Dès l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, les quelques éléments du programme économique du candidat élu ont incité les marchés à anticiper une accéleration de l’inflation.• Quels sont les éléments qui plaident en faveur d’un retour de l’inflation ? Faut-il s’en réjouir ? Pourquoi ?• Pour autant, dans quelle mesure ce qui devient une hypothèse crédible outre-Atlantique aura-t-elle des implications dans une Europe encore engluée dans une croissance molle ?• Quels seraient les effets positifs et négatifs pour la zone euro ? Quelles différences selon les pays ?• Quelles sont les conséquences pour les investisseurs ?• Quelles classes d’actifs faut-il privilégier : les obligations indexées sur l’inflation, les obligations à taux révisables, les actions ?
Le thème de la reflation s'impose
L’année 2016 avait débuté sur la perspective d’un ralentissement de l’économie américaine et des craintes déflationnistes. Un an plus tard, c’est le thème de la reflation qui s’impose. Comment expliquez-vous cette évolution ? Est-elle liée à l’élection de Trump ? Peut-on parler de changement de paradigme ?
Nicolas Dubus, gérant, Groupama AM : Avant l’élection de Trump en novembre, le marché avait déjà fait les deux tiers du chemin. La thématique était présente aux Etats-Unis bien avant, les dépenses d’infrastructures étant présentes dans les programmes des deux candidats, ce qui est positif pour l’inflation. Auparavant, les matières premières, notamment énergétiques, avaient atteint leur point bas à la fin de l’hiver et commencé une remontée significative. Les effets de base ont été positifs sur l’inflation, ce qui a profité à la classe d’actifs bien avant l’élection américaine. De même, durant l’année 2016, il y a eu d’autres facteurs globaux qui ont eu des effets positifs : les prix à la production, en particulier en Chine, ont augmenté de façon significative, ce qui s’est traduit par une hausse des prix des produits manufacturiers.
Antoine Lesné, responsable stratégie et recherche SPDR ETF Europe, State Street Global Advisors : Le marché a réinvesti dans la thématique inflation quand la Chine a commencé à exporter de nouveau de l’inflation. La thématique existait déjà aux Etats-Unis début 2016. Il y a eu des mouvements en cours d’année destinés à rattraper les anticipations d’inflations très basses en février 2016.
Dans un mouvement risk off, les obligations, bien qu’émises par le Trésor avec une bonne notation, vont à avoir tendance à sous-performer. A partir de la mi-février, il y a eu un point d’achat qui a permis aux investisseurs de revenir massivement sur cette thématique, notamment via les ETF. S’en est suivie une période plus difficile à appréhender au moment du Brexit puis, une fois le problème dépassé et une fois que la Chine a renvoyé du crédit dans le marché, faisant ainsi remonter les prix des produits en sortie d’usine, les investisseurs sont revenus sur la thématique. Nous sommes aujourd’hui dans cette tendance qui a été assez violente et qui peut perdurer de façon significative tant sur la partie des matières premières que sur les pressions salariales aux Etats-Unis.
Florence Barjou, responsable de la gestion multi-asset, Lyxor AM : Quand on parle d’inflation, il y a plusieurs effets qui se conjuguent : les effets liés au cycle des matières premières et en particulier au prix du pétrole qui se traitait à 33 dollars le baril il n’y a pas si longtemps ; les effets liés à la croissance en Chine mais aussi aux Etats-Unis, où les investisseurs ont finalement été rassurés d’un point de vue conjoncturel. En début d’année dernière, les craintes portaient encore sur une récession aux Etats-Unis. Aujourd’hui, les fondamentaux y sont beaucoup plus solides. Le marché du travail est proche du plein-emploi, les salaires progressent et l’output gap est en train de se refermer. Ces éléments cycliques sont pour partie aussi présents en Europe, même si la croissance reste. Cette combinaison entre le cycle des matières premières et le raffermissement conjoncturel suggère effectivement une normalisation de l’inflation.
