L’année 2021 a débuté sur des perspectives de croissance économique mondiale bien orientées et des marchés financiers en hausse, avec de fortes rotations de styles dans les marchés actions. Avant que le retard de vaccination dans plusieurs pays européens ne sème le doute sur la capacité de rebond de la zone euro et que les craintes de remontée des taux longs aux Etats-Unis n’inquiètent les investisseurs. Funds s’interroge sur la façon de construire un portefeuille diversifié dans un tel environnement.
- Après un début d'année optimiste, quelques motifs d'inquiétude sont apparus. Dans ce contexte, vos scénarios de début d’année ont-ils évolué ?
- Comment analysez-vous la remontée des taux américains ? Quelles en sont les conséquences, notamment pour les marchés actions ?
- Cette hausse des taux ne suscite donc pas d’inquiétude majeure ?
- Considérez-vous les actions et la dette émergentes comme des actifs de diversification intéressants dans le contexte actuel ?
- Vos allocations font la part belle aux actions. Que penser des valorisations de certains marchés ? Faut-il craindre une correction ? Quels sont les risques ?
- Quelles allocations d’actifs faut-il privilégier pour les prochains mois ? Comment protéger les portefeuilles ?
Après un début d'année optimiste, quelques motifs d'inquiétude sont apparus. Dans ce contexte, vos scénarios de début d’année ont-ils évolué ?
Eliana de Abreu
Notre scénario macroéconomique n’a pas été modifié. Il repose sur la perspective d’une reprise assez forte de l’économie mondiale en 2021 après une année de récession inédite. Nous pensons que les économies vont bénéficier du déploiement des vaccins et des plans de relance budgétaires, mais aussi d’un effet de rattrapage, les ménages ayant accumulé une épargne importante et les entreprises ayant peu investi ces derniers mois en raison de la pandémie. Nous avons également commencé l’année sur l’idée que la zone euro serait à la traîne à cause du nombre toujours important de cas et des différents confinements. En Europe, la campagne de vaccination est beaucoup plus lente qu’aux Etats-Unis. Du côté de la Chine, nous pensons que le taux de croissance devrait être de 8 % en 2021.
Nous avions également anticipé un rebond de l’inflation en raison des effets de base et d’autres effets ponctuels. Dans nos portefeuilles, nous avions donc privilégié les obligations indexées sur l’inflation dans nos allocations sur la partie taux, et nous avons surpondéré les actions en début d’année, avec un équilibre entre les valeurs « value » et croissance.
Alexandre Attal
Nous avons débuté l’année 2021 de manière constructive sur les actifs risqués en considérant que nous étions dans une logique de retour à la normale grâce à la vaccination et à la réouverture des économies. Ce scénario positif se traduit certes par une exposition aux actions d’environ 50 % dans un portefeuille équilibré. Cependant, à l’intérieur de ces positions, nous avons privilégié des positions pro-cycliques permettant de capturer le rebond des marchés. L’idée était donc de positionner les portefeuilles, dans cette perspective de reprise, sur des stratégies de style « value », des stratégies privilégiant les actions européennes au détriment des actions américaines, d’être plutôt court en duration et de privilégier le high yield au sein de la poche taux. Même si de nouveaux risques sont apparus depuis le début de l’année, comme les problématiques liées au programme de vaccination, le retour de l’inflation ou un excès d’optimisme, rien ne justifie que l’on modifie significativement notre scénario pour l’instant.
Guillaume Lasserre
Fin 2020, nous avions également un scénario de reprise économique assez forte, sans distinction notable entre les Etats-Unis et l’Europe mais avec une attention particulière portée aux nouvelles vagues de contamination liées aux variants. Malgré cela, nous sommes restés confiants, d’autant que les banques centrales avaient déjà été assez claires sur leurs capacités de soutien.
Le risque, cependant, pour la gestion diversifiée, en ce début d’année, était de ne pas se tromper de scénario, car nous étions conscients de la faible capacité des obligations à protéger les portefeuilles en cas d’erreur. Nous avons alors retenu deux protections contre un éventuel scénario négatif : une exposition au dollar et, malgré des niveaux de volatilité implicite encore élevés en début d’année, des options dans les portefeuilles.
Avec l’accélération de la croissance aux Etats-Unis, nous avons fait évoluer nos positions, en étant encore plus positifs qu’en janvier et donc plus exposés à des stratégies « high beta » comme la value ou les small caps. En ce qui concerne l’inflation, nous l’avons plutôt vue comme un changement de scénario risqué pour les gestions diversifiées que comme une véritable opportunité dans les portefeuilles. Quant aux obligations européennes, elles sont toujours sous-pondérées, en raison de la faiblesse des taux. Une remontée de ces taux n’est pas exclue. En revanche, une grande partie de la hausse a déjà eu lieu aux Etats-Unis, donc les obligations américaines redeviennent attractives comme actifs de diversification et de protection
Comment analysez-vous la remontée des taux américains ? Quelles en sont les conséquences, notamment pour les marchés actions ?
