Table ronde

Où investir en 2021 ?

Publié le 31 décembre 2020 à 18h01    Mis à jour le 7 janvier 2021 à 12h01

Propos recueillis par Catherine Rekik

En 2020, la pandémie de Covid-19 a provoqué une récession économique inédite tandis que les marchés financiers, après avoir joué aux montagnes russes, ont fait preuve de résilience grâce au soutien massif des banques centrales et des Etats.

Personne n’aurait pu anticiper ce qu’il s’est passé en 2020 ni les conséquences de cette pandémie. Sur les marchés, plusieurs cycles se sont succédé en quelques mois à peine. Quel bilan peut-on tirer de cette situation inédite ?

David Taieb : 2020 fut une année exceptionnelle pour plusieurs raisons : une crise mondiale touchant aussi bien les pays développés que les pays émergents et une fermeture générale de l’économie. Le bilan de cette crise est désastreux, avec 1,5 million de morts du Covid-19 dans le monde. Mais cette crise est sanitaire et non pas financière. De même, il ne s’agit pas d’une crise de la demande mais d’une crise de l’offre : ce sont les usines, les chaînes d’approvisionnement et les magasins qui ont fermé, et non pas les ménages qui ont cessé de consommer ou les entreprises d’investir.

Au-delà de la simple lecture des performances sur les marchés, le bilan est donc lourd avec des impacts très importants sur l’économie. Il faudra du temps pour que la situation se normalise.

Michaël Nizard : Pour bien comprendre l’étendue des dégâts, prenons quelques chiffres : aux Etats-Unis, la perte maximale d’activité en avril a été de 16 % par rapport au niveau précédant la pandémie, et en Europe de 26 %. Sur le troisième trimestre, cet impact s’est fortement réduit.

L’année 2020 a donc été marquée par un choc exogène avec un gel de l’activité plus marqué dans les pays développés que dans les pays émergents. Avant le début de la pandémie, l’économie mondiale était dans une situation d’équilibre, ce qui va nous aider à tracer des perspectives pour 2021. Il n’y avait pas de tensions inflationnistes ou de tour de vis monétaire comme nous l’avions connu fin 2018, ni de problèmes de balance des paiements, notamment dans les pays émergents, de bulle immobilière comme en 2007 ou de restrictions du crédit. Ainsi, avant la crise, les conditions financières étaient plutôt stables. En 2021, il est donc possible que nous allions vers une normalisation de l’activité économique, notamment grâce à des politiques monétaires et budgétaires de grande ampleur. Nous sommes d’ailleurs entrés dans un nouveau paradigme monétaire et budgétaire pour les années à venir.

Alexandre Attal : Cette crise est, en effet, mondiale. Elle a touché l’ensemble des pays avec la même intensité. Cependant, quelques mois plus tard, nous constatons que les répercussions boursières sont très différentes suivant les pays. La pandémie s’est propagée à une vitesse folle, et les mesures de confinement ont été importantes, mais cela n’a pas empêché un retour d’optimisme chez les investisseurs dès le mois d’avril. Optimisme qui s’est accentué ces dernières semaines, avec des marchés boursiers qui sont, désormais, depuis le début de l’année, en hausse de 5 % à mi-décembre pour le MSCI World en euros. La crise du Covid-19 n’était pas anticipable mais, au cœur de la pandémie, personne n’aurait pu non plus imaginer la forte remontée des indices en cette fin d’année ! Cette crise a également été un révélateur et un amplificateur des disparités entre les pays émergents et les pays développés et, au sein de ces derniers, entre les marchés américains et les marchés européens. Cela renforce l’idée que, dans une économie globalisée, il faut avoir une approche internationale en termes de stratégies au sein de nos portefeuilles. La diversification est un facteur de différenciation et de résilience dans les conditions de marchés actuelles. Par ailleurs, même si les ménages ont eu la capacité de consommer et si les entreprises ont eu la volonté de continuer à produire post-confinement, c’est aussi grâce aux banques centrales que nous en sommes là aujourd’hui. Elles ont été l’élément moteur de 2020. A moyen terme, il faudra donc être attentifs aux signaux de désengagement de leur part. D’autres problèmes surgiront alors…

