La transition énergétique est déjà au cœur de la lutte contre le réchauffement climatique depuis quelques années. Les crises récentes (pandémie, guerre russo-ukrainienne) ont rendu encore plus urgente la nécessité de repenser l’utilisation des ressources naturelles et des matières premières énergétiques et de se tourner vers de nouvelles solutions.
Funds s’interroge sur ces enjeux et sur les thématiques d’investissement qui en découlent.
• À l’heure où les clients vont être interrogés sur leurs préférences durables, comment flécher l’épargne vers les fonds investis dans la transition énergétique ?
• Comment sont construits ces produits ?
• Quelles valeurs composent les portefeuilles ?
• Faut-il cibler un ou deux enjeux en particulier (énergies renouvelables, hydrogène, infrastructures, etc.), ou préférer des fonds qui adressent tous les aspects de la transition énergétique ?
• Au-delà du marketing qui entoure ces fonds, comment rendre compte aux clients retail de l’impact de leurs choix d’investissements ?
- Quels sont les enjeux qu’adresse la transition énergétique ? L’actualité récente – que ce soient les incendies, les problèmes climatiques de l’été un peu partout dans le monde ou la crise énergétique en Europe – peut-elle accélérer la prise de conscience
- Quel rôle l’industrie de la gestion d’actifs peut-elle jouer dans la transition énergétique ? Comment amener les investisseurs et plus précisément les épargnants à participer au financement de cette transition ?
- À court terme, alors que l’Europe a peur de manquer d’énergie pour faire tourner les sites industriels ou se chauffer cet hiver, ne craignez-vous pas, au contraire, que l’on revienne aux centrales à charbon ou à d’autres modes de production d’énergie beau
- En gestion, que recouvre le thème de la transition énergétique ? De quoi se compose l’univers d’investissement ? Quelles sont les exigences du label Greenfin ?
- Le thème de la transition énergétique induit-il des biais géographiques ou de taille de capitalisation dans les portefeuilles ?
- L’univers du coté permet-il d’adresser pleinement la thématique ? A-t-on suffisamment d’introductions en Bourse pour élargir l’univers d’investissement ? Si oui, l’attrait pour ces entreprises ne favorise-t-il pas une bulle verte ?
- Avez-vous le sentiment d’avoir accès aujourd’hui à suffisamment de données pour pouvoir rendre compte aux clients de l’impact de ces investissements ?
Les intervenants (de gauche à droite) :
- Anna Väänänen, gérante de la stratégie Equity Global Environnement, Mirova
- Véronique Le Heup, directrice investissement responsable et RSE, Amiral Gestion
- Bassel Choughari, gérant, Montpensier Finance
Quels sont les enjeux qu’adresse la transition énergétique ? L’actualité récente – que ce soient les incendies, les problèmes climatiques de l’été un peu partout dans le monde ou la crise énergétique en Europe – peut-elle accélérer la prise de conscience
Anna Väänänen - Malgré les dérèglements climatiques constatés un peu partout dans le monde, une grande partie de la population continue de nier les problèmes. Aux États-Unis, près de la moitié de la population ne croit pas aux changements climatiques. Cela signifie qu’il existe une énorme opportunité pour les investisseurs, car la transition climatique n’a pas été prise en compte par le marché. Notre portefeuille est investi à 70 % sur le marché américain, sur lequel nous avons une bonne connaissance et nous voyons bien les différences qu’il y a avec l’Europe ou l’Asie. La prise de conscience de ces enjeux est bien plus importante en Europe.
Véronique Le Heup - L’ère Trump n’a pas beaucoup aidé à la nécessité de cette prise de conscience ! Aux États-Unis, on commence à peine à s’interroger sur la façon de flécher les flux de l’épargne vers la transition énergétique et, donc, de s’adresser aux particuliers. Certains États républicains comme le Texas, la Floride ou la Virginie-Occidentale sont même très réfractaires, encore aujourd’hui, et ne favorisent pas du tout les investissements responsables.
Anna Väänänen - Et pourtant, après la Californie, le Texas arrive en deuxième position en matière d’investissements dans les énergies renouvelables, car c’est un secteur rentable. Ces investissements ne sont pas motivés par la lutte contre le réchauffement climatique, mais par le profit.