A plus long terme, il y a une autre thématique. Nous avons eu, en parallèle à la longue baisse des taux, un cycle très long de désinflation lié à la mondialisation et à l’internationalisation des échanges. Nous pouvons nous demander, compte tenu de ce qui pourrait se passer aux Etats-Unis, si cela va perdurer.
Antoine Lesné : Le Royaume-Uni pourrait être le premier exemple d’une économie qui va chercher à se «déglobaliser» en partie et qui va en pâtir. Dans ce cas, nous pouvons parler de «stagflation». Autre point, les Etats sont très endettés. Ils ont besoin d’inflation pour se désendetter au détriment des investisseurs.
Eric Bertrand, directeur des gestions taux et diversifiés, OFI AM : Pour revenir sur la tendance longue précédemment évoquée, une étude de la Fed de Saint-Louis montre que, durant toutes les crises d’endettement de ces cent dernières années, il y a, à chaque fois, trois phases : la phase de défaut que nous avons eu aux Etats-Unis et dans la zone euro, puis une phase assez longue de répression financière durant laquelle la réglementation et l’action des banques centrales contraignent les investisseurs à porter du risque sans être rémunérés. Nous avons connu cette phase avec la marche forcée des banques centrales qui ont voulu faire baisser les taux à tout prix. On se retrouve forcément avec de la déflation couplée avec d’autres facteurs économiques plus structurants dans les anticipations. Aujourd’hui, nous sentons bien un changement de paradigme en 2016 : la banque centrale a cessé de vouloir faire baisser ses taux à tout prix. Aux Etats-Unis, les taux remontent sans qu’il y ait encore un changement de tonalité de la Fed tandis que, en Europe, certains changements sont perceptibles. La troisième phase de ces crises d’endettement concerne l’inflation à moyen terme, car c’est le meilleur moyen pour les Etats de se désendetter sans créer de nouveaux impôts. Nous entrons dans cette phase. En zone euro, nous avons des politiques fiscales et budgétaires très restrictives mais, face à la montée des partis populistes et anti-systèmes, l’Allemagne lève un peu le pied sur ce sujet. L’Espagne et le Portugal n’ont pas reçu d’amendes pour déficits excessifs, et la France ne devrait pas trop être inquiétée sur le sujet. Auparavant, cela impliquait l’équivalent d’un demi-point ou d’un point de restriction budgétaire sur la croissance qui pourrait être retrouvé. Cela va accompagner un mouvement avec un facteur accélérant – Trump ou le Brexit –, mais avec un potentiel risque de surchauffe.
Par ailleurs, quand on parle d’inflation, on se réfère aux indicateurs publiés chaque mois, mais les anticipations de moyen terme vont également remonter, au-delà du simple effet de base du pétrole.
Antoine Lesné : Sans faire de parallèles hasardeux avec l’histoire, un stimulus fiscal important et des dépenses d’infrastructures restent la meilleure façon de s’en sortir, y compris en Europe. C’est sans doute la problématique que nous aurons sur les obligations indexées en euro. L’Union européenne sera-t-elle capable d’avoir un dynamisme suffisant ? La zone euro doit avoir la capacité à se réinventer pour éviter le risque de montée des populismes.
Le retour de l’inflation bénéficierait plus aux Etats qu’aux investisseurs. Quelles sont les conséquences positives et les conséquences négatives de cette inflation ?
Eric Bertrand : Avec un endettement à taux fixe et des revenus indexés en partie sur les prix via la fiscalité, lorsque ces prix augmentent, les revenus augmentent mécaniquement ainsi que la croissance alors que le service de la dette reste inchangé. C’est ce qui a permis pendant trente ans à la génération précédente d’investir dans l’immobilier avec un faible taux de remboursement. Une inflation endogène tirée par la croissance, et qui entraîne des hausses de salaire et plus de consommation, est positive mais, si elle vient des matières premières et n’est pas forcément accompagnée de croissance, elle peut avoir des effets négatifs.
Dans quelle configuration sommes-nous ?
Eric Bertrand : Nous sommes plutôt dans la deuxième configuration, du moins en ce qui concerne l’Europe.
