Table ronde

La gestion d’actifs face au défi de la transition écologique

Publié le 4 juillet 2023 à 11h30

Catherine Rekik

Au-delà des déclarations d’intention et de l’adhésion à des grands principes, quel rôle peuvent jouer les sociétés de gestion dans la lutte contre le réchauffement climatique et la transition écologique ? Comment prendre en compte ces enjeux dans la construction d’un portefeuille ? Comment expliquer autant de disparités dans les approches proposées ? Quelles sont les évolutions réglementaires qui permettent une meilleure lecture de l’offre ? Peut-on concilier transition écologique et performance financière ? Si les investisseurs institutionnels se sont déjà emparés du sujet, comment sensibiliser la clientèle privée ? 

Les intervenants :

  • Bassel Choughari, gérant, Montpensier Finance
  • Jean-Philippe Desmartin, directeur de l’investissement responsable, Edmond de Rothschild AM
  • Edmond Schaff, gérant et responsable ISR, Sanso IS

Comment la gestion d’actifs s’est-elle emparée du sujet de la transition écologique ? Comment des enjeux planétaires sont-ils devenus des thèmes d’investissement ? 

Jean-Philippe Desmartin : La question du climat et de l’écologie s’inscrit dans toutes les démarches responsables mises en place depuis des décennies. En 1987, le rapport Brundtland définit le développement durable d’un point de vue global et macroéconomique et pose la question des équilibres d’un point de vue social et environnemental. Depuis, les acteurs économiques tels que les entreprises et les investisseurs se demandent comment mettre en œuvre ce développement durable. Ces acteurs ont progressivement intégré ces facteurs ESG. Le concept de transition écologique a quant à lui pris tout son sens avec l’Accord de Paris de 2015, qui pose le grand challenge de décarboner une économie mondiale aujourd’hui carbonée à 80 %, le plus rapidement possible en raison de l’urgence climatique.

Edmond Schaff : La transition énergétique, qui concerne plutôt la question du climat, ou la transition écologique, qui englobe aussi l’ensemble des limites planétaires, les impacts sur la biodiversité, etc. sont des questions qui concernent la société dans son ensemble : tous les acteurs, qu’ils soient politiques, économiques ou citoyens, mais aussi le secteur financier dans son ensemble – banques, assureurs et gestionnaires d’actifs – ont un rôle à jouer. Les gestionnaires d’actifs se sont emparés de cette question et se sont mis à l’intégrer dans leurs processus d’investissement. A notre échelle, nous pouvons faciliter le développement des entreprises et des émetteurs ayant des projets qui vont dans le sens de la transition en leur apportant des financements, en investissant dans des green bonds sur le marché primaire, en faisant du financement de projets ou en étant au capital des entreprises vertueuses selon les spécificités et possibilités de chaque société de gestion. Notre rôle est aussi de compliquer le développement des entreprises qui ne sont pas sur une trajectoire de transition en décidant de ne plus y investir ou alors de réaliser des actions d’engagement auprès de ces entreprises avec pour objectif d’infléchir leur stratégie. 

Bassel Choughari : Il est intéressant de constater que l’on qualifie encore d’extrafinanciers des sujets qui sont en réalité aussi financiers. Le risque réputationnel est par exemple un risque financier. Nous évoluons dans un monde qui adopte de plus en plus une logique de pollueur-payeur, donc l’entreprise doit adapter sa stratégie, sinon il y aura un impact financier. Je ne suis pas certain que vouloir dissocier les deux et se dire qu’il faut prendre en compte des critères extrafinanciers ou aller chercher de la performance dans l’absolu soit la bonne approche. Ces deux approches doivent être de plus en plus intégrées. C’est vrai pour nous en tant que société de gestion, mais c’est aussi le cas pour les entreprises qui ont maintenant des plans stratégiques qui ne sont plus uniquement financiers parce que le régulateur le leur demande, parce que leurs clients le leur demandent ainsi que les citoyens. 