Guillaume Lasserre
Pour les marchés actions, le début d’année s’envisage plutôt sous l’angle de la rotation sectorielle. Les secteurs ayant bénéficié des confinements ont corrigé, alors que les secteurs qui en avaient souffert se sont repris. Cette rotation est plus marquée dans certaines zones géographiques, la zone euro étant par exemple plus « value » que les marchés américains. Notre perception sur le niveau des performances des actions n’est pas directement liée au niveau des taux. La remontée des taux ne remet donc pas en cause notre scénario central, même si elle suscite quelques inquiétudes.
Eliana de Abreu
Ce n’est pas tant le niveau des taux qui est problématique, car il reste quand même assez bas, nous sommes simplement revenus sur des niveaux pré-Covid, que le rythme de remontée. Nous avons vu l’impact immédiat sur les marchés émergents, et un rythme trop important pourrait finir par avoir des conséquences sur les marchés actions également. La question aujourd’hui est de déterminer ce qui pourrait accélérer cette tendance dans les prochains mois. Nous avons identifié trois facteurs : l’inflation, le choc d’offre lié aux émissions obligataires à venir en raison du déficit budgétaire et un resserrement prématuré des politiques monétaires. En ce qui concerne l’inflation, elle sera certes plus forte en 2021, avec une forte augmentation sur le premier semestre à cause d’éléments temporaires. Cependant, comme l’ont déjà rappelé les banquiers centraux, les facteurs haussiers actuels sont essentiellement temporaires et ne constituent pas en soi une amélioration suffisante de la dynamique sous-jacente, qui justifierait une adaptation des politiques monétaires. Nous ne pensons pas que la Fed ou la BCE changeront de cap monétaire.
Le deuxième facteur concerne la forte hausse de l’offre d’obligations d’Etat américaines pour financer le plan de relance et explique en partie la sous-performance récente des taux américains. La perspective d’un nouveau stimulus budgétaire encore plus important, avec une large composante infrastructures, fait craindre un déluge d’émissions qui exercerait une pression haussière. Cependant, ce plan devrait s’étaler sur plusieurs années et pourrait être financé plutôt par des hausses d’impôts. Nous pensons donc que le mouvement sur les taux devrait rester haussier, mais que le potentiel de hausse supplémentaire des rendements des treasuries semble plus limité. Le risque de taux est plus faible encore en Europe.
En portefeuille, nous conservons la poche investie en obligations indexées sur l’inflation américaine, qui nous a permis de limiter les effets négatifs de la remontée des taux due à la remontée des anticipations d’inflation. Nous gardons une duration plus courte et nous avons opté pour des positions comme les matières premières ou les banques, qui sont des thématiques qui bénéficient de la hausse des taux.
Alexandre Attal
Nous assistons à une normalisation des taux américains dans un contexte de mise en place de la politique de vaccination, de perspective d’une sortie de crise et de retour de l’inflation. Le taux dix ans américain devrait selon nous osciller dans une fourchette de 1,5 à 2 %. A court terme, les risques d’inflation sont largement intégrés par les marchés. Il y a un effet de rattrapage, mais nous ne sommes pas dans un rythme de surchauffe de l’inflation. La Fed et la BCE ont bien affirmé leur volonté de rester accommodantes. Cette remontée des taux sur le premier trimestre n’a pas affecté la performance des marchés actions. Au contraire, elle a encore plus favorisé la rotation sectorielle des secteurs cycliques et des valeurs financières qui étaient à la traîne. Nos portefeuilles sont restés sous-sensibles en termes de duration mais, sur les niveaux actuels des taux longs américains, rajouter un peu de duration a du sens dans une logique d’actifs diversifiants comme peuvent l’être les obligations américaines.
Cette hausse des taux ne suscite donc pas d’inquiétude majeure ?
Alexandre Attal
Ce n’est pas une inquiétude majeure mais un risque qu’il faut intégrer dans notre allocation d’actifs, et notamment dans la préférence des zones géographiques ou des styles de gestion. Des taux dix ans américains à 1,7 % n’ont pas le même impact sur les valorisations des sociétés technologiques, par exemple, que des taux à 0,9 % comme en début d’année. Cependant, d’un point de vue macroéconomique, nous considérons que la fourchette dans laquelle oscille le taux dix ans américain, entre 1,5 et 2 %, ne met pas en péril la dynamique de reprise globale des économies à court terme. A long terme, il faudra être attentif au changement de tonalité des banques centrales lorsqu’elles commenceront à entrer dans une logique de réduction de leurs rachats d’actifs.
