table ronde

Obligations : pourquoi privilégier une approche flexible ?

Publié le 24 février 2025 à 9h15

Catherine Rekik    Temps de lecture 26 minutes

Le retour en grâce des obligations et le succès des fonds datés ont fait le bonheur des investisseurs ces deux dernières années mais il est peut-être temps de repenser son exposition à la classe d’actifs. La désinflation en Europe et aux Etats-Unis a conduit les banques centrales à amorcer des baisses des taux en 2024, mais, si du côté de la BCE la tendance est claire, elle l’est un peu moins aux Etats-Unis depuis l’élection de Trump et la perspective de mise en place d’un programme inflationniste. Que peut-on attendre en matière d’évolution des taux en 2025 ? Quels sont les principaux risques (macroéconomie, volatilité, etc.) ? Redevenue un actif incontournable dans les portefeuilles, la classe d’actifs offre-t-elle toujours des rendements intéressants ? Que peut apporter une approche dynamique et flexible des obligations dans une allocation d’actifs ? Où se trouvent les opportunités ; quels sont les segments obligataires les plus attractifs ? Comment maximiser le rendement ? 

Les intervenants :

  • Violaine de Serrant, directrice France, Belgique & Luxembourg, BNY Investments
  • Charlotte Davain, gérante, Montpensier Arbevel
  • Matthieu Bailly, président et gérant de portefeuilles, Octo AM

Ce début d’année sur les marchés obligataires s’inscrit-il dans la continuité de 2024 ?

Matthieu Bailly - Les sujets d’incertitudes sont toujours les mêmes : aux Etats-Unis, la politique de Trump, élu en novembre, et les négociations commerciales, et, en Europe, la dette souveraine, le déficit budgétaire, etc. Un des principaux sujets concerne toujours le différentiel de croissance entre les Etats-Unis et l’Europe, qui se matérialise dans les décisions de la Fed et de la BCE. Les marchés ont tellement anticipé que, finalement, en ce début d’année, il ne se passe pas grand-chose. Prenons l’exemple des négociations commerciales : il y a quatre mois, les marchés anticipaient une catastrophe qui engendrerait de la volatilité et, aujourd’hui, Trump peut annoncer ce qu’il veut, ils réagissent peu, car, d’une part, tout le monde s’est habitué à ses déclarations et, d’autre part, il a moins de marge de manœuvre. Lors de son précédent mandat, Trump avait déjà relevé des droits de douane dans de nombreux secteurs, et certaines entreprises avaient réagi en installant des unités de production aux Etats-Unis pour éviter ces nouvelles taxes. Le secteur de l’automobile est un bon exemple : les Américains importent beaucoup de véhicules du Mexique, donc Trump a voulu les taxer plus, mais quand on regarde dans le détail, on se rend compte que 75 % de la valeur des véhicules importés provient d’équipementiers américains ou des Etats-Unis ! Il y a eu de la volatilité sur certaines obligations d’équipementiers automobiles, mais elle reste limitée.

Reste le sujet des taux directeurs qui a évolué entre l’année dernière et aujourd’hui, les banques centrales étant plutôt d’accord avec les marchés, pour la première fois depuis deux ans. L’incertitude porte surtout sur les taux longs avec les besoins importants d’endettement des souverains, et moins d’acheteurs puisque les banques centrales n’achètent plus et que les investisseurs internationaux, les Japonais, Chinois ou le Moyen-Orient qui achetaient des obligations d’Etat, commencent à se retirer. Cela pourrait mettre une pression plus forte sur les taux longs.