Antoine Lesné : En Europe, il n’y a pas encore de pressions inflationnistes sur les salaires, à l’exception peut-être de l’Allemagne.
Christophe Dehondt, gérant taux et inflation, CPR AM: L’Allemagne est la seule locomotive, mais les autres pays risquent plutôt de souffrir de cette inflation qui va croître, du moins cette année, avec le pétrole et les effets de base dus à la hausse du prix de l’énergie. Nous aurons donc forcément des hausses de taux alors que tous les Etats ne sont pas sur le même pied d’égalité.
Le coût que cela représente en matière de financement va peser sur les Etats les plus fragiles, la hausse de l’inflation pénalisant certains d’entre eux. S’ajoutent à cela les risques politiques dans la zone euro qui vont créer beaucoup de volatilité et des mouvements sur les écarts de taux.
Maud Minuit, responsable gestion directionnel taux et aggregate, Groupama AM : L’inflation ne doit pas augmenter trop vite pour ne pas affecter fortement l’économie. Les banques centrales savent pertinemment que, pour protéger la croissance, notamment en zone euro, les taux nominaux ne doivent pas remonter trop vite. Dans la zone euro, une dynamique conjoncturelle s’est mise en place et c’est la bonne nouvelle de ces derniers mois. Les banques centrales et la BCE en tête veillent donc à ce qu’il n’y ait pas d’emballement sur les taux nominaux.
François Collet, responsable adjoint de la gestion de taux, La Française AM : Ce qui est important pour l’économie, c’est le niveau des taux réels. Dans un premier temps, si la remontée des taux se fait par des anticipations d’inflation, ce n’est pas très grave ni pour les Etats ni pour les emprunteurs. Depuis six mois, les taux nominaux remontent mais les taux réels restent négatifs en zone euro. Si les taux nominaux remontent encore et que, durant cette deuxième phase, les taux réels remontent également, cela deviendra problématique pour les Etats et les emprunteurs structurels.
Nicolas Dubus : Cela peut créer des problèmes politiques supplémentaires. En Allemagne, la population vieillit : avoir des taux réels très négatifs alors que l’inflation augmente peut pousser certains agents économiques à épargner davantage pour leur retraite et accroître les excédents commerciaux du pays, ce qui est négatif pour la zone euro dans son ensemble. Pour éviter cet écueil, il est nécessaire que, à terme, les taux réels remontent afin de prendre acte de la normalisation de l’inflation, sinon il risque d’y avoir une autre crise politique en Europe.
Eric Bertrand : J’ai été surpris de voir dans le programme du parti allemand nationaliste AFD des éléments sur le niveau des taux d’intérêt. Ce n’est pas un thème que l’on trouve en France dans les programmes des partis extrêmes. A terme, pour une bonne marche de la zone euro, il sera important que l’inflation s’accompagne de croissance.
Florence Barjou : Dans la presse allemande, y compris dans les tabloïds, l’inflation et les taux sont des sujets récurrents. Le sujet est effectivement politiquement très marqué.
Christophe Dehondt : Par rapport aux pays de la zone euro, l’Allemagne est en avance sur le cycle, comme le montrent les chiffres de croissance, d’inflation et de chômage. Il risque d’y avoir de la surchauffe dans certains pays de la zone euro alors que, dans d’autres pays, la politique monétaire mise en œuvre par la BCE ne porte pas ses fruits. Finalement, en 2016, les spreads périphériques se sont écartés par rapport aux taux core. L’intérêt de maintenir de la liquidité avec des taux d’intérêt négatifs en Allemagne ne bénéficie pas à l’ensemble de la zone.
Eric Bertrand : Nous sommes dans une situation inverse à celle que nous avions connue avant la crise, quand les Espagnols avaient des taux beaucoup trop bas par rapport à leur cadence d’activité. Cela s’est terminé par une crise bancaire et une crise immobilière.
