2016 s’annonçait comme une année favorable aux actions européennes mais très volatile. Le début d’année est surtout très chaotique et, à la mi-février, les indices européens accusent des baisses de plus 15 %. Funds s’interroge sur l’opportunité d’investir dans les actions européennes.
Pourquoi une telle débâcle sur les marchés ?
Eric Turjeman, directeur des gestions actions et convertibles, OFI AM : Il n’y a pas eu de véritable changement en janvier, mais plutôt une accentuation de problèmes déjà présents sur les marchés. Quelle que ce soit l’opinion des uns et des autres sur l’évolution des marchés, tout le monde s’accorde sur un point : la croissance est et sera moins forte dans les années et les décennies à venir pour des raisons structurelles. Plus personne n’anticipe des taux de croissance de 5 ou 6 % comme dans les années 1990 et 2000. Pour certains, la croissance mondiale va ralentir mais se maintenir entre 2 et 3 %. D’autres pensent, au contraire, qu’elle sera bien plus faible et envisagent même une récession. Certains facteurs peuvent alimenter cette dernière thèse, notamment le pétrole, l’économie chinoise et les politiques des banques centrales. Depuis début janvier, l’effondrement du prix du pétrole accrédite plutôt la thèse d’une récession. Ce n’est pas notre scénario.
Bruno Fine, président, Roche-Brune AM : L’effet aubaine lié à l’alignement des planètes (prix du pétrole, taux d’intérêt bas et baisse de l’euro) s’est transformé en coup de massue. Et suscite des interrogations : l’alignement des planètes a-t-il réellement bien marché ? Des taux durablement faibles ne sont-ils pas le signe que la croissance économique est restée en panne ? Le pétrole à 40 dollars le baril est une bonne nouvelle mais, à 20 dollars, l’écosystème des pays producteurs n’est-il pas en péril ?
Le coup de massue est bien là et remet en cause les perspectives de croissance mondiale. Cette récession tant redoutée pourrait naître d’un hard landing en Chine. Les signaux ne sont pas tous négatifs et les importations chinoises restent soutenues. Cependant, nous pensons que si crise il y a, elle viendra plutôt du ralentissement économique de la Chine que de la baisse du prix du pétrole.
Cet effet de massue arrive à un moment où les valorisations boursières n’étaient pas si bon marché, ce qui explique que la correction soit systématique.
Stéphane Nieres-Tavernier, gérant actions, Montpensier Finance : Depuis quelques années, les marchés ont été guidés par les actions des banques centrales à un horizon de six mois. Fin 2015, nous avons connu une sorte de creux de communication durant deux ou trois mois, avec des situations très différentes entre les Etats-Unis et l’Europe. Et ce à un moment où les anticipations d’inflation s’effondrent en raison notamment de la chute du prix du baril ; les effets se font sentir dans tous les secteurs. Dans une période où la demande n’est pas très forte, cela crée une sorte de pricing power négatif. Dans le secteur de la construction et des cimentiers, par exemple, certains business models ne bénéficient absolument pas de la baisse du coût de l’énergie. Ce paradigme qui, en théorie, devrait être positif – et il l’est pour le consommateur ou les compagnies aériennes –, ajoute finalement à l’inquiétude généralisée.
François Gobron, gérant, Generali Investments : En tant que consommateurs, nous avons tout à gagner à avoir un pétrole bon marché. En schématisant à l’extrême, le pétrole est, de notre point de vue d’importateur, une taxe que nous payons aux pays producteurs. Le prix du baril est piloté par des décisions politiques. En effet, n’oublions pas que les Etats-Unis sont désormais les premiers producteurs de pétrole et donc les plus exposés à la baisse du prix du baril, d’autant plus que le coût de production y est élevé (pétrole de schiste).
La chute du prix du pétrole est plus liée à un problème d’offre que de demande, qui se situe toujours à plus de 95 millions de barils par jour, soit un plus haut historique. Le prix du pétrole est vu comme un thermomètre de la croissance mondiale alors qu’il reflète un problème de suroffre. Les incertitudes concernant la Chine, les pays émergents et l’impact d’un dollar fort avec un prix du pétrole faible pour les Etats-Unis nous conduisent à penser que nous sommes relativement à l’abri en Europe d’un point de vue de l’investissement actions.
