Table ronde

Comment investir dans les actions avec une approche thématique ?

Publié le 12 septembre 2023 à 17h34

Catherine Rekik    Temps de lecture 25 minutes

Contre toute attente, les marchés actions se sont bien comportés au premier semestre, prenant de court les allocataires d’actifs. Funds s’interroge sur la pertinence d’investir dans la classe d’actifs alors que le contexte macroéconomique reste incertain. La gestion thématique, conçue pour s’extraire des cycles de marché en privilégiant des tendances de long terme, suscite-t-elle toujours l’intérêt des investisseurs ? Les contre-performances de 2022 ont-elles eu un impact sur les flux ? Quelles sont les thématiques qui ont le mieux résisté ? Quels sont les atouts des fonds thématiques ? Comment sont-ils construits ? La gestion thématique est-elle un bon moyen d’adresser les ODD ? Un bon vecteur d’impact ? Quelle place accorder aux fonds thématiques au sein de la poche actions d’un portefeuille ?

Les intervenants

  • Stéphane Lago, spécialiste des investissements actions, AXA IM 
  • Hervé Guez, directeur de la gestion, Mirova
  • Maguy Macdonald, spécialiste produits actions internationales, Edmond de Rothschild AM
  • Aurelio Rodriguez, responsable de la gestion thématique, Federal Finance Gestion

Les marchés actions ont connu de nombreux soubresauts depuis 2022, mais contre toute attente, ils ont été assez résilients au premier semestre 2023. Dans cet environnement, la gestion thématique, qui a attiré des flux importants pendant des années, n’a pa

Hervé Guez : La gestion thématique recouvre des profils de fonds très différents, donc il est difficile de faire des généralités, notamment pour tout ce qui concerne les thématiques durables. Parmi ces thématiques, les fonds peuvent avoir des approches très variées, soit sur l’environnement, soit sur les enjeux sociétaux ou bien avoir une approche multithématique. La thématique la plus connue est bien sûr le climat et, depuis deux ans, les fonds investis dans les valeurs vertes ont connu des vents contraires. Or, les thématiques durables ont des horizons d’investissement longs. Sur cinq ans, dix ans, elles ont bien fonctionné !

Investir dans une thématique implique de ne pas courir après une surperformance au jour le jour, ou trimestre après trimestre, mais de s’y intéresser parce qu’elle est porteuse de sens et capable de générer de la performance sur du long terme. Le gérant d’un fonds thématique ne cherche pas à capter chaque mouvement de marché. D’un point de vue pédagogique, il faut donc bien faire comprendre à l’investisseur que 18 mois de sous-performance de la thématique n’enlèvent pas à la thématique son intérêt. Cela ne signifie pas qu’elle n’est plus à la mode, mais qu’il peut y avoir des périodes d’ajustements en raison d’une guerre, de la remontée des taux, etc.  

La pertinence de la gestion thématique repose sur la capacité à identifier une tendance de long terme qui va faire du sens pour l’investissement puis à identifier les acteurs les plus à même d’en profiter. Donc, une bonne gestion thématique, c’est un bon choix de thématique, un horizon d’investissement long et une capacité à aller chercher dans la thématique les acteurs qui seront les plus performants.

Je suis convaincu que les fonds investis dans la thématique environnementale vont continuer à délivrer sur les 5 à 10 prochaines années malgré la sous-performance de ces 18 derniers mois. Cependant, pour revenir sur le contexte de marché, les investisseurs peuvent être plus averses aux risques qu’embarque une thématique parce que, justement, il va y avoir des mouvements de marché très spécifiques. Dans ce cas, ils peuvent combiner des thématiques différentes, soit en investissant dans plusieurs fonds soit en déléguant à un allocataire la sélection de plusieurs thématiques.

