Table ronde

Faut-il (enfin) investir dans les Mid & Small Caps ?

Publié le 28 mars 2023 à 11h30

Catherine Rekik    Temps de lecture 28 minutes

Pendant près de cinq ans, la classe d’actifs a été mal-aimée par les investisseurs, et ce désamour s’est encore accentué l’an dernier. Les Mid & Small Caps ont ainsi débuté l’année avec une décote historique par rapport aux Large Caps. Alors que les marchés actions ont rebondi en début d’année, Funds s’interroge sur l’évolution de la classe d’actifs. Les Mid & Small Caps ont-elles profité du rebond des marchés  en tout début d’année ? Affichent-elles toujours une décote par rapport aux Large Caps ? Pourquoi ? Cette décote peut-elle justifier à elle seule un regain d’intérêt pour la classe d’actifs ? Les valorisations sont-elles réellement attractives ? Quelles seraient les raisons d’investir sur cette classe d’actifs dans un contexte de ralentissement économique et de taux élevés ? Quelles sont les caractéristiques de cet univers d’investissement ? Les nombreux retraits de la cote ces dernières années ont-ils appauvri le gisement ? Les Mid & Small Caps permettent-elles d’adresser des thématiques porteuses comme la transition énergétique ou les innovations technologiques ? Quels sont les secteurs les plus attractifs ? Quel profil de valeurs faut-il privilégier ? L’intégration ESG dans le processus de sélection des Mid & Small Caps est-elle désormais plus facile ? 

Les intervenants :

  • Raphaël Moreau, gérant, Amiral Gestion
  • Ingrid Pfyffer-Edelfelt, gérante, Eleva Capital
  • Eric Biassette, gérant actions, Generali Investments
  • Stéphanie Bobtcheff, CFA, gérante, La Financière de l’Echiquier
  • Marc Saint John Webb, gérant, Quaero Capital

Depuis cinq ans, la classe d’actifs subit le désamour des investisseurs. Comment l’expliquez-vous ?

Raphaël Moreau - Deux raisons peuvent expliquer ce désintérêt. En 2017, les valorisations de la classe d’actifs ont atteint un point haut après une période de fort engouement pour les petites valeurs. Les flux étaient si importants que certains fonds ont été alors fermés à la souscription. S’en est suivie une longue période de dégonflement des valorisations au point qu’aujourd’hui la classe d’actifs n’est pas chère du tout. Autre raison : le ralentissement économique. Les small caps surperforment souvent quand l’activité économique est bien orientée, et inversement. Or, depuis 2018, il y a eu plusieurs coups de semonce sur l’économie – la crise de 2018, le covid puis la guerre en Ukraine –, qui ont entraîné un ralentissement.

Ingrid Pfyffer-Edelfelt - La composition structurelle des indices explique également le désintérêt pour les small & mid caps. Les indices des large caps sont beaucoup plus exposés aux valeurs refuges, à la santé, aux matières premières, au luxe, à l’énergie et aux banques. Des secteurs que l’on ne retrouve pas dans les indices des valeurs moyennes, ce qui explique la différence de performance entre ces indices. 

Stéphanie Bobtcheff - La classe d’actifs étant perçue comme plus risquée, elle a subi de nombreux rachats l’an dernier. Quand le niveau de risque augmente sur les marchés, les investisseurs ont tendance à sortir des small caps. Autour de 15 % des actifs ont été rachetés dans les fonds de petites valeurs en 2022, contre 5 à 6 % pour les fonds de large caps. Comme la classe d’actifs n’est pas très liquide, les rachats sont susceptibles de peser sur la performance.

Il existe deux moteurs de performance sur les marchés actions : d’un côté, la valorisation, et de l’autre côté, la croissance des bénéfices par action. En période de hausse des taux, il y a une compression des multiples de valorisation. Comme ces multiples étaient plus élevés sur les small caps, il y a eu davantage de compression de multiples sur ces valeurs. Quant à la croissance des bénéfices par action, pour la première fois, elle a été moins élevée pour les small caps que pour les large caps l’an dernier, car la classe d’actifs est moins exposée au secteur bancaire, aux valeurs pétrolières et énergétiques, qui ont beaucoup révisé à la hausse leurs prévisions de résultats.