François Collet : A cette époque, la politique monétaire était calquée sur le plus mauvais élève, à savoir l’Allemagne, l’enfant malade de l’Europe au début des années 2000. Cette politique monétaire a provoqué une bulle immobilière en Espagne. Les Allemands pourraient désormais vouloir que la politique monétaire soit plus calquée sur leur situation mais, dans une zone euro qui n’est pas suffisamment homogène et unie, elle reste calquée sur les pays les plus démunis.
Eric Bertrand : La consommation est un des points positifs qui ressortent dans la publication des chiffres de la croissance allemande. Auparavant, l’Allemagne, puissance exportatrice, a bénéficié d’un euro plus faible et, aujourd’hui, la part de la consommation dans la croissance est plus forte. C’est une bonne nouvelle, notamment pour le commerce intrazone.
Comment peut-on régler ces problèmes de disparités entre les pays ? Que peut faire la BCE ?
Antoine Lesné : L’environnement actuel est assez complexe pour les banquiers centraux dont l’indépendance est un peu plus en risque aujourd’hui. Du côté de l’Allemagne, l’indépendance de la banque centrale pourrait être remise en cause dans les programmes politiques alors que les autres pays bénéficient toujours de la politique monétaire accommodante. La zone euro est une union incomplète et la BCE fait déjà tout ce qu’elle peut.
Florence Barjou : Il y a une clé d’allocation qui, par construction, se doit d’être politiquement neutre, ce qui amène la BCE à acheter beaucoup de Bund alors qu’il faudrait plutôt, en proportion, acheter davantage de titres des pays périphériques.
Eric Bertrand : De par son action, la BCE a acheté du temps à un certain nombre de pays pour se réformer. Aujourd’hui, la gouvernance européenne est malaisée. Il y a eu des tentatives pour la réformer un peu vers le modèle allemand, mais il y a eu des blocages en France, en Italie ou au Royaume-Uni avec le Brexit. L’Allemagne l’a bien compris, et on note une inflexion dans le discours et un relâchement dans les objectifs budgétaires.
L’homogénéité dans la zone euro n’est pas pour demain, mais il est probable que nous irons moins vers le modèle allemand que nous ne l’avions imaginé. Il y aura sans doute plus de relâche sur les déficits budgétaires.
Finalement, avons-nous réellement de l’inflation ? Il n’y a pas eu de pressions inflationnistes, plutôt une petite dérive des prix. De quoi parle-t-on exactement ?
Maud Minuit : C’est tout à fait vrai dans la zone euro, où l’inflation sous-jacente ne remonte pas. Dans nos prévisions, nous n’anticipons pas de remontée notable cette année. C’est ce que nous appelons de la «mauvaise inflation», liée surtout aux prix énergétiques. Il y a cependant certains facteurs domestiques propres aux différentes zones : la dépréciation de la livre sterling au Royaume-Uni, les prix de l’immobilier aux Etats-Unis ou prochainement des salaires, etc.
Florence Barjou : Aux Etats-Unis, la situation est complètement différente avec un marché du travail à l’équilibre, un début de tension sur les salaires et un output gap quasiment refermé. A contrario, en Europe, le FMI n’anticipe pas de fermeture de l’output gap avant 2020. Dans la zone euro, nous voyons donc encore des excédents d’offres important sur le marché du travail ou des biens. En conséquence, l’inflation sous-jacente aura du mal remonter durablement vers la cible de 2 % de la BCE.
Eric Bertrand : L’inflation instantanée devrait toucher un point haut autour de 1,7/1,8 en avril grâce aux effets de base des prix de l’énergie, ce qui va compliquer la communication de la BCE. Ce n’est pas une vraie inflation endogène, tirée par les salaires. On peut toutefois voir dans les anticipations d’inflation dans les courbes à cinq ou dix ans un peu de reflation à partir du moment où le scénario de sortie de crise et d’un retour à la normalité se confirme.
Florence Barjou : Nous parlons tous d’un retour de l’inflation, y compris en Europe, car nous venons de très loin. En réalité, il est vrai que le terme est un peu abusif et qu’il s’agit plutôt d’un repli des risques déflationnistes. Il faudrait plutôt parler de normalisation sur des niveaux moins aberrants que ce que nous avons connu dans un passé récent.