Les contraintes imposées par les régulateurs ou la perspective de sanctions économiques et financières motivent donc les entreprises… 

Bassel Choughari : Ce n’est pas forcément la crainte d’être sanctionné… Aujourd’hui, tous les acteurs ont compris que nous ne pouvons plus agir comme par le passé et qu’il faut avoir une approche plus responsable. Dans ce contexte de prise de conscience collective, il est donc du devoir de tous d’y contribuer, les entreprises, les asset managers, les états, les ONG, etc. 

Edmond Schaff : La TCFD (Task Force on Climate Related Financial Disclosure) fait bien le parallèle entre l’extrafinancier et le financier, et montre comment les entreprises vont être impactées au niveau des bilans et des comptes de résultat par les risques et opportunités liés à la transition énergétique et au changement climatique. C’est non seulement la crainte de la sanction de la réglementation mais aussi la volonté de saisir des opportunités. En effet, les clients demandent de plus en plus de produits respectueux de l’environnement et les entreprises ne peuvent pas prendre le risque d’être distancées par des concurrents ayant une technologie plus verte et plus respectueuse de l’environnement. 

Jean-Philippe Desmartin : Le rôle des sociétés de gestion est de participer au financement de l’économie réelle, et non pas d’être dans une logique de spéculation. Il y a eu beaucoup de débats sur le rôle de la finance depuis 2008 et, dans cette logique de transition écologique, elle retrouve sa raison d’être en lien avec les sociétés et les économies. Pour investir dans la transition écologique, il faut bien en comprendre les tenants et les aboutissants, s’inscrire sur le long terme et être lié à l’économie réelle.

Bassel Choughari : En tant que société de gestion, nous avons également un rôle pédagogique auprès de nos clients, qu’ils soient institutionnels ou particuliers. Il ne s’agit plus seulement de gérer des produits responsables, mais aussi d’informer. Régulièrement, Montpensier Finance publie des livres blancs sur des solutions climatiques – le dernier s’intitule « La Révolution de la Mobilité » –, l’objectif est de sensibiliser les investisseurs à l’importance de la transition climatique.

Avez-vous constaté une évolution dans l’appréhension et la compréhension des sujets par les investisseurs autres qu’institutionnels ? 

Jean-Philippe Desmartin : Il faut bien sûr distinguer les investisseurs institutionnels de la clientèle des banques privées et du retail. Nous avons constaté, depuis l’Accord de Paris en 2015, une accélération de ces sujets et les investisseurs institutionnels européens, notamment français, ont une bonne compréhension des enjeux ESG et ont intégré systématiquement la partie climat. Ils commencent à s’intéresser à la biodiversité pour avoir progressivement une approche globale de la transition écologique. Un certain nombre d’investisseurs institutionnels et de sociétés de gestion en France ont rejoint l’initiative Net Zero Asset Managers qui a été créée fin 2019. C’est le cas d’Edmond de Rothschild AM depuis mai 2023 après réflexion, car cet engagement a des conséquences fortes. En tant qu’investisseurs, nous pouvons proposer des fonds verts ainsi que des mandats sur lesquels les investisseurs veulent un pilotage précis sur le climat voire la biodiversité. La Net Zero AM engage l’ensemble de la société de gestion. C’est un double défi, car il faut passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats. Il ne faut pas oublier que, longtemps, l’investissement responsable a surtout été une logique d’obligation de moyens. Et, depuis 2021, avec la régulation européenne, nous sommes dans une logique de résultats compte tenu de l’urgence climatique.