Guillaume Lasserre
Nous sommes dans une situation peu conventionnelle du point de vue d’un gérant de fonds diversifiés avec une hausse des taux et des actions. Une question se pose : en cas de retournement des marchés actions, quelle serait la direction des taux ? Ces taux joueraient-ils un rôle d’amortisseur ? Les scénarios défavorables aux actions que nous avons en tête concernent plutôt un phénomène d’emballement ou de non-maîtrise des banques centrales, car elles n’ont pas géré de hausse des taux et une hausse de l’inflation brutale depuis longtemps. Mais le risque dans nos portefeuilles diversifiés est centré sur les actions, donc c’est cette exposition qu’il nous faut surveiller, ainsi, c’est dans cette optique que nous envisageons les évolutions sur les taux.
Considérez-vous les actions et la dette émergentes comme des actifs de diversification intéressants dans le contexte actuel ?
Eliana de Abreu
Depuis le début de l’année, nous sommes plutôt en retrait sur cette poche de diversification au sein des actions. Nous préférons attendre que les tensions sur les taux américains s’apaisent avant de revenir sur cette classe d’actifs. En ce qui concerne la dette émergente, elle a plutôt souffert en ce début d’année, mais nous sommes confiants pour la suite à condition que notre scénario d’accalmie sur les taux américains se confirme. Nous menons une réflexion sur la façon de s’exposer à ces classes d’actifs, en particulier à travers des actifs qui profitent de la croissance chinoise.
Alexandre Attal
Sur la partie actions, nous avons envisagé les actifs émergents comme une poche de diversification dans un contexte où les marchés émergents étaient sensibles au cycle économique. Cette exposition, qui permettait d’anticiper une reprise du cycle économique global en 2021, a été un peu challengée au cours du premier trimestre en raison de la hausse de taux, mais cela ne remet pas en cause l’intérêt pour la classe d’actifs et pour la Chine en particulier. Nous avons d’ailleurs renforcé nos positions dans les portefeuilles fin mars. La Chine est prudente dans sa projection de croissance pour 2021, autour de 6 %, mais elle a la capacité d’aller au-delà. Par ailleurs, nous sommes plus prudents sur les obligations émergentes. Nous préférons le high yield à la dette émergente.
Guillaume Lasserre
Entre les taux et les actions, les expositions géographiques sont assez différentes si on prend ces marchés dans leur globalité. Les taux sont beaucoup plus exposés à l’Amérique latine, encore en grande difficulté dans sa gestion de la pandémie et avec un retour à la croissance incertain comparé aux autres zones géographiques. Du côté des actions émergentes, il existe un biais sur l’Asie, une région dont la capacité de sortie de la pandémie est bien supérieure. Donc nous avons également une préférence pour les actions émergentes plutôt que pour la dette émergente. Nous pensons également que l’objectif de croissance de 6 % de la Chine est assez conservateur, nous anticipons plutôt 8 %. Pour autant, le lien avec la performance des actions n’est pas si évident. Le marché chinois a bien performé en 2020 dans un contexte de pandémie favorable au « stay at home ». Or, ce thème sera moins porteur dans les prochains mois. Nos paris étant plus cycliques, la Chine est moins présente dans nos allocations. Par ailleurs, les fluctuations du dollar n’aident pas non plus à prendre des paris sur l’Asie.
Alexandre Attal
Dans une optique de diversification, il convient quand même de souligner le caractère faiblement corrélé des actions chinoises par rapport aux marchés développés. C’est un élément que nous apprécions dans une logique globale de construction de portefeuille.
Vos allocations font la part belle aux actions. Que penser des valorisations de certains marchés ? Faut-il craindre une correction ? Quels sont les risques ?
Eliana de Abreu
Nous avons un peu réduit notre exposition aux actions, car les indices sont en effet proches de leurs plus hauts et une bonne partie des nouvelles sont déjà bien intégrées dans les cours. Sur ces niveaux de valorisation, les investisseurs sont plus prudents et craignent une consolidation. Cependant, il y a encore du potentiel pour les actions, notamment parce que les marchés devraient être portés par les publications des entreprises américaines, par exemple. Une phase de consolidation pourrait avoir lieu lorsque la croissance atteindra son pic, ce qui pourrait arriver dans quelques mois aux Etats-Unis. Mais même si les marchés consolident, la correction ne devrait pas être de grande ampleur. Nous ne sommes toutefois pas à l’abri de nouveaux problèmes avec les variants, contre lesquels les vaccins seraient moins efficaces. Par ailleurs, de nouveaux chocs comme celui, récemment, de l’effondrement du hedge funds Archegos sont difficiles à prévoir.
