Table ronde

Obligations : où trouver du rendement ?

Publié le 26 avril 2019 à 12h03

Propos recueillis par Catherine Rekik

Le changement de ton des banques centrales en début d’année a redonné une bouffée d’air aux marchés. Les actions ont bien rebondi mais qu’en est-il des obligations ? Quels sont les risques qui pèsent sur les marchés obligataires ? Où peut-on encore trouver du rendement ? Quels segments privilégier (crédit investment grade, high yield, subordonnées financières, dette émergente…) ? Faut-il privilégier de nouvelles approches de gestion ?

Que s’est-il passé sur les marchés obligataires entre décembre et la fin du premier trimestre ? Comment a évolué le discours des banques centrales ? Ce changement de ton a-t-il modifié la perception des investisseurs ?

Antoine Lesné, responsable stratégie et recherche SPDR ETF Europe, State Street Global Advisors  : Du point de vue des flux, décembre a été un mois très compliqué pour tous les actifs risqués, avec beaucoup de sorties sur les ETF high yield et les loans, les investisseurs se repositionnant sur des actifs moins risqués comme la dette souveraine européenne ou américaine principalement. Depuis le début de l’année, ce sont les actifs obligataires qui dominent la collecte. Les investisseurs reviennent chercher du risque via le crédit et continuent de privilégier la dette souveraine mais émergente, en devises locales et en devises dures. L’appétit pour le risque reste donc très mesuré, comme nous le constatons encore depuis début avril. Il y a très peu de flux sur les actions. Le rallye a donc plutôt été obligataire.

Ces flux sont-ils importants ?

Antoine Lesné : En relatif, ils sont assez importants, de l’ordre de 21 milliards de dollars sur les ETF obligataires émis en Europe, soit environ 10 % des encours. C’est donc plus important que ce que nous constatons sur les marchés actions. Cependant, les investisseurs institutionnels commencent à peine à réinvestir le cash, et de manière très défensive.

Sidney Oury, associé, Ivo Capital Partners  : Au premier trimestre, les banques centrales américaines et européennes ont clairement indiqué aux marchés que leurs politiques monétaires redeviendraient accommodantes au regard du ralentissement de la croissance mondiale et de la dégradation de certains indicateurs économiques. Ainsi, les marchés n’anticipent plus de resserrement monétaire en 2019, ce qui, ajouté aux progrès dans les négociations commerciales sino-américaines, explique le rallye observé sur les marchés obligataires. Concernant le marché high yield, depuis le début de l’année, la performance sur le high yield américain est de 8,2 %, de 6,5 % sur le high yield émergent et de 6,2 % en Europe. Très rapidement, nous avons constaté un vif resserrement des spreads, notamment sur le high yield US, avec un retour important des flux sur cette classe d’actifs. Flux à relativiser au regard des sorties de capitaux observées en 2018, et notamment en fin d’année (près de 60 milliards de dollars sur l’année).

Hubert Lemoine, CIO, Schelcher Prince Gestion  : La Fed était la banque centrale qui avait repris le plus de marge de manœuvre en termes de politique monétaire. Le taux dix ans était de l’ordre de 3,25 % en septembre dernier – des niveaux assez élevés –, alors que les signes de ralentissement se sont exacerbés sur la fin d’année. Cela a laissé une vraie fenêtre pour les investissements dans les obligations en dollar et explique en partie la très bonne performance du high yield US depuis janvier. Le discours plus accommodant de la Fed a été suivi par Mario Draghi, avec sans doute moins de marge de manœuvre, les taux courts étant négatifs. L’élargissement des spreads en fin d’année dernière et cette brutale accommodation de la Fed ont contribué à la performance des marchés depuis janvier. Toutefois, la macroéconomie n’a cessé de se dégrader tout au long du premier trimestre, même si nous constatons, ces dernières semaines, quelques signes positifs en Chine. Auparavant, des déceptions sur les importations et le dynamisme de la demande interne chinoise laissaient craindre que la Chine ne retombe dans ses travers de déflation exportée.

