Table ronde

Actifs émergents : un timing favorable aux actions et à la dette ?

Publié le 16 novembre 2021 à 11h16

Catherine Rekik    Temps de lecture 22 minutes

Après un bon début d’année porté par des perspectives de croissance économique attrayantes, la dynamique des marchés émergents s’est enrayée à la fin du printemps dernier. Outre des flux négatifs, à fin septembre 2021, les performances des actions et des obligations émergentes étaient négatives, alors que les actions des pays développés enregistraient des progressions à deux chiffres, par exemple. Pourquoi ce retournement de tendance ? La situation en Chine est-elle la principale explication ? Quid de l’inflation dans les pays émergents ?  Faut-il craindre les conséquences de la normalisation de la politique monétaire américaine ? Qu’en est-il des perspectives pour ces classes d’actifs ? Quels sont les principaux risques pour les marchés émergents ?  Quels sont les facteurs de soutien à long terme ? Faut-il investir dans les actions émergentes ou dans les obligations souveraines et corporates ? Le couple rendement/risque de ces dernières est-il suffisamment attractif ? Pour les actions, où se trouvent les opportunités (pays, zones ou secteurs) ? Quid des valorisations ? Que représentent les actifs émergents dans les portefeuilles ? Comment les rendre durablement attractifs ?

Après avoir débuté 2021 sous de bons auspices, les actifs émergents, aussi bien les actions que la dette, ont eu des performances décevantes. Comment expliquez-vous ce retournement de tendance ?

Yasmine Ravai : Les perspectives de tapering sur le marché américain et le délai dans le vote de stimulus ont créé une situation compliquée pour les marchés émergents et ont pesé sur les marchés obligataires, notamment en dettes locales, de façon inattendue. Le mouvement que nous avons connu en février était suffisant pour stabiliser la poursuite d’une tenue plutôt stable pour ces marchés. Les banques centrales ont été préventives face à l’émergence de l’inflation, le resserrement des politiques monétaires s’est propagé au fur et à mesure et s’est sensiblement accéléré ces derniers temps. Il y va de la crédibilité de ces banques centrales : elles doivent non seulement ancrer les anticipations d’inflation mais aussi maintenir une certaine prime de risque par rapport aux Américains. Le ralentissement chinois, même s’il est auto-infligé, ne semble pas poser un gros risque pour les marchés émergents mais c’est un facteur d’incertitudes.

Bruno Vanier : Dans le monde émergent, certaines banques centrales ont des politiques monétaires restrictives depuis un an, comme c’est le cas en Chine, d’autres au Brésil ou en Russie ont commencé à relever leurs taux de façon importante depuis quelques mois. Globalement, dans les grands marchés émergents, l’environnement monétaire est à l’opposé de ce que nous connaissons aux Etats-Unis ou en Europe, toujours sous perfusion monétaire. Ce qui explique en partie le différentiel de performance entre les actifs émergents et les actifs des pays développés. La performance décevante du marché chinois a un impact important sur l’indice des marchés actions émergents puisque la Chine représente plus d’un tiers de cet indice. La devise et les actions brésiliennes ont également été très mal orientées, ce qui plombe l’ensemble de l’Amérique latine. Au niveau sectoriel, les semi-conducteurs ont été décevants, plutôt en Corée qu’à Taïwan. Tout ceci explique les mauvaises performances des actions émergentes mais laisse des perspectives intéressantes pour les 12 à 18 mois.

Yann Lepape : Jusqu’à la fin du deuxième trimestre, tout se passait à peu près bien mais à partir du troisième trimestre, une série de vents contraires ont dégradé la situation. La propagation du variant delta a de nouveau mis à l’arrêt un certain nombre d’économies et prolongé les déséquilibres qui existaient sur certains marchés comme les puces électroniques, différentes matières premières ou le transport. L’inflation a continué de croître tandis que la croissance ralentissait. Les investisseurs ont basculé d’un scénario de cycle qui se prolonge à un scénario de « stagflation » – moins de croissance, plus d’inflation –, et donc plutôt une dynamique de fin de cycle. Des hausses de taux assez agressives sont anticipées dans certains pays. Dernièrement, les banques centrales de République tchèque ou de Pologne n’ont pas hésité, par exemple, à surprendre à la hausse. Le quatrième trimestre devrait nous apporter des données plus positives sur la croissance et l’emploi tandis que les perspectives pour 2022 restent solides. Des effets de base vont disparaître pour CPI (indice des prix à la consommation – ndlr). On constate aussi une rotation de la demande des biens vers des services, ce qui devrait aider à désengorger certains goulets d’étranglement. Il y aura beaucoup de valeur dans la partie courte des courbes et dans la dette en monnaie locale mais il faut trouver le bon timing.