Guillaume Lasserre
Il est difficile d’imaginer un scénario catastrophe. D’un point de vue politique, la prise de fonction de Joe Biden se passe plutôt bien. En ce qui concerne la pandémie, c’est une question de timing pour la vaccination, mais les pays devraient y arriver. Enfin, avant la pandémie, on craignait que les inégalités sociales déclenchent une crise mais, depuis la crise du Covid-19, les aides d’Etat se multiplient et, à court terme, nous ne voyons pas de risque se matérialiser. Très récemment, l’annonce des hausses d’impôts aux Etats-Unis n’a eu aucun effet sur les marchés actions.
Les facteurs de soutien des marchés nous semblent en fait très solides. Mais pour nous protéger d’un choc que nous ne sommes pas en mesure d’envisager, nous achetons des options de protection, et nous sommes prêts à payer même un peu cher cette assurance.
Alexandre Attal
Les marchés restent assez porteurs, mais une consolidation est possible car il y a quand même un excès d’optimisme. Cela nous incite à un peu plus de prudence. D’autant que le risque sanitaire n’est pas totalement écarté. Le degré d’ouverture des économies est fortement corrélé au taux de vaccination de la population, et nous ne sommes pas à l’abri d’un variant résistant aux vaccins ou de l’apparition d’une nouvelle souche qui nécessiterait la mise en place de nouvelles restrictions et pénaliserait la dynamique de reprise.
Sur le plan géopolitique, le conflit sino-américain perdure, même s’il n’a plus la même tonalité qu’avec Trump. D’autres tensions persistent, avec l’Iran ou la Russie. Cela peut générer de la volatilité sur les marchés. Enfin, les hausses d’impôts pour les entreprises prévues aux Etats-Unis pourraient avoir des impacts sur les bénéfices à partir de 2022, ce qui créerait des inquiétudes.Tout cela nous conduit à intégrer dans nos portefeuilles des stratégies optionnelles pour rester exposés aux actions tout en étant protégés d’une éventuelle correction. Par ailleurs, si les marchés entrent en mode « risk off », la dette d’Etat servira d’actif refuge dans les portefeuilles.
Quelles allocations d’actifs faut-il privilégier pour les prochains mois ? Comment protéger les portefeuilles ?
Guillaume Lasserre
Pour protéger les portefeuilles, il faut de la convexité et de l’achat d’options sur les marchés. Concrètement, nos portefeuilles sont courts en duration – donc pas de dettes souveraines comme protection –, et ont des positions en dollars. Nous n’avons pas de matières premières en raison de notre approche ISR.
Notre position obligataire étant en duration très faible, nous baissons la part actions pour que l’équilibre du portefeuille ne soit pas trop perturbé. Ainsi, même si nous sommes très positifs sur les actions, l’exposition à la classe d’actifs est légèrement inférieure à 50 %, afin de maîtriser le risque total du portefeuille.
Eliana de Abreu
Nos portefeuilles conservent une légère surpondération sur les actions, au-dessus de 50 %, avec une préférence pour la zone euro pour son côté « value » et pour les Etats-Unis pour accompagner les plans de relance et profiter de la saison des résultats trimestriels. Nous apprécions les thématiques porteuses sur le long terme comme la transition énergétique, l’environnement ou l’innovation.
Pour la poche taux, nous privilégions le crédit, aussi bien investment grade que high yield, ainsi que les subordonnées financières, des actifs qui vont continuer à bénéficier du soutien des banques centrales. Nous conservons une poche d’obligations indexées sur l’inflation, notamment aux Etats-Unis. Enfin, nous utilisons le dollar dans une optique de couverture.
Alexandre Attal
Dans un portefeuille équilibré, le poids des actions est d’environ 50 %. Si on intègre l’impact des couvertures optionnelles, l’exposition est plutôt autour de 46 %. A l’intérieur de cette poche, l’objectif est de capturer la poursuite de la reprise économique avec des stratégies pro-cycliques. Nous avons une légère surexposition au marché européen, une diversification sur les marchés émergents et une position plutôt neutre sur les actions américaines. En matière de thématiques, nous avons récemment investi dans les infrastructures. Ce thème, qui comprend les concessions ou les aéroports, par exemple, a souffert de la pandémie en 2020 et n’a pas encore profité du rebond de la value. Cela pourrait être le cas en 2021 grâce au plan de relance de Biden et à la réouverture des économies. Au sein de la poche taux, nous privilégions une duration plus faible que celle des indices et plutôt exposée au crédit high yield.