Grégoire Docq, gérant crédit, AllianzGI : Entre la fin de l’année dernière et ce premier trimestre 2019, nous voyons bien l’abondance de flux sur le crédit euro, aussi bien investment grade que high yield. Début avril, les flux étaient de 3,6 milliards d’euros sur le high yield euro et de 4 milliards pour l’investment grade. Environ 66 % de ces flux sont en ETF, donc des investisseurs qui jouent le bêta. Nous retrouvons la situation que nous avions connue en 2017 : un marché technique suite aux annonces des banques centrales, qui oublie totalement le fondamental. Nous pouvons toujours discuter de la pertinence des données macroéconomiques publiées un peu partout, du rebond chinois ou des mauvais chiffres de la zone euro avec la révision à la baisse de la croissance italienne, des risques sérieux pointent. Il n’y a aucune certitude que les prochaines annonces des banques centrales corrigeront le tir sur ces tendances macroéconomiques. En attendant, les flux sont là. Des investisseurs institutionnels ont des liquidités importantes à placer et cherchent du rendement. Ils n’ont pas d’autre choix que d’aller sur le crédit.

Les banquiers centraux restent donc maîtres du jeu… Mais jusqu’où peut aller la Fed ? La fin de cycle peut-elle être retardée indéfiniment ?

Sidney Oury : Les économies européennes et américaines n’étaient pas prêtes à un resserrement monétaire. Le dernier message de la Fed laisse penser qu’elle pourrait laisser l’inflation monter au-delà de sa cible de 2 %, qui n’a que très rarement été atteinte sur la dernière décennie, afin de soutenir la croissance économique. La Fed va donc rester un long moment en soutien de la croissance et des marchés. Ce message a eu un effet favorable dans les pays émergents, notamment dans ceux qui dépendent le plus des flux de financement extérieurs en dollar. Beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs en début de cycle, contrairement aux Etats-Unis.

Antoine Lesné : La fin de cycle est la grande question que tout le monde se pose. De même, ne dit-on pas que les marchés ne meurent jamais sauf s’ils sont victimes de la Fed ou des banquiers centraux ? Nous sommes peut-être passés à côté de la catastrophe parce que les échanges entre Trump et Jerome Powell sont allés dans le sens d’un changement de ton pour éviter que l’économie ne tombe en récession. Si la Fed arrive à faire ce qu’a fait la banque centrale australienne, elle peut réussir à passer au travers des cycles avec des phases de ralentissement, mais pas de récession. Pour l’instant, nous ne voyons pas de récession aux Etats-Unis. La situation est complexe pour les investisseurs, car nous avons tous été marqués par la crise de 2008 : nous devons nous y préparer, mais également continuer à avancer. Une erreur de trajectoire ou de pilotage peut faire exploser une bulle si elle existe. En matière de croissance de la dette par rapport à la croissance économique, la situation n’est pas saine.

Hubert Lemoine : Fin 2018, nous avons eu le sentiment que la capacité de la plus grande banque centrale à normaliser sa politique monétaire était de plus en plus faible. Les banques centrales ne pourront, peut-être, jamais sortir des politiques monétaires accommodantes ! Il semble aujourd’hui que le taux neutre se situe plutôt à 2 % pour l’économie américaine. La Fed va peut-être attendre de voir le ralentissement se matérialiser pour baisser encore ses taux. C’est à ce moment-là qu’il peut y avoir une correction sur les marchés, sans que ce soit un krach.

Grégoire Docq : Je partage cette analyse sur la Fed : la banque centrale américaine attendra peut-être qu’une faiblesse macroéconomique se matérialise et engendre des pics de volatilité pour agir de nouveau sur les taux.

Aux niveaux actuels des taux et des spreads, la question est de savoir s’il est opportun ou pas d’investir dans des actifs risqués, surtout après le rallye du premier trimestre. Il y a tellement de risques sous-estimés dans les marchés d’un point de vue des corporates, nom par nom, qu’il va falloir être très sélectif dans la gestion pour résister lors des pics de volatilité.