Antoine Lesné : Il y a en effet une remontée d’inflation momentanée mais nous ne sommes pas dans le même scénario qu’en 2010, quand il fallait rassurer les investisseurs et leur expliquer comment se prémunir contre le risque d’inflation. Sur une tendance longue, c’est du côté des Etats-Unis qu’il faut rechercher de l’inflation plutôt que dans la zone euro. D’un côté, on parle de reflation et, de l’autre, l’économie est en fin de cycle. Il est difficile pour les gérants de se positionner par rapport à ce cycle. Si les taux ou l’inflation remontent trop vite aux Etats-Unis, la Fed sera peut-être obligée d’agir plus rapidement qu’attendu, au risque de casser la dynamique.
On parle de fin de cycle aux Etats-Unis, mais à quelle échéance : 2018, 2019 ?
Florence Barjou : Le risque de récession a été repoussé. D’ailleurs, peut-on parler réellement de risque de récession ? Pour qu’il existe, il faut en théorie qu’il y ait une phase de surchauffe auparavant. Or, le cycle américain actuel est très atypique par sa longueur et parce qu’il n’a du tout pas été soutenu par l’investissement des entreprises. Il est difficile d’anticiper une correction de l’économie américaine, même à un horizon de deux ans, parce qu’il n’y a pas de déséquilibres à corriger.
Eric Bertrand : Quand on parle d’inflation, il est important de signaler son côté autoréalisant, même si l’effet est difficilement mesurable. Dans un contexte de déflation, les chefs d’entreprise ne vont pas augmenter les prix et les salaires ni faire des investissements. Dans une perspective de reflation, les agents économiques s’inscrivent dans une dynamique haussière dans leurs fixations de prix.
Maud Minuit : Cette dynamique se voit déjà dans les enquêtes sur la confiance des entreprises, notamment depuis six mois dans la zone euro. Il y a plus de synchronisation entre les secteurs de l’industrie, de la construction et de la consommation. C’est très important pour les investissements et les embauches et pour le moral des consommateurs même si, en zone euro, durant la période de déflation, il n’y a jamais eu d’effondrement d’achats de biens de consommation.
Christophe Dehondt : La baisse de l’inflation, ces dernières années, était principalement due à la baisse des prix de l’énergie. Avec le point bas atteint sur le prix de l’énergie, nous avons désormais toutes les composantes favorables à un retour de l’inflation : les PMI en zone euro, la croissance, le rebond de la confiance et, maintenant, la déglobalisation. Tous ces éléments vont être inflationnistes alors que les banques centrales sont très hésitantes en matière de remontée des taux. La Fed aura-t-elle la possibilité de remonter les taux à trois reprises comme c’est attendu en 2017 ? Dans la zone euro, la BCE a décidé de prolonger son QE jusqu’en décembre – au-delà de l’extension de six mois attendus par les investisseurs –, alors qu’il y a un déficit d’émissions de titres. Les taux courts et les taux longs vont rester bas, favorables à l’investissement, et donc à une surchauffe dans certaines économies.
François Collet : L’inflation est un indicateur retardé du cycle économique. Il va falloir attendre longtemps avant de voir l’inflation remonter en zone euro, car nous ne sommes clairement pas en phase de surchauffe. Ce n’est pas encore le cas aux Etats-Unis. Si on retire les prix de l’immobilier et qu’on regarde le «core PCE deflator» suivi par la Fed, l’inflation est loin d’être problématique. Il faudra sans doute attendre quelques trimestres avant que l’inflation accélère. Quant à la zone euro, elle est en retard sur le cycle économique. Il va donc falloir être patient avant de voir de l’inflation endogène et non importée. Néanmoins, l’objectif des marchés financiers étant d’anticiper ce qui va se passer dans le futur, l’inflation est un sujet d’actualité dans les allocations d’actifs.