Marc Saint John Webb - Les small caps et les fonds investis dans la classe d’actifs ont connu un âge d’or entre 2012 et début 2018, avec des souscriptions très importantes. Tous ces flux sont sortis depuis à tel point que le niveau d’encours est retombé à celui de 2012. Vers où se sont dirigés ces flux sortants ? Les investisseurs institutionnels ont probablement favorisé les fonds de private equity mid market. Les liquidités sur cette classe d’actifs ont été tellement abondantes que les multiples d’EBITDA n’ont cessé d’augmenter chaque année. Ces revalorisations en termes de multiples ont permis à ces fonds de private equity d’afficher des performances fantastiques alors que nos fonds small caps ont une valeur liquidative quotidienne, et que nous avons plutôt constaté des compressions de multiples.

Quant à la clientèle privée, elle s’est plutôt intéressée, ces dernières années, aux valeurs technologiques américaines qui offraient de la croissance et de la liquidité et vendaient une belle histoire jusqu’au début de 2022.

Eric Biassette - En ce qui concerne la composition des indices, les small caps sont en effet traditionnellement plus industrielles, donc plus sensibles au cycle économique et elles sont nettement plus exposées à l’Europe alors que les activités des large caps sont plus mondiales. Or, ces dernières années, les perspectives des économies européennes se sont avérées particulièrement incertaines, avec notamment les évènements récents, la guerre en Ukraine, et en conséquence, la hausse du prix du gaz. Dans des marchés très volatils, les small caps, moins liquides et plus cycliques, sous-performent généralement.

Par ailleurs, ces dernières années ont plutôt consacré les valeurs technologiques, les valeurs de semi-conducteurs, ainsi que le luxe, secteurs qui sont très peu représentés dans l’univers des small caps.

Stéphanie Bobtcheff - En effet, les petites et moyennes valeurs réalisent l’essentiel de leur activité en Europe et ont peu d’exposition aux devises en dehors de l’Europe. Environ 65 % de leur chiffre d’affaires est réalisé en Europe contre 35 % pour les grands groupes. Et nous constatons qu’il y a une très forte corrélation entre l’appréciation du dollar et la surperformance des large caps. La hausse du dollar a ainsi été un moteur performance pour les grandes valeurs et pas pour les valeurs moyennes plus domestiques. 

«Si on revenait à une valorisation en ligne avec la moyenne historique, cela laisserait un potentiel d’appréciation de 50 à 70 % de la classe d’actifs ! »

Raphaël Moreau Gérant ,  Amiral Gestion

En dehors du choc récent sur les marchés provoqué par la faillite de SVB aux Etats-Unis et la situation de Credit Suisse, la classe d’actifs a-t-elle rebondi en janvier et février ? Un regain d’intérêt des investisseurs s’est-il matérialisé dans les flux 

Eric Biassette - Le rebond des valeurs moyennes n’a pas eu lieu en début d’année ! En France, au 17 mars, le CAC 40 affichait une hausse de 7 % contre 0,5 % pour le CAC Small. Depuis le point bas du marché en septembre dernier, le CAC 40 a gagné plus de 20 %, le CAC Mid & Small + 17 % et le CAC Small + 9 %. Il n’y a donc pas eu de surperformance des valeurs moyennes en France depuis le début de l’année. Cependant, on constate un regain d’intérêt sélectif des investisseurs, qui se traduit par de nets rebonds des titres publiant des résultats satisfaisants. Cette tendance nous paraît très encourageante.

Raphaël Moreau - Les microcaps continuent à souffrir depuis le début de l’année alors que les valeurs du MSCI Small ont eu tendance à surperformer le MSCI jusqu’à la crise bancaire récente.

Marc Saint John Webb - Après une année 2022 difficile sur les marchés, les investisseurs ont commencé à s’exposer aux grandes valeurs, anticipant un rebond des marchés actions. Plus on descend en taille de capitalisation boursière dans les indices et plus le rebond a été faible, voire inexistant (en date du 17 mars).

