Table ronde

La gestion des fonds de mid & small caps 

Publié le 27 mars 2020 à 11h50    Mis à jour le 1 avril 2020 à 14h50

Propos recueillis par Catherine Rekik

Face à une crise inédite, tant par sa nature que par son ampleur, Funds a interrogé quatre gérants de fonds investis dans des midcaps pour faire le point sur leur méthode de travail et la gestion de cette crise.

De quoi se compose cette classe d’actifs ? Quel est l’univers d’investissement dans lequel vous intervenez (taille des sociétés en chiffre d’affaires et des capitalisations boursières, secteurs d’activité, type de management, prépondérance d’un style grow

William Higgons

La classe d’actifs est composée de toutes les sociétés dont la capitalisation boursière est inférieure à celles qui composent le CAC 40. Toutes ces valeurs sont représentées par le CAC Mid & Small. La limite haute de capitalisation boursière peut être élevée : en 2019, par exemple, la capitalisation boursière d’ADP a dépassé 18 milliards d’euros. 

Pratiquement tous les secteurs sont représentés dans l’univers d’investissement. Quand on a une approche value comme la nôtre, on investit dans des entreprises familiales qui sont une des caractéristiques de cet univers. Ces sociétés familiales ont la particularité de maîtriser leur croissance. Elles savent que leurs cours de Bourse vont s’ajuster progressivement à l’évolution des bénéfices nets par action, elles ne cherchent pas à accélérer leur croissance pour plaire au marché. Les sociétés familiales pensent que le monde est incertain et elles ne cherchent pas à vendre du rêve. Elles représentent 70 % de notre univers d’investissement. 

Diane Bruno et Marie Guigou 

Nous intervenons dans le monde des petites et moyennes valeurs en Europe : un univers de capitalisations boursières allant d’environ 400 millions à 10 milliards d’euros. Les petites et moyennes valeurs regorgent de business modèles de niche adressant des secteurs très diversifiés : de la fabrication de peau de saucisse à la livraison de repas à domicile, ou encore des sociétés de consulting ou des sociétés proposant de la dératisation, etc. 

Les managements de ces sociétés ont la particularité d’avoir une vision très concrète et précise de leur business : la taille plus réduite de leurs sociétés leur permet d’allier vision stratégique de long terme et implication dans la gestion quotidienne des opérations.

En tant que gérantes, nous adressons cette classe d’actifs en privilégiant une gestion croissance : nous cherchons à acheter des petites sociétés qui deviendront les grandes de demain.

Jean-Luc Ménard

La définition de la classe d’actifs pour le fonds CM-CIC Small & Midcap Euro est la suivante : des valeurs présentant une capitalisation boursière comprise entre 200 millions et 10 milliards d’euros à la date d’achat. Au sein de la zone euro, cela représente plus de 600 valeurs. Nous avons la possibilité de conserver les positions qui ont dépassé les 10 milliards de capitalisation boursière quand celles-ci affichent un potentiel d’appréciation significatif à moyen terme. Le fonds est composé de valeurs qui se développent, donc en croissance. Les valeurs moyennes liquides sont privilégiées. Les secteurs découlent du choix de valeurs, cependant la santé et la technologie sont fortement pondérées.

Pouvez-vous nous rappeler quel est le processus d’investissement mis en œuvre dans les fonds que vous gérez ? Quels sont les critères de sélection des titres ? Quels sont les premiers filtres appliqués ?

Diane Bruno et Marie Guigou

Au sein de notre univers de petites et moyennes valeurs, nous recherchons les sociétés qui vont tirer leur épingle du jeu par rapport aux grands acteurs de ce monde. Le critère de leadership est une bonne réponse à cette attente ! Nous sélectionnons donc des leaders de cotation (sociétés qui n’ont pas de concurrents cotés en Europe), des leaders mondiaux qui détiennent plus de 20 % de part de marché ou des leaders locaux.

Parmi ces leaders, nous recherchons les entreprises capables de délivrer de la croissance pérenne et rentable à travers le temps. Nous analysons à quel point la société s’appuie sur divers moteurs de croissance (innovation, internationalisation, réglementation, acquisition et cycle) : plus une société compte de leviers diversifiés de croissance, plus sa croissance est visible, et plus grande est notre conviction sur ce titre. 