Bassel Choughari : La tendance va continuer à s’accélérer. Les investisseurs institutionnels sont très sensibilisés aujourd’hui en Europe, quant aux particuliers, le mouvement a redémarré. Les théories classiques en économie nous apprennent qu’en corollaire de la consommation il y a l’épargne. Du point de vue de la consommation, la population aimerait de plus en plus de produits locaux, bio, de l’économie circulaire et des produits recyclés. C’est une tendance croissante qui s’affirme en particulier dans les jeunes générations. Or, ces jeunes générations, qui sont déjà convaincues en tant que consommateurs, vont bientôt devenir des épargnants. Au fur et à mesure de l’augmentation de leurs revenus, ils appliqueront les mêmes principes à leur épargne. 

Cet intérêt croissant des investisseurs aussi bien institutionnels que particuliers reste-t-il très européen ? Le sujet est-il principalement porté par les asset managers européens ? 

Jean-Philippe Desmartin : En Amérique du Nord ou en Asie, les investisseurs commencent à manifester de l’intérêt pour ces sujets à travers les fonds thématiques et l’offre de solutions environnementales et/ou sociales. Mais c’est en Europe que l’intérêt est le plus fort et la démarche plus structurée. L’Europe doit être prise en considération au sens large, car, en plus de l’Union européenne, nos amis britanniques, norvégiens ou suisses travaillent sur ces sujets depuis longtemps. Aux Etats-Unis, la façon dont l’ESG est traité aujourd’hui dans le cadre de la campagne américaine montre que nous ne sommes pas dans les mêmes logiques. En comparaison, nous voyons bien en Europe combien le sujet est beaucoup plus mature et intégré, y compris dans la façon dont la chaîne de l’investissement fonctionne, c’est-à-dire dans la notion de responsabilité fiduciaire, qui est très importante pour nous tous. En Europe, on considère qu’intégrer l’ESG, le risque climat, etc. dans les processus de gestion fait partie de notre responsabilité financière. C’est un acquis très fort. L’Amérique du Nord et l’Asie n’y sont pas encore.

Bassel Choughari : Les Etats-Unis sont très clivés à ce sujet. C’est devenu un débat politique fort entre les Etats comme la Californie ou New York, qui partagent la même sensibilité européenne et d’autres qui rejettent les normes ESG voire les interdisent.

Edmond Schaff : La question de la responsabilité fiduciaire a été tranchée il y a très longtemps, avant la création des PRI (Principes pour l’Investissement Responsable lancés par les Nations Unies en 2006 - ndlr), par le rapport Freshfields, qui disait clairement que les investisseurs avaient la possibilité et même le devoir d’intégrer les questions ESG dans leurs décisions d’investissement parce que ça pouvait impacter de façon matérielle les entreprises sur le plan financier. Et donc là, on valide clairement la première dimension de la double matérialité que nous avons en Europe. C’est ce qui est en train d’être remis en question aux Etats-Unis par certains Etats républicains, mais c’est à mon sens une position purement idéologique. L’Europe est allée encore un cran plus loin que ce qui avait été établi par ce rapport puisqu’on a ajouté la dimension de double matérialité, c’est-à-dire l’impact que va avoir l’entreprise sur les questions environnementales et sociales. A mon avis, d’autres régions finiront par rejoindre les positions de l’Europe. 

Jean-Philippe Desmartin : L’intérêt est aussi porté par l’effet générationnel qui a été mentionné précédemment. Par exemple, au sein de la clientèle des banques privées ou des family offices, on constate un écart très net entre, d’une part, les parents et les grands-parents et, d’autre part, les enfants et les petits enfants. Certaines dynamiques sont portées par les nouvelles générations, qui ont des attentes beaucoup plus fortes en matière d’intégration de l’ESG.

Edmond Schaff : Le constat est valable aussi pour la clientèle des conseillers en gestion de patrimoine. Les cabinets animés par des personnes plus jeunes ont généralement plus d’appétence pour l’ESG tandis que certains CGP plus âgés font preuve de moins de réceptivité sur ces sujets.