Charlotte Davain - Sur les taux obligataires souverains, la volatilité reste forte depuis l’année dernière, avec des variations quotidiennes de + 10/− 10 pb qui reviennent fréquemment, ce qui est quand même très significatif pour le marché obligataire. Il est vrai, cependant, qu’il n’y a pas de mouvements d’inquiétude sur le marché du crédit, pas de pression particulière sur un secteur en particulier, les variations brutales concernent des émetteurs spécifiques, avec des histoires idiosyncrasiques. Le segment du crossover évolue sur des niveaux historiquement très faibles, en dessous de 300 points de base de prime. Le marché ne donne pas l’impression d’être spécialement inquiet. En revanche, chaque nouvelle annonce de Donald Trump provoque de grosses variations sur les devises des pays affectés par ces déclarations, voire sur les obligations souveraines, en particulier sur le marché américain, qui entraîne souvent avec lui le marché européen.

Violaine de Serrant - Les marchés obligataires, notamment sur la partie dettes souveraines, vont rester très volatils en raison des incertitudes politiques et géopolitiques. Par rapport au début de l’année 2024, il y a un point de différenciation à souligner. Il y a un an, les marchés étaient très optimistes quant aux perspectives de baisses de taux de la Fed et, en ce début d’année, ils sont plutôt mesurés : le consensus intègre 2 baisses de taux de 25 points de base. Nous pensons qu’il y aura peut-être un peu de marge de manœuvre pour en avoir plus parce que l’inflation continue à baisser, outre-Atlantique également, et Trump aimerait que la Fed baisse plus les taux. Ce qui pourrait arriver si la mise en place de certains tarifs douaniers a un impact négatif pour la croissance américaine.

Il y a une incertitude sur les baisses de taux aux Etats-Unis alors que la BCE devrait poursuivre dans ce sens. Aura-t-on une divergence de politique monétaire entre les deux zones en 2025 ? Qu’est-ce que cela impliquerait ?

Matthieu Bailly - En tant qu’asset manager européen, avec des clients investis en euros, nous raisonnons surtout en termes de différentiel entre la Fed et la BCE. Que les deux banques centrales baissent leurs taux d’un point ou deux, le sujet reste l’écart de taux entre les deux zones. Et il est probable que, comme dans la décennie précédente, il soit d’au moins 150 ou 200 points de base, car la dynamique de croissance n’est pas la même, que les deux zones n’ont pas la même inflation ni la même manière de gérer puisque la Fed travaille pour un pays alors que la BCE doit tenir compte de la situation de 19 pays. Si la BCE ne devait prendre en compte que l’Allemagne, elle aurait peut-être tendance à baisser un peu plus les taux pour relancer la croissance, mais elle doit prendre en compte aussi la situation de l’Italie, de l’Espagne ou du Portugal où la croissance plus élevée et l’inflation actuelle justifieraient le maintien des taux à leurs niveaux actuels. La BCE doit aussi gérer un problème de taille : comme la croissance est globalement faible, les Etats ont du mal à se désendetter. On ne peut pas avoir des taux longs qui montent trop quand un pays comme la France affiche plus de 5 % de déficit budgétaire.

Du côté de la Fed, en faisant la somme croissance/inflation, on n’arrive pas très loin de ce taux actuel de 4 %. 25 points de base de plus ou de moins, c’est à la marge surtout pour un investisseur positionné sur du taux à 1 an. Ce qui est important, c’est le taux à 10 ans qui est à 4,5 % alors que le taux Fed devrait se situer entre 4 et 4,5 %. Ce taux à 10 ans trop bas par rapport à ce que vise la Fed comme taux à horizon 12 ou 18 mois est, selon moi, un problème alors qu’il y a des forces de pression à la hausse sur les taux longs. C’est là que les investisseurs peuvent perdre le plus d’argent.