Antoine Lesné : En ce qui concerne la dette émergente, les flux sont importants sur les ETF. Nous voyons bien que les investisseurs reviennent sur ce segment via les ETF avant de réinvestir dans la gestion active. Ce qu’ils font progressivement depuis mi-février. C’est un signal de confiance qui signifie aussi que, alors que la vision macroéconomique est plutôt bonne pour les pays émergents et porte le bêta, les investisseurs ne perdent pas de vue les risques idiosyncratiques.

Sidney Oury : Nous constatons que les obligations émergentes sont en retard par rapport au high yield US en matière de resserrement des spreads. Nous voyons un pick-up de spread potentiel de l’ordre de 100 points de base. Or, il n’y a jamais eu autant de qualité dans les entreprises émergentes depuis 2012 : elles se sont désendettées, leurs résultats sont solides et en hausse, et les marges sont plus élevées. Elles sont donc dans une situation opposée à celle dans laquelle se trouvent les entreprises américaines et européennes.

Antoine Lesné : Il y a très peu d’offres d’ETF investis dans la dette corporate émergente, donc les flux sont assez faibles. C’est plutôt une exposition à la dette souveraine émergente que les investisseurs ont recherchée via les ETF, car le risque de défaut est moins important.

En dehors des orientations des banques centrales, quels sont les risques qui pèsent sur les marchés obligataires ? Le ralentissement économique ? Les valorisations de certains segments ?

Sidney Oury : Du côté des pays émergents, l’instabilité du dollar et des prix des matières premières constitue le principal risque. Un autre risque important pourrait venir d’un ralentissement plus conséquent que prévu de la croissance chinoise, malgré la politique de relance du gouvernement et l’apaisement des tensions commerciales avec les Etats-Unis. C’est ce qui pourrait peser sur les flux et les primes de risque. En ce qui concerne le dollar, nous n’anticipons pas d’appréciation à moyen terme. Cela étant dit, nous nous efforçons de privilégier dans notre sélection obligataire des émetteurs qui génèrent suffisamment de revenus en monnaie forte pour pouvoir couvrir leur dette en dollar, notamment dans les pays les plus vulnérables comme l’Argentine. Le prix des matières premières, du pétrole, notamment, devrait se maintenir si le bras de fer sino-américain s’apaise, et soutenir la croissance des pays émergents, de l’Amérique latine en particulier. Les exportations des pays latino-américains sont désormais plus orientées vers la Chine que vers les Etats-Unis, bien que les situations soient très variables suivant les pays. La Chine est devenue en effet le premier partenaire commercial du Chili ou du Pérou. La situation est plus ambivalente au Brésil, qui est un grand exportateur de matières premières vers la Chine, comme ses voisins, mais qui dispose également d’un marché local important, qui l’isole partiellement des aléas de l’économie mondiale.

Concernant les entreprises dans les pays émergents, le risque crédit est plus faible que dans les pays développés. Nous constatons aussi depuis plusieurs années que le taux de défaut des entreprises dans les émergents est plus faible que dans les pays développés avec des niveaux de recouvrement comparables.

Antoine Lesné : La guerre commerciale constitue toujours un risque, celui de ne pas être bien positionné. Les marchés anticipent une sortie par le haut de ce conflit, avec un maintien des taxes au niveau actuel. Le risque est ne pas avoir pris suffisamment de bêta dans le portefeuille si jamais il y avait un rallye, même s’il est peu probable que les Etats-Unis parviennent à un bel accord avec la Chine. Mais il y aura quand même un accord, quel qu’il soit, car les deux parties en ont besoin, et ce sera suivi d’un effet d’annonce.

Hubert Lemoine : Il y aura vraisemblablement un accord entre les Etats-Unis et la Chine, mais il se fera, peut-être, au détriment des Européens. Ce qui, par ricochet, pèsera sur l’économie européenne. La zone euro sera sans doute, par la suite, aussi dans le viseur de M. Trump. C’est vraiment le momentum versus le contrariant. Jusqu’où bénéficiera-t-on d’un effet momentum entraîné par l’accommodation des banques centrales ? Aura-t-on un véritable cercle vertueux : conditions financières, effets de richesse et croissance de la consommation américaine ? Le sentiment d’être proche de la fin du cycle aux Etats-Unis est fort.