«Le label Greenfin incarne bien la démarche de transition écologique à impact. Il est contraignant, ce qui explique que peu de fonds aient recherché ce label. Nous considérons que c’est une belle avancée française. »

Bassel Choughari Gérant ,  Montpensier Finance

Pourquoi sont-ils plus réticents ? Sont-ils toujours convaincus que les produits responsables génèrent moins de performance ? 

Jean-Philippe Desmartin : Plus le temps passe et moins le débat investissement responsable versus performance est pertinent ! Cette question avait du sens il y a 25 ans puisqu’à l’époque, il n’y avait pas de méthodologie, pas de data ni de courbes d’expérience. La réticence de certains renvoie plutôt à une question d’éducation : toute une génération d’investisseurs et de CGP, qui n’a jamais eu un seul cours, une seule sensibilisation sur les sujets de durabilité alors que les jeunes générations sont sensibilisées dès l’école primaire et à l’université ou dans les écoles d’ingénieur ; il y a désormais de nombreux cursus sur la durabilité. Cela fait partie de leur quotidien, avec plus de pression que par le passé sur des sujets comme le climat, la biodiversité ou l’eau. Pour une société de gestion, sensibiliser toutes les parties prenantes, les clients, mais aussi les équipes en interne est un sujet clé. Il faut faire de la pédagogie et simplifier les sujets.

Justement, vous évoquez la nécessité de simplifier ces sujets, mais en parallèle, l’industrie et les investisseurs sont confrontés à une multitude de labels en Europe, une refonte du label français dont les contours ne sont pas encore arrêtés, des déclass

Bassel Choughari : Au-delà de la complexité réglementaire des sujets, soyons positifs et retenons le fait que l’industrie et les investisseurs vont dans la bonne direction. Aujourd’hui, il n’existe pas réellement de standards communs, mais les réflexions avancent pour aboutir à un consensus qui sera d’abord européen et nous l’espérons, un jour, mondial. Prenons l’exemple de la taxe carbone qui a été lancée par les Européens, qui a évolué progressivement et a fini par être répliquée par les Chinois. 

Il y a différents labels et différentes approches selon les pays européens et l’idée de la réglementation, avec par exemple la taxonomie, est de rechercher une harmonisation. Ces avancées sont donc positives puisque nous parlons d’un cadre normatif qui n’existait pas il y a 15 ans. Nous sommes tous conscients qu’il s’agit d’un processus progressif orienté dans la bonne direction. 

Jean-Philippe Desmartin : La période pionnière de l’investissement durable est terminée depuis au moins cinq ans. Sa montée en puissance passe par une nécessaire régulation. La complexité actuelle vient de la phase de transition dans laquelle nous nous trouvons, une phase très compliquée qui devrait durer quelques années encore, mais dont nous devrions sortir par le haut. Un client, quel qu’il soit, ne s’intéresse pas à la régulation. Il veut qu’on lui parle de son portefeuille et de sujets concrets : comment est pilotée la décarbonation d’un mandat ? quels sont les titres sélectionnés ? pourquoi avoir arbitré entre telle ou telle valeur ? Vis-à-vis du client, l’enjeu en tant que société de gestion est de bien faire notre travail d’analyste et d’investisseur. Suivre les évolutions réglementaires est notre problème, pas le sien ! 

Edmond Schaff : En attendant une régulation mature et stable, chez Sanso IS, nous essayons de faire de notre mieux en prenant quelques métriques très concrètes sur lesquelles nous allons communiquer auprès de nos clients pour essayer de leur faire comprendre en quoi notre portefeuille et nos investissements sont différents d’un investissement standard dans un indice de marché. Ces métriques doivent être simples à appréhender pour tous les clients. Cela peut être, par exemple, le pourcentage du chiffre d’affaires des entreprises en portefeuille qui est réalisé sur des activités permettant de mettre en œuvre la transition énergétique. Ou bien le coût induit pour les entreprises par une taxe carbone qui serait non plus européenne mais mondiale et qui couvrirait l’ensemble des émissions de CO₂, ce qui finira bien par arriver un jour ou l’autre. Ce peut être également l’intensité carbone ou les émissions de gaz à effet de serre du portefeuille, etc. 