Stéphanie Bobtcheff - Plusieurs éléments plaident désormais en faveur de la classe d’actifs, notamment les niveaux de valorisation, qui redeviennent intéressants. Pour rappel, les small caps ont sous-performé de près de 20 % en 2022. Un tel niveau de sous-performance remonte à la grande crise financière, avec une sous-performance de 24 %. Par ailleurs, les flux se sont quelque peu stabilisés. Depuis le covid, le marché a été guidé par de grandes thématiques, notamment les taux ou l’inflation. Aujourd’hui, les investisseurs s’intéressent plutôt à des sujets microéconomiques. Les inquiétudes portent davantage sur le niveau d’endettement des entreprises ou de leurs marges. C’est potentiellement une bonne nouvelle pour les small caps, dans la mesure où le marché va s’intéresser à nouveau aux fondamentaux des sociétés et non plus à ce qu’il faut acheter quand les taux montent ou qu’il y a de l’inflation. Dans un marché où les taux resteront élevés, il me semble que l’attention portera davantage sur le stock-picking fondamental.

Ingrid Pfyffer-Edelfelt - En effet, 2023 devrait marquer un retour aux fondamentaux des entreprises et au stock-picking. Les bilans des entreprises sont très sains, bien plus qu’en 2008-2009. Environ 25 % des entreprises de l’indice Stoxx Europe Small 200 ont une trésorerie excédentaire. La plupart des sociétés sont très innovantes et agiles. Elles offrent des perspectives de croissance importante, même en période de ralentissement économique. Enfin, ces sociétés peuvent être soit à l’affût d’acquisitions pour accélérer leur croissance soit des cibles intéressantes pour de grands groupes qui souhaitent profiter de niveaux de valorisation bas. Sur les 12 prochains mois, la prime des mid caps par rapport aux large caps est de 7,5 % contre une moyenne historique de 15 %, une prime justifiée par des perspectives de croissance des bénéfices nets par action supérieures. La classe d’actifs suscite plus d’intérêt aujourd’hui même si cela ne se matérialise pas encore dans les flux de souscriptions.

Raphaël Moreau - Les sélectionneurs de fonds et la distribution intermédiée ont assez bien adhéré au discours sur la faible valorisation de la classe d’actifs et à tous les arguments que nous avons exposés, notamment sur la surperformance à long terme, mais tout le monde attend un catalyseur. Une fois ce catalyseur identifié, le rebond des petites et moyennes valeurs pourrait être rapide.

Marc Saint John Webb - Ces dernières années, la classe d’actifs n’a subi que des rachats, au point de ne plus exister dans les portefeuilles des investisseurs alors que jusqu’en 2017, ils souhaitaient plutôt augmenter leur pondération aux petites valeurs. Ils envisagent les fonds small caps comme des produits spécifiques, mais pas comme une classe d’actifs à part entière. Or, comme cela a été justement souligné, sur le long terme, les small caps ont une plus forte croissance sur longue période et donc une meilleure performance boursière. Ce concept a été un peu oublié par les investisseurs, qui n’ont plus en tête qu’une exposition à la classe d’actifs génère de la performance à long terme dans un portefeuille. C’est pourtant au son du canon qu’il faut investir dans la classe d’actifs pour profiter de valorisations attrayantes quand les attentes du marché sont plutôt prudentes et qu’il existe un potentiel important de surprise positive.

Raphaël Moreau - Au plus haut du marché en 2017/2018, le price to book (cours sur actif net par action) était supérieur à 2 fois, alors qu’il est légèrement supérieur à 1 aujourd’hui. Un point bas qui correspond à celui de mars 2020, de 2012 lors de la crise de la zone euro et de 2003 après l’éclatement de la bulle internet, le pire ayant été atteint brièvement en 2008 après l’effondrement de Lehman Brothers. Si on revenait à une valorisation en ligne avec la moyenne historique, cela laisserait un potentiel d’appréciation de 50 à 70 % de la classe d’actifs !

Stéphanie Bobtcheff - La classe d’actifs étant très volatile, un horizon de temps assez long est préconisé quand on investit dans les small caps. C’est sur le long terme que l’investisseur pourra apprécier cette surperformance, et non pas sur 12 à 18 mois.