Quel intérêt ont les pays producteurs et notamment l’Arabie saoudite à maintenir un tel niveau de production au détriment désormais de leurs économies ?
Eric Turjeman : Le sujet est complexe car il renvoie à des dissensions ethniques, politiques et religieuses ! Cependant, il recouvre également une réalité économique : le pétrole de schiste était peu exploité il y a une dizaine d’années. Son exploitation a permis aux Etats-Unis de devenir indépendants sur le plan énergétique, mais a contribué à la chute des cours. Les pays producteurs ont donc tout intérêt à affaiblir les producteurs de pétrole de schiste et à les amener à déposer le bilan. C’est un véritable bras de fer auquel se livrent les pays producteurs qui estiment que, une fois en faillite, les exploitants de pétrole de schiste auront du mal à rouvrir les puits et à trouver des financements.
Yves Maillot, directeur actions européennes, Natixis Asset Management : Le maintien du niveau actuel de production n’est rien d’autre que du dumping pour casser la concurrence.
Cyrille Collet, directeur de la gestion actions, CPR AM : Même s’il est difficile de simplifier la situation, on peut dire en effet qu’il s’agit d’une guerre commerciale. Comme évoqué précédemment, il y a aujourd’hui moins de croissance, donc moins de rendement à attendre des actifs risqués, tandis que les obligations ne rapportent plus rien. Même s’il y a beaucoup de liquidités sur les marchés actions, il y a aussi beaucoup de concentration sur certains produits et de moins en moins d’acheteurs en dernier ressort. Il y a quelques années, en cas de baisse des marchés qui se prolongeait, les grands investisseurs institutionnels se repositionnaient. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas en raison des contraintes réglementaires, notamment du fait de l’entrée en vigueur de Solvabilité II. Depuis le début de l’année, nous n’avons pas constaté de rachats massifs sur nos fonds actions. Qui intervient sur les marchés actions au quotidien ? Principalement des hedge funds ou des investisseurs bloqués par l’illiquidité de leurs positions sur le crédit. On peut aussi se demander si les fonds souverains ne vendent pas massivement des actions. Il est difficile de le savoir car ils passent par des intermédiaires américains, mais il y a d’importants flux vendeurs d’actions européennes qui viennent des Etats-Unis à l’ouverture des marchés.
Bruno Fine : Nous ne constatons pas de mouvement d’investisseurs fuyant les actions mais, sur les indices, il y a bien un mouvement systématique.
Cyrille Collet : Le mouvement concerne en effet les indices de façon générale. Aussi la sélection de valeurs, de pays ou de secteurs, n’a-t-elle pas beaucoup d’impact sur les performances des fonds.
Pierre Nebout, responsable de la gestion actions européennes, EdRAM : Je suis d’accord avec ce qui a été dit précédemment sur le maintien de l’offre de pétrole : l’objectif est bien d’éliminer tous les concurrents non conventionnels. Bien que les Etats-Unis restent le premier producteur, on constate un début de réussite de cette stratégie, notamment en dissuadant le financement des nouveaux projets. Le secteur de l’énergie américain est à l’origine de la dégradation du marché du crédit high yield. L’idée n’est pas de maintenir le prix du baril en dessous de 30 dollars, ce qui serait intenable pour les pays producteurs, mais plutôt d’entretenir une forte volatilité pour décourager le financement de nouveaux projets de pétrole de schiste.
Eric Turjeman : La baisse du prix du pétrole est une bonne nouvelle pour la zone euro, mais l’ampleur des mouvements est problématique. Il faudrait que le prix se stabilise.
Bruno Fine : Tous les actifs sont liquides, mais la liquidité n’a pas le même prix selon les actifs. On se retrouve par exemple dans le crédit avec une situation de stress dans laquelle les investisseurs vont chercher la liquidité. Certains émetteurs ont un prix et un rendement apparents qui reflètent surtout la recherche de liquidité d’investisseurs qui veulent se désengager.