Véronique Le Heup - On est loin du triptyque du développement durable, à savoir un développement économique équilibré, sans nuisance sur l’environnement et sur le social ! À l’inverse du Texas, la Californie s’est fixé des objectifs ambitieux pour le climat et investit massivement dans des solutions de transition énergétique pour accompagner le changement des comportements. Cela ne se fait pas sans difficulté : fin août, avec les incendies et la forte canicule, l’État a été obligé, compte tenu d’installations vieillissantes et d’une forte demande de consommation électrique, de contraindre la recharge des voitures électriques. La transition énergétique est vraiment au cœur de ces enjeux et doit répondre à une problématique : comment alimenter les différents secteurs de l’économie avec une énergie décarbonée ? Avec des engagements forts depuis la COP 21, l’Europe est assez pionnière en matière de réglementation, mais c’est loin d’être le cas de nombreux pays comme les États-Unis ou la Chine qui ne vont pas au bout de ces logiques. Cela peut créer des distorsions de concurrence, raison pour laquelle le Parlement européen a validé en juin dernier une « taxe carbone aux frontières » de l’UE pour certaines marchandises étrangères très carbonées sur la base du prix du CO2 européen. Ainsi, comment faire en sorte d’accompagner l’économie et les investissements dans la transition écologique tout en tenant compte des exigences de profitabilité sur des éléments qui ne sont pas toujours intégrés par les marchés financiers ? À cela s’ajoute la guerre entre la Russie et l’Ukraine dont on voit bien les impacts énergétiques et certaines conséquences néfastes pour le climat comme les cours du charbon qui ont doublé depuis le début du conflit. En matière de transition énergétique, l’impulsion est donc aujourd’hui assez forte, mais non dénuée de risque.
Bassel Choughari - Il est vrai que 50 % des Américains ne croient pas au changement climatique, mais la bonne nouvelle, c’est que 50 % y croient ! C’était loin d’être le cas il y a cinq ans encore, seules les côtes est et ouest avaient évolué sur le sujet tandis que le reste du pays ne se sentait pas concerné. Il y a quand même une prise de conscience collective des citoyens qui, de plus en plus, veulent consommer local et bio si possible, achètent des produits recyclés et sont favorables de l’économie circulaire. Et de plus en plus de personnes veulent appliquer ces principes à leur épargne. Cette tendance est perceptible un peu partout dans le monde. Des objectifs ont été définis au niveau des États, en Europe, aux États-Unis ou en Chine, même s’ils ne sont pas toujours assez ambitieux. L’Inflation Reduction Act (plan climat & énergie), adopté cet été aux États-Unis, n’est peut-être pas aussi ambitieux que le premier plan Biden, mais on constate tout de même une accélération sur ces sujets. Du côté des entreprises, la prise en compte des critères ESG est de plus en plus importante. Elles sont nombreuses à se rendre compte qu’optimiser sa manière de consommer ou de gérer sa chaîne logistique ne suffit pas, mais qu’il va falloir de l’innovation. Or, dès qu’on parle d’innovation, les Américains sont plutôt performants. Nous avons vu aux États-Unis de nouveaux modèles économiques se développer très rapidement. Alors que le pays est plutôt en retard, le secteur du résidentiel solaire y est devenu rapidement plus important qu’en Europe. La tendance de fond est quand même plutôt très orientée.
Anna Väänänen - Je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit. La grande différence entre les États-Unis et l’Europe est que les premiers n’attendent pas des subventions des pouvoirs publics pour agir. Les États-Unis sont un marché d’innovation, à tel point que, depuis quelques années, ce sont des entreprises américaines comme SolarEdge ou Enphase qui profitent de la dynamique européenne comme le montrent les résultats du deuxième trimestre. Pendant que les entreprises européennes attendent leurs subventions, les entreprises américaines investissent et ouvrent des filiales en Allemagne, en Pologne ou en Croatie.
Bassel Choughari - Ces entreprises ont trouvé un équilibre entre se dire ce qu’il est important de faire en matière de lutte contre le réchauffement climatique et une approche plus entrepreneuriale qui est propre aux États-Unis. S’il existe des différences de prise de conscience entre les États-Unis et l’Europe, il y a aussi des disparités entre les pays européens. Le nord de l’Europe est bien plus en avance sur certains aspects que le sud même s’il y a beaucoup d’énergie solaire en Espagne.
