Table Ronde

Comment profiter de la relance économique ?

Publié le 19 octobre 2021 à 11h21

Catherine Rekik    Temps de lecture 11 minutes

Après une crise totalement inédite, durant laquelle l’économie a pratiquement été mise entre parenthèses, la croissance est repartie. Quel est le rôle des Etats et des banques centrales dans la relance ? Comment se caractérise-t-elle ?Funds s’interroge sur les perspectives macroéconomiques dans la zone euro. Quels sont les risques à court et moyen terme ?Quels sont les secteurs qui profitent le plus de la croissance ?Du côté des entreprises, que peut-on attendre en matière d’évolution des profits ?Comment profiter de cette relance économique (classes d’actifs, sélection d’actions, fléchage des fonds avec le label « Relance », etc.) ?

Comment analysez-vous le contexte macroéconomique actuel ?

Matthieu Grouès (associé-gérant et responsable des gestions, Lazard Frères Gestion) : Des plans de soutien monétaire et budgétaire très importants ont été mis en place. Ils n’ont pas encore totalement diffusé leur impact dans l’économie. Certains éléments permettent d’anticiper une demande forte dans les prochains trimestres. Pour une fois, ce n’est pas la demande qui pose question, mais l’offre. Dans certains secteurs, il y a des goulets d’étranglement et la situation ne semble pas si temporaire. Des industries commencent à manquer de certains composants et, par ailleurs, les coûts du fret s’envolent. Au-delà de ces problèmes de court terme, on peut s’interroger sur un risque de surchauffe qui pourrait amener les banques centrales à intervenir plus rapidement que prévu.

L’état du marché du travail américain suscite des doutes. La banque centrale reconnaît l’existence de tensions, mais les considère comme transitoires : les majorations des indemnités de chômage ainsi que la fermeture des écoles, qui constituaient les deux freins pour postuler à des emplois, ont été levées. On peut toutefois douter de la normalisation du marché du travail. Aujourd’hui, il y a 11 millions d’emplois vacants aux Etats-Unis, contre 7 millions avant la crise, ce qui était déjà un plus haut historique. Les gens reviennent progressivement sur le marché du travail mais seront-ils 4 millions à le faire ? S’il s’avère que le marché du travail américain ne se détend pas dans les prochaines semaines, cela signifie que l’économie est en haut de cycle, avec un risque de surchauffe qui obligera la Réserve fédérale à intervenir en relevant ses taux plus vite qu’attendu. Pour les actifs risqués, c’est un mauvais scénario.

Arnaud de Langautier (président, Amplegest) : Nous avons une vision globalement positive de l’économie. Cependant, il ne faut pas oublier la pandémie et la vaccination, très en retard dans certaines régions émergentes. Nous ne sommes pas encore sortis totalement de la crise du Covid-19. Il faut écouter attentivement ce que disent les banques centrales. Elles ont généré des stocks de dettes très importants, donc elles vont devoir manœuvrer habilement. Par ailleurs, la Fed considère que l’inflation est temporaire et que les hausses des salaires vont se calmer. Les banques centrales marchent sur des œufs et attendront avant de relever les taux tout en préparant les marchés. Mais à quelle échéance ?

Cette question se posait déjà fin 2019, avant la crise du Covid-19…

Arnaud de Langautier : Les entreprises ont effacé la crise du Covid-19. Entre 2019 et 2022, les profits des entreprises progresseront de 16 % malgré le trou de 2020. Ce qui est une bonne nouvelle ! Pour le reste, nous revenons à nos anciens démons : le monde est surendetté. Un peu d’inflation réglerait-elle le problème ? Difficile de répondre à cette question.

Matthieu Grouès : Cette question est plus prégnante aujourd’hui qu’en 2019. Certes, l’économie était en haut de cycle, les taux de chômage étaient au plus bas un peu partout dans le monde, mais il n’y avait pas vraiment de tension sur les salaires et pas d’inflation. Les banques centrales avaient du temps pour réfléchir à un éventuel relèvement des taux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les chiffres de l’inflation sont au-dessus de l’objectif aux Etats-Unis, et la hausse des salaires sur l’année écoulée est la plus élevée depuis 1982. La pression des chiffres est bien plus grande et le brouillard plus épais.