Sur le pétrole, il n’y a pas de problème de liquidité. Il y a sans doute des acteurs qui dénouent des positions sans rapport avec la matière première. Ce dénouement provoque l’affaissement du prix du pétrole. Je ne sais pas si le cours actuel du pétrole est tenable mais, de mon point de vue, il constitue une bonne nouvelle pour les consommateurs d’énergie.
Yves Maillot : Dans la croissance, il y a l’évolution des volumes mais aussi la pression sur les prix, contre laquelle les banques centrales essaient de lutter. La forte baisse du prix du pétrole, qui n’est pas le phénomène cœur même de l’inflation, rajoute du stress aux mécanismes prix/salaires. Les économies modernes sont complexes et en pleine mutation : dans la partie industrielle, les évolutions de prix sont de plus en plus défavorables. Quant au monde digital, il est dynamique mais ne participe pas à la hausse des prix. Le ralentissement de la Chine et la forte baisse du prix du pétrole ajoutent du stress sur cette toile de fond en plein changement. Face à cela, les banquiers centraux semblent perplexes. Le support à la valorisation des actifs sur lequel se sont appuyés les marchés ces dernières années perd donc en crédibilité (politiques reflationnistes des banques centrales), ce qui alimente le stress. En Europe, cela s’exprime par un phénomène très marquant : des taux d’intérêt en territoire négatif.
Les interrogations portent aujourd’hui sur la Chine, mais aussi sur l’économie américaine. Vous paraissent-elles fondées ?
Yves Maillot : D’un point de vue statistique, les indicateurs manufacturiers avancés ne sont pas très bien orientés aux Etats-Unis mais, sur les services, la logique est différente. Le secteur de l’énergie connaît un retournement de cycle qui participe la détérioration du secteur industriel. Avec les actions des banques centrales, les marchés ont pris une telle importance qu’il est difficile de distinguer la cause de la conséquence : les marchés baissent et peuvent modifier les anticipations des acteurs économiques ou bien est-ce que les marchés corrigent en anticipation de la détérioration du climat économique ?
Bruno Fine : Aujourd’hui, nous vivons avec l’idée que la Chine est en surcapacité, et c’est bien le cas. La vraie question est de savoir si le monde est en surcapacité. Les indicateurs manufacturiers ne sont pas très bons mais nous ne sommes pas en capacité de mesurer la transformation digitale qui provoque une forte rupture économique sans hausse des prix. Nous allons peut-être passer d’un monde en surcapacité à un monde que nous ne connaissons pas. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de croissance, mais qu’elle n’est pas mesurée comme elle devrait l’être.
Stéphane Nieres-Tavernier : L’économie collaborative est déflationniste par nature. Elle est également peu consommatrice de capital et peu créatrice d’empois. Mais la révolution digitale fait aussi émerger de nouvelles histoires de croissance rapide. Dans l’e-commerce, par exemple, on trouve aujourd’hui de belles valeurs.
Eric Turjeman : Il y a une corrélation très forte entre la croissance mondiale et les profits des entreprises européennes. Tant que la croissance mondiale est supérieure à 3 %, les profits progressent ; en dessous de 3 %, ils diminuent.
Si la croissance mondiale passe donc de 3 à 2 %, les résultats vont baisser inexorablement et il sera très difficile de valoriser les entreprises. Les critères tels que le rendement ou le PER ne sont valables que si l’on pense qu’ils vont se maintenir à l’avenir.
Pierre Nebout : Les entreprises ont publié jusque-là de bons résultats annuels, mais les dirigeants restent prudents sur leurs perspectives. Ils préfèrent se montrer prudents en raison des doutes sur la croissance mondiale.
Par ailleurs, si les taux et le pétrole ne sont plus vécus aussi positivement, le change non plus ne produit pas les effets positifs attendus. La contre-performance du Dax par rapport au CAC 40 ne fait que refléter que l’économie allemande est davantage exportatrice que celle de la France. L’avantage d’un euro faible, favorable pour les marges, ne suffit pas néanmoins à stimuler une demande extérieure qui s’affaiblit…
Stéphane Nieres-Tavernier : Il y a un an et demi, on recherchait les valeurs exportatrices hors zone euro et notamment vers les USA. Depuis l’été dernier, on privilégie la consommation domestique, plus résiliente dans le contexte actuel.