Charlotte Davain - Aux Etats-Unis, le niveau d’endettement de l’Etat est important et peut devenir un problème avec des taux longs à plus de 4,8 %. Même si la croissance reste autour de 2/2,5 %, les taux réels sont au-dessus de ce niveau de croissance et ne permettent pas à l’Etat de se désendetter. Ce sont des éléments qui militeraient plutôt pour une baisse des taux longs. De plus, l’économie sort de quatre ans de très forte croissance, post covid, portée en partie par une forte immigration. On peut donc se demander si l’histoire n’est pas derrière nous et que là, au contraire, le marché américain va peut-être faire face à plus de difficultés. Si le président américain met en place ses promesses sur la fin de l’immigration, cela pourrait pénaliser la croissance. On a déjà eu quelques indicateurs macros un peu en dessous des attentes du marché, comme l’inflation sous-jacente en décembre ou les ventes au détail. Il semble peu probable que l’économie américaine entre en récession dans les prochains mois, mais il se pourrait que la croissance soit un peu plus limitée à l’avenir. Des taux longs un peu plus faibles afin de permettre une dynamique de désendettement et une Fed un peu plus accommodante pour maintenir la croissance à moyen terme ne sont donc pas à exclure.

Violaine de Serrant - Nous pensons également que la croissance américaine devrait pâtir à la fois de la hausse des tarifs douaniers et des différentes mesures de Trump. Ce qui nous amène à considérer que les marchés sont quand même trop prudents quant aux baisses de taux de la Fed. Il y aura, selon nous, de la place pour plus que 2 baisses de taux de 25 points de base anticipées par le consensus du marché. Nous considérons que la partie courte de la courbe des taux US offre des rendements un peu trop élevés. Donc, on peut se positionner sur cette partie courte pour rejouer une pentification.

«Dans un fonds obligataire diversifié, c’est la qualité de l’équipe de gestion et le track record de l’allocation qui vont être pris en compte par les clients.»

Matthieu Bailly président et gérant de portefeuilles ,  Octo AM

Pour des gérants obligataires, quels sont les principaux risques à surveiller dans les prochains mois ? Anticipez-vous plus de volatilité ?

Charlotte Davain - En tant que gérants du fonds M All Weather Bonds, un fonds obligataire international, nous sommes amenés à suivre les publications macroéconomiques de nombreux pays. Tous les sujets d’inflation, de croissance, les chiffres de l’emploi, de la consommation sont à prendre en compte.

Des marchés plus volatils sont pour nous des sources d’opportunités puisque notre fonds peut prendre des positions longues ou des positions short sur les marchés de taux. Par exemple, quand les taux américains ont anticipé sept à huit baisses de taux en octobre dernier, nous avons pris des profits et avons arbitré notre exposition vers d’autres stratégies de manière à aller chercher les opportunités là où elles se trouvent.

Nous suivons également de près les discours des banquiers centraux dans les différentes régions et il peut y avoir des surprises. Par exemple, ces derniers jours, Catherine Mann, membre du comité monétaire de la Banque d’Angleterre, qui était plutôt considérée comme hawkish, a milité pour deux baisses de taux lors de la dernière réunion de la Banque Centrale. Tous ces éléments sont importants, car ils nous permettent de remettre en question nos scénarios.

Matthieu Bailly - Chez Octo AM, nous suivons également les sujets macroéconomiques, mais ce n’est pas là-dessus que repose notre valeur ajoutée. D’autant que nous avons fait le constat ces dernières années que lorsque les taux étaient à zéro ou négatifs, les prévisions étaient assez simples, mais, depuis 2022, le consensus – c’est-à-dire la somme des analyses des marchés – se fourvoie régulièrement. Cela ne sert à rien d’essayer de faire des prévisions si des milliers d’analystes n’y arrivent pas ! Rappelons-nous qu’en début d’année dernière, le consensus valorisait sept à huit baisses de taux alors qu’il n’y en a eu que deux ou trois. Nous préférons donc raisonner en fonction des éléments dont nous disposons. En tant que gérants obligataires, nous avons la chance, en ce moment, d’être payés pour être prudents et attendre alors qu’avant, c’était l’inverse : si on voulait être prudent, il fallait payer.

Ce qui m’inquiète aujourd’hui et que je surveille, c’est cette fameuse courbe plate ou semi-inversée. Il y a un an et demi ou deux ans, le consensus pensait que cela anticipait une récession et qu’il fallait privilégier les taux longs, car les taux courts allaient baisser. Deux ans plus tard, tout le monde se dit que finalement le monde a changé et commence à refaire de la duration. Or, ceux qui ont fait l’an dernier n’ont pas eu les résultats escomptés.