Véronique Le Heup - L’impulsion n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui, mais on rencontre régulièrement un décalage entre la prise de conscience et la mise en application réelle, crédible et tangible de décisions visant à traduire concrètement des engagements et des objectifs chiffrés. Dans ce contexte, les plans d’actions sont-ils suffisamment ambitieux et crédibles pour atteindre les objectifs ? Il faut faire aussi très attention aux effets d’annonce, car le chemin est encore long.
Quel rôle l’industrie de la gestion d’actifs peut-elle jouer dans la transition énergétique ? Comment amener les investisseurs et plus précisément les épargnants à participer au financement de cette transition ?
Véronique Le Heup - La création des labels a permis de flécher l’épargne vers des produits qui participent au financement d’entreprises se préoccupant du caractère responsable de leur activité et de la transition énergétique et écologique. La France a été pionnière sur ces sujets. La création du label ISR a été une première étape, même si une revue de son référentiel est en cours. Le label Greenfin vise quant à lui à flécher les flux en faveur de la transition écologique. D’autres labels existent en Europe comme Febelfin, qui applique des exclusions sectorielles, ou encore Luxflag. Pour autant, la coexistence de tous ces labels n’a pas forcément amélioré la lisibilité pour les particuliers. D’autant que la compréhension de cet écosystème est rendue complexe par l’apparition de nouveaux vocables et acronymes qui viennent s’ajouter à tous les aspects réglementaires.
Bassel Choughari - Il ne s’agit pas seulement de fléchage et de réglementation, même si cette dernière est nécessaire pour avoir un cadre clair et homogène. Comme pour toutes les problématiques liées au climat, ce que font les États et les régulateurs est important, mais il ne faut pas se contenter d’attendre que les différents gouvernements se mettent d’accord et agissent. En tant que société de gestion, notre rôle est, d’une part, de faire de la pédagogie et, d’autre part, d’avoir une offre de solutions d’investissements appropriées pour nos clients qui sont aussi des citoyens. Il ne faut pas toujours attendre que ce soit l’État qui donne l’impulsion pour flécher l’épargne. Les États, les entreprises, les sociétés de gestion et les investisseurs font partie de la solution globale.
Anna Väänänen - La transition énergétique est sans doute la transition la plus importante que nous allons vivre dans les prochaines années. Et nous n’en sommes qu’au début ! Tout doit changer ou presque dans notre façon de vivre et ce changement risque d’être plus grand encore que celui que nous avons connu avec la digitalisation de l’économie. Les investisseurs vont devoir choisir entre une économie « noire », qui va disparaître, et une économie verte, celle du futur. Le choix est simple et relève du bon sens plus que d’une décision d’État : il faut investir dans les technologies du futur.
Véronique Le Heup - En effet, il s’agit aussi de remettre du bon sens dans les investissements. La gestion d’actifs et les investisseurs se sont emparés de ces sujets parce qu’ils concernent aussi l’appréciation à long terme de la performance économique de l’entreprise, voire de sa pérennité. Les entreprises qui auront su saisir ces opportunités et mieux gérer les risques auxquels elles pourraient être exposées demain seront celles qui vont survivre.
Bassel Choughari - Le contexte de guerre entre l’Ukraine et la Russie est malheureux, mais favorable à la transition énergétique. Les coûts de développement des énergies renouvelables ont longtemps été un point bloquant, car peu compétitifs par rapport aux énergies fossiles et au prix du pétrole. Au prix du baril de pétrole aujourd’hui, les énergies solaire et éolienne sont devenues très compétitives. De plus, pour réduire rapidement la dépendance au gaz en Europe, il faudrait plus de charbon, ce qui n’est pas une bonne option environnementale, ou plus de centrales nucléaires sachant qu’il faut entre huit et dix ans pour en construire une. Pour produire de l’énergie solaire ou éolienne, c’est douze à dix-huit mois. On peut donc aller vite et, de surcroît, l’approche économique est rentable. Donc c’est une alternative qui est favorisée par le contexte actuel et qui devrait accélérer.