Raphaël Moreau - Il y a souvent une méconnaissance de cet univers d’investissement. Une small cap n’est pas la boulangerie au coin de la rue. Il s’agit de PME-ETI, donc d’entreprises d’une certaine taille, structurées, avec des bilans sains et qui emploient souvent plusieurs milliers de personnes. Pour être éligible au PEA-PME par exemple, il faut que la société de moins de 5000 salariés réalise un chiffre d’affaires annuel inférieur à 1,5 milliard d’euros, ait un bilan qui n’excède pas les 2 milliards d’euros, et un siège social en France ou dans un pays de l’Union européenne. Sa capitalisation boursière doit être inférieure à 1 milliard d’euros.

Stéphanie Bobtcheff - Au-delà des caractéristiques propres au PEA-PME, chaque société de gestion a sa définition d’une microcap, d’une small ou d’une mid cap. A La Financière de l’Echiquier, la capitalisation boursière est inférieure à 500 millions d’euros pour une microcap, 1 milliard pour une small cap et 10 milliards pour une midcap.

Eric Biassette - Pour revenir à l’attrait de la classe d’actifs aujourd’hui, j’ai le sentiment que, depuis le début de l’année, on porte une plus grande attention aux résultats des entreprises, dans un contexte de ralentissement économique. Ce qui est plutôt positif et sain pour les small caps dont l’atout principal est de générer une croissance supérieure à celle des grandes valeurs. De plus, les perspectives des principales sociétés dans lesquelles nous sommes investis sont tout à fait rassurantes. La valorisation actuelle, avec un PE autour de 10 fois les résultats pour les small caps européennes, est attractive dans l’absolu, même si l’argument de la valorisation n’est pas en soi suffisant. En effet, il ne faut pas acheter uniquement pour le prix, mais aussi pour la capacité des entreprises à générer de la croissance, même dans un environnement incertain. L’attrait principal d’une small cap réside dans son potentiel de croissance fort. Autre atout de cette classe d’actifs : un nombre important de sociétés familiales, qui ont une vision de long terme et prennent des décisions dont les impacts s’apprécient dans la durée. Elles ont généralement traversé de nombreuses crises et en sont sorties plus fortes, pour bon nombre d’entre elles. Certaines sont ainsi devenues des leaders européens ou mondiaux sur leurs activités de niche.

«2023 devrait marquer un retour aux fondamentaux des entreprises et au stock-picking. »

Ingrid Pfyffer-Edelfelt Gérante ,  Eleva Capital

La décote ne peut donc pas être le seul argument en faveur de la classe d’actifs…

Raphaël Moreau - Tout dépend de l’horizon de temps ! Sur l’année, la décote n’est pas très importante, mais sur un horizon de temps de 5 ans, mieux vaut acheter la classe d’actifs quand elle n’est pas chère.

Ingrid Pfyffer-Edelfelt - La valorisation est la cerise sur le gâteau. C’est un plus, mais la classe d’actifs a en effet d’autres atouts. Ce sont des sociétés qui opèrent sur des marchés de niche avec un effort d’innovation, bénéficiant de barrières à l’entrée importantes. Elles sont souvent détenues par leurs fondateurs ou par leurs salariés avec un alignement des intérêts très fort et des perspectives de croissance à long terme. Elles sont également souvent au début de leur cycle de vie et peuvent ainsi capter plus d’opportunités de croissance.

Eric Biassette - Des atouts qui, d’ailleurs, font qu’elle est généralement mieux valorisée que les large caps, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Marc Saint John Webb - Tout dépend également de l’orientation du fonds. Chez Quaero Capital, nous avons une approche value de la classe d’actifs. Nous voulons investir dans une belle société, en croissance, avec un bon business model, rentable et avec un bilan solide tout en étant peu chère. Nous avons donc clairement plus d’opportunités d’investissement dans le contexte actuel qu’il y a cinq ans. La valorisation actuelle n’incitera pas forcément tous les investisseurs à se positionner sur la classe d’actifs, mais pour les gérants et les clients de nos fonds, elle est primordiale. La valorisation absolue de nos titres en portefeuille et du marché est, pour nous qui sommes assez contrariants, une opportunité.