Ce que je regarde le plus, ce sont les flux et les exagérations, puis, et c’est le sujet principal, les primes de rendement. Nous raisonnons sur le rapport entre le rendement/risque ou la volatilité potentielle. Quand aux Etats-Unis les taux courts sont à 4,7 % et les taux longs à 3,5 %, il n’y a aucun intérêt à être exposé sur la partie longue. Pour les clients, si jamais les taux s’écartent de 35 points de base sur du 10 ans, avec un taux à 3,5 %, ils vont perdre de l’argent. Or, 30 points de base, ce n’est rien, c’est une Fed ou une BCE qui reporte de quelques semaines une baisse de taux. Dans le crédit, les spreads sont au plus bas, que ce soit sur le high yield ou sur l’investment grade. 30 points de base, c’est ce qu’on a eu quand Nvidia a perdu 15 % en une séance : le segment du crossover est passé de 2,9 à 3,1 % en une après-midi, donc ça peut aller très vite.

Violaine de Serrant - De notre côté, nous regardons tous les marchés au niveau mondial et nous sommes plus prudents sur certaines zones. Nous estimons, par exemple, que le Japon est un des rares marchés en totale désynchronisation avec le reste du monde. Les taux longs devraient continuer à monter. Sur la partie crédit, la prudence est de mise dans les zones émergentes. Ce qu’on surveille bien évidemment pour les marchés du crédit, c’est le cycle de fusions-acquisitions qui peut impacter le bilan des entreprises. Nous surveillons aussi ce qui se passe sur le marché de la dette privée, qui a levé beaucoup d’argent. Ce qui nous semble finalement assez bénéfique pour le marché du high yield, car la dette privée va plutôt financer les entreprises dans des situations plus compliquées du côté du high yield. Ce qui permet de conserver des taux de défauts beaucoup plus bas et une qualité moyenne de crédit plutôt correcte dans la partie high yield.

«L’intérêt des fonds flexibles est de pouvoir sortir d’une classe d’actifs comme le high yield pour s’exposer à des stratégies plus attractives comme les taux internationaux ou les dettes financières.»

Charlotte Davain gérante ,  Montpensier Arbevel

L’appétit des investisseurs pour la dette privée est-il un problème pour les gérants d’obligations cotées ?

Charlotte Davain - Non, ce n’est pas un problème ! Depuis le début de l’année, le marché primaire est très dynamique et témoigne d’une forte demande des investisseurs. Rien que sur le marché du haut rendement, sur les 6 dernières semaines, le montant des émissions s’élève déjà à plus de 11 Md€. Et les investisseurs sont demandeurs puisque les primes à l’émission sont de plus en plus réduites. Les émetteurs obligataires, aussi bien investment grade que high yield, peuvent se permettre de resserrer leurs émissions de 30 à 40 points de base sans impacter la demande des investisseurs. On observe sur le marché primaire qu’il y a de moins en moins de primes à l’émission, voire parfois avec une prime négative, et, néanmoins, les émissions trouvent preneurs avec des taux de couverture de trois ou quatre fois à chaque placement. L’intérêt pour la dette privée ne semble donc pas vraiment empiéter sur le marché des obligations cotées. 

Matthieu Bailly - La dette privée a suscité un maximum d’intérêt pour les investisseurs quand les rendements étaient nuls sur l’investment grade et de 2 % sur le high yield. Il y a eu beaucoup de désintérêt pour la dette privée en 2023, au moment où les taux ont commencé à monter. Beaucoup d’investisseurs institutionnels s’étaient exposés à la dette privée pour avoir du rendement au détriment de leurs ratios de solvabilité. Dès que les taux ont fortement monté, ils sont revenus sur de l’obligataire classique.