Arnaud de Langautier : Cette hausse des salaires pose le problème de la répartition de la valeur ajoutée. Depuis quinze ans, celle-ci se fait aux dépens des salariés, alors qu’il y a aujourd’hui un mouvement politique et social en faveur d’une meilleure répartition et d’une réduction des écarts entre les plus riches et les bas salaires.

Par ailleurs, le monde s’est digitalisé, des créations d’emplois sont toujours financées par des bas salaires pour gagner des parts de marché… Nous sommes toujours dans un monde assez déflationniste. Le modèle « low cost » poussé par les entreprises américaines va-t-il perdurer ?

Matthieu Grouès : Il existe bien un mouvement politique global en faveur d’un relèvement des bas salaires, car la crise a creusé les inégalités. Or, les bas salaires représentent une part importante de la population active. Les augmenter va générer de l’inflation et donc créer un problème pour les banques centrales, dont le cahier des charges n’a pas changé. Aucune banque centrale ne peut durablement accepter une inflation au-dessus de 3 %.

Arnaud de Langautier : On commence à reparler de « stagflation », un terme qui avait disparu avant la crise du covid.

Dans la zone euro, comment se caractérise la reprise économique ? La question de l’emploi se pose-t-elle de la même façon qu’aux Etats-Unis ?

Matthieu Grouès : La situation n’est pas très différente dans la zone euro, mais les tensions sont moins vives. Les plans de relance ont été de moindre ampleur qu’aux Etats-Unis, où des chèques ont été envoyés y compris à des gens qui n’avaient pas perdu leur emploi. En Europe, la demande reste soutenue aussi, et le taux de chômage est proche des plus bas. En Allemagne, le nombre d’emplois vacants est proche des niveaux les plus hauts de 2018 et, en France, il est trois fois plus élevé qu’en 2015. En revanche, on ne constate pas encore de hausse des salaires, sauf dans quelques secteurs spécifiques. Une chose est sûre : dans de nombreux secteurs, les entreprises n’arrivent pas à recruter.

Arnaud de Langautier : La crise a entraîné des changements profonds. Certains en ont profité pour changer de vie, déménager, travailler différemment. Pour la première fois en France, le niveau de chômage, qui est un problème structurel depuis 1973, est en train de se rapprocher de celui des Etats-Unis.

Les plans de relance sont très orientés vers la transition énergétique. Ne risque-t-on pas d’avoir une économie à plusieurs vitesses, avec des secteurs en forte croissance qui attirent beaucoup de capitaux ? Des tensions peuvent-elles apparaître à court t

Arnaud de Langautier : Après le Covid-19, la transition énergétique est le deuxième choc ! La prise de conscience est mondiale, et il existe une volonté politique, notamment en Europe, de flécher les investissements, mais cette transition va être douloureuse.

Matthieu Grouès : Cette transition risque également d’être inflationniste à court terme, et donc de poser des problèmes aux banques centrales. Les capitaux se concentrent clairement sur certains secteurs, ce qui peut aboutir à des excès. Mais ce sont des excès assumés. Fin des années 1990/début des années 2000, il y a eu des excès également sur Internet, puis la bulle a éclaté. Tous les acteurs n’ont pas survécu, mais personne ne peut nier à quel point Internet et la technologie ont changé le monde depuis.

Arnaud de Langautier : Plusieurs secteurs sont concernés par cette transition, l’énergie, la construction ou la rénovation de l’habitat, etc.

Matthieu Grouès : Dans la gestion d’actifs, beaucoup de fonds ont été lancés sur cette thématique de la transition énergétique et ont capté des flux importants. Les supports d’investissements sont toutefois limités, ce qui peut créer, en effet, une bulle.

Quel bilan peut-on faire pour les marchés financiers depuis un an ?

Arnaud de Langautier : Dans la continuité de 2020, l’année écoulée a été incroyable sur les marchés financiers. Nous sommes toutefois dans un environnement de bulles. Après l’immobilier, c’est le private equity qui concentre beaucoup de flux. Quant aux cryptomonnaies, le phénomène est étonnant, c’est le moins qu’on puisse dire ! Sur les marchés actions, nous sommes dans une phase de consolidation. Tant que les taux restent bas, il ne devrait pas y avoir de forte correction. Si les taux remontent, ce sera plus délicat, mais les valorisations des entreprises ne sont pas si élevées au regard des perspectives de croissance.