Depuis quelques mois, les CGP et les distributeurs sont confrontés aux questionnaires de préférences de durabilité que les clients doivent remplir. Cela suppose quand même qu’ils soient à l’aise avec toutes ces notions pour en parler aux clients. Interrog

Bassel Choughari : Tous les clients n’expriment pas le souhait d’agir en faveur du climat ou de la biodiversité ! L’objectif de la réglementation est d’améliorer la lisibilité pour le client final. La thématique du climat en est un bon exemple. Il existe une multitude de fonds climatiques aux stratégies très diverses. Notre conviction d’asset manager est qu’un fonds climatique doit offrir un vrai niveau de pureté conforme à cette thématique et proposer un produit qui porte effectivement son nom.

Il faut donc se fier à un label, Greenfin ou ISR…

Bassel Choughari : Le label est déjà un premier gage, mais le fait est qu’il existe en Europe plusieurs labels avec des normes très différentes. Dans une logique d’harmonisation, l’Europe a mis en place le règlement des articles 8 et 9 SFDR. Cette classification permet de distinguer les produits vert clair et vert foncé. 

Jean-Philippe Desmartin : Il faut distinguer les labels généralistes, comme le label ISR, qui existent dans de nombreux pays, des labels plus spécialisés comme les labels green. Les labels généralistes ont deux mérites : obliger à la transparence des portefeuilles et assurer qu’il y a une cohérence entre ce qu’un asset manager dit et ce qu’il fait. Mais ce n’est pas pour autant qu’un label va garantir la qualité d’un portefeuille du point de vue de la durabilité ou de l’accompagnement vers la transition. Le label garantit une démarche et une certaine forme de transparence, mais pas forcément le résultat.

«Pour investir dans la transition écologique, il faut bien en comprendre les tenants et les aboutissants, s’inscrire sur le long terme et être lié à l’économie réelle.»

Jean-Philippe Desmartin Directeur de l’investissement responsable ,  Edmond de Rothschild AM

Êtes-vous satisfait des contours du nouveau label ISR ? 

Edmond Schaff : Le label reste unique, ce que nous considérons comme un problème, car il y a actuellement plus de 1 000 fonds labellisés. Il y en aura peut-être moins avec le nouveau cahier des charges, néanmoins, nous souhaiterions qu’il y ait différentes catégories, quitte à rassembler sous une même bannière les autres labels existants comme le label Greenfin et le label Finansol. Il faudrait cinq ou six catégories différentes avec des explications très simples pour chaque catégorie pour que l’épargnant puisse aller vers ce qui l’intéresse le plus : des fonds très purs sur l’environnement, sur le social, des fonds de transition, des fonds plutôt éthiques pour les gens qui ne veulent pas du tout d’énergies fossiles, etc. 

Par ailleurs, nous pensons que le label n’établit pas suffisamment de passerelles avec la réglementation européenne, puisqu’en fait, il se réfère simplement aux principales incidences négatives. Il s’appuie toujours sur un certain nombre de spécificités très franco-françaises comme la notation ESG globale avec en plus, désormais, des pourcentages minimums pour chacun des trois piliers. Ce serait plus intéressant que le label s’appuie également sur la définition de l’investissement durable pour éviter que les sociétés de gestion aient à composer avec différents référentiels, un référentiel français du label, un référentiel du règlement SFDR, etc.

