Rotation de styles de gestion, inflation, remontée des taux et guerre en Ukraine... le début d’année a été bien agité sur les marchés financiers. Funds s’interroge sur la réactivité des gérants diversifiés dans un tel environnement.
•Quels sont les impacts de ces multiples chocs, sur les marchés financiers à court terme et sur les perspectives de croissance économique à moyen terme ?
•Comment composer désormais avec l’inflation ? Quel est son impact sur les différentes classes d’actifs ? Quid de la remontée des taux et de l’action des banques centrales ?
•Qu’apporte la gestion flexible dans cet environnement ?
•Comment faire évoluer l’allocation d’actifs ? Quelles classes d’actifs privilégier ?
•Comment protéger les portefeuilles ?
- Le choc de la guerre en Ukraine rebat-il les cartes sur les marchés financiers ? Quelle lecture faites-vous de l’environnement actuel alors que le problème de l’inflation a pris encore plus d’ampleur ?
- Le conflit armé remet-il complètement en question la perspective d’une normalisation des politiques monétaires, notamment dans la zone euro ?
- Il y a eu ces dernières années des changements rapides et parfois violents sur les marchés. Face à de tels changements et à la complexité des marchés, la gestion diversifiée est-elle une solution pour les investisseurs ? Comment gérer un portefeuille dive
- En ce qui concerne les valorisations justement, sont-elles moins élevées après les récentes corrections ?
- La situation est donc très différente de celle de mars 2020…
- Comment sont positionnés vos portefeuilles aujourd’hui ? Dans un souci de diversification, intègrent-ils également une exposition aux actifs émergents dont nous avons peu parlé ?
Les intervenants :
- Michaël Nizard, directeur du département multi-asset et overlay, Edmond de Rothschild AM
- Gilles Etcheberrigaray, directeur général, Invest AM
- Louis d’Arvieu, gérant, responsable de la gestion flexible, Amiral Gestion
- Max Vidmer, client portfolio manager - stratégies globales d’allocation d’actifs, Invesco
- Alexandre Attal, directeur de la gestion multi-actifs, Russell Investments France
Le choc de la guerre en Ukraine rebat-il les cartes sur les marchés financiers ? Quelle lecture faites-vous de l’environnement actuel alors que le problème de l’inflation a pris encore plus d’ampleur ?
Michaël Nizard : En fin d’année dernière, une de nos principales interrogations portait sur la durabilité du pic d’inflation. Trois mois plus tard, le problème s’est accentué sous l’effet de la guerre et de la hausse des coûts d’approvisionnement. Le choc d’offre, qui s’avère de plus en plus structurel, est lié directement au renchérissement des coûts de production, avec l’envolée des prix de l’énergie et, désormais, aussi des matières premières agricoles.
Le fait nouveau de ces dernières semaines concerne le choc de demande. Il risque d’impacter la consommation, celle-ci étant liée à la perte de pouvoir d’achat aussi bien dans le monde occidental que dans les pays émergents. Le pic d’inflation que nous anticipions pour le printemps se décale plutôt vers le second semestre 2022, voire plus loin si c’est le scénario d’enlisement de la crise qui s’impose face à un scénario de guerre éclair. Un troisième scénario est possible, celui d’un scénario extrême avec un embrasement du conflit.
En trois mois, nous sommes passés d’une perspective de croissance forte avec une inflation qui allait se tarir progressivement à un risque d’atterrissage assez fort de la croissance en Europe, et plus modéré aux Etats-Unis et en Chine. Le mix croissance/inflation s’est donc nettement dégradé. La vraie problématique aujourd’hui est de savoir jusqu’à quel point les marchés vont pouvoir digérer des anticipations d’inflation qui montent et une croissance qui, inéluctablement, va ralentir. Pour l’instant, il y a une bonne résilience des marchés actions alors que nous sommes en pleine guerre : mais jusqu’à quand ?