Matthew Morgan : Début 2021, beaucoup d’investisseurs anticipaient une année record pour les actifs émergents, ce qui n’a pas été le cas. Il faut toutefois mettre les choses en perspective : investir en 2021 dans les obligations souveraines ou les corporates investment grade des pays développés revient à perdre de l’argent alors que le crédit dans les marchés émergents a conservé sa valeur. Dans ce sens, on peut donc dire que les obligations émergentes ont surperformé par rapport aux autres actifs obligataires. Le sentiment vis-à-vis des marchés émergents est devenu plus négatif ces dernières semaines, avec la hausse de l’inflation. Les hausses des prix alimentaires et de l’énergie sont plus difficiles à vivre dans les pays émergents. Les banques centrales des pays émergents ont donc été contraintes de durcir leurs politiques monétaires, un peu partout à l’exception de la Turquie ou de l’Inde. A cela s’ajoute l’inquiétude concernant la Chine et son secteur immobilier.

Michaël Israël : Pour le segment de la dette corporate émergente en monnaies fortes, la Chine constitue le principal problème. Pour le reste des actifs obligataires émergents et notamment le high yield, les performances sont positives. L’impact des hausses des matières premières et du variant delta ainsi que de la remontée des taux aux Etats-Unis a finalement été très mesuré. Les émetteurs d’obligations corporates émergents sont différents des sociétés qui composent les indices actions, ils sont plus « value » que croissance. On trouve donc dans notre univers une part importante de commodities et plus particulièrement d’acteurs du secteur du pétrole et du gaz. Or, 2021 est une bonne année pour ces sociétés. C’est la même chose pour les sociétés qui avaient été affectées par la réduction de la mobilité : elles ont surperformé malgré le variant delta car elles étaient très en retard. En ce qui concerne la hausse des taux américains, son impact a été modéré d’une part parce qu’il y a moins de duration dans les indices corporate high yield, d’autre part parce que d’autres éléments absorbent les impacts de hausse des taux, notamment les spreads de crédits qui se sont généralement compressés hors Chine.

«Nous anticipons une repentification des courbes, donc nous attendons des points d’entrée pour investir dans des obligations à courte maturité. »

Yann Lepape Gérant senior de la boutique obligataire ,  Vontobel AM

L’impact de la remontée des taux américains a été plutôt mesuré. Est-ce que cela signifie que le tapering n’aura pas les mêmes effets qu’en 2013 ?

Yann Lepape : Ce qui s’est passé dernièrement sur les taux longs US est assez surprenant, c’est-à-dire leur baisse relative. Leurs niveaux actuels ne sont pas une source de stress tant que la croissance est au rendez-vous et que l’Ebitda continue de progresser pour les entreprises. C’est plutôt la normalisation de la croissance accompagnée d’une décélération de l’inflation qui seraient une source de volatilité : cela risquerait de repentifier violemment la courbe et donc de coûter cher en termes de financement et d’amener de la volatilité sur les devises émergentes.

Bruno Vanier : La situation actuelle est très différente de celle de fin 2012/début 2013. Les comptes courants des pays émergents sont aujourd’hui positifs, les devises n’ont pas le même niveau de valorisation et l’indice des actions émergentes est aujourd’hui plus orienté vers la croissance. La représentation des pays fragiles est passée d’un tiers à moins de 15 % de l’indice. En contrepartie, le poids de la Chine s’est accru. On peut donc estimer qu’un tapering américain n’aura pas les mêmes effets négatifs qu’en 2013.

Matthew Morgan : Je pense en effet que la situation est très différente. La Réserve fédérale a appris de ses erreurs de 2013 et fera probablement tout ce qu’il faut pour éviter une crise. Toute obligation est confrontée à un avenir incertain à cause de la volatilité des taux aux Etats-Unis mais les investisseurs font souvent de la dette émergente un cas particulier qui ne prend pas en compte la réalité des pays émergents qui émettent aujourd’hui. Les pays émergents savent désormais mieux résister à la hausse des taux et du dollar. Ils sont aussi beaucoup moins dépendants des prêts des investisseurs des pays développés. Donc même en cas de tapering, les effets ne seront pas aussi négatifs qu’en 2013.