La combinaison des critères de leadership avec ceux de croissance nous permet de sélectionner une cinquantaine de leaders en portefeuille.

Jean-Luc Ménard

La sélection de valeurs repose sur une analyse du modèle économique des entreprises et sur leur valorisation. Afin d’apprécier le potentiel de création de valeur à moyen terme, un modèle de valorisation qui s’appuie sur le ratio rapportant la valeur d’entreprise au résultat d’exploitation est utilisé, permettant ainsi de prendre en compte à la fois la dynamique opérationnelle et la structure bilancielle.

Les valeurs ciblées sont les entreprises dont le modèle économique est solide et lisible, bien positionnées sur des marchés porteurs, et qui ont une dynamique de croissance propre : des sociétés qui ont enclenché un cercle vertueux de croissance.

En complément, un scoring interne mis à jour sur une base mensuelle permet de classer les entreprises d’un univers défini entre elles, suivant des critères de croissance des bénéfices attendus, notamment. Il sert par exemple de radar pour détecter de nouvelles idées d’investissement.

William Higgons

Nous faisons un screening de la totalité des valeurs hors CAC 40. Nous recherchons principalement les plus faibles prix sur cash-flow et les sociétés dont la rentabilité des fonds propres est supérieure à 10 %. Nous portons ensuite une attention particulière à l’endettement. Nous excluons également toutes les sociétés dont le cours de Bourse a baissé de plus de 20 % par rapport à l’indice. Enfin, nous enlevons les sociétés quand nous n’avons pas confiance dans le discours de leurs dirigeants. Notre portefeuille est concentré sur une quarantaine de valeurs que nous suivons sur longue période, donc nous les connaissons bien. 

Face à la crise actuelle, comment assurez-vous le suivi des valeurs que vous avez en portefeuille ?

Jean-Luc Ménard

Nous l’assurons par tous les moyens à disposition comme les flux de nouvelles, les analyses externes, la communication des sociétés (par conférence call, notamment). Nous échangeons de manière continue au sein de l’équipe, et ce afin de balayer un maximum de sujets (événements sur les actions, sur le crédit…). Dans des cas de dislocation des marchés financiers, les perspectives d’activité mais également la partie bilancielle des sociétés sont à surveiller de près, pouvant mettre certaines sociétés sous forte pression. En cela, le modèle utilisé pour valoriser les sociétés, qui prend en compte à la fois la dynamique opérationnelle et l’évolution du bilan, est très utile pour intégrer de nouveaux éléments et voir leur impact potentiel.

William Higgons

Actuellement, l’incertitude est complète. Au début de la crise, nous savions que certains secteurs comme le travail temporaire allaient être affectés et nous avons allégé les positions. Si on considère que la crise va durer deux mois, notre analyse de base ne va pas changer, sauf en cas de dépôt de bilan, mais nous faisons toujours attention à ce que les sociétés investies ne soient pas trop endettées. 

Dans un univers incertain, il faut équipondérer les portefeuilles autant que possible. 

Diane Bruno et Marie Guigou

Toute l’industrie est suffisamment mature et connectée pour gérer de manière fluide le travail à distance. Les rencontres sociétés sont donc remplacées par des conférences téléphoniques. L’évolution rapide de la situation sanitaire et économique mondiale nous pousse à reconsidérer chaque jour les cas d’investissements des sociétés que nous avons en portefeuille afin d’adapter au mieux notre positionnement.

Peut-on établir des comparaisons avec les crises boursières précédentes, notamment celle de 2008-2009, qui avait beaucoup affecté le segment des valeurs des moyennes, ou de 2000-2001 ?

William Higgons

Cette fois-ci, la baisse des indices midcaps est assez similaire à celle du CAC 40. Il faut rappeler que, entre 2005 et 2007, les valeurs moyennes avaient largement surperformé le CAC 40, et que la correction de 2008 a ramené la performance à un niveau identique sur trois ans. La situation actuelle est différente car les mid & small caps étaient plutôt à la traîne. 

En période de baisse, les investisseurs vendent les valeurs les plus liquides, et pas forcément les petites valeurs. Si le marché se stabilise et s’oriente à la hausse, les petites valeurs les moins liquides ne sous-performeront peut-être pas.