«L’impact doit être le premier critère à prendre en compte, quelle que soit la taille de l’entreprise.»
À court terme, alors que l’Europe a peur de manquer d’énergie pour faire tourner les sites industriels ou se chauffer cet hiver, ne craignez-vous pas, au contraire, que l’on revienne aux centrales à charbon ou à d’autres modes de production d’énergie beau
Bassel Choughari - Le problème d’approvisionnement en gaz se pose pour l’hiver prochain, mais qui peut dire si cette situation ne va pas perdurer deux, trois ou plusieurs années… Peut-être que pour régler le problème à court terme, il faudra réactiver des centrales à charbon, mais, au-delà de cet hiver, on sait que les énergies renouvelables sont une alternative rentable. Nous savons que ce n’est pas parfait et qu’il y a des problèmes d’intermittence. Il faut réfléchir à la manière de faire du stockage et d’éviter d’avoir des coupures le soir. Il y a de l’innovation sur ces sujets : dans le nord de l’Allemagne par exemple, les éoliennes tournent la nuit pour produire de l’hydrogène vert qui sert à alimenter des trains. Il n’y a donc aucune raison pour que les investissements ralentissent.
Anna Väänänen - Il y aura toujours des vents contraires et de la volatilité, mais de nombreux pays ou régions pensent désormais que la mondialisation est allée trop loin. Même aux États-Unis, des subventions sont accordées désormais pour inciter à produire localement ou dans l’espace économique réunissant aussi le Mexique et le Canada. En Inde également, des mesures incitatives ont été adoptées pour favoriser le développement de l’énergie solaire. L’Europe aussi doit réduire sa dépendance énergétique.
Véronique Le Heup - Il y aura forcément une tension cet hiver puisque nous subissons un événement inédit qui perturbe toute la chaîne. Mais il y a de l’innovation et des acteurs qui continuent à investir dans la recherche. Par exemple, le groupe Volkswagen a investi près de 75 milliards de dollars via sa filiale Porsche dans le développement d’un carburant synthétique décarboné composé d’hydrogène et de dioxyde de carbone. Autre exemple, des acteurs de la filière ciment, comme Vicat, qui affiche en Europe un taux de substitution des combustibles fossiles de 66 %, et même de 100 % dans son usine en Suisse où la biomasse et les déchets divers remplacent intégralement les hydrocarbures. Des solutions se mettent donc en place grâce à des acteurs qui ont su anticiper et transformer une contrainte de départ en opportunité.
Bassel Choughari - On ne peut pas reprocher la crise actuelle et la pénurie de gaz aux producteurs d’énergies renouvelables, mais on peut se reprocher de ne pas avoir investi plus, plus tôt. Tout le monde se dit aujourd’hui que nous aurions pu aller plus vite. Même si la tentation de revenir à des sources d’énergie du passé existe, la réglementation va de plus en plus vers le principe du pollueur payeur. Avec le temps, polluer va coûter de plus en plus cher. Beaucoup d’entreprises ont des objectifs de réduction de leurs émissions de CO2. Face à l’urgence à court terme, elles vont peut-être acheter de l’énergie de source fossile, mais, face aux engagements de long terme auprès des actionnaires, ce ne peut être que provisoire.
Anna Väänänen - La transition est plus rapide quand ce sont les entreprises qui en sont à l’origine et pas forcément les décisions politiques. Aux États-Unis, ce sont de grandes entreprises de différents secteurs, de la technologie ou de la distribution, qui sont à l’origine de ces changements en faveur des énergies renouvelables. En Europe, de nombreux services publics sont encore aux prises avec la transition.
Véronique Le Heup - Que l’Europe s’empare du problème de l’indépendance énergétique est une bonne chose, car cela va accélérer les transformations de filières entières dont les acteurs vont devoir travailler ensemble pour gagner du temps par rapport aux initiatives individuelles. Cela devrait permettre une collaboration plus soutenue pour investir dans la recherche et donc aller plus vite sur les solutions qui permettront de lutter contre le réchauffement climatique. Que l’Union européenne impulse la dynamique pour que les acteurs économiques développent des partenariats est favorable à l’émergence d’un pôle de compétitivité plus fort doté de solutions innovantes. Cela permettra de faire émerger des acteurs qui se démarqueront et qui auront appris à mieux gérer des risques systémiques. Pour nos investissements nous devons suivre toute une palette de métriques que les entreprises doivent adresser et fournir comme information aux marchés, car ce sont des risques financiers tangibles. Il y a des décalages de calendrier entre les obligations des entreprises et des investisseurs en la matière, parfois difficiles à concilier, mais il faut s’adapter dans l’intérêt collectif !