Stéphanie Bobtcheff - Ce qui est très important, c’est bien sûr la qualité des fondamentaux. Mais le sujet de la valorisation a remobilisé l’attention des investisseurs dans un environnement de taux qui n’a plus rien à voir avec celui de ces dix dernières années. En période de baisse des taux, les investisseurs étaient prêts à payer n’importe quel prix pourvu qu’il y ait de la croissance. Aujourd’hui, le sujet de la valorisation regagne donc du poids, y compris pour des fonds clairement orientés croissance. Nous n’achetons pas la croissance à n’importe quel prix !

Marc Saint John Webb - La valorisation est toujours relative. Quand les taux d’intérêt montent, les obligations redeviennent attractives, donc l’investisseur est moins forcé d’investir dans des actions pour avoir du rendement. Dans notre approche, nous avons souvent une participation de 5 à 10 % au capital d’une small cap, et nous interagissons beaucoup avec le management. Notre processus n’est pas très éloigné du private equity et finalement, les entreprises dans lesquelles nous investissons sont les mêmes que celles investies par les fonds de private equity. Il y aura forcément des questions un jour sur les valorisations que font les auditeurs dans les fonds de private equity, surtout quand elles seront comparées à celles des entreprises cotées. Cette comparaison des multiples d’EBITDA risque d’être désagréable pour les investisseurs qui ont privilégié le private equity ces dernières années, et la valorisation absolue peut donc amener à faire des choix entre les deux classes d’actifs.

Raphaël Moreau - Le private equity a d’ailleurs bien détecté cette différence de valorisation, raison pour laquelle il y a eu beaucoup d’OPA sur les actifs cotés ces dernières années !

«Le sujet de la valorisation regagne du poids, y compris pour des fonds clairement orientés croissance. Nous n’achetons pas la croissance à n’importe quel prix ! »

Stéphanie Bobtcheff CFA, gérante ,  La Financière de l’Echiquier

Justement, il y a beaucoup d’OPA et de retraits de la cote et peu d’introductions en Bourse. Votre univers d’investissement se réduit, n’est-ce pas un problème ?  

Eric Biassette - C’est un vrai problème ! Des valorisations peu élevées sur la durée entraînent souvent des retraits de la cote, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis. Ces dernières années, il y a eu environ une quinzaine d’introductions en Bourse et 30 à 35 retraits de la cote en France chaque année, 12 introductions et 29 retraits en 2022. Prenons l’exemple récent de Manutan, leader en Europe de la distribution d’équipements industriels, société en croissance annuelle d’environ 5 %, elle avait du mal à séduire les investisseurs et restait faiblement valorisée, à 10 fois ses résultats. Finalement, la famille actionnaire a décidé de se retirer de la cote, en offrant une prime de plus de 50 %. Beaucoup de familles ont profité de la période de taux bas pour sortir de la Bourse. Des sociétés avec une croissance faible qui peuvent être fragiles en période de récession n’intéressent pas beaucoup les investisseurs. Cependant, l’univers d’investissement, notamment en France, reste tout de même large et très diversifié. Entre 100 millions et 2 milliards d’euros de capitalisation boursière, on compte une centaine de valeurs investissables dans de nombreux secteurs, dont la technologie, notamment, qui représente 20 % de cet univers.

Marc Saint John Webb - Nous assistons en effet à un appauvrissement de la cote, mais les retraits de la cote sont aussi des contributeurs de performance. La patience des investisseurs finit par être récompensée. Lorsqu’il y a une famille au contrôle du capital, le retrait se fait souvent avec de belles primes de valorisation. Rester cotée si l’entreprise est faiblement valorisée n’apporte rien aux dirigeants, car ils ne peuvent pas faire d’augmentation de capital alors qu’ils voient des entreprises concurrentes détenues par des fonds de private equity procéder à des augmentations de capital avec des valorisations plus élevées.

Ingrid Pfyffer-Edelfelt - Notre univers d’investissement étant européen, il y a quand même une note d’espoir, car les introductions y sont plus nombreuses. C’est le cas de la Suède, du Royaume-Uni et de l’Italie par exemple. Dans ces pays, la cote a plutôt eu tendance à s’étoffer. En France, il y a eu peu d’introductions en Bourse en 2020 et en 2022, mais on constate que dès que les conditions de marché s’améliorent, les introductions en bourse reviennent sur le devant de la scène. La Bourse reste attractive et le pipeline reste important.