Maguy Macdonald : 2023 s’inscrit dans la continuité de ce que nous avons vécu en 2022 même si certains épisodes sont un peu différents. La remontée des taux a été l’un des éléments ayant le plus affecté la gestion thématique. Elle a pénalisé certaines typologies d’acteurs : en premier lieu, les sociétés non profitables puis certains grands acteurs de la tech ou de la biotech l’an dernier. Ces valeurs ont relativement mal résisté à cette remontée des taux, ce qui a entraîné des compressions de multiples et de valorisations significatives. Sur l’année 2023, nous avons vu une très forte concentration des indices. Sur les indices américains, par exemple, les niveaux de concentration dans la hausse étaient inédits depuis plus de 60 ans. Aujourd’hui, la hausse est portée par les sept magnifiques, c’est-à-dire sept grandes valeurs de la tech, ce qui masque l’évolution du reste du marché. En tant que gérants actifs, nous identifions des opportunités dans des secteurs et sur des valeurs qui sont liées à des thématiques que nous favorisons chez Edmond de Rothschild AM : la santé, la transformation autour du Big Data, le capital humain et le changement climatique. Par conséquent, 2023 est une année d’opportunités pour les sélectionneurs de titres que nous sommes. Quand on est un investisseur thématique, on est un investisseur de long terme et donc, on est patient.

Nous sommes aussi vigilants sur les risques, et pour nous, c’est ce qui a été un facteur de succès de nos gestions sur les dernières années. Nous avons évité des écueils liés à la concentration des risques et d’autres, liés aux excès de valorisation de certaines sociétés post-Covid.

L’investissement thématique repose sur un horizon de long terme. Il faut être attentif au choix de la thématique et à la façon dont elle se décline dans les portefeuilles. Il faut donc sélectionner les bons business models, éviter de surpayer la croissance et être très disciplinés sur les risques. Cela nous amène à avoir des portefeuilles bien diversifiés aussi bien en termes de typologie d’acteurs que de secteurs.

Stéphane Lago : L’investissement thématique concerne essentiellement les actions et, inévitablement, il y a une corrélation entre les investissements thématiques et les marchés actions. Quand le marché corrige comme l’an dernier, la gestion thématique souffre. Et quand la direction du marché est portée par une certaine concentration depuis le début de l’année, ce sont uniquement les thématiques technologiques exposées aux sept magnifiques qui performent. L’intelligence artificielle a également le vent en poupe, et toutes les sociétés exposées à cette thématique se sont plutôt bien comportées depuis le début de l’année.

Il faut remettre ces 18 derniers mois dans le contexte des trois années précédentes : entre 2019 et 2021, l’investissement thématique a fourni de très bons rendements dans son ensemble. En général, les thématiques bénéficient de perspectives de croissance forte sur le long terme. Nous pensons qu’elles offrent ainsi une bonne visibilité dans un environnement incertain. En ayant une exposition à des sociétés leaders dans ces thématiques de croissance, en principe, sur le long terme, l’investisseur doit faire mieux que le marché. Et cela a plutôt bien fonctionné jusqu’à fin 2021. En 2022, dans un environnement de marché très mitigé, les investisseurs ont vendu les actifs les plus liquides dont les actions et notamment tout ce qui avait bien fonctionné auparavant.

Si les fonds thématiques exposés à la technologie ou à l’intelligence artificielle devraient à notre avis continuer à bien performer, nous pensons également qu’il existe des opportunités sur des thématiques durables : par exemple, la biodiversité va bénéficier de la réglementation.

Aurelio Rodriguez : L’exposition à une thématique implique une vision long terme comme cela a été dit précédemment. Cependant, aujourd’hui, je constate qu’il existe une inadéquation entre ce positionnement des fonds thématiques et le jugement, voire la sanction, des investisseurs. L’année 2022 a montré les limites de la gestion thématique, mais aussi une certaine évolution dans le comportement des investisseurs ces dernières années. Il y a dix ou quinze ans, ils étaient capables de rester investis sur le long terme et, aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Un fonds peut être sanctionné au bout d’un ou deux ans, voire quelques mois. L’an dernier, dans un marché extrêmement chahuté, il y a eu beaucoup de rééquilibrages et d’arbitrages tactiques, mais aussi des sanctions envers des fonds thématiques.

Au-delà de 2022, nous avons eu ces dernières années des concentrations importantes au sein des indices ainsi que des retournements de marchés extrêmement violents comme dans la période 2018-2019 alors que nous étions dans un cycle de taux extrêmement favorable. Tout cela a perturbé aussi l’évolution des dynamiques et notamment les mégatendances sur lesquelles les fonds thématiques se positionnent. 