«Le reporting d’impact ne relève pas du marketing, mais de la transparence. L’investisseur doit pouvoir s’assurer que la trajectoire est positive. »
En gestion, que recouvre le thème de la transition énergétique ? De quoi se compose l’univers d’investissement ? Quelles sont les exigences du label Greenfin ?
Bassel Choughari - Contrairement au label ISR, le label Greenfin se concentre sur le « E » d’ESG, donc sur l’environnement puisqu’il a été créé à l’initiative du ministère de la transition écologique. Deux règles strictes s’appliquent : l’exposition aux énergies fossiles est bannie et la répartition de l’actif doit se faire en fonction de la part verte, c’est-à-dire du pourcentage de chiffre d’affaires des entreprises réalisé dans des écoactivités. Il faut avoir plus de 20 % du portefeuille investis dans des entreprises qui font plus de 50 % de leur chiffre d’affaires dans des écoactivités et pas plus de 25 % d’entreprises qui font moins de 10 % de leur chiffre d’affaires dans les écoactivités. Le label Greenfin a pour but de s’assurer que les fonds labellisés sont composés d’entreprises pour lesquelles les écoactivités sont présentes de manière significative.
Anna Väänänen - Notre fonds a le label Greenfin et vise à générer de l’impact. Par conséquent, toutes les sociétés que nous avons en portefeuille doivent avoir un impact sur l’environnement. Nous visons principalement des entreprises pourvoyeuses de nouvelles technologies ou de produits favorables à l’émergence d’une nouvelle économie durable. Le portefeuille est exposé aux valeurs industrielles, à des utilities et à la consommation discrétionnaire. Les valeurs industrielles sont les plus représentées, car elles apportent des solutions innovantes. L’univers d’investissement est à la fois défini par les exigences du label Greenfin et par un processus rigoureux d’analyse extra-financière qui va déterminer si une entreprise a bien un impact positif. Il compte environ 300 sociétés.
Véronique Le Heup - Au sein d’Amiral Gestion, notre approche consiste à accompagner les acteurs de la transition, c’est-à-dire ceux qui vont aider d’autres secteurs dans leur transition en apportant des solutions sans lesquelles ils ne pourraient pas la faire. Notre connaissance historique des petites et moyennes valeurs nous permet aussi d’identifier des entreprises dont les activités liées à la transition énergétique se développent grâce à des investissements importants. Cela nous paraît essentiel de nous intéresser à ces acteurs plutôt que de nous concentrer uniquement sur des entreprises vertes qui bénéficient par ailleurs de nombreux flux financiers. Notre logique est de détecter et de soutenir des entreprises qui ont envie de passer ce cap de la transition énergétique et écologique, ce qui permettra également de renforcer leurs fondamentaux financiers à terme. Notre démarche implique également de développer des initiatives d’engagement actionnarial dans tous nos portefeuilles dans le but d’encourager aussi les entreprises à être transparentes et à diffuser des données de qualité.
Bassel Choughari - De notre côté, chez Montpensier Finance, au-delà de l’accompagnement, nous privilégions les entreprises qui apportent les solutions, qui vont aider les autres à se décarboner. Nous avons fait le choix d’avoir un fonds global, car la problématique est globale et pas seulement énergétique. Le fonds repose sur 3 vecteurs de transition : l’énergie responsable, la préservation du capital terrestre et le transport efficient. En ce qui concerne le transport efficient, il ne s’agit pas uniquement du véhicule électrique, mais aussi des alternatives comme le ferroviaire ou l’hydrogène. Quand on parle d’énergies responsables, il ne s’agit pas uniquement de la production solaire ou éolienne, mais aussi de ce qui accompagne le passage d’une production centralisée à une production décentralisée. Cela concerne donc les investissements dans les « smart grids » (réseaux électriques intelligents) qui permettent d’avoir un bon fonctionnement et un équilibre entre offre et demande ou alors le stockage également. Si on ne trouve pas de solution de stockage, 10 % à 20 % de la production d’énergie renouvelable en Espagne seront perdues dans quelques années. Il faut aussi réfléchir à la réduction de la consommation d’énergie et donc s’intéresser aux innovations technologiques. Certaines permettent par exemple de réduire les passoires thermiques dans la construction, un secteur qui représente 30 % des émissions de CO2. Si les bâtiments sont mieux isolés, les besoins de chauffage et de climatisation en sont réduits et cela améliore l’efficience énergétique. En prenant en compte tous ces aspects, notre univers d’investissement compte environ 400 valeurs.