Alexandre Attal : Début 2022, l’inflation était l’un des principaux sujets d’inquiétude pour l’année. Cette durabilité de l’inflation reste effectivement le point crucial pour l’année et le point d’inflexion en termes de choc sur les marchés. Il faut distinguer les risques à court terme des risques à moyen termes découlant de la guerre en Ukraine. Cela va dépendre de sa durée et si l’on se dirige vers un enlisement du conflit. Les prix des matières premières énergétiques et agricoles vont affecter progressivement la consommation et retarder l’atténuation des pressions inflationnistes que l’on attendait dans le courant du premier semestre. La conséquence, le ton des banquiers centraux est encore plus ferme par rapport à ce qu’on avait pu anticiper fin 2021.
Inflation prolongée et réactions des banquiers centraux sont les principaux chocs économiques que nous avons dû réajuster dans notre vision des marchés. Nous avons procédé à une réévaluation à la baisse des perspectives économiques, à horizon de 18 à 24 mois, en considérant que le cycle devrait s’assombrir mais rester positif. Les niveaux de croissance sont plus élevés qu’historiquement mais plus faibles que ce que nous avions anticipé il y a quatre mois. Cela nécessite donc quelques ajustements. Il va falloir surveiller la capacité des entreprises à absorber ces chocs d’inflation sur les matières premières et à les répercuter sur les prix des produits finis ainsi que la résistance de la consommation des ménages pour soutenir la dynamique de croissance. Même avec des anticipations de croissance économique légèrement dégradées, nous restons néanmoins relativement constructifs, mais prudents.
Louis d’Arvieu : Sur un plus long terme, certains mouvements nous semblent plus structurels. Il est intéressant de voir que si, en Europe, il y a une prise de conscience très forte vis-à-vis de la Russie, les Etats-Unis réalisent aussi le risque que représente la Chine qui pourrait suivre le même chemin à long terme. Cela s’est vu dans la façon dont les investisseurs américains ont vendu les actions chinoises. Ils sont conscients des répercussions à très long terme de la dépendance vis-à-vis du marché chinois, que ce soit pour y vendre des produits, pour y acheter des matières premières et des composants ou y localiser des chaînes logistiques. Ce mouvement n’est pas nouveau puisqu’il avait commencé sous l’impulsion de Trump mais il va prendre une dimension plus structurelle. Les effets seront importants notamment sur l’inflation, qui est déjà élevée, et à long terme sur les coûts et les salaires américains mettant sous pression les marges des entreprises. Cependant, il y aura aussi des opportunités en termes d’investissements industriels en Europe et aux Etats-Unis, qui se traduiront par un recours encore plus fort à l’automatisation face aux contraintes de main-d’œuvre.
Sur le long terme encore, un autre impact se dessine, celui d’une redéfinition de l’investissement responsable avec des questions notamment sur la Chine : une trop forte présence locale est-elle compatible avec une démarche responsable ? Tous ces éléments amènent à une certaine prudence surtout sur les marchés actions qui restent en moyenne plutôt chers.
Max Vidmer : L’année 2022 a commencé par un feu d’artifice, les marchés boursiers et obligataires ayant été secoués par les pressions inflationnistes et les attentes de taux plus élevés pour lutter contre de nouvelles hausses de prix. En février, la volatilité est restée très présente sur les marchés boursiers et obligataires, l’invasion de l’Ukraine par la Russie ayant mis le monde en émoi et aggravé les forces inflationnistes déjà préoccupantes. Dans ce contexte, les marchés d’actions ont chuté, l’appétit pour le risque diminuant. Les obligations ont enregistré des performances médiocres, les craintes d’inflation ayant conduit à penser que les banques centrales seraient contraintes de prendre des mesures plus immédiates et plus énergiques, réduisant ainsi leur capacité à servir de valeur refuge. Les matières premières se sont bien comportées, car les craintes liées à l’offre, en raison du conflit entre la Russie et l’Ukraine et les sanctions qui y sont associées ont fait grimper les prix.