Matthew Morgan : Du point de vue d’un investisseur dans les marchés obligataires, il faut d’abord souligner la poursuite de la convergence des taux d’intérêt mondiaux vers des taux zéro, en dépit d’un léger rebond des taux américains à dix ans en novembre. Cette tendance devrait se poursuivre jusqu’en 2022. Ce qu’il est important de retenir de cette crise, c’est l’apport de liquidité par les banques centrales. C’est elle qui a poussé les investisseurs à retourner sur les marchés après la crise du mois de mars. C’est ce qui rend le rebond différent de ce que nous avons connu par le passé car, si les investisseurs ont été effrayés par les ravages de la pandémie, ils sont revenus très vite mais de préférence sur les actifs de qualité, au moins jusqu’en novembre. Ils ont privilégié les actifs de croissance, les valeurs de technologie, des actifs défensifs, aussi bien dans les actions que dans les obligations. Dans le monde obligataire, le segment investment grade a ainsi surperformé le high yield depuis mars. La tendance s’est inversée en novembre mais, selon nous, il s’agit d’un rebond partiel.

Sidney Oury : L’effet de surprise de la crise a généré un assèchement global de la liquidité aussi bien sur les actions que sur le crédit. La fuite des capitaux a été massive et accompagnée, en parallèle, d’un mouvement de «fly to quality» important. Sur la dette émergente, par exemple, les sorties de capitaux ont été trois fois plus importantes et plus rapides qu’en 2008. Ce phénomène a engendré une polarisation importante entre les actifs bien perçus et les mal perçus, en fonction de leur degré d’exposition aux politiques accommodantes des banques centrales, de leur pays ou de leur secteur, notamment. Il a été décuplé dans le monde émergent, où nous avons vu des écarts inédits entre le prix des actifs et leur valeur fondamentale.

D’un point de vue géographique, l’Asie a mieux résisté que le reste du monde et, d’un point de vue sectoriel, certains secteurs comme la technologie ont été les grands gagnants, contrairement au pétrole ou au transport. La crise a été un accélérateur de tendances – Asie/non-Asie, tech/non-tech, ESG/non-ESG, etc. En termes de styles de gestion, la gestion momentum a bien performé, notamment sur les secteurs porteurs et sur les entreprises qui affichaient de belles performances opérationnelles. Dans l’obligataire, la polarisation a joué en faveur de l’investment grade. Les écarts de spreads entre l’investment grade et le high yield ont été historiques et ne se sont pas encore résorbés dans certains segments de marchés, notamment dans le monde émergent.

Alexandre Attal : Une des caractéristiques de cette crise, sans doute liée à son aspect exogène par rapport aux marchés, est que, finalement, les gagnants d’avant-crise – les valeurs technologiques – sont aussi les vainqueurs d’après-crise, même si l’annonce de la mise sur le marché d’un vaccin a entraîné récemment un début de rotation sectorielle. Contrairement à 2008, où les secteurs qui avaient bien performé avant la crise avaient été ceux qui avaient le plus souffert, les valorisations des valeurs technologiques n’ont, par exemple, pas pâti de la crise. Bien au contraire !

Dans cette année riche en événements, lequel vous a le plus marqué en tant que gérant : l’ampleur de la baisse, la rapidité du rebond, l’euphorie des marchés qui a suivi l’annonce de la mise sur le marché du vaccin et qui a presque éclipsé le résultat de

David Taieb : Beaucoup d’éléments ont été importants pendant l’année, mais je retiendrai l’annonce du vaccin car c’est un «game changer» important et, surtout, elle est porteuse d’espoir. L’élimination du risque extrême redonne de la visibilité aux opérateurs. Les entreprises et les ménages vont pouvoir commencer à se projeter et permettre à l’économie de repartir. Depuis les annonces sur le vaccin, les parcours des indices boursiers confirment cette perspective.

Michaël Nizard : La période entre le 9 et le 19 mars est celle qui m’a le plus marqué, sans doute parce qu’elle rappelle les challenges qui sont devant nous pour les cinq prochaines années. Durant cette courte période, les marchés actions et les actifs risqués en général ont poursuivi leur baisse. Dans le même temps, les actifs refuges – or, yen, marchés des taux – ont également baissé. Nous allons entrer dans une phase durant laquelle les valeurs refuges vont poser question en termes de construction des portefeuilles. Les taux sont très bas et, contrairement aux années précédentes, l’approche «risk-parity» peut commencer à trouver ses limites : porter conjointement des actifs refuges et des actifs risqués peut aujourd’hui soulever des problèmes pour les gérants.