Grégoire Docq : S’il y a réellement une sortie par le haut de ce conflit sino-américain, elle est déjà valorisée. Je ne crois pas qu’il y ait de potentiel de hausse très fort sur ce sujet. En revanche, si l’accord se fait au détriment de l’Union européenne et si Trump décide de donner son aval à des sanctions contre les pays européens, cela pèsera sérieusement sur les valorisations des actifs risqués après le beau rallye du premier trimestre. Entre l’investment grade et le high yield, il reste un potentiel de resserrement. En revanche, à la moindre étincelle économique, il faudra s’attendre à des épisodes de volatilité importants. Le facteur technique qui soutient le marché peut se retourner rapidement.

Antoine Lesné : Le risque est surtout important pour les marchés actions. Les marchés obligataires ont une meilleure appréciation du risque aujourd’hui.

Hubert Lemoine : Il y a une différence entre le crédit et les actions : si les sociétés n’investissent pas dans un contexte de croissance molle, elles améliorent leurs perspectives bilantielles.

Antoine Lesné : C’est sans doute pour cela que nous voyons les reports de flux vers l’obligataire, les investisseurs délaissant les actions européennes.

Les risques qui incitent les investisseurs à se tenir à l’écart des actions – Brexit, élections européennes, ralentissement économique, etc. – ne pèsent-ils pas également sur les obligations ?

Grégoire Docq : Ces risques pèsent en effet sur les classes d’actifs les plus risquées comme le high yield européen. Cette dernière a un positionnement de classe d’actifs satellite chez les grands allocataires. Comme les actions, elle est plus sensible à l’environnement macroéconomique, contrairement à l’investment grade. Fin 2015-début 2016, l’euro high yield a subi les craintes de récession aux Etats-Unis et les défauts des producteurs de pétrole de schiste, ce qui montre bien la sensibilité de la classe d’actifs à ce type de peur. On peut donc s’attendre aujourd’hui à avoir plus de volatilité sur le high yield européen que sur l’investment grade. La question est de savoir si, compte tenu des niveaux actuels de spread, un investisseur a intérêt ou pas à prendre ce risque. La réponse est oui, mais à condition d’être sélectif et de privilégier un fonds géré activement pour éviter les émetteurs qui pourraient faire défaut.

Antoine Lesné : L’environnement de taux permet aujourd’hui à ce type d’émetteurs, ces «zombies», de survivre.

Hubert Lemoine : Depuis deux ou trois ans, on constate quand même une accélération de l’histoire, certains de ces «zombies» finissant par tomber car les investisseurs refusent de les refinancer.

Antoine Lesné : Dans le high yield euro, la qualité est tout de même meilleure que celle de l’indice américain. De plus, la BCE va continuer à donner un taux de refinancement supportable pour un «zombie» par rapport à un environnement américain.

Comment définissez-vous ces «zombies» ?

Antoine Lesné : Ce sont des sociétés qui se financent sur des bases de croissance assez élevées et devraient pouvoir tenir des spreads de 500 points de base. Elles n’en sont plus capables désormais mais, grâce au marché tel qu’il est aujourd’hui et à la demande, elles parviennent à se refinancer autour de 280, 300 points de base.

Sidney Oury : Elles y parviennent aussi avec des covenants plus légers, ce qui aura des conséquences tôt ou tard sur l’évolution du profil de crédit de ces émetteurs, qui peuvent s’endetter davantage et distribuer davantage de dividendes, et a fortiori sur les taux de recouvrements.

Grégoire Docq : Vous soulignez un point important car, en matière de protection des investisseurs contre les risques de restructurations et de défaut, nous sommes retombés à un niveau précrise de Lehman Brothers. C’est un facteur de risque important pour la sélection de titres.

Pourquoi ces covenants sont-ils moins protecteurs ? Du côté des convertibles, certaines clauses sont-elles aussi moins favorables aux investisseurs ?

Grégoire Docq : La quête de rendement des investisseurs institutionnels et privés est telle que les banques qui intermédient auprès des émetteurs se refinançant sur le marché obligataire en profitent pour retirer les clauses les plus protectrices.