Anna Väänänen - Il y a 2 dimensions à prendre en compte : l’impact et le rendement financier. Si on investit dans une entreprise capable de fournir une solution verte, on a ainsi beaucoup d’impact sur l’environnement. En parallèle, si cette solution innovante apporte un avantage concurrentiel, ce sera profitable pour l’entreprise et donc l’impact sera positif également sur la performance financière. C’est cette logique qui s’applique à notre gestion.
«La gestion d’actifs et les investisseurs se sont emparés de ces sujets parce qu’ils concernent aussi l’appréciation à long terme de la performance économique de l’entreprise, voire de sa pérennité. »
Le thème de la transition énergétique induit-il des biais géographiques ou de taille de capitalisation dans les portefeuilles ?
Bassel Choughari - En effet, ce thème induit des biais, car nous sommes au début de la transition et, donc, certaines entreprises sont relativement petites, voire n’existent pas encore car elles sont à l’état de projet. Il existe aussi des différences régionales. En Europe, on est plutôt en avance sur ce sujet donc le gisement est assez conséquent et multisectoriel. Aux États-Unis, le gisement est plus concentré sur quelques secteurs, notamment l’énergie, tandis qu’en Asie, le solaire et l’éolien sont prépondérants.
Anna Väänänen - Il y a de plus en plus d’acteurs innovants au Japon et en Corée. Le thème n’est pas seulement représenté par de nouvelles entreprises. D’ailleurs, certaines vont connaître un fort développement et d’autres ne réussiront pas. On trouve aussi de grandes entreprises qui participent à la transition. Avec une petite partie de leurs chiffres d’affaires, elles peuvent avoir un impact bien plus important dans certains secteurs que des purs acteurs de petite taille. L’impact doit être le premier critère à prendre en compte, quelle que soit la taille de l’entreprise.
Véronique Le Heup - Certaines grandes sociétés peuvent effectivement avoir un impact important dans la transition énergétique, mais il faut être attentif aux objectifs et aux investissements consentis. Prenons l’exemple du groupe TotalEnergies qui, bien qu’ayant une politique de développement durable parmi les plus actives de son secteur, est à chaque AG toujours questionné de manière affirmée par les actionnaires par rapport à l’ambition de ses objectifs et ses investissements réalisés dans les énergies vertes qui sont estimés comme étant nettement insuffisant par rapport à ses capacités et pas suffisamment cohérents pour atteindre les objectifs de neutralité carbone à horizon 2050.
L’univers du coté permet-il d’adresser pleinement la thématique ? A-t-on suffisamment d’introductions en Bourse pour élargir l’univers d’investissement ? Si oui, l’attrait pour ces entreprises ne favorise-t-il pas une bulle verte ?
Anna Väänänen - Si les portefeuilles sont gérés avec une approche mondiale, il est possible d’être bien exposé à la thématique.
Bassel Choughari - La question de la valorisation se pose toujours lors des introductions en Bourse. Notre rôle est de nous assurer que la valorisation est attractive à long terme. Le risque de bulle n’est pas plus important pour le secteur des énergies renouvelables que pour celui de la technologie par exemple.
Anna Väänänen - Pour investir dans les marchés actions, il faut savoir être patient. Parfois les valorisations peuvent être élevées, mais, si on sait attendre, il y a toujours des opportunités.