Au cours des prochaines semaines, les investisseurs vont se concentrer essentiellement sur l’évolution du conflit. En cas de résolution, les prix des actions pourraient rebondir et la prime géopolitique se dégonfler sur les matières premières. A l’inverse, la poursuite du conflit laisse présager un environnement très difficile pour les actions. Si la guerre se prolonge ou s’étend, les pressions inflationnistes s’intensifieront à mesure que l’offre sera interrompue par des embargos, des perturbations de la production ou des cultures. Des tensions plus élevées pourraient obliger les banques centrales à prendre des mesures plus agressives pour combattre les pressions inflationnistes, alors même que la croissance a nettement ralenti. Compte tenu de l’état précaire de la géopolitique et de l’incertitude qui règne sur les marchés, nous pensons que les investisseurs seraient bien inspirés d’examiner leurs expositions au risque pour repérer les aberrations de valorisation.
Gilles Etcheberrigaray : Dans notre analyse de début d’année, nous avions bien vu le problème de la Fed qui a trop tardé à remonter les taux par rapport à la situation économique. En 2021, il y avait à la fois un déficit et une politique monétaire laxiste. Il fallait bien payer l’addition à un moment ou un autre. De même que le sous-investissement dans l’énergie durant des années finira par se payer !
Jusque dans les dernières semaines avant l’attaque russe, nous n’avions pas anticipé la perspective d’un conflit armé et donc son impact sur les matières premières. Cependant, au-delà de la situation actuelle et des choix impérialistes de Poutine, les variables macroéconomiques étaient déjà présentes fin 2021 : une inflation durable, des problèmes sur les matières premières énergétiques et une Banque centrale américaine de plus en plus contrainte dans ses choix.
«Il est plus important d’être préparé que de tenter de prévoir le marché. »
Le conflit armé remet-il complètement en question la perspective d’une normalisation des politiques monétaires, notamment dans la zone euro ?
Gilles Etcheberrigaray : En ce qui concerne la BCE, la perspective d’un relèvement des taux n’est plus d’actualité. Le retard accumulé ne sera pas rattrapable cette année. Aux Etats-Unis, l’action de la Fed s’inscrit dans la continuité de ce que nous avions constaté auparavant, avec même un léger durcissement mais qui n’est pas forcément lié à la guerre. Le programme de remontée des taux aurait dû démarrer l’été dernier mais, pour plusieurs raisons politiques, la Fed n’a pas osé. Elle se retrouve désormais un peu coincée, avec des choix difficiles à faire.
Max Vidmer : Les marchés connaissent une certaine volatilité car ils tentent de déterminer ce que l’avenir réserve à l’inflation et à la croissance. Le message des banques centrales concernant le relèvement des taux directeurs et le retrait des liquidités – en mettant fin aux programmes d’assouplissement quantitatif et en s’engageant dans la normalisation des bilans afin de lutter contre l’inflation – a déstabilisé les actions et les obligations. Les bons chiffres de l’emploi aux Etats-Unis au début du mois de février devraient accroître la nervosité, car les gains d’emploi devraient donner le signal clair à la Fed qu’il est enfin temps de procéder au resserrement de sa politique.
Michaël Nizard : Plusieurs éléments plaident en faveur d’une politique monétaire plus restrictive. Premièrement, avant les élections de mi-mandat aux Etats-Unis, Joe Biden a besoin que la Banque centrale américaine se saisisse réellement de la question du pouvoir d’achat des Américains et du risque qui pèse sur la consommation. Pour être suffisamment crédible, il faut que l’inflation actuelle et l’inflation anticipée soient en baisse.
Deuxièmement, l’existence de goulets d’étranglement donne peu de visibilité sur une normalisation rapide, sur le renchérissement des prix des biens durables et des matières premières. Ça n’a jamais posé problème aux banquiers centraux lors de précédents cycles monétaires parce qu’ils savaient que cette dynamique relevait du court terme. Cette fois-ci, c’est vraiment différent car il est très difficile de mettre un terme à cette envolée des prix des matières premières. Or, aujourd’hui, l’énergie et les matières premières ne sont plus des éléments annexes. Ils rentrent vraiment en ligne de compte dans la conduite de la politique monétaire.
Et puis, le troisième point concerne la macroéconomie. Le marché de l’emploi est de plus en plus tendu avec un taux de chômage qui va certainement se stabiliser aux Etats-Unis entre 3 et 3,6 %, voire être encore plus faible dans les prochains mois. Cette dynamique peut entraîner des effets de second tour aux Etats-Unis comme en Europe. Ce sujet sera suivi de très près par les deux grandes banques centrales.