Antoine Lesné : Dans la construction des indices, nous essayons d’enlever les covenants light pour avoir un indice plus investissable et un peu moins risqué. Cela donne plus de souplesse en matière de liquidité quand le marché recommence à valoriser le risque.

Hubert Lemoine : Ce problème concerne plus les loans que les obligations convertibles. Depuis la mise en place des politiques monétaires très accommodantes en Europe, peu de sociétés ont eu recours aux obligations convertibles comme outil d’investissement. C’est plus un outil de refinancement pour des sociétés qui n’ont pas accès au marché obligataire classique. Nous avons vu quelques émetteurs investment grade venir arbitrer l’appétit des investisseurs en obligations convertibles en émettant des convertibles non dilutives. Les obligations convertibles restent un petit marché à l’échelle du marché obligataire.

Grégoire Docq : Je vous rappelle que les desks de trading des banques ont connu une très mauvaise fin d’année sur le fixed income, surtout aux Etats-Unis. Certaines de ces banques se sont retrouvées avec beaucoup de papiers risqués difficiles à placer tout en étant short d’autres. Cette composante short a amené les banques à racheter en début d’année pour neutraliser les bilans, ce qui a nourri le mouvement sur le crédit high yield, mais aussi investment grade. Pour faire un parallèle avec les convertibles, un certain nombre de banques ferment leurs desks ou réduisent leurs effectifs de trading sur la classe d’actifs. Les convertibles souffrent de ce manque technique.

Hubert Lemoine : Depuis le début de l’année, nous observons une certaine stabilité des encours dédiés aux obligations convertibles, cela reste un marché de spécialistes, mais qui ne manque pas d’intérêt pour l’investisseur.

L’inflation a été un sujet de préoccupation pour les banques centrales, mais aussi une opportunité, il y a quelques mois, pour les investisseurs qui se sont intéressés aux fonds d’obligations indexés sur l’inflation. Ce n’est plus le cas aujourd’hui ?

Hubert Lemoine : La tendance haussière de l’inflation anticipée par les investisseurs est marquée depuis fin 2018 aux Etats-Unis et un peu moins en Europe. Du côté de la Chine, on constate plutôt une tendance à exporter un peu sa déflation. Le biais redevenu accommodant des banques centrales laisse planer un doute sur leurs capacités à reflater l’économie. Nous sommes plutôt prudents pour l’instant sur les «break even» américains.

Antoine Lesné : Les flux des investisseurs institutionnels indiquent plutôt des mouvements vendeurs sur les obligations indexées depuis quelques trimestres. Il faudra peut-être revenir dessus. Notre outil d’inflation en temps réel, qui est un bon indicateur de tendance, montre toutefois que nous avons touché un point bas et que l’inflation remonte doucement aux Etats-Unis. Dans les pays émergents, l’inflation est bien redescendue après la hausse des taux du quatrième trimestre. L’inflation n’est pas un souci aujourd’hui, ce qui est positif pour la classe d’actifs obligataires.

Sidney Oury : Dans les pays émergents, le problème de l’inflation se pose encore pour quelques pays comme l’Argentine, la Turquie, sans parler du cas très particulier du Venezuela. Dans la plupart des autres grands pays émergents, les niveaux d’inflation sont relativement bas d’un point de vue historique. Les banques centrales sont beaucoup plus réactives et n’hésitent plus à remonter leurs taux directeurs en cas de potentielle fuite de capitaux. De nombreux pays ont des politiques fiscales et monétaires plus crédibles que par le passé d’un point de vue économique, notamment le Brésil.

Quelles sont aujourd’hui les opportunités pour un investisseur de la zone euro en quête de rendement et qui ne souhaite pas ou ne peut pas investir dans les actions ? Quels actifs obligataires doit-il privilégier ?

Antoine Lesné : Il faut savoir quel type de risque l’investisseur est prêt à prendre pour avoir du rendement. Veut-il se positionner sur la courbe et prendre un risque de sensibilité aux taux pour avoir quelques points de base supplémentaires ? C’est un risque qui peut payer si les chiffres économiques sont mal orientés dans la zone euro, si l’espoir de stimulus chinois ne finit pas par se retrouver dans ces chiffres, et si l’administration Trump ne s’y attaque pas frontalement… Mais c’est un risque asymétrique : il faut beaucoup d’éléments négatifs pour que cela rapporte un rendement assez limité et une petite performance positive.