Véronique Le Heup - Il faut être très prudent, car, pour notre part, nous pensons qu’il existe un risque de bulle verte. Or, toutes les entreprises vertes ne sont pas forcément profitables et pérennes. Prenons l’exemple récent de Compléo dont le target price est passé de 90 à 18 euros, pour une entreprise positionnée sur les stations de recharge de véhicules électriques. La prudence est donc de mise : nous sommes particulièrement vigilants au sein d’Amiral Gestion sur ces investissements et avons suffisamment d’expérience pour ne pas succomber de manière frénétique à l’eldorado annoncé des investissements verts.
Bassel Choughari - Je ne partage pas cette idée de bulle verte. Prenons l’exemple des hydrocarbures qui, à leurs plus hauts, représentaient entre 12 % à 14 % des indices. Aujourd’hui, les valeurs vertes représentent moins de 5 % des indices. Il faudrait tripler le poids de ces valeurs pour que cela soit problématique.
Véronique Le Heup - Certes, mais avec les orientations réglementaires, la part des investissements dans les entreprises vertes va vraiment prendre une place de plus en plus importante. Avec le fléchage de l’épargne vers des fonds ayant une proportion croissante d’investissement durable, il existe tout de même un risque de se précipiter vers des investissements qui, sur le long terme, ne sont pas forcément rentables. Il est donc important d’évaluer la capacité du management à gérer l’absorption des flux financiers et une croissance qui va s’accélérer très rapidement. Il faut garder une rationalité d’analyse des cas d’investissement. La responsabilité fiduciaire du gérant est aussi de préserver l’épargne.
Anna Väänänen - Là encore, tout dépend de l’approche du fonds : la question des valorisations élevées peut, peut-être, se poser en Europe, mais pas au niveau mondial. En Europe, il y a eu une explosion des fonds ESG ou des fonds climat qui sont très exposés aux marchés européens alors que l’Europe ne représente que 20 % du MSCI World. Il y a eu beaucoup de flux sur ces fonds, ce qui a entraîné à la hausse les valorisations de nombreuses sociétés. N’oublions pas qu’il n’y a pas plus d’une vingtaine de sociétés qui ont une exposition pure au thème du climat. À l’inverse, du côté des États-Unis par exemple, jusqu’à cet été, la plupart des valeurs concernées étaient bradées. Notre travail de gérant consiste à trouver les meilleures entreprises, celles dont le cours de Bourse va s’apprécier sur le long terme.
Avez-vous le sentiment d’avoir accès aujourd’hui à suffisamment de données pour pouvoir rendre compte aux clients de l’impact de ces investissements ?
Bassel Choughari - Sur le climat, le sujet est suffisamment avancé et cadré aujourd’hui pour que les données soient claires et satisfaisantes. La difficulté ne réside pas tant sur la collecte des données que sur la définition de l’impact que l’on souhaite démontrer. Le reporting d’impact ne relève pas du marketing, mais de la transparence. En premier lieu, il faut avoir accès à des données fournies par des prestataires externes qui vont procéder aux vérifications et aux calculs. Et, en deuxième lieu, il ne faut pas changer en cours de route la manière dont on fait de l’impact. L’approche doit être homogène et permettre à l’investisseur de regarder l’évolution de ses indicateurs d’impact dans le temps. Il doit pouvoir s’assurer que la trajectoire est positive.
Anna Väänänen - En Europe, grâce à la réglementation, il existe une certaine homogénéité des données. Aux États-Unis, de nombreuses sociétés veulent travailler avec nos analystes extrafinancier pour comprendre quelles sont les informations dont nous avons besoin et quels sont les points sur lesquels elles doivent s’améliorer. C’est le cas notamment des mid&small caps américaines, mais aussi, depuis peu, d’entreprises asiatiques et surtout coréennes. Si ces sociétés ne répondent pas à nos questions et ne fournissent pas les données dont nous avons besoin, nous ne pouvons pas les mettre en portefeuille. Nous n’avons pas recours à des prestataires externes.
Véronique Le Heup - Il peut y avoir des problèmes de couverture sur certaines métriques, mais il y a beaucoup de progrès. Les obligations réglementaires vont faire converger les exigences demandées aux investisseurs avec celles des entreprises. Il faut être très transparent et très clair avec les clients, leur expliquer comment nous procédons, ce que font les entreprises et ce sur quoi on les engage pour qu’elles progressent.