Jean-Philippe Desmartin : Contrairement aux labels belge et allemand, le label ISR français n’avait pas un minimum d’exclusion. Or, il y a des sujets comme les armes controversées ou le tabac, qui constituent des standards minimaux d’exclusion dans une logique d’harmonisation européenne. Le label ISR est dans une phase de consultation, et sa version finale ne sera connue qu’en septembre. Certains points peuvent encore évoluer. Le débat sur le poids entre le S et le G reste, par exemple, ouvert ainsi que celui sur le taux de sélectivité qui passerait de 20 à 30 %. Nous attendons donc de voir simplement le résultat final pour évaluer un éventuel impact sur notre douzaine de fonds labellisés ISR.

Concernant, le label Greenfin, nous soutenons l’idée qu’il faut aller vers une logique d’harmonisation européenne, mais il ne faut pas ajouter à la complexité et à la confusion actuelle. Le label Greenfin français repose aujourd’hui sur une taxonomie établie il y a quelques années, qui a le mérite d’être plus large que la taxonomie européenne. Pour rappel, la taxonomie européenne précise ce qui est vert, mais surtout ce qui doit être financé en urgence. Raison pour laquelle ce label ne couvre que 3 % de l’économie européenne. Dans le débat actuel sur l’évolution du Greenfin, nous pensons que s’il est judicieux d’aller vers plus d’harmonisation, il faut laisser aux investisseurs la possibilité de travailler sur les deux taxonomies, d’autant que la taxonomie européenne est l’objet de nombreux débats et pas seulement en raison de sa complexité. Il faut être exigeant, mais garder un peu de souplesse !

Bassel Choughari : Notre fonds M Climate Solutions dispose des labels français Greenfin et ISR et du label belge Towards Sustainability. Le label Greenfin prévoit des exclusions très strictes et des objectifs d’impact précis. Le but du fonds est vraiment d’investir dans des apporteurs de solutions et des entreprises qui apportent un impact positif. L’intérêt de disposer des 3 labels est d’aider les investisseurs à faire leur choix d’un fonds à la recherche d’impact positif. 

Le Label Greenfin est celui qui incarnerait le mieux l’objectif de transition écologique et d’impact ?

Jean-Philippe Desmartin : Oui et non, parce que ce label est très bien pour les fonds spécialisés, mais il ne faut pas oublier que la masse des investissements qui doivent être orientés vers la transition concerne l’ensemble des fonds et pas simplement des fonds spécialisés thématiques. Le label Greenfin est très bien avec sa logique d’impact, mais il sera très insuffisant si on veut véritablement avancer. 

Bassel Choughari : Le label Greenfin incarne bien la démarche de transition écologique à impact. Il est contraignant, ce qui explique que peu de fonds aient recherché ce label. Nous considérons que c’est une belle avancée française. 

Jean-Philippe Desmartin : Il est construit pour des fonds thématiques, mais on ne peut pas faire de la gestion mondiale ou européenne uniquement avec des fonds thématiques. Si on veut contribuer efficacement à la transition, il faudrait qu’il n’y ait plus un seul fonds classé article 6, que tous soient classés articles 8 et 9. Et sur cette masse, tout ne peut pas être labellisé Greenfin.

Bassel Choughari : Je ne partage pas complètement cette idée. Au contraire, je suis convaincu que la thématique est l’avenir de la gestion active pour une raison simple : elle améliore significativement la compréhension du client final. D’un point de vue de l’allocation d’actifs, la thématique, quelle qu’elle soit, apporte une lisibilité accrue et lui permet de gérer ses expositions d’une manière complémentaire. La thématique évite ainsi les biais d’un fonds généraliste, qui peut, un jour, être exposé à 40 % aux valeurs pétrolières et le lendemain aux énergies renouvelables. Si le fonds thématique est bien conçu et respecte des critères de pureté vis-à-vis de la thématique, il apporte une réelle valeur ajoutée au client final, qu’il soit institutionnel ou privé.