Les marchés ont sans doute été déçus par l’impact que le tryptique taux/pétrole/euro a eu globalement sur les résultats des entreprises.
Quelles prévisions pour les résultats des entreprises ?
Stéphane Nieres-Tavernier : Les entreprises ont bénéficié d’importants effets de conversion, mais la croissance organique a commencé à ralentir au quatrième trimestre 2015. La plupart des entreprises ont eu des progressions de bénéfices par action moins fortes qu’en début d’année. Cela étant dit, un certain nombre de business models s’en sont bien sorti, notamment dans le secteur du tourisme, des télécoms ou de l’auto.
Cyrille Collet : Pour la première fois depuis quatre ans, la croissance des bénéfices des entreprises de la zone euro a été très positive (9 %).
Les prévisions de profits ont pourtant été revues à la baisse durant l’année…
Eric Turjeman : Les anticipations de profits partaient de très haut !
Yves Maillot : En excluant le secteur de l’énergie, la progression des profits est à deux chiffres dans la zone euro. L’an dernier, les entreprises ont surtout profité d’une parité euro/dollar favorable.
François Gobron, gérant, Generali Investments : J’ai rencontré une cinquantaine de sociétés d’Europe du Sud depuis le début de l’année 2016. J’ai été très surpris de constater que, d’un point de vue bottom-up, la grande majorité d’entre elles avait une vision positive des prochains mois. Les résultats du T4-15 sont satisfaisants et les perspectives plutôt bonnes en ce début d’année. Mais les dirigeants d’entreprise s’inquiètent de ce qui se passe sur les marchés. Ils regardent le marché comme une cause et non pas comme une conséquence de leur activité économique.
Cyrille Collet : Il y a énormément de révisions à la baisse des estimations de profits pour 2016 en ce début d’année, ce qui est assez classique. Mais si l’on regarde le détail du consensus chez Factset par exemple, en capitalisations boursières, la hausse est de 4 % et la médiane est à 9 %. La différence entre la zone euro et l’Europe hors zone euro est importante. Pour cette dernière, la prévision est négative à cause du pétrole et des matières premières.
Les sociétés européennes ont publié, pour la plupart, de bons résultats annuels, mais les cours de Bourse ont plongé. La situation est paradoxale : certaines sociétés arrivent à surperformer dans un marché baissier le jour de la publication des résultats et, dès le lendemain, elles baissent comme les autres.
Yves Maillot : Nous n’avons jamais démarré une année avec un consensus aussi bas sur les estimations de profits de l’exercice en cours. Les analystes ont opté pour une attitude très défensive qui tranche avec des publications plutôt de bonne qualité.
Bruno Fine : Nous allons également vivre les révisions à la baisse des résultats d’entreprises américaines. Il ne peut pas en être autrement après un cycle de sept années de révisions à la hausse des profits. Une forte appréciation du dollar peut provoquer une dégradation plus rapide qu’anticipée des performances des sociétés américaines à l’export. La guerre des changes est dans tous les comptes des entreprises avec un effet positif pour les entreprises européennes qui ont un chiffre d’affaires libellé en dollar. Il faut donc faire la distinction entre l’effet comptable et l’effet sur l’économie réelle.
Je partage effectivement l’idée que les entreprises européennes vont communiquer des perspectives prudentes pour 2016 pour être en ligne avec le discours ambiant. Le contexte est certes favorable à la sélection de valeurs, mais il faudrait quand même que cette baisse systématique des marchés soit rapidement purgée.
Pierre Nebout : Nous observons un clivage entre les valeurs domestiques et les valeurs exportatrices. On peut attendre davantage de révisions à la baisse sur les valeurs cycliques globales que sur les valeurs domestiques qui vont bénéficier de la reprise en cours dans la zone euro, en croissance faible, mais en croissance !
Eric Turjeman : Pour revenir à la question concernant l’économie américaine, il est impossible d’imaginer que la croissance mondiale ralentisse sans que cela n’affecte les Etats-Unis. La Réserve fédérale ne peut s’extraire de ce qui se passe dans le monde et sur les marchés financiers.
La zone euro est-elle à privilégier ?
