisser plus rapidement qu’un titre moins liquide et de moins bonne qualité. Les prospectus se sont dotés de règles spécifiques pour protéger les investisseurs de long terme. On peut également penser que la liquidité faible de certains titres poussera les gérants à proposer à certains de leurs clients des structures à capital fixe ou cotés.
Eric Bertrand
Nous regardons attentivement le «swing price» tel qu’il est pratiqué en Irlande.
Nolwenn Le Roux
Le «swing price» arrive également en France. Quand il y a des flux importants dans un marché peu liquide, l’investisseur qui sort en premier d’un fonds Ucits va être avantagé, car ce sont les actifs les plus liquides qui vont être vendus.
Eric Pictet
Des sorties importantes provoquent une distorsion du portefeuille. Les investisseurs sont de plus en plus sensibles à cette notion de «swing price» ou d’«anti-dilution levy» et s’inquiètent maintenant lorsque ces mécanismes ne sont pas prévus dans les prospectus.
Eric Bertrand
Les investisseurs ont bien compris que s’ils ne sont pas les premiers à sortir d’un fonds, ils doivent être protégés. Tous les actifs ont un bid-offer sauf la valeur liquidative d’un fond, ce qui n’est pas logique.
Nolwenn Le Roux
Le «swing pricing» est autorisé en Irlande et au Luxembourg, où nous avons monté notre fonds afin de protéger les porteurs. L’AMF pourrait l’autoriser prochainement.
La sensibilité aux taux
Nolwenn Le Roux
Historiquement, la corrélation entre la performance high yield et les taux d’intérêt est faible, inférieure à 0,4. La raison ? Dans le high yield, la composante spread du rendement est plus importante que la composante taux. La hausse des taux indique que la croissance est plutôt bonne, donc que le spread va avoir tendance à se resserrer car l’entreprise va avoir tendance à améliorer son profil de risque. L’effet de la hausse de taux est ainsi compensé. Le high yield est surtout corrélé aux marchés actions.
Eric Pictet
Aux Etats-Unis, lorsque la Fed a annoncé un possible changement de sa politique monétaire en mai 2013, les taux à dix ans sont passés de 1,7 à 3 %, mais les spreads se sont réduits d’environ 100 points de base. Si le mouvement de remontée des taux est faible, les spreads devraient à peu près compenser. Si le mouvement est violent, il y aura un effet de la duration sur la performance.
Eric Bertrand
La remontée des taux aux Etats-Unis est un signal d’amélioration de l’économie. Même si tous les indicateurs ne sont pas au beau fixe, la Fed doit sortir de cette ornière. Mais cela signifie également que les 3 000 milliards de dollars d’excès de liquidités vont devoir être résorbés. Or, cet excès de liquidités a alimenté beaucoup de marchés. La remontée des taux peut avoir un effet, mais limité, sur les spreads high yield. Cependant, cela devrait provoquer de la volatilité sur l’ensemble des marchés.
Funds Magazine
Le high yield est donc plus sensible aux marchés actions. Or, les actions sont plutôt chères aux Etats-Unis et les valorisations sont plus tendues en Europe également…
Eric Pictet
Comment valoriser les marchés actions quand les taux sont à zéro ? Nous n’avons pas de référentiel. Depuis le début de l’année, les indices américains sont plutôt stables alors que les indices européens affichent des fortes progressions grâce au QE, à la baisse du prix du pétrole et de l’euro. Autant d’éléments qui ne poussent pas les Etats à faire des réformes structurelles. Une correction sur les marchés actions pénalisera le high yield, mais elle sera sans doute de courte durée.
Eric Bertrand
Le retour à meilleure fortune sera effectivement plus rapide pour les porteurs de high yield, alors que les marchés actions peuvent chuter lourdement et rester durablement bas.
Nolwenn Le Roux
Nous surveillons de près les indicateurs de volatilité implicite. Durant les crises, ces indicateurs sont les premiers à déraper, suivis par le crossover, l’indice dérivé le plus proche du high yield.
Eric Bertrand
En cas d’inquiétude sur la croissance américaine et si la Fed repoussait l’idée d’une remontée des taux – ce qui ne constitue pas notre scénario central –, le dollar pourrait baisser et le prix du pétrole repartir à la hausse. Les problèmes en Europe ressurgiraient alors immédiatement.