Florence Barjou : Beaucoup de clients s’inquiètent des conséquences d’une hausse des taux sur leurs portefeuilles obligataires. L’inflation telle qu’elle se présente aujourd’hui est plutôt favorable aux actions, toute la question étant de savoir comment évolue la répartition de la valeur ajoutée entre les salaires et les profits. Pour l’instant, ce sont surtout les actions qui devraient profiter de la normalisation. Ensuite, en ce qui concerne la partie obligataire, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Dans les portefeuilles diversifiés, la classe d’actifs conserve encore ses qualités décorrélantes. On retrouve des propriétés de valeurs refuge, notamment sur la dette américaine où le niveau des taux est plus attractif qu’en Europe. Avoir encore de l’obligataire dans les portefeuilles diversifiés et gérer la duration de façon active fait toujours sens.
Comment les investisseurs peuvent-ils profiter du retour de l’inflation ?
Au-delà des fonds d’obligations indexées, quelles sont les classes d’actifs à privilégier ?
Florence Barjou : Les matières premières sont à l’origine du retour de l’inflation. Avoir une exposition sur la classe d’actifs, y compris via les ETF, est intéressant. Quant aux actions, elles sont la classe d’actifs à privilégier dans une perspective de reflation.
Dans ce cas, ne faut-il pas préférer les actions américaines, même si elles sont bien valorisées ?
Florence Barjou : Malgré la contraction des profits, les marchés actions américains ont continué de s’apprécier en 2016. Les niveaux de valorisation sont élevés, mais la perspective d’une prolongation du cycle de croissance justifie des positions neutres voire surpondérées sur les actions américaines. En Europe, on espère voir enfin une matérialisation de la performance du marché des actions. Plusieurs éléments favorables sont réunis aujourd’hui : retour de la croissance, discours encourageants des chefs d’entreprise qui commencent à annoncer des hausses de prix de vente, ce qui se traduira par une amélioration des marges. Reste le problème de l’agenda politique en zone euro.
Antoine Lesné : Les actions peuvent être jouées de façon sectorielle ou factorielle. Les valeurs financières présentent une corrélation positive avec le retour de l’inflation et la hausse des taux. L’énergie et les valeurs industrielles sont également intéressantes. En matière de corrélation, tout ce qui est value fonctionne bien. Aux Etats-Unis, la corrélation entre les anticipations d’inflation et la surperformance des small caps est bien visible. En Europe, c’est un peu plus complexe à appréhender mais un biais mid & small caps offre du potentiel.
Eric Bertrand : Le point bas des taux bas étant derrière nous, la remontée des taux entraîne une belle rotation sectorielle du côté des actions. Dans de nombreux portefeuilles systématiques, les rotations peuvent être brutales au détriment de valeurs qui ont été portées par la baisse des taux ces dernières années.
Dans les matières premières, nous privilégions les métaux précieux car ils vont être le réceptacle de la croissance, mais aussi servir de valeur refuge en cas d’inquiétudes sur l’inflation. Par ailleurs, les actifs réels, et plus précisément les infrastructures, sont très liés aux anticipations d’inflation. Aux Etats-Unis, les investisseurs ont déjà beaucoup anticipé ce que Trump allait faire alors que, en Europe, les investissements sont plus abordables.
Il existe des produits obligataires spécifiques pour profiter du retour de l’inflation. Dans quels segments obligataires sont-ils investis ? Quel est le bon timing pour investir dans ces fonds ?
Christophe Dehondt : Les titres indexés sur l’inflation ont retrouvé des couleurs depuis l’été dernier sur fonds de remontée des anticipations d’inflation. Le rebond a été équivalent aux Etats-Unis et en Europe, pour des raisons différentes, mais il aurait été plus logique qu’il soit plus important aux Etats-Unis où l’inflation redémarre plus fortement. Sur le segment dix ans, les anticipations d’inflation sont passées de 1,2 à quasiment 2 %. On voit de l’intérêt de la part des investisseurs pour aller capter ces anticipations d’inflation. L’élan a été le même en Europe, notamment en Allemagne où les anticipations sont passées de 0,7 à 1,3 % en décembre. Il reste encore du potentiel, puisque nous sommes encore loin du point haut des chiffres d’inflation. Beaucoup d’investisseurs ne sont pas entrés dans la classe d’actifs et souhaitent se protéger, les assureurs doivent couvrir leurs passifs face au risque de hausse de l’inflation : la demande pour ces produits indexés sur l’inflation devrait durer encore un certain temps.