Cyrille Collet : Les chiffres économiques de la zone euro s’améliorent et les résultats des entreprises sont globalement satisfaisants, mais il est impossible que le MSCI Europe gagne 15 % si le S&P 500 en perd 15 % ! Cependant, au second semestre 2012, la performance des marchés européens a été meilleure que celle des marchés américains. En 2015, hors effet de change, la performance est légèrement meilleure également.
Yves Maillot : A part quelques secteurs domestiques, les surperformances des marchés européens sont quand même très corrélés aux marchés américains.
Cyrille Collet : Il est important aussi de savoir qui alimente les flux sur les marchés. Comme évoqué précédemment, les grands investisseurs ne sont plus là.
Yves Maillot : Les taux négatifs sont défavorables aux actions et aux placements de long terme et augmentent la fragilité quotidienne des marchés. Cette situation est propre à l’Europe et au Japon.
Pierre Nebout : En Europe, la prime de risque reste forte. Depuis le début de l’année, les marchés américains même libellés en euro baissent moins que les marchés européens, alors que le marché doute de la solidité de la croissance américaine et de la pertinence de l’action menée par la Federal Reserve. Mais l’instabilité de la zone euro ne rassure pas : instabilité politique avec le risque de Brexit ou l’absence de gouvernement en Espagne, instabilité budgétaire au Portugal, instabilité du système bancaire avec la fragilité du secteur bancaire italien… Tous ces éléments rejaillissent sur l’ensemble des marchés européens.
François Gobron : Il existe un problème de confiance et de crédibilité des régulateurs et des autorités publiques. Je ne vois pas de raison d’être particulièrement inquiet concernant le système bancaire notamment italien, dont la situation est stabilisée après les recapitalisations récentes. Même s’il y a quelques établissements, et je parle surtout des banques locales non cotées qui vont avoir besoin de fusionner ou d’augmenter leurs ratios de capital, la situation des grandes banques cotées est saine. Il s’agit plutôt d’une crise de confiance à la fois sur le régulateur (Banque d’Italie) et sur le système politique.
Des réminiscences de la crise bancaire de 2008
Pierre Nebout : Les taux bas ou négatifs sont dévastateurs pour les activités de retail. Cette réalité s’impose aux banques. Or, elles n’ont pas un discours très convaincant pour répondre à cette problématique. A cela s’ajoute le stress sur les dettes financières subordonnées qui s’est répercuté sur leurs cours de Bourse. Si l’environnement est clairement défavorable au secteur bancaire, en revanche le secteur ne fait pas peser de risque systémique sur l’économie réelle comme ce fut le cas en 2008 !
Yves Maillot : Le sujet n’est pas le même qu’en 2008. Les banques commerciales traditionnelles doivent gérer la mutation de leurs modèles en même temps que les taux d’intérêt négatifs. Atteindre 10 % de ROE [return on equity ou rentabilité des capitaux propres – ndlr] constitue un défi de taille !
Bruno Fine : Pour avoir étudié le secteur bancaire sur trente ans, j’ai constaté que ce secteur n’a contribué à la génération d’alpha que sur dix-huit mois pour la période la plus longue. Le secteur bancaire embarque de la volatilité mais n’a jamais participé à l’alpha sur une duration qui correspond à celle des actions, soit de cinq à sept ans. Le secteur financier, qui représente de 20 à 25 % des indices, vit de crise en crise.
En rythme de croisière, les entreprises industrielles et commerciales embarquent 15 % de risque financier lié à leur structure de bilan et à leur exposition aux devises. En moins de trois mois, ce risque financier embarqué est passé de 15 à 20 %. En tant que gérant de stock picking, nous devons éviter d’ajouter du risque au risque en étant trop exposés aux valeurs financières. Rappelons qu’à mi-février les indices ont baissé d’environ 15 %, mais que les valeurs financières ont cédé plus de 30 % alors que les secteurs traditionnels n’ont perdu que 10 %.
Cyrille Collet : Il y a bien une crise de confiance dans le secteur bancaire, comme l’a montré l’affaire Novo Banco au Portugal en fin d’année dernière. Le début de la construction de l’union européenne bancaire a été repoussé car, en début d’année, l’Italie a décidé de faire autrement. Or, le secteur bancaire italien doit être consolidé car certaines banques sont en situation délicate. Les banques sont très attaquées et font l’objet de beaucoup de spéculations.