Violaine de Serrant - Les fonds de dette privée vont continuer à collecter et ont énormément d’argent à déployer. En revanche, alors qu’il y avait un surcroît de rendement offert par les fonds de dettes privées jusqu’en 2022, la prime d’illiquidité est assez faible aujourd’hui. Si on compare les segments du high yield et les fonds de dettes privées, la différence de rendement offerte n’est plus très attractive. Cela militerait plus pour un investissement dans le high yield, même s’il y a plus de volatilité et de mark-to-market que dans des fonds de dette privée. Certes, les investisseurs ont l’impression qu’il n’y a pas de volatilité du côté de la dette privée, que c’est un long fleuve tranquille, jusqu’au jour où il y a un problème comme dans l’immobilier et les SCPI.

Les flux restent-ils significatifs dans l’obligataire en ce début d’année ?

Charlotte Davain - Les investisseurs institutionnels se tournent très largement vers les fonds obligataires aujourd’hui, que ce soit de l’investment grade, des fonds à haut rendement ou gérés avec une approche total return. La distribution intermédiée, les CGP notamment, porte beaucoup d’intérêt à ces produits, soit en complément des fonds euros, soit pour aller capturer du rendement un peu élevé dans les portefeuilles des clients.

Jusqu’à l’an dernier, ce sont surtout les fonds à échéance qui ont capté l’essentiel des flux. Il y a beaucoup moins de lancements de produits aujourd’hui, car les rendements capturés sont moins attractifs. Cela renforce-t-il l’intérêt des investisseurs pour des fonds ayant une approche flexible ?

Violaine de Serrant - Avec les fonds à maturité, le gérant capture en effet un rendement, mais le client paye pour une gestion active, qui n’est pas très active… Autant acheter un des ETF datés qui ont été lancés. Dans la perspective d’avoir des marchés plus volatils en 2025, il y aura des opportunités à saisir. Nous avons une approche absolute return, mais, même de façon globale, le contexte milite plus pour une gestion active et pas pour juste faire du portage. D’autant que les rendements de départ ne sont pas très attractifs si on prend de l’investment grade, par exemple. Mieux vaut avoir une approche dynamique qui peut prendre des positions longues et short.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que beaucoup d’investisseurs ont encore du cash dans les fonds en euros ou les fonds monétaires. Ce cash va certainement être, en grande partie cette année, redéployé probablement sur les marchés obligataires. Il ne faut sans doute pas opposer fonds à échéance et gestion active de type total return ou absolute return, mais plutôt envisager ces deux approches comme complémentaires. Les banquiers privés et les CGP ont tout intérêt à compléter les allocations des clients des fonds obligataires flexibles, car, s’il y a un peu de volatilité et de ralentissement économique en Europe, ça pourrait secouer un peu, même si nous n’anticipons de remontée des taux de défaut. Et qui dit volatilité, dit nouvelles opportunités. Ces fonds permettent donc d’ajuster les portefeuilles, contrairement aux fonds datés qui vont juste chercher à éviter les défauts.

Matthieu Bailly - Post 2022, après une année catastrophique pour les obligations, les investisseurs privés, mais aussi institutionnels, sont revenus sur la classe d’actifs via les fonds datés. Dès début 2024, les taux ayant pas mal baissé, nous avons proposé à nos clients de basculer des fonds à échéance vers les fonds flexibles. Après des souscriptions importantes en 2023 sur les fonds à échéances, c’est notre fonds flexible qui a collecté l’an dernier. L’encours des fonds datés a un peu basculé de l’échéance 2025 vers 2027 ou 2028, mais il n’y a pas eu de collecte nette, alors que l’encours du fonds flexible a été multiplié par 2,5 fois.