Edmond Schaff : Tout un pan de l’économie ne rentre pas spécialement dans une thématique. Or, il faut bien financer aussi ces activités et les accompagner. Sur les enjeux liés au climat, il existe aujourd’hui deux types de portefeuilles. Des portefeuilles très thématiques orientés vers les entreprises qui offrent des produits ou des services qui vont contribuer directement à la transition énergétique (énergies renouvelables, efficacité énergétique, véhicules électriques, etc.). Pour les fonds ayant ce profil, avoir le label Greenfin, c’est un plus. Toutefois, ce sont des produits qui présentent des biais importants de style, de secteur, de taille et aussi un risque spécifique qui est important. Nous constatons que ces produits ne conviennent pas à tous les types d’investisseurs. Il y a certains investisseurs qui ne souhaitent pas être investis sur des produits aussi volatils. Il existe également des fonds climat orientés non seulement vers les entreprises vertes, mais aussi vers les autres entreprises du reste de l’économie qui sont en transition. Ces produits ne sont pas éligibles au label Greenfin. Ces deux types d’approches sont vraiment complémentaires l’une de l’autre et ont vocation à coexister. 

Passer tous les fonds en article 8 et article 9 comme cela a été évoqué précédemment, n’est-ce pas une réduction trop importante des univers d’investissement ? Une contrainte trop importante en termes d’offre de produits et de sélection de valeurs ? 

Edmond Schaff : En ce qui concerne l’article 9, l’objectif est en effet bien de réduire l’univers d’investissement puisqu’il faut investir dans des entreprises durables. L’Union européenne a décidé de laisser la main à chaque asset manager pour définir l’investissement durable. Chez Sanso IS, par exemple, ce qui est durable représente à peu près 40 % de l’indice MSCI World. On laisse donc de côté, pour les fonds Article 9, tout un pan de l’économie qui n’a pas forcément vocation à disparaître, mais qui peut être durable ou pas. Par exemple, en ce qui concerne de nombreuses sociétés des secteurs comme les logiciels ou les médias, nous n’avons pas identifié de contribution environnementale ou sociale positive particulière. En revanche, la plupart du temps, ces entreprises n’ont pas non plus de problèmes en termes de respect des PAI, du DNSH ou de gouvernance. Ces sociétés peuvent donc être présentes dans les fonds Article 8 pour lesquels nous écartons uniquement les entreprises qui ont des contributions environnementales ou sociales sensiblement négatives. 

Jean-Philippe Desmartin : La contrainte dépend de l’univers d’investissement du gérant. Si cet univers est mondial, avec la possibilité d’investir dans 5 000 ou 10 000 entreprises, il trouvera toujours les marges de manœuvre. C’est plus compliqué pour un fonds monopays, car l’univers de départ est beaucoup plus restreint. Techniquement, il faut bien penser à cela dans les sujets de transition.

Edmond Schaff : Il faut aussi être attentif au profil des entreprises que l’on va trouver dans un univers plus restreint comme celui des fonds article 9. Ces entreprises présentent en effet fréquemment les mêmes caractéristiques : ce sont des petites et moyennes valeurs en croissance, notamment dans les secteurs de l’industrie, de la santé ou des services aux collectivités. De ce fait, même en partant d’univers larges, les fonds article 9 présenteront presque tous les mêmes biais et auront tendance à sur ou sous-performer le marché global dans les mêmes périodes.

«Notre rôle est aussi de compliquer le développement des entreprises qui ne sont pas sur une trajectoire de transition en décidant de ne plus y investir ou alors de réaliser des actions d’engagement. »

Edmond Schaff Gérant et responsable ISR ,  Sanso IS

Pour revenir à l’enjeu du climat, quels sont les secteurs et les valeurs qui y répondent le mieux ? Que recherchez-vous comme sociétés, celles qui apportent des solutions, celles qui sont en transition ? 

Bassel Choughari : Deux approches sont nécessaires : celle qui encourage les entreprises à mieux faire pour le climat et celle qui privilégie les apporteurs de solutions climatiques. C’est cette dernière approche que nous avons retenue dans notre fonds : choisir entre les entreprises qui aident le reste du monde à se décarboner. Les deux approches se complètent puisque les apporteurs de solutions climatiques aideront les autres entreprises à être plus vertueuses. Ce sont des clients potentiels qui ont également des besoins de financement. 