Yasmine Ravai : La communication de la Fed a été excellente et est largement intégrée par les marchés. En termes de balance des paiements, de balance courante et de l’endettement de ces pays, la situation est beaucoup plus solide. L’ensemble de ces pays émet de plus en plus en dette locale et la part détenue par les locaux est d’ailleurs de plus de 70 % (source : JP Morgan Markets) grâce au développement des assets managers, des fonds de pension et des compagnies d’assurances. Donc l’impact des flux entrants et sortants est plus limité. La position technique est aussi différente car les investisseurs institutionnels ne sont pas significativement positionnés sur la dette locale, les fonds dédiés disposent de liquidités pour réinvestir et les valorisations restent relativement attractives.

Michaël Israël : Côté entreprises, le sujet à surveiller concerne les devises locales qui pourraient continuer à s’affaiblir face au dollar. Même si l’on investit dans des obligations émises en dollar, il faut surveiller le risque de décalage éventuel entre le montant de la dette en dollar et la devise des revenus de l’entreprise. L’avantage est que ce risque est mesurable et, quand il existe – revenus dollarisés pour beaucoup – il est rémunéré.

«Ce qui rend notre classe d’actifs attrayante ? Les valorisations ajustées des fondamentaux ! »

Michaël Israël Gérant et co-fondateur ,  IVO Capital Partners

Quelle analyse faites-vous de la situation en Chine ? Est-ce le principal risque qui pèse sur les marchés émergents ?

Bruno Vanier : Depuis février, il y a une série de très mauvaises nouvelles qui justifient la baisse : resserrement monétaire, fiscal mais aussi réglementaire, ce qui a affecté certains secteurs comme l’éducation ou l’internet. A cela s’ajoutent les mauvais chiffres du dernier recensement chinois, avec une population active qui va décroître jusqu’en 2030 au moins. Tout ceci a pesé sur les actions chinoises d’autant qu’après une belle année 2020, les investisseurs n’ont pas hésité à prendre leurs bénéfices. Aujourd’hui, il y a plutôt une perspective d’assouplissement monétaire, ce qui sera une grande première ! Il faudra regarder aussi l’évolution des marges des entreprises, conjoncturellement affectées. Elles pourraient s’améliorer en 2022. Les valorisations de certaines sociétés chinoises, notamment des grandes valeurs internet, sont cependant à des niveaux attrayants, ce qui nous a poussés à réinvestir sur le marché chinois ces dernières semaines. C’est sans doute le moment de redevenir un peu plus positif sur ce marché et notamment sur les actions A qui pèsent 15 % de dans notre fonds global émergent.

Matthew Morgan : La crise chinoise est avant tout une crise de l’immobilier. C’est une crise auto-imposée : les Chinois continuent à insister sur le désendettement de ce secteur, le président Xi Jinping profitant d’une occasion avant sa réélection de procéder à une restructuration économique pour soulager cette situation de surendettement. Cette volatilité va donc perdurer quelques mois encore mais l’équilibre entre les objectifs du parti communiste et les dommages économiques de ce désendettement est délicat. Rappelons que l’immobilier chinois est la plus grosse classe d’actifs du monde, avec 60 000 milliards de dollars. Elle représente 80 % de l’épargne des Chinois. Les Chinois seront obligés en 2022 de recourir à d’autres mesures pour résoudre cette crise. Nous avons gardé une sous-pondération au secteur, prêts à réinvestir au bon moment.

Yasmine Ravai : Je considère désormais la Chine plutôt comme une classe d’actifs que comme un pays émergent. Une perception liée à la taille de ce marché et à sa façon indépendante de fonctionner. En termes de taille, les marchés des obligations et des actions sont respectivement de 20 000 milliards et 12 000 milliards de dollars (source : Wind). Les investisseurs étrangers en détiennent une part assez faible. Le processus d’augmentation de leur exposition vient à peine de commencer et, d’un point de vue technique, cela apporte une certaine stabilité à la devise et aux obligations chinoises. Le ralentissement économique et l’inflation bénigne peuvent aussi constituer un soutien aux obligations chinoises. Ces dernières sont un élément stabilisateur et je ne prévois pas de baisse des taux afin de ne pas remettre en cause le désendettement du secteur immobilier. Le gouvernement utilisera d’autres politiques pour stabiliser la situation. Avec des taux autour de 3 à 3,5 % pour la partie longue et une devise stable, c’est un marché de portage qui devient intéressant en termes d’allocation d’actifs.