Raphaël Moreau - En 2021, il y a eu plus de 100 introductions en Bourse en Suède contre une vingtaine en France ! Le rétrécissement de la cote est bien réel, mais il n’est pas si important sinon la valorisation des entreprises qui restent cotées devrait s’améliorer.

Stéphanie Bobtcheff - Une des grandes attractivités de la classe d’actifs reste sa taille, idéale pour faire du stock-picking. L’univers des small caps compte beaucoup de titres, avec une certaine dispersion et de nombreux secteurs représentés. Les introductions sont intéressantes parce qu’elles alimentent la cote, mais nous n’y participons que très rarement. Nous sommes plutôt prudents vis-à-vis de sociétés pour lesquelles nous ne disposons pas de longs historiques. Certaines introductions ont été problématiques, les sociétés communiquant sur des business plans qu’elles sont incapables de délivrer.

«Il ne faut pas acheter uniquement pour le prix, mais aussi pour la capacité des entreprises à générer de la croissance, même dans un environnement incertain. »

Eric Biassette Gérant actions ,  Generali Investments

Les récentes introductions en Bourse font-elles émerger de nouveaux secteurs dans l’univers d’investissement des small caps ?

Eric Biassette - L’an dernier, en France, les introductions se sont concentrées sur le secteur des greentech, des fabricants de produits biosourcés et de l’hydrogène avec tout son écosystème. Ces sociétés évoluent sur des marchés en croissance forte, que la Bourse valorise bien en ce moment. Sur des thématiques à la mode, la Bourse joue son rôle, mais cela peut s’avérer dangereux si la valorisation ne reflète pas la réalité.

Raphaël Moreau - En France, le private equity s’est tellement développé qu’il a aspiré toutes les entreprises de qualité et ayant un business model éprouvé. Pour les entreprises ayant des business models plus fragiles ou plus innovants, la Bourse a joué son rôle de financement avec tous les risques que cela comporte.

Marc Saint John Webb - Les sociétés qui s’introduisent en Bourse opèrent souvent dans des secteurs très à la mode et leurs actionnaires viennent y chercher une survalorisation. Quand on regarde ces dossiers, ils concernent toujours des sociétés au meilleur de leur forme, et leurs managements sont honnêtement convaincus que le potentiel de croissance est fort. Ils peignent un avenir assez radieux pour leur entreprise, ce qui leur permet de s’introduire sur des multiples élevés reposants sur des résultats sans doute assez difficiles à atteindre. Les attentes du marché sont alors élevées et le risque de déception est d’autant plus grand.

Raphaël Moreau - Nous participons assez peu aux introductions et nous sommes toujours très prudents sur la valorisation et sur l’histoire que raconte le management. Cependant, nous regardons tous les dossiers, notamment parce que cela fait partie de la condition d’obtention du label Relance, mais nous essayons toujours de comprendre la raison qui pourrait inciter les dirigeants à ne pas exagérer la valorisation. Parfois, cela peut être un intéressement du management sur l’évolution du cours de bourse dans les trois prochaines années. Ce cas-là, qui n’est pas très fréquent, nous interpelle suffisamment pour examiner plus attentivement le dossier.

Ingrid Pfyffer-Edelfelt - Nous regardons tous les dossiers également, car ils participent à l’élargissement de la cote. Il s’agit souvent de nouveaux business models ou des concurrents de valeurs dans lesquels nous sommes investis. Nous sommes toutefois prudents et nous participons à peu d’introductions en Bourse.

La gestion thématique, qui a beaucoup séduit les investisseurs au point de devenir cœur dans certains portefeuilles, est-elle un concurrent de votre classe d’actifs ? L’univers des small caps permet-il d’adresser certaines thématiques porteuses ?

Marc Saint John Webb - Certains fonds thématiques sont lancés par les sociétés de gestion, soit à l’initiative des commerciaux, soit parce que le parcours boursier de certains titres montre l’intérêt des investisseurs pour un secteur en particulier. Il y a un effet de mode important dans ces lancements.

Eric Biassette - L’univers d’investissement des fonds thématiques est souvent assez étroit alors que l’attrait de notre classe d’actifs est la richesse de sa composition. Son vivier très diversifié permet d’identifier de futurs leaders dans de nombreux secteurs. Il y a presque autant de secteurs que de valeurs.