Jean-Philippe Desmartin : Le sujet du climat est très concentré, à la fois dans les volets risques et opportunités, quand on regarde les portefeuilles. Quels que soient les indicateurs retenus (température, émissions de CO₂, intensité carbone, scope 1, 2 ou 3…), 5 % des investissements vont représenter 60 % des risques. Dans le cas d’une feuille de route élaborée pour la société de gestion, et pas seulement pour un ou deux produits, il faut, dans la durée, augmenter progressivement la part verte et pour le reste, bien distinguer les sociétés en transition. Ensuite, tout dépend en effet des souhaits que les clients expriment, soit en souscrivant à des fonds ouverts ou soit dans le cadre de mandats dédiés.

Edmond Schaff : Dans notre approche climat, nous couvrons non seulement les entreprises qui permettent aux autres de mettre en œuvre leur transition, mais aussi les entreprises en transition. Cela représente un très large spectre de secteurs et d’activités. On prend une photo de l’entreprise aujourd’hui pour voir où elle en est en termes de transition énergétique et climatique, comment se répartit le chiffre d’affaires entre les activités contribuant directement à la transition et les activités fortement émettrices de gaz à effet de serre, qui vont devoir se transformer en profondeur ou disparaître dans les décennies à venir. Nous regardons ensuite la dynamique de son action, les engagements pris pour l’avenir et les plans d’investissement pour les réaliser. Cette approche nous permet de faire notre sélection sur un large panel de sociétés dans des secteurs évidents comme les services aux collectivités, l’industrie, les matériaux, les énergies renouvelables, mais aussi le secteur financier, qui va jouer indirectement un rôle au travers de ses choix de financement, la consommation, l’automobile, l’agroalimentaire, la technologie, etc. 

Dans le choix d’un fonds ou d’une stratégie qui adresse la transition écologique, que ce soit à travers le climat ou la biodiversité par exemple, le client s’interroge-t-il sur la performance du produit comme il le fait pour un produit classique ? Faut-il

Bassel Choughari : Tout dépend du type de fonds auquel le client s’intéresse, si c’est un fonds généraliste ou thématique. Le profil de performance de ces deux types de fonds est différent. Dans la gestion thématique, le but étant d’avoir un profil d’alpha différent ou décorrélé d’un fonds généraliste. Quand on fait de la gestion thématique au sens strict, tout le travail d’un asset manager est d’expliquer à ses clients que dès lors que l’univers d’investissement est restreint, il peut y avoir des périodes où la thématique fonctionne moins bien. Typiquement, le climat est un bon exemple puisque, depuis deux ans, le marché a préféré des valeurs hors transitions écologiques telles que les pétrolières, les matières premières ou la défense. La plupart des sondages indiquent pourtant que 80 % des clients veulent que leurs investissements aient un impact positif. Il y a toujours ce débat entre la fin du monde et la fin du mois !  

Jean-Philippe Desmartin : En effet, si 80 % des investisseurs souhaitent avoir un impact positif, ils ne sont pas prêts à ce que cela affecte leurs attentes d’un point de vue financier et en termes de couple rendement/risque. Quel que soit le type de clients, quand on fait un point sur leurs investissements, la réaction n’est pas la même selon le niveau de performance. Si celle-ci est en ligne avec le marché, on passe 55 minutes du temps à parler de durabilité et 5 minutes de performance. A l’inverse, si la performance est moins bonne, on y consacre 55 minutes du rendez-vous et 5 minutes à la durabilité ! Le client veut qu’il y ait une sorte de respect de l’équation. Il n’attend pas un alpha en particulier, mais il veut que le produit soit au moins en ligne avec le marché. 

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