Yann Lepape : La Chine est-elle encore un pays émergent ? Il faut en effet l’envisager comme une classe d’actifs décorrélée du reste des pays émergents. Le ralentissement économique, la transformation du modèle économique, le resserrement fiscal… Nous pensons que tout cela touche à sa fin. Pour beaucoup de fonds corporate émergents, il y a désormais pas mal de points d’entrée sur ce marché. Le retournement qui se dessine nous incite à y réinvestir.

Michaël Israël : Si le marché actions chinois a baissé cette année, sur le marché obligataire, seules les sociétés du secteur immobilier ont vraiment baissé. Nous avons regardé si des sociétés de bonne qualité étaient impactées par ricochet pour pouvoir en profiter, mais il n’y a pas eu de panique générale donc pas vraiment d’opportunités. Est-ce pour autant le moment d’investir ? Les opportunités ne sont pas évidentes. Les obligations d’entreprises chinoises émises sur les marchés internationaux sont des obligations « offshore » avec une problématique de subordination. Au surplus, l’analyse de ces émetteurs, tant au niveau de leur véritable niveau de dette qu’au niveau de la valeur réelle des actifs, n’est pas simple, nous préférons y aller prudemment.

Yann Lepape : On anticipe plus de volatilité parce que les scénarios macroéconomiques peuvent encore changer, il va falloir être agile. Contrairement à ce qu’on pense souvent, il est aussi possible de réaliser des gains en capitaux dans l’obligataire. Chaque région ayant des caractéristiques différentes, il convient de tenir compte des spécificités de chaque marché et de saisir les opportunités qui se présentent.

«Les investisseurs ne peuvent pas négliger une classe d’actifs qui, même dans les stratégies assez conservatrices, procure un rendement de l’ordre de 5 %. »

Matthew Morgan Directeur d’investissement ,  Jupiter AM

Quels sont les régions ou les pays qui offrent le plus d’opportunités actuellement ?

Yann Lepape : Pour les mois à venir, le scénario qui s’annonce est celui d’une inflation qui ralentit avec des monnaies locales qui valorisent probablement un peu trop de hausses de taux. C’est le cas pour certains pays d’Amérique latine, une région plutôt intéressante.

Matthew Morgan : L’Amérique latine offre également une exposition au consommateur américain. Pour rappel, le consommateur américain a l’équivalent de 11 % du PIB dans sa poche actuellement grâce à l’épargne pendant la crise ! Le Mexique ainsi que d’autres pays de la région sont donc très intéressants. Par ailleurs, avec la hausse des taux et l’inflation, nous privilégions les stratégies short duration en ce moment.

Bruno Vanier : De notre côté, nous ne sommes pas revenus sur les actions latino-américaines. La région reste problématique en raison des échéances électorales, notamment l’élection présidentielle au Brésil dont l’issue est incertaine. De plus, l’économie brésilienne n’est pas très porteuse à court terme. Néanmoins, le marché brésilien a beaucoup baissé et, en termes de valorisation, il commence y avoir quelques opportunités. Il conviendra de revenir sur ce marché de façon tactique plutôt en 2022. Ailleurs, la Russie offre également des opportunités notamment dans le secteur de l’énergie avec des titres qu’il est intéressant de conserver en portefeuille. En Asie, nous restons prudents sur les semi-conducteurs coréens. Quant au marché indien, il a bien performé en 2021 en dépit de la violence de la crise Covid, mais les valorisations sont très élevées, donc nous sommes plutôt vendeurs.

« Le timing, la sélection et la différenciation restent primordiales sur ces marchés de la dette émergente alors que les perspectives semblent prometteuses. »

Yasmine Ravaï Gérante senior dette émergente ,  Eurizon Capital

En dehors de l’exposition au secteur russe de l’énergie, faut-il s’intéresser aux producteurs de matières premières, notamment en Amérique latine ?