Ce n’est pas notre scénario. Il est donc préférable d’aller chercher un risque de crédit tout en s’interrogeant sur le risque pris pour avoir ce rendement. Il y a également une dimension liée à la devise. Une partie de ce rendement va se retrouver dans le dollar ou les devises émergentes. Si l’investisseur veut couvrir l’exposition à ces devises, que lui reste-t-il comme rendement ?

Sidney Oury : L’environnement de taux est plutôt favorable aux obligations en dollar, notamment dans les émergents, car les primes de risque y sont significativement plus élevées, et la qualité des émetteurs high yield y est au moins aussi solide qu’en Europe. En termes de rendement «net», il est parfois plus intéressant de supporter le coût de couverture de change afin d’investir dans des environnements moins compétitifs pour les investisseurs. Notre présence historique en Amérique latine nous permet d’identifier des idées de picking en devises dures avec un niveau de rendement plus satisfaisant au regard de la qualité des émetteurs.

Grégoire Docq : La question est délicate, car il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte. Pour un investisseur institutionnel ou privé, très averse au risque, le choix est compliqué. Il est possible d’avoir du rendement, mais l’investisseur doit définir ce qu’il est prêt à subir en termes de risque et de volatilité. Notre fonds, investi dans le crédit investment grade et high yield, se porte bien, mais il ne faut pas omettre de dire aux clients que des risques forts d’un point de vue fondamental reposent sur ce type d’investissement, et que nous faisons tout pour les éviter. Chez Allianz GI, nous avons également réfléchi au lancement de produits plutôt alternatifs, de la gestion court terme crédit accompagnée de stratégies long/short sur les dérivés, par exemple.

L’environnement des taux ces dernières années a finalement obligé les gérants à innover en matière de gestion et à proposer également des approches plus flexibles…

Grégoire Docq : Nous avons en effet créé ce fonds alternatif. D’autres acteurs ont également lancé des produits similaires. Il existe désormais une gamme de produits alternatifs avec des durations courtes, une volatilité écrasée et une recherche de rendement sur des stratégies alternatives, et plus seulement sur la duration ou le portage. Les investisseurs manifestent de plus en plus d’intérêt pour ces produits.

Hubert Lemoine : Chez Schelcher Prince Gestion, nous gérons, en effet, des produits plus flexibles sur le crédit. Ils répondent aux scénarios des marchés depuis quelques années, avec des rendements d’actifs qui convergent vers 0. Cela pousse inévitablement à avoir des stratégies crédit alternatives et à être plus opportunistes. Nous avons des fonds, avec des niveaux de risque différents, dont l’objectif est d’avoir un retour absolu positif. Cela implique des stratégies tactiques. Actuellement, nous préférons diminuer le risque dans nos portefeuilles et parier sur l’aplatissement des courbes de taux européennes, en privilégiant des durations très longues sur le souverain.

Plus le risque est élevé, plus la duration est faible

Sidney Oury : Chez IVO Capital Partners, nous gérons des mandats obligataires et un fonds d’obligations internationales, avec un biais émergent important. Le fonds met en œuvre une approche flexible aussi géographique que sectorielle. Nous avons une gestion active de la duration et une flexibilité dans la gestion du cash également qui nous permettent de ne pas investir si le rapport risque/rendement n’est pas favorable. Nous n’achetons que des instruments seniors et jamais en devises locales.

Cette approche flexible nous permet de dégager un rendement attractif et de surperformer la gestion passive sur le long terme ainsi que la gestion benchmarkée.

Antoine Lesné : Au premier trimestre, nous avons privilégié les convertibles et la dette émergente en devises locales. Pour le trimestre en cours, nous souhaitons plutôt neutraliser la duration et aller chercher du portage sur du high yield euro, de la dette émergente souveraine, mais sur des maturités courtes en dollar et de la dette émergente en devises locales mais avec une vision de long terme.

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