Louis d’Arvieu : Il y a un vrai changement de contexte par rapport à la dernière décennie. Depuis la crise financière, les banques centrales étaient accommodantes et il y avait cette croyance que les taux et l’inflation resteraient pour toujours proches de zéro, ce qui a progressivement fait monter les niveaux de valorisation. Cette conviction a été renforcée pendant la pandémie. Aujourd’hui, il y a bien un changement brutal d’environnement qu’il faut prendre en compte. La première conséquence logique serait une normalisation des valorisations tant du côté des actions que des obligations.
D’autres conséquences sont un peu moins directes. Toutes les dépenses consenties par les Etats pour faire face à de nouvelles priorités stratégiques (défense, cybersécurité, transition énergétique) aggraveront les déficits et auront peut-être des effets sur la dynamique de baisse continue des taux d’impôt sur les entreprises qu’on a connue dans l’OCDE depuis plus d’une décennie. Il pourrait y avoir d’autres effets sur les salaires : les hausses sont bien visibles aux Etats-Unis mais ce n’est pas encore le cas en Europe. Le phénomène de « démondialisation » sera probablement favorable aux salaires mais pèsera sur le niveau de marge des entreprises.
«Il faut être capable d’aller à rebours des habitudes établies et d’investir partout. »
Il y a eu ces dernières années des changements rapides et parfois violents sur les marchés. Face à de tels changements et à la complexité des marchés, la gestion diversifiée est-elle une solution pour les investisseurs ? Comment gérer un portefeuille dive
Michaël Nizard : Depuis quelques mois, il était clair que les effets bénéfiques de la diversification allaient de plus en plus s’atténuer. L’allocation traditionnelle basée sur l’utilisation des taux souverains en compensation des risques pris sur les actions ou le crédit fait face à un changement de régime. On risque la double peine : des marchés actions qui baissent et des taux qui délivrent aussi des performances négatives.
L’approche traditionnelle de diversification des risques touche, selon nous, ses limites. Le gérant allocataire d’actifs doit être humble car tous les risques ne peuvent pas être anticipés, surtout ceux qui ne sont pas économiques. Et c’est précisément le cas aujourd’hui. Face à ces constats, il faut aller chercher de l’optionalité, c’est-à-dire utiliser les options comme une technique d’atténuation des risques extrêmes qui se mettra en place lorsqu’un risque se matérialise. C’est l’un des leviers que nous utilisons dans la flexibilité.
Le deuxième levier utilisé est la gestion de la duration et du risque action. Dans des régimes de correction normale des marchés, allant jusqu’à 10 ou 15 % de baisse, on utilise cette gestion flexible en plus du système d’assurance optionnel. Enfin, nous avons mis en place des protections contre l’inflation, en utilisant des swaps d’inflation pour se couvrir.
Voilà comment nous mettons en place une version 2.0 de la gestion diversifiée dans un contexte particulièrement difficile. L’idée est de limiter le risque d’accident et de garder une marge de manœuvre pour reprendre du risque une fois que les marchés auront un peu mieux intégré les risques économiques et financiers.
Gilles Etcheberrigaray : Dans le contexte, il faut élargir autant que possible la diversification. C’est ce que nous avons fait avec des expositions aux devises et matières premières dans tous nos fonds diversifiés. Cette diversification a permis à nos fonds d’être positifs depuis le début de l’année. Il faut aller chercher des corrélations différentes et élargir le spectre des classes d’actifs.
La gestion diversifiée continue à avoir sa place mais il est vrai qu’elle est de plus en plus technique. Il faut aussi être attentif à ce qui se passe sur le plan géopolitique. Nos portefeuilles ont intégré le risque de guerre en début d’année avec des positions sur les matières premières, mais aussi des actions russes au cas où la situation ne dégénérait pas. Dans la dernière ligne droite, nous avons liquidé nos actions russes juste avant le conflit et augmenté nos positions shorts sur les actions européennes, ce qui nous a permis de mieux encaisser le choc.