Eric Bertrand : En retraitant les courbes des anticipations d’inflation, les taux devraient remonter modérément en 2017. Ce qui signifie des performances sur l’obligataire qui seront compliquées. Nous préférons les actifs américains, les taux à dix ans se situant autour de 2,4 %. En cas de problèmes, ces titres bénéficient du «fly to quality». En Europe, il ne faut pas délaisser la classe obligataire mais la couvrir. Les obligations indexées sur l’inflation vont bénéficier d’un regain d’intérêt, à condition d’acheter l’obligation indexée et de couvrir la sensibilité aux taux, pour se prémunir de la hausse des taux réels qui va suivre. Cette position en «break-even» permet ainsi de se placer à la hausse des anticipations d’inflation et sera l’une des rares à apporter une performance positive dans les remontées de taux attendues.
Florence Barjou : Au sortir d’une période de baisse massive des taux, les risques dans les portefeuilles des fonds monétaires ou obligataires se sont nettement accrus. En effet, face à des rendements en baisse, les investisseurs ont augmenté la duration de leur portefeuille tout en se portant sur des notations plus risquées. Les portefeuilles obligataires ont aujourd’hui un risque intrinsèque plus important qu’il y a encore dix ans. Nous proposons ainsi aux clients des solutions de gestion intelligentes qui gèrent de manière active le risque de duration, de liquidité ainsi que la qualité des notations.
François Collet : Les obligations indexées sur l’inflation ont connu le meilleur des mondes en 2016, avec des taux réels en baisse et des anticipations d’inflation en hausse. Les taux vont remonter de façon graduelle en 2017, et cette remontée ne sera pas uniquement absorbée par les anticipations d’inflation mais également par les taux réels. Il faudra donc couvrir les obligations indexées sur l’inflation. Il faut avoir également conscience que la classe d’actifs dans son ensemble performera moins bien que les actions dans un contexte de reflation. Dans l’obligataire, certains segments comme le high yield ou les subordonnées financières sont corrélés aux marchés actions. Ces segments sont intéressants à privilégier dans une allocation obligataire.
Antoine Lesné : Dans une approche plus régionale, les titres américains sont à privilégier : par rapport à l’Europe, la dynamique des taux est différente et les surprises sur l’inflation parfois plus fortes aux Etats-Unis.
Eric Bertrand : Il me semble qu’aux Etats-Unis le potentiel est déjà dans les cours (2 % d’inflation anticipée à dix ans) près de l’objectif de la Fed alors que, en Europe, compte tenu des anticipations (1,10 % à dix ans) et avec une BCE toujours accommodante, le potentiel est plus important avant que l’objectif de la banque centrale ne soit atteint (2 %). Nous préférons donc les «break-even» européens.
Nicolas Dubus : Aujourd’hui, quasiment l’ensemble de la dette européenne sert un rendement inférieur à l’inflation qui sera observée dans les prochains mois, alors que les chiffres attendus sont à la moitié de l’objectif de la BCE. La situation est donc compliquée pour un investisseur contraint d’acheter de la dette en Europe. Néanmoins, les obligations indexées lui offrent l’assurance presque gratuite de profiter du rebond des anticipations d’inflation tant les risques pesant sur les dynamiques des prix à la consommation sont actuellement asymétriques. Aux Etats-Unis, en revanche, les investisseurs profitent d’ores et déjà de taux réels positifs, et le portage des obligations permet aisément d’amortir des mouvements haussiers sur les taux sans réaliser de performance négative. Ainsi, les logiques d’investissement sont très différentes de part et d’autre de l’Atlantique.