Diane Bruno et Marie Guigou

La crise actuelle peut être comparée aux crises précédentes dans le sens où chaque choc boursier implique des enjeux de liquidités qui affectent particulièrement les petites et moyennes valeurs. Elle est cependant différente car c’est une crise sanitaire impliquant des décisions de confinement, qui impacteront la consommation et la production de manière beaucoup plus drastique que pendant les périodes 2000-2001 et 2008-2009.

Jean-Luc Ménard

A chaque crise, les anticipations de l’impact sur la croissance bénéficiaire des sociétés affectent les sociétés principalement concernées dans un premier temps. Ainsi, les valeurs moins concernées ou qui disposent d’une dynamique propre, positionnées sur des segments porteurs, réussissent à se distinguer dans la baisse, en matière de performances relatives. Dans un deuxième temps, avec la dislocation des marchés financiers, ces valeurs commencent également à baisser fortement, créant ainsi des opportunités pour des investisseurs de long terme.

La classe d’actifs est réputée plus volatile que les large caps. Est-ce fondé ?

William Higgons

Non, ce n’est pas fondé : la volatilité mensuelle de l’indice CAC Mid & Small est inférieure à celle du CAC 40 sur dix ans. 

Jean-Luc Ménard

Avant tout, la volatilité d’un titre dépend de nombreux éléments comme son positionnement, sa liquidité, sa situation bilancielle ou encore sa capacité à générer des résultats dans le temps… Les forts mouvements sur les indices concernent d’abord les grandes capitalisations qui y sont présentes. Par la suite, dans le cas de dislocations de marché comme cela vient d’être le cas, les petites et moyennes valeurs sont également fortement impactées par des dégagements. Depuis le début de l’année, la performance d’un indice composé de petites et moyennes valeurs comme l’Euro Stoxx Small reste légèrement supérieure à celle de l’indice Euro Stoxx Large.

Diane Bruno et Marie Guigou

Ce n’est pas véritablement fondé : un indice de petites et moyennes valeurs comme le Stoxx Europe Small 200 montre sur le long terme une volatilité semblable à celle du marché. La diversification des secteurs présents dans les petites et moyennes valeurs permet un certain lissage de la volatilité intrinsèque à chaque titre.

En effet, une petite ou moyenne valeur prise individuellement montre une volatilité supérieure à une grande valeur, mais la décorrélation des business modèles présents dans un indice ou un portefeuille géré permet d’aplanir la volatilité.

La liquidité est souvent considérée comme un frein pour investir dans cette classe d’actifs. Comment gérez-vous cette contrainte ? Qu’avez-vous mis en place pour faire face à une crise boursière et à d’éventuelles demandes de rachats ? 

Diane Bruno et Marie Guigou

Nous investissons dans des sociétés relativement liquides, car notre fonds est un fonds de petites et moyennes capitalisations et non pas un fonds de micro-capitalisations. 

Au sein de notre processus, nous veillons à ce que le cœur de notre portefeuille démontre une liquidité quotidienne de plus de 1 million d’euros par jour.

En cas de rachat, il est important de ne pas déformer le portefeuille en ne vendant que les sociétés liquides. Il est nécessaire de vendre petit à petit les titres moins liquides, même avec des performances négatives. C’est ce systématisme et cette discipline qui permettent de maintenir à tout instant une bonne liquidité et de faire face à des rachats.

William Higgons

Nous avons augmenté exceptionnellement la part du cash à 10 % dans le portefeuille, ce qui est une mauvaise décision. Ce n’est pas facile d’arbitrer le cash contre les actions, car un gérant n’a pas le don de deviner l’évolution future des indices. 

Le manque de liquidité des valeurs moyennes tel qu’il est souvent mis en avant est dû au fait que, par le passé, le flottant du second marché était inférieur à 10 %. Les gens ancrent leur perception de la classe d’actifs dans le passé alors que le flottant dépasse aujourd’hui 30 %. Tous les ans, la liquidité s’améliore. 

En dernière instance, quand la Bourse chute trop violemment, les familles détentrices du capital sont prêtes à racheter les titres avec une décote de 5 %. 