Matthieu Grouès : Les cryptomonnaies sont un phénomène difficile à comprendre. Prenons l’exemple du bitcoin, dont la valeur a déjà été divisée par trois plusieurs fois dans son histoire pour repartir ensuite vers des plus hauts. Aucune classe d’actifs n’a subi de telles chutes avant de s’en remettre aussi vite.

En ce qui concerne le comportement des marchés, il faut rappeler que la faiblesse des taux, avec parfois même des rendements négatifs, a profité à toutes les classes d’actifs. En absolu, les niveaux de valorisation de toutes les classes d’actifs sont élevés, voire proches des niveaux de bulles pour certains, mais en relatif par rapport au niveau des taux, rien n’est cher. Ce qui nous ramène à la question centrale : que se passera-t-il si les craintes sur le marché de l’emploi, les salaires et l’inflation se matérialisent ? Si on revient sur un régime d’inflation et de taux plus élevés, la valorisation des actifs longs va poser problème.

En matière d’allocation d’actifs, comment profiter de la dynamique de croissance économique dans un tel environnement ?

Arnaud de Langautier : Il faut avoir une vision de long terme. Il faut dire à un client qui souhaiterait investir aujourd’hui qu’il y aura probablement une consolidation mais, si la structure de son allocation est bien faite, elle pourra résister. A court terme, si les taux montent, les grandes valeurs de croissance seront attaquées, tandis que certains secteurs délaissés pourront redevenir attractifs. Les banques, dont les valorisations sont intéressantes, seraient les gagnantes si les taux remontaient, mais peu d’investisseurs ont envie de s’y exposer. La rotation est difficile à mettre en œuvre.

Dans l’environnement actuel, le marché américain restera le marché directeur. L’Europe est en retard, avec un décalage dans le redémarrage de la croissance, mais, pour autant, on ne voit pas vraiment de mouvements de flux vers la zone euro.

Matthieu Grouès : Pendant plus d’un an, nos fonds diversifiés ont été très investis dans les actifs risqués. A partir du printemps, nous avons commencé à réduire les expositions sur le crédit et, depuis la fin de l’été, sur les actions. Nous avons identifié deux trajectoires possibles : un retour au monde d’avant avec la disparition des tensions actuelles sur les prix et les salaires, un cycle de croissance de plusieurs années avec une inflation qui ralentit et des banques centrales très accommodantes, donc le meilleur des mondes pour les actifs risqués ou un scénario dans lequel la situation actuelle ne se décrisperait pas, ce qui obligerait les banques centrales à agir dans les six ou neuf prochains mois.

Il est rare d’avoir un environnement aussi incertain. Nous sommes toutefois convaincus que la situation va s’éclaircir aux Etats-Unis dans les trois mois à venir. Les prochains rapports sur l’emploi devraient nous dire si la situation est transitoire ou pas. En attendant, nous avons une position d’attente, avec du cash en portefeuille, pour pouvoir être mobiles en fonction de l’évolution du scénario. Nous avons quand même une position à la hausse des taux d’intérêt : ils remonteront quoi qu’il arrive 

Si l’environnement macroéconomique évolue favorablement, il faut donc privilégier les actions ? Comment s’exposer à la classe d’actifs ?

Matthieu Grouès : Pour la partie actions, nous préférons l’Europe, et plutôt la value avec un biais sur les cycliques et les financières.

Arnaud de Langautier : Depuis la fin du premier semestre, nous avons opté pour une protection des portefeuilles avec des positions en cash renforcées. Nous avons également une préférence pour l’Europe, les marchés américains étant chers et les marchés émergents, notamment la Chine, ayant déçu. Les secteurs de croissance comme le luxe sont bien valorisés, mais les relais de croissance sont impressionnants. Nous sommes positifs sur les small caps, qui bénéficient aussi des plans de relance. C’est sans doute une de nos plus fortes convictions.

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