Bruno Vanier : Les matières premières, hors pétrole et gaz, n’ont pas un poids très élevé dans les indices. Le ralentissement chinois a un effet négatif sur les prix de certaines matières premières comme le minerai de fer par exemple. Certaines ont vu leurs cours baisser depuis le haut atteint en mars dernier. D’autres matières premières comme le cuivre sont sur des dynamiques plus positives car elles profitent notamment d’une demande forte de la part de constructeurs de véhicules électriques.

Yasmine Ravai : En Amérique latine, au-delà des problèmes de l’inflation, il y a également un mix de pressions fiscales et de problèmes domestiques avec des réformes à mettre en œuvre au Chili, au Pérou, au Brésil mais aussi au Mexique, qui est sans doute le pays le plus intéressant de la région. Au Brésil, on se rapproche de niveaux très attractifs mais il est encore trop tôt en raison des élections qui se profilent et des problèmes fiscaux non gérés. La prudence s’impose aussi en Europe de l’Est où les pressions inflationnistes ont été beaucoup plus importantes. Ces pays ont bénéficié des largesses de la zone euro mais aussi des politiques monétaires et fiscales locales, d’un consommateur peu endetté et d’un marché de l’emploi qui reste tendu. Ces marchés ne sont pas encore arrivés à un point d’inflexion. Nous restons sous-pondérés sur ces deux régions à part la Russie largement appréciée par les investisseurs.

Yann Lepape : Le Mexique n’aura pas de « fiscal cliff » (mur budgétaire) l’an prochain, ce qui est un point positif. Il y a eu très peu de dépenses budgétaires pendant la crise.

Yasmine Ravai : Le Mexique a en effet été exemplaire en matière de fiscalité. En revanche, le pays va devoir s’aligner sur les Etats-Unis. Alors que toutes ces banques centrales n’ont pas arrêté de mettre en avant le côté transitoire de l’inflation, l’accélération des mouvements de hausse revient à se préparer à une remontée des taux américains et pour maintenir la marge nécessaire pour attirer les capitaux. Le Mexique n’y échappera pas.

Michaël Israël : Sur le Brésil, nous partageons l’idée que les élections vont engendrer de la volatilité et donc des opportunités sur des émetteurs de bonne qualité. Nous y sommes investis pour le moment surtout via des thèses idiosyncrasiques, peu liées aux spreads souverains. Nous augmenterons notre exposition à mesure que les élections engendreront de la volatilité sur le souverain qui contaminera les spreads des sociétés. L’Argentine est le meilleur contributeur géographique cette année, mais nous avons commencé à prendre des profits, le risque étant moins bien rémunéré. Au Pérou, nous avons bien profité des élections et du bruit autour. D’un point de vue sectoriel, nous aimons les sociétés qui préservent leur trésorerie en bas de cycle et se désendettent quand celui-ci repart. Les matières premières constituent en cela un thème d’investissement intéressant dans les marchés émergents dont beaucoup sont des « producteurs low-cost ». En 2020, comme leur coût de production était bas, ils n’ont pas beaucoup consommé de trésorerie. Cette année, ces producteurs génèrent des free cash flows importants et se sont spectaculairement désendettés. On retrouve ce genre de mécanique dans les infrastructures, notamment de mobilité, qui, malgré la baisse du trafic, ont bien préservé leur cash et qui, cette année, sans avoir forcément récupéré les niveaux de trafic pré-crise, génèrent à nouveau des free cash flows.

«C’est le moment de redevenir un peu plus positif sur le  marché chinois et notamment sur les actions A.»

Bruno Vanier Gérant et co-fondateur ,  Gemway Assets

A un horizon de 12 mois, quels sont les éléments qui plaident en faveur des actifs émergents, que ce soient les actions ou la dette ? Et qui inciteraient les investisseurs internationaux à augmenter leurs expositions sur ces classes d’actifs ?

Bruno Vanier : L’environnement peut totalement s’inverser dans les prochains mois avec un assouplissement monétaire chinois et un tapering américain qui se profile et pourrait même s’accentuer compte tenu des perspectives inflationnistes. C’est un élément fondamental d’autant que la surperformance du marché américain reste insolente. De nombreux investisseurs, qui ont réalisé des profits énormes, pourraient réallouer vers une position plus neutre en dehors des Etats-Unis alors qu’ils sont plutôt sous-pondérés sur les actions émergentes. En ce qui concerne les perspectives bénéficiaires, après le rattrapage des actions des producteurs de matières premières, elles devraient se normaliser pour les sociétés de croissance : la hausse est attendue entre 15 et 20 % en 2022, au-delà des prévisions pour les actions américaines et celles de la zone euro. Après une année de sous-performance, certains niveaux de valorisation sont très intéressants. Malgré les soubresauts, les flux entrants sur les actions émergentes ont atteint environ 100 milliards de dollars, ce qui plutôt élevé, mais ce n’est pas ce qui pousse ce marché à la hausse. Sur la base des chiffres EPFR, les allocations sur les actions émergentes sont de l’ordre de 6 %, soit moins de la moitié du poids dans l’indice.