Stéphanie Bobtcheff - Pour certains fonds thématiques, notamment dans la technologie, le sous-jacent pour investir est assez réduit. La gestion thématique a bénéficié d’effets de mode. Je partage l’idée que l’étroitesse de l’univers d’investissement, pour certaines thématiques, renforce au contraire l’attractivité de notre classe d’actifs, qui permet de s’exposer, au sein d’un fonds, à plusieurs thématiques très porteuses. L’intérêt d’investir dans les small caps est justement de faire du picking dans les secteurs de la medtech, de l’hydrogène, de l’intelligence artificielle, etc.

Ingrid Pfyffer-Edelfelt - Les gérants de fonds small & mid caps sont très gâtés, car ils trouvent de tout dans la classe d’actifs. Un fonds small & mid caps peut facilement s’exposer de façon plus directe aux thématiques environnementales, démographiques ou digitales. Du côté de la transition énergétique, de nombreuses mid caps sont dans les énergies renouvelables, des fabricants de pompes à chaleur, des spécialistes de l’isolation, etc. Dans la santé, les supports pour investir dans la thématique du vieillissement de la population sont nombreux. Et enfin, dans la transition numérique, nous avons également de nombreuses petites valeurs technologiques au sein de notre univers. La classe d’actifs permet d’être exposé autant à des thématiques porteuses qu’à des niches d’activités décorrélées du cycle économique.

Pour des gérants de stock-picking, certains secteurs offrent-ils aujourd’hui plus d’opportunité pour la sélection de valeurs ?

Stéphanie Bobtcheff - Structurellement, nous allons privilégier des sociétés qui évoluent sur des secteurs en croissance, dont les marges sont élevées, qui ont une forte génération de free cash-flows. Ce sont les caractéristiques intrinsèques d’une société qui nous intéressent. Aujourd’hui, on trouve ce type de valeurs de qualité dans le secteur de la medtech, des technologies de l’information, mais aussi dans l’industrie où certaines sociétés disposent de fondamentaux solides et évoluent sur des segments de croissance que nous considérons attractifs.

Raphaël Moreau - L’Europe n’est sans doute pas la région qui a la plus forte croissance, mais certains secteurs offrent une bonne visibilité. C’est le cas des activités comme la rénovation énergétique ou liées aux économies d’énergie. Il peut y avoir des mini cycles au sein de cette mégatendance, mais beaucoup d’investissements doivent être faits pour réduire les émissions de carbone. Notre fonds est exposé au secteur de l’isolation du bâtiment, par exemple, à travers des sociétés en Suède, en Belgique ou en Allemagne. Ce sont pour la plupart des sociétés issues de secteurs traditionnels qui innovent en permanence. Peu importe les hypothèses que l’on peut faire sur la croissance européenne, certains secteurs sont très porteurs et on y trouve des sociétés avec des valorisations intéressantes.

Ingrid Pfyffer-Edelfelt - Dans un environnement de marché compliqué, notre portefeuille est assez équilibré, notamment avec une poche défensive représentée par des sociétés offrant une bonne visibilité sur leur profil de croissance. Nous avons aussi une poche investie dans des niches ayant leur propre cycle de croissance, et des sociétés plus ou moins cycliques, qui bénéficient de flux importants ou de subventions dans la transition énergétique et dans la sécurité énergétique.

Marc Saint John Webb - Notre approche est complètement bottom up. Nous ne prenons jamais de décision top down, sectorielle ou géographique. Notre style de gestion est plutôt contrariant, avec un esprit ouvert qui nous amène à regarder les secteurs qui ont mal performé ou les économies en difficulté. Quand un pays ou un secteur n’est pas à la mode, les investisseurs vendent tout et c’est là que nous trouvons de belles opportunités. Cela dit, lorsque nous sélectionnons une valeur, nous allons analyser le secteur dans son ensemble, de même que ses concurrents européens et mondiaux. Cela permet de conforter notre décision d’investissement au regard de ses pairs, mais aussi de détecter d’autres opportunités. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés investis dans trois sociétés scandinaves dans le secteur du retail tech, c’est-à-dire de la technologie qui améliore l’efficacité et l’attractivité des supermarchés.