Stéphane Nieres-Tavernier : Notre méthode est fondée sur l’appréciation des couples notation/qualité des business models et du potentiel boursier. Rester à l’écart du secteur bancaire dont la performance a été aussi calamiteuse depuis le début de l’année pourrait être regrettable. Sans en faire le cœur du portefeuille ou mettre les banques dans son Top 10, ces valeurs sont quand même les premières à rebondir. Certains beaux business models bancaires ont retrouvé un potentiel d’appréciation attractif.
Bruno Fine : Je suis d’accord avec l’idée qu’il est n’est pas possible de rester à l’écart du secteur sur une longue période mais, dans une approche tactique, mieux vaut privilégier les ETF que la sélection de titres.
Stéphane Nieres-Tavernier : Récemment, la corrélation pétrole/banques était très forte. Les investisseurs se focalisaient sur l’exposition de certaines banques à un risque de défaut du high yield du secteur de l’énergie. Si le prix du baril se stabilise, les valeurs bancaires devraient se stabiliser également.
Eric Turjeman : Même s’il vaut mieux être investi dans le secteur bancaire quand il rebondit, c’est un secteur qui ne fait pas rêver sur le long terme. De surcroît quand les taux d’intérêt sont négatifs. Par ailleurs, il est plus facile de comprendre ce que font L’Oréal ou Essilor qu’une banque. Seul point positif : des cours de Bourse bradés. Et encore faudrait-il être certain que les banques seront en capacité de maintenir leurs dividendes futurs aux niveaux actuels ! Or, tout peut être remis en cause, soit par la réglementation soit pour un problème interne.
Les banques françaises ont toutefois réussi à traverser la crise avec deux fois moins de fonds propres. Prenons l’exemple de BNP Paribas qui n’a fait aucune perte depuis 2008 : l’actif net n’a jamais été aussi élevé et la décote n’a jamais été aussi importante. Il peut être risqué d’être absent de valeurs dont le potentiel de rebond est important. C’est pourquoi, nous avons décidé de ne pas être absents de ce secteur – notamment sur les banques françaises, qui sont très solides.
François Gobron : Les banques italiennes se paient entre 0,2 et 0,5 les fonds propres dans leur majorité avec un ROE de 10 % atteignables à moyen terme, ce qui me semble désormais attractif.
Quels sont les secteurs ou les valeurs les plus attractifs dans le contexte actuel ?
Bruno Fine : Notre objectif de gestion est de délivrer de l’alpha via le stock picking avec une volatilité maîtrisée. Actuellement, nous sommes pleinement investis, avec une sous-pondération sur les banques que nous investissons uniquement via des ETF. Nous investissons dans tous les secteurs et tous les pays, quelle que soit la taille de capitalisation. Vis-à-vis de nos clients, CGPI ou investisseurs institutionnels, le comportement de notre gestion doit rester aligné sur notre objectif de gestion. Comme les actions sont concentrées sur un risque systématique, nous essayons d’être dispersés sur du spécifique. C’est la raison pour laquelle aucun secteur ne l’emporte sur un autre. Les cycles économiques de l’entreprise sont représentés dans le portefeuille : la croissance, les restructurations ou les situations spéciales et la recherche de rentabilité.
L’évolution des valorisations n’affecte pas notre façon de gérer. En se focalisant sur les valorisations, on introduit un biais basé sur l’idée que le marché est trop cher ou pas. Je ne veux pas afficher une surperformance qui ne résulterait pas de la seule sélection de titres.
Yves Maillot : Actuellement, la mécanique des marchés n’est absolument pas corrélée à la valorisation. Ce n’est pas un déterminant de performance. Par ailleurs, la cherté est une moyenne de secteur. Or, un gérant qui cherche à créer de l’alpha par le spécifique ne regarde pas ce genre de chose. Le point central est de déterminer si le marché va continuer à payer plus cher la visibilité car, depuis le début de l’année, les valeurs les plus chères ont surperformé.
Dans nos portefeuilles, nous sommes toujours pleinement investis, avec une allocation ciblée sur la qualité, la régularité et la visibilité des business models. Ce que l’on trouve dans les secteurs de l’agroalimentaire, de la pharmaceutique ou des télécoms, qui bénéficient d’une meilleure visibilité et de perspectives intéressantes en matière de dividendes et de consolidation.