Avec les perspectives de fin du Quantitative Easing, les marchés attendaient une normalisation  et il y a finalement eu la guerre en Ukraine. De nouveaux chocs sont venus perturber une nouvelle fois les marchés, mettre à mal les entreprises et compliquer leurs besoins de financement. A l’inverse, certaines thématiques exposées à l’énergie, aux matières premières ou la défense ont bien performé, mais elles ne suscitent pas vraiment de demandes des investisseurs ni même d’intérêt de la part des gestions pour les exploiter.

Même si la vision court terme des investisseurs peut apparaître inadéquate, je pense que les fonds thématiques doivent quand même s’adapter à ce besoin de réactivité. Certains fonds, par exemple, ont affiché l’année dernière des « drawdowns » entre – 30 % et ­– 50 %. Or, un investisseur aujourd’hui, même s’il se positionne sur du long terme, peut difficilement accepter ce type de pertes. Un investisseur souhaite des fonds thématiques qui ne se contentent pas seulement de sélectionner un thème porteur, mais qui apportent une réelle compétence d’investissement avec une gestion active et un contrôle des risques.

«Investir dans une thématique implique de ne pas courir après une surperformance au jour le jour  mais de s’y intéresser parce qu’elle est porteuse de sens et capable de générer de la performance sur du long terme.»

Hervé Guez Directeur de la gestion ,  Mirova

Ce décalage entre l’horizon de long terme des thématiques et la sanction rapide des investisseurs ne s’explique-t-il pas par le fait que, jusqu’en 2022, ce sont plutôt les performances induites par le biais croissance de beaucoup de fonds thématiques qui

Hervé Guez : La gestion thématique suppose un horizon d’investissement de moyen/long terme, donc, en effet, on s’attendait à ce que les investisseurs professionnels aient cette même notion d’horizon d’investissement. Lorsque la thématique séduit, notamment s’il s’agit d’une thématique durable, porteuse de sens et d’impact, et qu’elle performe, c’est merveilleux. Mais quand le comportement de marché est plus défavorable à la thématique sur un temps court, on teste alors la patience et la compréhension des investisseurs. Or, certains ont fait preuve d’impatience vis-à-vis de la gestion thématique, car ils s’attendaient à ce qu’elle performe à tout instant, ce qui me semble être assez antinomique avec la notion même de gestion thématique !

Si on pense que l’investissement ce n’est pas juste acheter un marché mais plutôt accompagner les entreprises sur le long terme, sur des thématiques qui ont du sens, avec une possibilité de créer de l’alpha de long terme, cela suppose d’accepter le risque qui va être embarqué par cette thématique et donc des périodes de sous-performances. La gestion thématique est, selon moi, au cœur de ce qu’on doit attendre d’un gérant actions fondamental. Mais cela suppose une part de pédagogie sur laquelle nous n’avons pas fini de travailler.

«Si les fonds thématiques exposés à la technologie ou à l’intelligence artificielle devraient continuer à bien performer, nous pensons également qu’il existe des opportunités sur des thématiques durables.»

Stéphane Lago Spécialiste des investissements actions ,  AXA IM 

La gestion thématique doit-elle nécessairement avoir une approche multisectorielle ? Faut-il se méfier des fonds investis sur des thématiques à la mode, mais peu diversifiés sur le plan sectoriel ?

Hervé Guez : Il y a eu une mode des fonds thématiques et des fonds ISR : tout d’un coup, tout est devenu ISR et tout est devenu thématique… Pour faire de la gestion thématique, il faut être précis sur la thématique et l’envisager sur l’ensemble de la chaîne de valeur afin de ne pas être dépendant d’un secteur. A chaque étape de la chaîne de valeur, il faut identifier les acteurs qui ont les meilleurs avantages compétitifs et sélectionner ceux qui, sur le long terme, ont le plus de chances de gagner.