Un fonds à échéance, c’est en effet une maturité et un gérant qui cherche à éviter les défauts et essaie d’optimiser le taux au fil de l’eau. Dans un fonds de 400 à 500 M€, on peut chaque année faire tourner 15 à 20 % du portefeuille si on trouve une meilleure opportunité, mais c’est au client de choisir la maturité et la qualité de crédit moyenne, et donc son risque et son exposition. Dans un fonds flexible, le gérant assure l’allocation entre les secteurs et les maturités. C’est ce que nous avons expliqué à la gestion privée et qui a permis la bascule dans les fonds flexibles. Pour souscrire dans un fonds à échéance, il faut avoir confiance dans l’analyse crédit et considérer que le gérant va éviter les défauts. Dans un fonds d’allocation, c’est la qualité de l’équipe de gestion et le track record de l’allocation qui vont être pris en compte par les clients. En effet, un fonds obligataire flexible n’affichait pas la même performance l’an dernier selon qu’il était exposé à des CoCo ou à de la dette souveraine ! Ce n’est donc pas la même expertise qui est vendue aux clients.

Charlotte Davain - Notre fonds obligataire flexible a été lancé en août 2023, après la faillite de la Silicon Valley Bank, alors que les primes de risque sur le marché du crédit étaient tout particulièrement élevées, aussi bien sur le marché corporate classique que sur les souches hybrides et les financières. Nous en avons profité grâce à une allocation crédit élevée lors du lancement du fonds. Cela nous a permis d’accompagner le resserrement des primes de risque sur la fin de l’année 2023 et en 2024. Aujourd’hui, nous avons fortement réduit notre exposition au marché high yield et trouvons, au contraire, qu’il y a beaucoup d’opportunités à aller saisir sur les taux internationaux, et en particulier au Japon. Notre exposition sur le très long japonais peut sans doute sembler très contrariante puisque le marché semble focalisé sur les potentielles futures hausses de taux de la banque centrale. Mais si on regarde les projections économiques sur le Japon, l’inflation devrait retrouver le seuil des 2 % l’an prochain et la croissance rester atone avec toujours les mêmes problèmes démographiques. Le taux à 40 ans s’est stabilisé autour de 2,9 % depuis plusieurs mois et, comme nous cherchons à avoir des stratégies pures et une exposition qu’aux taux souverains, nous allons couvrir l’exposition en yen. Cette couverture nous permet d’obtenir, à date, un rendement annualisé de près de 5,5 % sur cette stratégie. Donc, sans que cela ne constitue bien sûr une recommandation, c’est une position qui, par exemple, a beaucoup de sens, surtout si on la compare au 10 ans allemand qui offre moins de 2,5 % de rendement. L’intérêt des fonds flexibles est justement de pouvoir sortir d’une classe d’actifs comme le high yield, par exemple aujourd’hui, si cette dernière semble trop chère, pour s’exposer à des stratégies plus attractives comme les taux internationaux ou les dettes financières. Ces fonds permettent aussi d’aller chercher des classes d’actifs peu accessibles en direct pour les investisseurs traditionnels, comme les stratégies d’inflation ou de courbe, ou encore de la dette émergente…

Matthieu Bailly - Notre fonds a une approche internationale, mais notre passif étant en euro, nous couvrons également le risque de change. Nous ne raisonnons qu’en termes de crédit et, par conséquent, les souverains ne sont pas notre cœur de métier. Si on s’expose à de la dette souveraine, ce sera par le prisme du crédit, mais 90 % de notre portefeuille est exposé à des obligations d’entreprises couvertes en général du risque de change. La partie taux est plutôt utilisée pour des opportunités très spécifiques, soit pour de la couverture de portefeuille : par exemple, les taux souverains vont couvrir la partie high yield qui est, elle, corrélée aux actions. Sur la partie short, nous pouvons ponctuellement recourir à des CDS pour couvrir des positions plus que pour être directionnellement short sur un émetteur. Ça, nous ne le faisons pas pour deux raisons : ce n’est pas notre philosophie de gestion que de shorter une entreprise parce qu’on pense qu’elle va faire faillite, et parce que les shorts sont désormais plus coûteux.