Alexandre Attal : La gestion diversifiée reste pertinente dans cet environnement car la diversification est une manière de répondre à la volatilité, aux surprises et aux chocs extrêmes sur les marchés. La diversification ne se fait pas uniquement entre les grandes classes d’actifs mais également dans les sous-classes d’actifs. C’est le cas aussi pour l’exposition géographique : les caractéristiques internationales de nos portefeuilles permettent aux investisseurs français de limiter l’impact de la crise actuelle. Prenons l’exemple du dollar qui s’est fortement apprécié : toute la partie des portefeuilles investie hors Europe en a profité.
Il est pertinent d’avoir une gestion flexible même s’il est compliqué d’intégrer les caractéristiques géopolitiques dans une allocation d’actifs. Par définition, ce sont des phénomènes exogènes aux marchés financiers, sur lesquels nous n’avons pas la main. Le moyen d’y échapper est d’intégrer des stratégies optionnelles, dans des logiques contracycliques, lorsque les marchés sont plutôt bien orientés, et ensuite dans les phases un peu extrêmes sur les marchés, pour pouvoir profiter d’un peu plus d’asymétrie. Notre gestion repose sur une allocation stratégique, des caractéristiques d’internationalisation de nos expositions et l’intégration de certaines thématiques comme les infrastructures qui ont un comportement plus défensif. Dans l’obligataire, nos différentes positions limitent le risque crédit ou souverain. Mais l’ajustement flexible du portefeuille se fait davantage par des solutions asymétriques et donc par la prise en considération de stratégies auxquelles les investisseurs particuliers n’ont pas forcément accès. D’où l’intérêt de cette gestion multi-actif dans l’allocation de nos clients.
Max Vidmer : La stratégie d’allocation équilibrée d’Invesco n’est pas conçue pour faire face aux accès de volatilité à court terme. Il ne s’agit pas d’une couverture du risque extrême mais d’une stratégie total return à long terme qui vise à offrir une performance constante à travers les différentes phases du cycle économique. Le fonds repose sur le principe selon lequel il est plus important d’être préparé que de tenter de prévoir le marché. Cela implique que les événements de marché, par exemple en février 2022, ne seront pas évités. D’ailleurs, c’est lorsqu’il y a ces chocs qu’il semble le moins raisonnable d’abandonner sa stratégie. Nous sommes tous conscients que les émotions constituent un risque important dans l’atteinte des objectifs d’investissement à long terme. Le retour de la volatilité depuis le début de l’année a rappelé combien ces environnements sont douloureux. Les investisseurs contraints de participer aux montagnes russes se sont empressés de courir vers la sortie, mettant soudainement de côté tous les discours haussiers sur les dernières tendances liées à la Covid-19. Au 18 février 2022, sept secteurs sur onze affichaient un rendement inférieur à – 5 % accompagné d’une grande dispersion des rendements. Tout cela rend la gestion d’un portefeuille plus ardue, notamment en raison de la réévaluation constante de l’environnement de marché et du repositionnement ultérieur du portefeuille. Les approches systématiques d’investissements multi-actifs sont un moyen efficace de répondre à cette exigence, notamment parce qu’elles éliminent les émotions du processus de décision d’investissement. Enfin, la réactivité d’un portefeuille aux accès de volatilité à court terme ajoute non seulement de la complexité au portefeuille, mais augmente également le coût de sa gestion. Une stratégie tout terrain n’existe pas, il y aura toujours un compromis à faire. En fin de compte, les investisseurs doivent envisager un portefeuille qui utilise des éléments de base complémentaires et, surtout, maintenir la cohérence et la discipline.
Louis d’Arvieu : Sur la gestion flexible, trois points me paraissent intéressants aujourd’hui. Le premier concerne le changement de contexte de politique monétaire qui nuit aux valorisations des marchés financiers et surtout des obligations. Recourir au cash n’a rien de très extraordinaire, mais c’est un des actifs qui nous a protégés dans ce contexte et c’était contrariant ces derniers mois.
Deuxième point, dans ce nouveau paradigme, l’attention se porte de nouveau sur les valorisations et c’est plutôt bienvenu car notre processus d’allocation est fondé sur la prise en compte, à long terme, de la valorisation des marchés.