L'évolution des taux de défaut
Nolwenn Le Roux
Les taux de défaut devraient rester bas. Depuis plusieurs années, les entreprises européennes ont réduit leurs coûts et entrepris de restaurer leurs marges. Elles se sont désendettées et ont profité d’un marché de taux bas pour se refinancer. Les défauts interviennent traditionnellement lors du remboursement d’une dette. Or, les échéances de dettes à venir sont faibles et plutôt concentrées chez les émetteurs de type fallen angels ou crossover qui ont facilement accès à la liquidité. Les seules craintes récentes d’une hausse des taux de défaut sont liées au secteur américain de l’énergie et du gaz de schiste. En Europe, les craintes ont été très limitées au secteur du retail en octobre dernier, à cause des mauvais chiffres de la consommation. Mais les entreprises de ce secteur sont raisonnablement endettées et ont publié des résultats corrects. Avant de faire défaut, la notation de l’émetteur tombe à CCC, mais il y en a très peu en Europe.
Eric Pictet
Les émetteurs high yield font rarement défaut ! Cela concerne plutôt des émetteurs invesment grade qui tombent dans le high yield avant de faire défaut. Sur vingt ans, le taux de défaut moyen global des émissions notées BB à l’origine est de 1,22 % et de 3,17 % pour les émissions B. Il n’y pas de raisons pour que les taux de défaut augmentent en Europe. Aux Etats-Unis, le secteur de l’énergie pourrait être affecté si les prix demeuraient durablement bas.
Eric Bertrand
Effectivement, le cycle du crédit n’a pas redémarré. Les entreprises sont prudentes. Si la confiance revient, le cycle du crédit redémarrera. C’est dans ces périodes qu’il peut y avoir des accidents, lorsqu’il y a une acquisition ou un LBO de trop.
Les opportunités à saisir
Nolwenn Le Roux
Contrairement au segment investment grade, il n’y a pas de secteurs homogènes dans le high yield. Nous privilégions donc une approche au cas par cas. En termes de notation, le segment BB a beaucoup séduit les investisseurs investment grade et son rendement n’est plus très élevé. Nous préférons prendre plus de risque sur les notations B qui ont souffert d’un écart de spreads par rapport au BB à l’automne dernier. Il y a également des opportunités sur les hybrides : ce sont des entreprises solides, le rendement est intéressant mais il va y avoir de volatilité.
Eric Pictet
Nous partageons l’avis de Nolwenn sur les hybrides. Nous voyons également quelques opportunités dans le secteur des télécoms en Europe, qui représente 10 % du marché et dans lequel il y a quelques consolidations intéressantes.
Eric Bertrand
Notre idée est d’accompagner le cycle de redémarrage de la croissance en Europe en privilégiant par exemple le secteur de l’automobile. Le secteur des financières est également intéressant, le risque pris étant bien rémunéré, notamment sur les subordonnées.
Nolwenn Le Roux
Début mai, la performance de la classe d’actifs est déjà de 5 %. Les spreads pourraient se resserrer d’ici à la fin de l’année. Nous attendons une performance de l’ordre de 7 % sur l’année, dont les deux tiers ont déjà été faits, mais avec des chocs de volatilité.
Eric Pictet
La volatilité devrait être plus importante aux Etats-Unis qu’en Europe, où l’action de la BCE devrait atténuer les possibles chocs. L’important pour un gérant high yield est d’avoir un rendement réel positif ajusté de l’inflation. Le high yield offre historiquement une performance équivalente à celles des actions, mais avec une volatilité bien inférieure. La performance annualisée de la classe d’actifs aux Etats-Unis (JUC0) a été la même que celle du S&P Dividendes réinvestis (environ 8,2 % par an) avec une volatilité de 30 % inférieure.
Eric Bertrand
Nous attendons une performance d’environ 7 % en Europe, légèrement plus aux Etats-Unis car il y aura plus de coupons d’ici à la fin de l’année. Les chocs de marché doivent être mis à profit pour investir dans la classe d’actifs.
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