Yann Lepape : Nous anticipons une repentification des courbes, donc nous attendons des points d’entrée pour investir dans des obligations à courte maturité. Si l’avenir nous donne raison sur le rebalancement du mix croissance/inflation, il y aura beaucoup de valeur dans les devises émergentes dans les 12 à 18 prochains mois. En termes de portage, nous apprécions un pays comme l’Indonésie qui a une faible inflation dans une région où la croissance devrait être forte. Il faut être très sélectif dans les marchés actuels. Ajoutons qu’en devises fortes, il reste aussi de valeur dans quelques obligations souveraines à haut rendement et, ajustée de la duration, dans la dette corporate, où les risques restent correctement rémunérés

Yasmine Ravai : Les valorisations sont intéressantes. La reconstitution de primes de risque est assez complète, la hausse des taux est déjà bien anticipée. Nous sommes donc très proches du point d’inflexion. Le timing, la sélection et la différenciation restent primordiales sur ces marchés de la dette émergente alors que les perspectives semblent prometteuses. Au moindre signe de fléchissement sur les actuels goulots d’étranglement, l’environnement redeviendra très positif pour les marchés émergents et les devises.

Matthew Morgan : Cette année, les sujets d’inquiétude n’ont pas manqué sur les marchés émergents. Ces inquiétudes disparaîtront-elles en 2022 ? Certains signes le laissent penser : la résolution du problème immobilier chinois, le côté transitoire de l’inflation, le dollar… Un rebond des marchés émergents est possible en 2022 et dans cette perspective, il faut être assez tactique et sélectif. Les investisseurs ne peuvent pas négliger une classe d’actifs qui, même dans les stratégies assez conservatrices, procure un rendement de l’ordre de 5 % dans un univers où le rendement de 90 % des obligations est inférieur à 3 %. En Europe où les taux réels restent négatifs, les investisseurs doivent trouver du rendement ailleurs. Nous continuons à privilégier les stratégies short duration car moins risquées, avec une sensibilité aux taux qui est réduite par rapport aux autres stratégies. Ces stratégies ont toute leur place dans les portefeuilles d’investisseurs qui veulent initier une exposition à la dette émergente. Un retour des flux serait un facteur de soutien important pour la classe d’actifs.

Michaël Israël : Ce qui rend la classe d’actifs attrayante ? Les valorisations ajustées des fondamentaux ! La plupart des classes d’actifs ont des niveaux de valorisation très élevés sauf les actifs émergents. Dans le high yield émergent, les niveaux de spreads sont non seulement élevés en historique mais incroyablement élevés ajustés du niveau de qualité des entreprises. Les niveaux d’endettement des sociétés des pays émergents sont spectaculairement bas, et il n’y a jamais eu autant d’écart de niveau d’endettement mais aussi de rémunération entre les sociétés high yield des pays émergents et celles des pays développés. L’endettement des indices corporate high yield des émergents sont plus bas que ceux des indices corporate investment grade des pays développés… C’est à la fois un facteur de compression de spreads important et un élément rassurant face aux inquiétudes sur le ralentissement de la croissance mondiale qui affecterait les profits des entreprises (même si la marge est grande avant d’affecter l’obligataire). Enfin, des éléments techniques comme la duration permettent d’avoir, dans le contexte, des rendements ajustés du risque de taux intéressants. Côté allocation, par opposition aux actions émergentes qui sont un univers clair, il y a beaucoup de confusion entre les sous-segments de l’obligataire émergent (souverain, corporate, devises dures ou locales, etc.). D’ailleurs, l’expérience client entre un investisseur en devises locales, et un autre en devises dures, les deux pourtant investis en obligations émergentes, est totalement différente, chaque segment ne répondant pas aux mêmes moteurs de performance et d’analyse.

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