Enfin, le troisième point concerne la capacité à intervenir au niveau mondial. L’ancien paradigme avait créé des polarisations de valorisation très élevées entre les zones et entre les catégories d’actions. Aujourd’hui, il faut être capable d’aller à rebours des habitudes établies et d’investir partout : d’aller sur du non-noté dans le crédit, sur des plus petites capitalisations, moins exposées à un mouvement de démondialisation et/ou moins chères, et de sortir de nos frontières. Par exemple, l’univers des mid & small caps japonaises offre aujourd’hui des opportunités exceptionnelles.
«Il faut aller chercher des corrélations différentes et élargir le spectre des classes d’actifs.»
En ce qui concerne les valorisations justement, sont-elles moins élevées après les récentes corrections ?
Max Vidmer : Selon nos indicateurs, les bons du Trésor américain à long terme et les taux restent surévalués. D’autres marchés de la dette souveraine de qualité semblent mieux valorisés. Les actions des marchés développés et émergents se sont rapprochées de leur juste valeur. Dans les commodités, nous voyons les matières premières cycliques à des prix élevés tandis que les produits agricoles et les métaux précieux sont correctement évalués. Pour rappel, les matières premières ne génèrent pas de flux de trésorerie, ce qui pose un défi lorsqu’on tente de les valoriser. Nous pensons que les contrats à terme offrent un moyen efficace de valoriser ces actifs.
Gilles Etcheberrigaray : Les taux américains remontent, une guerre est en cours aux portes de l’Europe mais les actions américaines se traitent à 10 % des plus hauts historiques ! La correction reste quand même limitée. En Europe, elle a été plus importante pour certains secteurs comme le secteur bancaire par exemple, mais il n’y a pas eu non plus de choc majeur sur les valorisations des actions. Ce n’est pas le cas pour les taux qui encaissent une des plus fortes corrections de l’histoire.
La situation est donc très différente de celle de mars 2020…
Gilles Etcheberrigaray : Au début de la pandémie, le choc a été global : tous les marchés ont décroché en même temps. Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, il y a une chute plus significative en Europe qu’aux Etats-Unis où les valeurs de croissance avaient déjà bien baissé. Tant que les marchés américains ne corrigent pas significativement, le reste du monde, malgré les problèmes régionaux, ne décroche pas tellement. La correction la plus brutale de ces dernières semaines concerne l’Internet chinois qui avait déjà bien baissé l’an dernier. Encore récemment, il y a eu une chute de 30 % suivie d’un rebond de 40 % mi-mars.
Les risques géopolitiques engendrent quand même une volatilité extrême. Mon ressenti actuellement est que nous ne sommes pas dans une correction de grande ampleur mais il y a des chocs partout, que nous ne voyons pas venir et qui sont déstabilisants.
Alexandre Attal : Comparés aux niveaux de fin d’année dernière ou d’avant la crise ukrainienne, les marchés sont techniquement plus attractifs mais les perspectives sont plus incertaines. En matière d’allocation d’actifs, nous sommes encore en zone d’incertitude face au conflit, pour changer totalement de braquet et prendre des décisions structurantes. Les marchés réagissent rapidement aux nombreuses annonces, et ce, parfois de manière un peu antinomique par rapport à ce qu’on aurait pu anticiper. Donc, il faut savoir raison garder. A plus long terme toutefois, l’exposition américaine devrait s’accentuer dans le portefeuille alors que nous étions plutôt sous-pondérés Europe. La politique de la FED est plus lisible à ce stade, plus ferme et volontariste, et il y a davantage de visibilité sur le rôle moteur que l’économie américaine pourrait jouer durant le prochain cycle.
Michaël Nizard : Nous considérons que la classe d’actifs actions a quand même encore de la valeur. La prime de risque des actions de la zone euro se situe à 8 % par rapport aux taux souverains alors que pour les actions américaines, elle se situe autour de 2,5 à 3 %. Ce constat se retrouve dans les multiples de valorisation : ils ont peu baissé aux Etats-Unis alors qu’il y a eu un vrai dégonflement des PE des marchés européens en 2021 et depuis janvier. La progression des bénéfices nets par action reste quand même relativement forte, donc il semble qu’on a atteint un plancher de valorisation en Europe. C’est la même chose au Japon, avec des niveaux de valorisation encore plus bas, et même en Chine.