Stéphane Lago : Si certains fonds thématiques ont sous-performé de façon disproportionnée l’an dernier, je pense que c’est aussi lié à cet élément de diversification. Il faut trouver le bon équilibre entre la pureté de la thématique et la diversification, qui est importante pour chercher à traverser les différents cycles de marché. Inévitablement, les fonds thématiques vont avoir un biais, soit lié à la thématique, soit au style de gestion, puisqu’elles sont généralement porteuses de croissance. Cela signifie que dans certains cycles, comme en 2022, lorsque le secteur de l’énergie surperforme, les approches thématiques souffrent, car très peu de fonds thématiques sont exposés à ce secteur. Pour chercher à mieux gérer ces périodes où l’approche thématique peut sous-performer par rapport à un indice actions standard, la diversification et la sélection de titres sains et solides dans différents secteurs et zones géographiques sont cruciales pour aider à affronter ces zones de turbulence.

Maguy Macdonald : Les fonds de notre gamme thématique ont toujours abordé leur thématique via une approche transversale, ce qui offre pour nous deux avantages. Le premier est de refléter la pénétration de la thématique au sein de l’intégralité de l’économie : une thématique n’est pas juste une tendance qui va affecter un secteur. Prenons l’exemple de l’intelligence artificielle : on pense immédiatement à certains acteurs comme les sociétés qui sont liées à toute la partie algorithmes et logiciels, mais il y a aussi d’autres acteurs, dans des secteurs traditionnels, qui vont être les grands gagnants de cette nouvelle révolution industrielle, parce qu’ils sont propriétaires des données. Il est donc important, quand on s’intéresse à une thématique qui, de prime abord, peut paraître concentrée sur un secteur, de regarder quels sont les secteurs concernés et au sein desquels la thématique peut créer de la valeur.

Le deuxième avantage que confère cette approche transversale, c’est la diversification du risque. Cet élément permet aux portefeuilles chahutés par les marchés de rester ancrés sur la gestion fondamentale issue de la sélection de titres et d’être moins embarqués par du risque factoriel de marché. Par conséquent, avoir cette diversification au sein des secteurs et des typologies de sociétés permet in fine d’obtenir un portefeuille un peu plus tout-terrain et de traverser ces périodes plus compliquées.

Aurelio Rodriguez : L’engouement pour la gestion thématique a été tel, que nous avons vu, en effet, se développer des fonds thématiques un peu trop monosectoriel. Ce qui a fait du tort à la classe d’actifs. Je partage l’idée qu’il faut adresser des thématiques plus transversales, sur l’ensemble de la chaîne de valeur, ce qui n’est pas un exercice facile, car il existe aussi des pressions extérieures qui peuvent nous pousser à recentrer, à vraiment identifier la thématique de façon très précise. Ce qui nous intéresse, c’est non seulement d’identifier des secteurs, mais aussi d’avoir une analyse des activités économiques à l’échelle des entreprises. Nous allons partir du terrain pour comprendre et exploiter le thème puis nous allons scanner les activités économiques afin d’identifier progressivement des sociétés liées à ce thème porteur. Cette première étape est essentielle pour obtenir des fonds qui vont pouvoir naviguer en fonction des risques de marché.

Il faut ensuite compléter la construction de ces fonds thématiques avec une sélection de valeurs qui va aussi intégrer deux composantes importantes. La première concerne le market timing, car même si l’investisseur souhaite être exposé à une thématique de long terme, il veut aussi être exposé aux bonnes valeurs au bon moment. Nous avons ainsi, dans notre gestion, une composante d’analyse des tendances et des dynamiques de marchés afin de pouvoir nous positionner sur les titres ayant les meilleures dynamiques. La deuxième composante de la construction de portefeuille est l’intégration de la gestion des risques. Elle doit être intégrée dans la sélection des valeurs lors de la construction du portefeuille afin d’éviter les écueils dans des marchés chahutés. Un fonds thématique ne peut pas performer tout le temps, mais il ne doit pas non plus être passif et subir des retournements violents du marché.

«Il faut être attentif au choix de la thématique et à la façon dont elle se décline dans les portefeuilles. Il faut donc sélectionner les bons business models, éviter de surpayer la croissance et être très disciplinés sur les risques.»

Maguy Macdonald Spécialiste produits actions internationales ,  Edmond de Rothschild AM

Comment peut-on s’assurer que les titres en portefeuille sont bien liés au thème (% du chiffre d’affaires exposé, des investissements, etc.) ? Que la pureté de la thématique est bien respectée ?