«C’est au son du canon qu’il faut investir dans la classe d’actifs pour profiter de valorisations attrayantes.»

Marc Saint John Webb Gérant ,  Quaero Capital

Les petites et moyennes entreprises ont-elles progressé en matière de communication ESG ? Avez-vous accès aux données nécessaires pour l’analyse extra-financière ?

Marc Saint John Webb - Aujourd’hui, même les plus petites sociétés communiquent sur les critères ESG. Pour notre part, une fois que nous avons investi dans une société, nous avons une démarche d’engagement constructif sur différents sujets, dont l’ESG. Si nous identifions un problème, nous en parlons avec les dirigeants qui sont de plus en plus réactifs sur le sujet.

Stéphanie Bobtcheff - Les sociétés n’ont plus le choix, elles communiquent de plus en plus sur les données extra-financières, mais il est vrai que plus la taille de capitalisation boursière est petite et plus l’accès à la donnée est difficile. Dans ce cas-là, nous appelons la société pour récupérer les données nécessaires à notre analyse extra-financière. Nous avons également une démarche d’engagement avec l’entreprise. Lors de l’analyse des critères E, S, et G, nous identifions des axes d’amélioration que nous communiquons ensuite à la société. On constate un réel intérêt de la part des entreprises et une volonté de progresser. Elles nous appellent parfois en amont des assemblées générales pour évoquer notamment des sujets de gouvernance. 

Raphaël Moreau - Notre combat ne porte plus tellement sur l’accès global à l’information, car les entreprises communiquent plus facilement les données ESG, mais plus spécifiquement sur le bilan carbone. Nous faisons de l’engagement notamment avec la campagne CDP (Carbon Disclosure Project). Dans notre portefeuille, environ un tiers seulement des entreprises a répondu au CDP, même si elles ont un bilan carbone dans leur rapport annuel. Globalement, il y a eu beaucoup d’amélioration dans la communication des données ESG, mais il reste un écart important entre les petites et les grandes valeurs. Par conséquent, au sein d’un même secteur, elles sont souvent moins bien valorisées à cause notamment de ce manque de communication ESG. Si elles améliorent leur communication sur ces sujets, il y aura peut-être une convergence des valorisations.

Ingrid Pfyffer-Edelfelt - Nous mettons en œuvre notre propre méthodologie ESG qui repose sur l’analyse des relations des entreprises avec cinq parties prenantes : salariés, fournisseurs, actionnaires, planète, et société civile. Nous engageons un dialogue avec les sociétés qui nous répondent désormais très rapidement. Même si elles ont amélioré leur communication, elles sont parfois mal notées par les agences de notation, car leurs réponses ne rentrent pas toujours dans les cases. Notre valeur ajoutée est d’aller plus dans le détail de ce qu’elles font, ce qui peut leur conférer une note ESG parfois différente de celle des agences de notation. Aujourd’hui, les entreprises sont bien conscientes de l’impact que peut avoir une mauvaise note ESG ou une controverse sur leur cours de Bourse, sur leurs comptes ou sur leur capacité à attirer des talents.

Raphaël Moreau - Une des évolutions récentes concerne également les relations des entreprises avec leurs clients, qui sont de plus en plus exigeants et demandeurs d’informations ESG dans les appels d’offres. Cela touche directement leur activité donc elles n’ont pas d’autre choix que de s’y mettre. Celles qui sont le plus en avance détiennent ainsi un avantage compétitif au sein de leur secteur.

Eric Biassette - Notre approche extra-financière s’appuie sur des prestataires externes, et notamment sur EthiFinance, pour les petites et moyennes valeurs françaises. Sa couverture de l’univers français est très profonde et extrêmement détaillée, avec une centaine de critères analysés. La qualité des informations accessibles est assez impressionnante, et l’on constate que les petites sociétés recrutent pour mieux communiquer sur leur politique ESG. Concernant notre fonds investi dans les PME-ETI, je m’assure que la note ESG du fonds est meilleure que la moyenne de l’univers couvert, mais aussi pour la note « S », du pilier social. Cette approche de développement durable est cohérente avec l’histoire du fonds, qui a été créé en soutien à l’économie locale, à l’initiative de la Fédération française de l’assurance en pleine crise du covid. 

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