Au sein des marchés actions, certaines thématiques sont intéressantes, notamment le big data qui permet d’aller chercher des valeurs un peu plus décotées mais rentables au sein du secteur technologique. Car avoir une approche plutôt value dans un secteur growth a de plus en plus de sens.
Enfin, le marché du crédit redevient également attractif si tant est que le modèle d’allocation d’actifs n’anticipe pas un risque de récession trop fort mais plutôt un ralentissement, surtout en Europe.
Louis d’Arvieu : En matière de valorisation, nous voyons plutôt des opportunités en Europe et au Japon où des valeurs de qualité déjà décotées ont encore baissé. Au Japon, on trouve beaucoup de sociétés de croissance, rentables, qui traitent à des ratios uniques au monde, autour de cinq fois le résultat d’exploitation, avec beaucoup de cash et des retours aux actionnaires qui s’améliorent. Par ailleurs, nous commençons à regarder des segments qui étaient à la mode et qui ont fortement corrigé, notamment les valeurs technologiques américaines non rentables qui ont perdu en moyenne 50 % en trois ou quatre mois. Le choc a été violent mais nous n’avons pas encore trouvé de points d’entrée. Même chose pour les valeurs de croissance en Europe qui ont corrigé de 20 à 25 %. Les excès post-Covid ont peut-être été effacés sur ces valeurs, mais les valorisations nous paraissent encore très élevées. Il faut être, à notre sens, très sélectifs et avoir la capacité d’investir dans toutes les tailles de capitalisation, un peu partout dans le monde, pour aujourd’hui trouver des valorisations très attractives.
Michaël Nizard : Il me semble que la valorisation n’est pas forcément le point le plus important à mettre en avant aujourd’hui. Il y a eu un choc de confiance très marquant au cours des dernières semaines. Nous savons bien que dans ces phases où les marchés sont très incertains, la valorisation n’est pas forcément tout de suite la force de rappel. La première force de rappel, c’est d’abord d’avoir un régime de volatilité réalisé qui commence à baisser et des marchés qui trouvent finalement un certain équilibre pour aborder les éléments plus fondamentaux tels que le cycle et la valorisation.
«La diversification est une manière de répondre à la volatilité, aux surprises et aux chocs extrêmes sur les marchés.»
Comment sont positionnés vos portefeuilles aujourd’hui ? Dans un souci de diversification, intègrent-ils également une exposition aux actifs émergents dont nous avons peu parlé ?
Gilles Etcheberrigaray : Nous avons une exposition croissante aux actifs émergents, en privilégiant les matières premières et le réal brésilien après avoir réduit notre exposition sur la Chine. Il y a des opportunités en Amérique latine, aussi bien sur les actions que sur la dette. Nous arbitrons d’ailleurs progressivement le marché américain en faveur des marchés émergents.
Globalement, nous avons une exposition au dollar américain et à des valeurs du secteur de l’énergie qui performent bien. Nous pensons que les taux gouvernementaux américains long terme sont intéressants parce qu’il y a un aplatissement de la courbe. Ils ont bien couvert les portefeuilles au moment de l’éclatement du conflit. Enfin nous étions short sur l’Europe pendant la crise. La guerre continue, mais la situation se stabilise et nous avons racheté nos positions à découvert sur des valeurs européennes.
Alexandre Attal : Nous restons plutôt surpondérés sur les actions, avec une exposition autour de 51 % d’actions dans les portefeuilles. Nous restons constructifs sur les marchés, vigilants mais optimistes sur la dynamique de reprise, avec une véritable diversification sur cette poche qui inclut une exposition sur les marchés émergents, plutôt asiatique.
Sur les taux, la poche est toujours sous-sensible en duration et sous-pondérée sur les obligations gouvernementales. Nous avons une préférence pour le crédit, qui a un peu souffert avec des primes de risque qui se sont écartées durant cette période de stress. Les anticipations de défaut restent suffisamment modérées et acceptables pour finalement conserver des positions à la fois crédit investment grade et high yield. Dans certains cas, nous intégrons des actifs réels, toujours listés et liquides, et de l’or, qui a servi de valeur refuge au moment du regain de volatilité lié à l’invasion russe.