Hervé Guez : Il est difficile de se cantonner à un pourcentage de chiffre d’affaires même si, évidemment, c’est un des éléments d’identification. Ce qui est intéressant avec les thématiques, c’est de capter des tendances. C’est intéressant de voir dans quelle mesure une thématique peut créer, dans la chaîne de valeur, un point de rupture pour une entreprise et si celle-ci va être capable de capter cette nouvelle tendance ou bien un de ses concurrents. Le lien avec la thématique peut être le chiffre d’affaires, les investissements, ou une activité tirée par une demande nouvelle sur un modèle qui existait déjà. L’exposition directe en termes de revenus reste un élément central de sélection d’une valeur, mais ce serait dangereux de ne retenir que celui-là. Si c’était aussi simple, un filtre quantitatif suffirait à identifier les acteurs d’une thématique. Or, fondamentalement, une thématique induit une transformation dont il faut pouvoir apprécier l’impact sur les sociétés concernées et sur leurs business models pour pouvoir identifier les gagnants.

Stéphane Lago : Un des atouts de l’investissement thématique est de permettre au client final de se sentir proche de certains thèmes faciles à comprendre et qui offrent une bonne visibilité en termes de croissance. Ce sont souvent des thématiques tangibles, que ce soit l’investissement durable ou la technologie. Les investisseurs finaux ne sont pas dupes, ils vont regarder le Top 10 dans les reportings de fonds et vont vite se rendre compte si cela correspond vraiment au thème choisi ou au type d’exposition qu’ils veulent avoir lorsqu’ils pensent à la thématique. L’exposition du chiffre d’affaires à la thématique est un bon indicateur de pureté, mais il n’est pas le seul : pour une petite société, il est assez facile de voir quelle partie des ventes provient de la thématique, mais pour des grands groupes, il faut prendre plusieurs éléments en considération. L’avantage du stock picking est justement de pouvoir identifier aussi des sociétés qui avaient des perspectives de faible croissance et qui ont su réorienter progressivement leurs business models sur des thématiques de croissance forte. Une bonne sélection de titres permet de profiter de cette transition vers des activités à plus forte croissance. Donc les investissements réalisés et l’orientation des business plans sont aussi des éléments importants, car ils permettent d’apprécier l’exposition future du chiffre d’affaires à une thématique. C’est aussi ce type de sociétés que nous essayons d’identifier, pour les accompagner dans leur évolution et tirer parti de leur revalorisation sur les marchés.

Aurelio Rodriguez : La ventilation du chiffre d’affaires et les Capex sont les premiers indicateurs utilisés. On va ensuite les muscler par l’utilisation de dataset spécialisés, proches de la thématique. Comme nous avons une approche quantitative, nous sommes aussi en mesure d’utiliser des technologies de type NLP, pour aller scanner des articles, des publications faites par les entreprises pour pouvoir déterminer un scoring de sentiments par rapport à la thématique. C’est ce que nous faisons pour pouvoir lier les entreprises avec des thèmes spécifiques, notamment quand ces thèmes sont complexes à appréhender. Nous utilisons également des indicateurs de gouvernance, de bonne gestion, de bonnes pratiques recueillis lors de l’envoi de questionnaires aux entreprises, qui vont nous permettre d’identifier des éléments qui ne sont pas visibles dans des métriques de type ventilation de chiffre d’affaires. Pour quelqu’un qui n’a pas fait ce travail d’analyse, la corrélation entre la société et la thématique peut être moins lisible, moins immédiate. L’investisseur final peut se poser des questions et c’est notre travail de faire preuve de pédagogie et de transparence vis-à-vis de la méthodologie employée. L’exercice est difficile, car on embarque systématiquement une notion de subjectivité dans l’approche et la définition de la thématique.

«Un fonds thématique ne peut pas performer tout le temps, mais il ne doit pas non plus être passif et subir des retournements violents du marché.»

Aurelio Rodriguez Responsable de la gestion thématique ,  Federal Finance Gestion

La gestion thématique est-elle la meilleure façon d’adresser les objectifs de développement durable (ODD) ? Est-elle un vecteur d’impact, le terme étant entendu ici au sens propre et non au sens de la classification SFDR ?