Stéphane Nieres-Tavernier : Trois fonds actions européennes de Montpensier Finance sont gérés selon une méthode rigoureuse baptisée «Best Business Models», assez équilibrée, avec des poches value et des poches croissance. Dans la value, nous apprécions les télécoms également pour la consolidation du secteur, le thème du M&A ayant constitué un puissant moteur pour les marchés ces deux dernières années. Le secteur de la santé garde du potentiel. Il n’a pas très bien performé ces dernières semaines en raison de son exposition au dollar et des programmes électoraux aux Etats-Unis. Enfin, nous mettons à profit les points d’entrée sur certaines grandes valeurs de consommation qui peuvent corriger après une mauvaise nouvelle sur la Chine, par exemple. Il y a des valeurs que nous apprécions et pour lesquelles nous n’avons pas le sentiment que leurs perspectives se soient effondrées aussi fortement que le cours de Bourse le laisse supposer. Nous espérons que, dans les prochains mois, le prix rejoigne la valeur à la hausse et pas l’inverse.
François Gobron : On trouve en Grèce des entreprises qui ont des métiers relativement stables et attractifs pour des opérateurs et des investisseurs, comme le port du Pirée pour les investisseurs Chinois. La décote liée au risque politique grec est considérable. A titre d’exemple, l’action du port de Pirée vaut 11 euros alors que le chinois Cosco a fait une offre en cash de 22 euros par action mi-janvier. Cette décote de 50 % illustre la prime de risque politique qui prévaut en Grèce alors même que le gouvernement grec souhaite boucler l’opération avant fin juin, poussé de plus par ses partenaires européens.
Cette décote de crédibilité est valable en Grèce mais aussi, dans une moindre mesure, en Italie dans le secteur bancaire ou en Espagne dans le secteur des utilities. D’une façon générale, les mesures populistes prises par les gouvernements d’Europe du Sud entraînent des décotes dans tous les métiers régulés, sur lesquels nous restons néanmoins prudents.
Pierre Nebout : Nous n’avons pas opéré de changement dans le portefeuille depuis le début de l’année. Nous conservons un biais très domestique à travers des valeurs de rendement ou des valeurs cycliques exposées au cycle européen en privilégiant celles qui n’ont pas cessé de se restructurer ces dernières années. En fin d’année dernière, nous sommes revenus sur certaines utilities. Ce positionnement devrait s’avérer payant car les perspectives de profits des valeurs détenues en portefeuille devraient bénéficier de la reprise en cours dans la zone euro, avec un effet de levier pour les sociétés restructurées. Et cette reprise ne nous semble pas remise en cause par les turbulences des marchés.
Eric Turjeman : Nous avons un fonds dans lequel le gérant cherche à acheter la croissance au meilleur prix, sans biais value ou growth. Son portefeuille est devenu value sans qu’il l’ait vraiment cherché, compte tenu des opportunités d’investissement sur des valeurs massacrées quotidiennement.
Fabrice Gobron : Nous avons surtout des valeurs domestiques en portefeuille, avec un positionnement value, alors que le fonds est investi dans les pays d’Europe du Sud où la croissance est plutôt dynamique (2,7 % attendus pour l’Espagne en 2016 par exemple).
Cyrille Collet : Nous gérons nos portefeuilles avec «une approche quantitative à visage humain». Dans les fonds ouverts, notre objectif est de créer de l’alpha de façon récurrente. Nous avons donc des paris sectoriels et géographiques assez faibles. Globalement, nous sélectionnons les titres les plus attractifs dans tous les secteurs et toutes les régions. Nos portefeuilles sont bien diversifiés par construction (120 à 130 valeurs), ce qui leur confère une certaine résilience. Ces dernières semaines ont été particulièrement éprouvantes pour nos gestions et nos modèles de risques, mais c’est dans ces moments-là qu’il faut garder ses convictions, c’est-à-dire l’ensemble des paris actifs que nous avons mis en place en fin d’année car nous restons acheteurs des actions de la zone euro à horizon fin 2016.