Louis d’Arvieu : En termes de positionnement, le portefeuille a une exposition nette de 30 % aux actions. Ce qui est plutôt prudent. Sa composition exprime des choix forts avec une forte pondération sur les small & midcaps européennes et japonaises et sur des valeurs délaissées ces dernières années mais qui performent bien dernièrement. Et puis, une position plus tactique sur la partie émergente avec, effectivement, des achats de valeurs massacrées ou oubliées comme dans l’Internet chinois récemment, ou comme MAPA en Indonésie, le n° 1 de la distribution d’articles sportifs.
Côté crédit, nous avons aussi des choix assez forts, avec un peu moins de 20 % sur le crédit aux entreprises, mais très concentré sur le segment non noté et sur le high yield avec des maturités courtes pour minimiser le risque de taux.
Enfin, dans l’idée de diversification sur les matières premières, le portefeuille est investi dans des actions aurifères. Ces sociétés sont mieux gérées que par le passé et génèrent de la trésorerie et des dividendes importants. Leurs cours ne reflètent pas du tout le prix actuel de l’or. Enfin, nous avons conservé un volant important de trésorerie, environ 30 %, pour être capable de saisir des opportunités dans les prochains mois.
Michaël Nizard : Nous avons une approche plutôt défensive depuis le début de l’année, à la fois dans la poche actions et la poche taux. La sensibilité au risque de taux a évolué entre – 0,5 et 2 % de sensibilité. Nous avons eu tendance à baisser la duration sur la partie américaine, notamment la partie courte de la courbe des taux US. Il y a du rendement à capter en privilégiant plutôt une approche short duration sur le high yield. L’exposition sur la dette émergente a été maintenue car elle délivre malgré tout un rendement élevé.
Sur la partie actions, nous adoptons une approche défensive, surtout sur l’Europe. En revanche, nous avons maintenu notre conviction sur le Japon mais aussi la Chine en dépit d’une volatilité importante. Le duo Inde/Chine que nous avions privilégié arrive à fonctionner malgré tout même si c’est surtout l’Inde qui réalise un beau parcours. Dans notre poche actions, nous privilégions surtout des thématiques, à l’image du capital humain, de la transition énergétique et surtout le big data.
Max Vidmer : Au sein de l’équipe Global Asset Allocation, nous sommes un investisseur macro-global. Notre portefeuille vise à fournir une diversification à travers les trois facteurs, à savoir la « croissance », la « défense » et le « rendement réel ». Pour la « croissance », nous nous concentrons sur les marchés d’actions liquides, y compris les marchés émergents ; pour le « rendement réel », nous investissons dans les quatre types de matières premières et, enfin, pour l’aspect « défense », nous utilisons une combinaison de taux souverains longs de qualité, d’options de vente et de primes de risque défensives. Comme mentionné précédemment, le portefeuille fonctionne sur une plateforme entièrement systématique qui nous permet de maintenir la cohérence et la discipline.
Notre approche basée sur la discipline n’est pas une boîte noire et nos modèles reposent sur les moteurs fondamentaux des prix des actifs. En outre, le portefeuille comprend deux modules principaux, une allocation stratégique et une allocation tactique. L’allocation stratégique est basée sur le principe que les ratios de Sharpe des classes d’actifs ont tendance à être très similaires et à se retourner sur la moyenne à long terme. Dans ce cas, nous sélectionnons les actifs à inclure dans le portefeuille sur la base de leur capacité à fournir une diversification économique et nous les construisons en utilisant un cadre équilibré en termes de risque. Néanmoins, les caractéristiques susmentionnées des ratios de Sharpe ne sont pas valables à court terme, c’est pourquoi nous introduisons une superposition tactique qui ajuste le portefeuille global aux conditions actuelles de marché. Dans ce cas, nous examinons les actifs tels que définis par l’allocation stratégique et nous les surpondérons ou sous-pondérons en fonction de modèles multifactoriels basés sur la valorisation, l’environnement économique et le positionnement des investisseurs.
«Il faut utiliser les options comme une technique d’atténuation des risques extrêmes. »