Stéphane Lago : En effet, la gestion thématique me semble être un très bon moyen d’adresser une grande partie des ODD. L’investissement thématique via des thèmes et sous-thèmes permet de regrouper des ODD. La biodiversité par exemple concerne cinq ODD, les ODD 2, 6, 12, 14 et 15. L’investissement thématique est utile en ce sens qu’il aide à définir les univers d’investissement répondant à ces objectifs et à obtenir cet élément de pureté que nous avons dans les fonds thématiques.

Hervé Guez  :  C’est pour avoir de l’impact sur l’environnement que les fonds thématiques font le plus sens. L’environnement recouvre deux sujets : le climat et la biodiversité, qui peuvent correspondre à deux thématiques distinctes. En ce qui concerne les thématiques sociales, il y a deux types d’approches que nous pouvons distinguer : les produits et services qui ont des utilités sociales extrêmement fortes, donc la santé, l’éducation, la culture, etc., que l’on peut adresser avec des fonds thématiques, et le capital humain en entreprise. Mais le capital humain ne relève pas de la gestion thématique, car cela concerne l’ensemble des secteurs. C’est plutôt un prisme, une façon de rentrer sur une analyse de valeur qui est moins regardée et qui va être intéressante, mais qui va être un complément d’analyse. Donc, faire le lien entre gestion thématique et capital humain me semble plus difficile.

Maguy Macdonald : Chez Edmond de Rothschild AM, nous avons distingué deux sous-thèmes pour le thème du social. Le premier concerne les sociétés qui, via des solutions et services, adressent les thématiques liées à l’éducation, à la protection des salariés, à la frontière technologique. Et le deuxième thème va plutôt effectivement chercher à privilégier les sociétés qui ont développé les meilleures pratiques en termes de gestion des ressources humaines. Les ODD sont certes une feuille de route, mais nous croyons beaucoup à l’engagement actionnarial. Engagement que l’on peut retrouver aussi dans des fonds qui ne sont pas forcément des fonds thématiques, mais qui permet d’être des acteurs du changement et d’avoir des impacts positifs au sein de la société dans son ensemble. Il est important de pouvoir non seulement sélectionner les sociétés les mieux disantes, mais aussi encourager le changement en maintenant un dialogue actif avec des sociétés pour lesquelles nous estimons que les pratiques sociales et/ou environnementales ne sont pas au niveau où elles devraient être.

Aurelio Rodriguez : Pour ma part, je pense que la notion d’impact est liée à la gestion thématique quand celle-ci s’inscrit dans une démarche forte d’investissement socialement responsable. Dans ce cas-là, effectivement, on est sur des thématiques qui donnent du sens à l’épargne, et les investissements sont fléchés vers des sociétés sélectionnées pour leur responsabilité, leur intégration, leurs bonnes pratiques, etc. Et donc, de ce fait, on peut avoir un impact sur la société.

Tous les fonds de notre gamme thématique sont labellisés ou ont vocation à l’être. Dès lors, on s’engage à être en relation avec les entreprises, à être en discussion, et par le vote, à participer à l’impact. En ce sens, la gestion thématique est un bon vecteur d’impact. Attention toutefois, car pour revendiquer un impact, il faut qu’il soit correctement mesuré et positif. Et ce n’est pas du tout une tâche aisée.

Stéphane Lago : La gestion thématique porte essentiellement sur trois aspects : social, environnemental et technologique. Il est rare de trouver des fonds thématiques technologiques avec un impact tel qu’il est défini par exemple par SFDR, mais il y a différentes manières de faire de l’impact. Prenons l’exemple du capital humain : dans ce cas, nous allons regarder l’activité opérationnelle des sociétés, les développements de carrière, les mesures concernant la sécurité des employés dans le cas du Covid ou la formation continue. Cela répond à l’ODD no8 sur le travail décent pour tous. Pour d’autres sociétés, nous allons nous concentrer sur le type de produits ou services innovants qui adressent directement certains ODD ou thèmes. Sur le climat, il s’agit de sociétés spécialisées dans les énergies renouvelables ou le transport durable, sur la biodiversité, des sociétés de recyclage d’eau, de packaging durable, ou spécialisées dans l’agriculture. Il existe donc différentes façons d’envisager l’impact en fonction des ODD ciblés, soit via l’activité opérationnelle, soit en s’orientant vers l’innovation.