Jean-Luc Ménard

Nous concentrons la recherche et les investissements sur des sociétés de taille moyenne liquides, qui permettent au fonds de s’adapter en cas de changement de paradigme. Je gère habituellement avec toujours un peu de liquidité dans le fonds. Actuellement, cette proportion de liquidité est supérieure, pour amortir quelque peu la volatilité actuelle et permettre d’absorber d’éventuels rachats sans avoir à vendre sur de faibles niveaux, mais surtout, soyons plus positifs, de l’utiliser pour renforcer ou intégrer des titres attractifs à porter à moyen terme.

Quelles sont vos attentes en matière d’information et de communication des entreprises dans la période actuelle ?

Diane Bruno et Marie Guigou

Dans cette période difficile, l’important est que les sociétés maintiennent le dialogue avec la communauté d’investisseurs et expliquent leurs actions. Tout le monde est dans l’incertitude, et le facteur le plus rassurant reste de savoir que les sociétés se préparent et/ou réagissent à cette inconnue en prenant des mesures rapides et adaptées, pour protéger leurs salariés et assurer la continuité de leurs activités, pour adapter les coûts et protéger leur cash face à la baisse d’activité, et pour préserver leur business modèle sur le long terme.

Jean-Luc Ménard

Dans une période aussi compliquée, le risque principal pour la performance boursière d’une société réside dans les doutes des investisseurs sur sa situation bilancielle. Au-delà des indications sur l’évolution de l’activité récente permettant d’avoir une meilleure idée de l’écosystème actuel, c’est le point le plus important sur lequel il faut rassurer les investisseurs si des doutes commencent à émerger : la solidité financière de la structure ainsi que sa capacité à le rester si l’évolution de la situation le nécessite.

William Higgons

Nous attendons que les sociétés maintiennent la communication sur leur activité et soient transparentes. Toutefois, nous comprenons bien, dans le contexte actuel, que la priorité soit la gestion de l’entreprise et non la communication avec les actionnaires. 

Avoir le bon timing pour investir dans des midcaps, est-ce plus facile pour un gérant que pour un investisseur ? Comment convaincre les investisseurs d’acheter quand les coups de canon ont retenti ? 

Jean-Luc Ménard

Le timing est toujours compliqué. Je préfère me concentrer sur le moyen terme en me demandant quelles sont les sociétés qui traverseront le mieux cette période très compliquée, dont l’écosystème n’est pas trop remis en cause. L’idée est d’investir progressivement dans ces sociétés, soit par des compléments de positions, soit par des initiations de lignes si elles n’étaient pas présentes dans le fonds. Pour des investisseurs de long terme, avoir la même approche si cela est possible me semble intéressant : investir progressivement et régulièrement, en étant capable de tenir ses positions si malheureusement le timing d’investissement n’a pas été adéquat. Les grands moments de stress sont généralement rémunérateurs pour investir dans des sociétés solides avec des perspectives de développement sur le moyen terme.

Diane Bruno et Marie Guigou

Trouver le bon timing est toujours extrêmement difficile, que l’on soit gérant ou investisseur. Dans les deux situations, la logique est la même. Un investisseur en actions doit avoir confiance dans les business modèles qu’il souhaite mettre en portefeuille : est-ce une société gagnante à long terme ? Quel est son bilan financier ? Comment va-t-elle gérer cette période de crise ? Comment avait-elle géré les périodes de crise précédentes ? Quelle est sa valorisation ?

Une fois ces éléments validés, un investisseur peut envisager d’acheter un titre car la confiance dans le cas d’investissement lui permettra de repondérer la valeur si la société baisse trop.

Un investisseur doit avoir confiance dans le gérant qui gère le portefeuille : quelle est sa méthodologie ? Est-elle adaptée à l’environnement actuel ? Sa méthodologie est-elle consistante à travers le temps ? A-t-il intégré dans son processus le risque de liquidité ?

Si tous ces éléments sont validés, avec une vision long terme, la situation actuelle offre sans doute de bons points d’entrée.

William Higgons

Gérants et investisseurs réagissent de la même façon. Les gérants ne sont pas forcément meilleurs que les particuliers. Mais, acheter aux coups du canon est toujours la bonne stratégie, même si les prévisions pour l’année en cours sont obsolètes. Il faut rappeler que, en 2008-2009, il y a eu peu de dépôts de bilan des sociétés cotées. La seule certitude est que, en régime capitaliste, les entreprises sont résilientes. Si on admet ce principe et l’idée que la majorité des entreprises survivront, une baisse de 35 % constitue un signal d’achat. 

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