«La classe d’actifs obligataire nous semble très attractive au travers de positions directionnelles et/ou de paris relatifs. Les marchés sont très propices à une approche diversifiée et absolute return.»

Violaine de Serrant directrice France, Belgique & Luxembourg ,  BNY Investments

Partagez-vous tous le sentiment que le high yield est beaucoup moins attractif aujourd’hui ?  

Violaine de Serrant - Dans la partie high yield, investir avec une approche un peu courte en maturité peut être bénéfique parce qu’on arrive à capter des rendements assez proches des rendements longs sur le high yield, mais avec une meilleure visibilité. Il est plus facile d’appréhender un risque de crédit à horizon trois ans qu’à cinq ou six ans. Aujourd’hui, compte tenu des spreads, du momentum économique et des rendements, une approche sur la duration courte sur le high yield nous semble plus pertinente même si, encore une fois, nous n’anticipons pas une forte remontée des taux de défaut.

Matthieu Bailly - Début 2024, le high yield représentait 80 % de l’exposition de notre fonds, qui a une cible long terme 50-50. Aujourd’hui, cette exposition est de 55 %. Sur la partie maturité moyenne du high yield, on est aussi relativement courts parce que la courbe est plate, donc être court permettra d’absorber un peu plus de volatilité. Les sociétés ont quand même un peu moins de visibilité qu’avant et le coût de la dette commence à peser sur les comptes de résultat. La croissance se maintient aux Etats-Unis, mais, en Europe, elle n’est pas terrible. Face à cela, les spreads sont quasiment à leur plus bas historique. A choisir entre le high yield en Europe ou aux Etats-Unis, nous allons préférer les entreprises européennes, car elles sont très prudentes : peu d’investissement, peu de projets, peu de fusions-acquisitions. Aux Etats-Unis, s’il y a plus de croissance, elles peuvent faire des projets et s’endetter. Une perspective qui peut être intéressante pour les actionnaires, mais plus risquée pour les créanciers.

Quels sont les secteurs les plus à risque en zone euro par exemple ?

Violaine de Serrant - Il faut rester prudent dans le high yield et favoriser structurellement les entreprises les moins cycliques. Il y a deux secteurs que nous évitons en général : l’immobilier et la dette subordonnée high yield, qui nous semble plus risquée pour notre approche à duration courte. Nous préférons la dette financière notée investment grade. Dans notre fonds absolute return, l’exposition au high yield n’est que de 4 %. Dans une approche flexible, nous avons privilégié certains segments des ABS où on peut trouver des rendements attractifs et une prime de complexité.

Charlotte Davain - Sur la partie crédit du fonds M All Weather Bonds, nous sommes très sélectifs sans exclure pour autant un secteur. Nous allons par exemple privilégier des sociétés que nous analysons en profondeur et qui ont une régularité dans la génération de free cash-flows, avec des marges stables et élevées. Notre exposition au high yield a été réduite de 10 à 3,5 % après avoir pris nos profits sur cette stratégie. Nous n’avons conservé que quelques émetteurs ayant à notre sens des dynamiques de crédit positives et ayant démontré leurs capacités à s’affranchir des cycles ces dernières années.

Matthieu Bailly - Au sein du high yield, il y a certains secteurs dans lesquels nous n’investissons jamais, comme celui de l’habillement et de la mode sous LBO, où les faillites sont légion. De façon générale, plus le secteur est cyclique, plus il est risqué aujourd’hui, notamment en Europe. Mais je pense qu’il y aura plus d’émetteurs investment grade dégradés que de défauts dans le high yield où les émetteurs ont plus l’habitude d’avoir des taux volatils.

Dans le high yield, une gestion active et flexible est pertinente par rapport aux ETF obligataires qui sont pondérés par la masse de dettes. Quand un investisseur achète un ETF obligataire, il s’expose en fait à tous les émetteurs les plus endettés de la cote et donc à tous les secteurs qui risquent d’avoir un problème.

Quelles sont aujourd’hui les meilleures sources de rendements obligataires ?