La place des fonds thématiques dans les portefeuilles a-t-elle évolué ces dernières années ? Avez-vous par ailleurs constaté une évolution de la typologie d’investisseurs ?

Stéphane Lago : Les fonds thématiques ont d’abord été très orientés vers la clientèle wholesale/retail. Et c’est toujours le cas pour certaines thématiques, notamment celles orientées sur la technologie même si, parfois, certains allocataires institutionnels vont sélectionner ce type de fonds avec un biais croissance fort pour leur poche satellite. En revanche, nous constatons une évolution dans la demande de thématiques ayant un impact social et/ou environnemental. Il y a de la demande wholesale et retail, mais aussi une vraie réflexion et des engagements de la part des investisseurs institutionnels puisque nous avons désormais de vrais outils de mesure et de reporting afin de démontrer un vrai impact positif. Il reste encore un peu de chemin à parcourir, mais beaucoup de progrès ont été réalisés sur la partie environnementale, notamment.

Maguy Macdonald : Les investisseurs institutionnels ont été des précurseurs de la gestion thématique durable. Ils sélectionnent des portefeuilles grâce auxquels ils peuvent diriger leurs investissements vers des thématiques de croissance durable et générer un impact positif. Ils ont rapidement été rejoints par les sélectionneurs de fonds et la clientèle privée. Aujourd’hui, les flux institutionnels continuent à être fléchés vers des thématiques de croissance durable pour, en grande partie, des raisons réglementaires et parce que cela fait partie du cahier des charges. Côté investisseurs individuels, une nouvelle génération d’investisseurs a émergé et souhaite avoir un vrai alignement de leurs investissements avec leurs valeurs. Cette génération va privilégier des fonds investis sur des thématiques environnementales et sociales.

Hervé Guez : Pour tout ce qui concerne les thématiques sur la technologie, la sécurité, etc. l’approche reste encore cœur/satellite, l’idée étant de compléter l’investissement en fonds en euro ou une allocation sur les actions européennes ou américaines. En revanche, pour les thématiques durables, on passe d’une approche cœur/satellite pour le retail à une allocation à 100 % sur des thématiques durables pour les acteurs institutionnels.

Aurelio Rodriguez : A l’origine, les fonds thématiques étaient plutôt des fonds satellites qui venaient compléter un investissement cœur actions. Dans nos réseaux, nous avons une clientèle retail importante pour laquelle ce n’est pas une allocation satellite. Chez les assureurs, nous avons une demande croissante de fonds thématiques durables pour des mandats de gestion ou des gestions pilotées. La tendance est la même dans la gestion privée. Il y a donc une évolution, d’une exposition tactique vers un cœur actions. Cette évolution est plus facile avec des thématiques durables, sur le climat ou la transition énergétique, car ce sont des thématiques assez larges contrairement à la sécurité, l’eau, etc.

Nous souhaitons poursuivre cet axe d’évolution auprès de notre clientèle, afin que ça devienne une composante essentielle de son exposition, notamment auprès de la clientèle institutionnelle. Nous réfléchissons à la façon de concevoir nos fonds thématiques pour qu’ils puissent répondre à cette demande d’investissement cœur. Cela nécessite bien sûr d’avoir de la transversalité au niveau de la thématique, mais également d’être en mesure de proposer une combinaison d’alpha : l’alpha d’une thématique porteuse et l’alpha d’une méthode d’investissement rigoureuse et éprouvée. C’est important de combiner ces éléments pour pouvoir montrer à l’investisseur institutionnel qu’il a toutes les raisons de considérer ces fonds thématiques comme un investissement de cœur.

Stéphane Lago : Avec la vague de lancement de fonds thématiques ces dernières années, on a pu penser que c’était une mode, mais ces fonds constituent à mon sens une classe d’actifs à part entière. Et les prochains lancements de fonds actions seront sans doute thématiques.

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