Violaine de Serrant - Notre approche absolute return part d’une page blanche, sans aucune exposition structurelle au départ et, si besoin, peut être totalement en cash. Ce que nous voyons comme opportunités aujourd’hui, ce sont plutôt des paris relatifs : être long de crédit européen versus crédit américain parce que les spreads de crédit sont plus attractifs en Europe qu’aux Etats-Unis, et prudent sur les obligations émergentes. Dans la partie crédit, pour tenir compte du cycle, nous allons être positionnés de façon assez défensive et éviter les secteurs trop cycliques. Sur la partie taux, là, les marchés étant volatils et compte tenu des divergences de politiques des banques centrales, il y a des choses intéressantes à faire avec la pentification de la courbe des taux en tablant sur l’idée que la partie courte des taux aux Etats-Unis a des rendements un peu trop élevés.

Nous avons aussi des positions sur l’inflation aux Etats-Unis versus l’Europe, donc avec une exposition à la thématique des obligations indexées inflation américaines et des short d’obligations indexées inflation européennes. Nous sommes très prudents sur le Japon. Le fonds a possibilité d’avoir également des positions sur les devises, même si elles sont assez modestes, en privilégiant le dollar et la couronne norvégienne et, à l’inverse, être prudent sur le dollar canadien, qui va pâtir de la politique de Trump. La classe d’actifs obligataire nous semble donc très attractive au travers de positions directionnelles et/ou de paris relatifs. Les marchés sont actuellement très propices à une approche très diversifiée et absolute return.

Charlotte Davain - Nous avons profité de la forte hausse des taux en décembre et début janvier pour renforcer notre exposition en duration. Nous voyons beaucoup d’autres opportunités sur les taux internationaux, plutôt sur les parties longues des courbes. Sur le 30 ans britannique par exemple, il y a une décote très spécifique qui perdure depuis plusieurs années. Nous avons également une exposition sur les taux américains et nous avons commencé à prendre des profits sur les taux euros qui nous semblent beaucoup moins attractifs, car plutôt bien valorisés sur les niveaux actuels. Sur le crédit, nous avons une surexposition à l’immobilier, en particulier sur la partie crossover, donc les notations BB + et BBB −. Sur les émetteurs crédit real estate, il y a une vraie prime de risque alors que les bilans ont été assainis par rapport à la crise du covid. Enfin, le fonds a aussi une position monétaire significative afin de pouvoir rester flexible et de profiter du marché primaire, qui est très dynamique en ce moment.

Matthieu Bailly - L’exposition au high yield, vendue au fil de l’eau l’an dernier, a été remplacée essentiellement par des financières subordonnées, plutôt des Tier 2, les CoCo ayant subi le même mouvement que le high yield, c’est-à-dire un resserrement très fort, car c’était la catégorie qui rapportait le plus en absolu. Aujourd’hui, les primes sont serrées alors que ces obligations sont perpétuelles, ce qui implique un risque de crédit majeur. Les subordonnées financières représentent à peu près 45 % du portefeuille contre 15 % il y a 2 ans, avec une préférence pour les pays du Sud où les banques ont plus profité de la hausse des taux. En Espagne par exemple, l’essentiel des prêts immobiliers sont à taux variables donc, dès que les taux ont monté, les comptes de résultat des banques se sont améliorés. De plus, les banques d’Europe du Sud ont encore des primes de rendement assez fortes, car elles ont souvent un déficit de notoriété et une moins bonne notation. Certaines, notamment au Portugal, en Italie, même en Grèce, sont notées en dessous de BBB − et donc ne sont pas éligibles dans la plupart des indices. Par ailleurs, nous n’avons pratiquement plus de crédit investment grade hormis des cas particuliers et, sur le high yield, nous nous concentrons sur des émetteurs dont la prime est suffisante, généralement en dehors des indices, en moyenne entre 6 et 8 % de rendement, ce qui permet de mieux absorber la volatilité et de rémunérer correctement le risque pris.

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