Sidney Oury : Au-delà de la dislocation extrême, c’est l’accélération de tendances sectorielles et géographiques qui est marquante. La Chine, avec la région Asie, a confirmé son leadership et devient encore plus le moteur de la croissance mondiale. Les économies asiatiques, plus disciplinées et rigoureuses, sont capables de gagner, demain, des parts de marché dans le monde entier, avec des devises plus présentes dans les échanges mondiaux.

Matthew Morgan : J’ai été frappé de voir à quel point l’action des banques centrales avait été rapide et coordonnée cette fois-ci alors que, après la crise de 2007-2008, elle avait été parcellaire et longue. En mars dernier, tout a été fait en quelques jours. La baisse des taux s’est poursuivie, mais il y a eu aussi des innovations en matière de réponse à la crise économique. Nous ne savons pas encore où cela nous mènera à l’avenir. La Fed a indiqué, par exemple, être prête à tout pour créer de l’inflation dans l’économie américaine. Compte tenu des difficultés à créer de l’inflation dans le contexte actuel, les innovations vont se multiplier. Les gouvernements aussi ont été créatifs avec l’octroi de prêts bancaires garantis par l’Etat aux entreprises. On dit souvent que rien n’est aussi permanent qu’un programme gouvernemental temporaire. Ces innovations pourraient perdurer, et le monde sera en 2021 et 2022 bien diffèrent de celui d’avant.

Alexandre Attal : De cette année si intense et inédite, je retiendrai la résilience des marchés. Le mouvement de panique s’est concentré sur une période courte, entre février et mars, avec, par la suite, des marchés bien orientés. Nous avons vu la même résilience des investisseurs avec l’élection américaine. Ce qui s’est passé le 3 novembre était le pire scenario anticipé par les investisseurs, mais ils ont préféré se focaliser sur les aspects positifs de cette élection. Le résultat serré entre Biden et Trump, tout comme la répartition des forces entre la Maison-Blanche et le Sénat, n’était pas celui escompté. Finalement, les marchés se sont appuyés sur des éléments optimistes, confirmés ensuite par les annonces sur le vaccin, et le soutien des banques centrales.

Autre élément marquant, au cours de l’été : la Fed a indiqué que l’objectif d’inflation serait désormais considéré sur un cycle et non à un instant T, et qu’il serait donc possible de laisser filer l’inflation au-dessus de 2 %. Cela constitue un changement de paradigme majeur, par rapport à ce que nous avons connu comme discours, et aura une influence sur le pilotage de nos portefeuilles dans les mois à venir. La nomination de Janet Yellen au poste de secrétaire au Trésor dans l’administration Biden n’est pas neutre en termes de message sur le rôle de la banque centrale et de sa manière d’interagir dans la sphère économique.

Les Etats-Unis sont-ils encore capables de tirer la croissance mondiale et de peser sur l’orientation des marchés financiers mondiaux ?

David Taieb : Les perspectives de croissance s’améliorent pour l’ensemble de la planète, mais elles sont meilleures du côté des pays émergents et notamment de la Chine, dont la croissance est attendue autour de 5 % en 2021. Pour les Etats-Unis, nous prévoyons une hausse comprise entre 3 et 3,5 %. Une prévision qui sera ajustée en fonction de l’évolution de la crise sanitaire. Le début de l’année devrait toutefois être le point de départ d’une perspective macroéconomique plus favorable aux Etats-Unis et dans le reste du monde. Deux tendances sont à considérer pour début 2021 : la resynchronisation des économies mondiales et une relocalisation de certaines industries. En France, par exemple, il y a un mouvement de relocalisation de certains centres de production.

Michaël Nizard : Sur la question de la dépendance des marchés mondiaux aux marchés américains, il y a deux points à envisager. Avant la macroéconomie, il faut regarder le cycle monétaire américain qui a, généralement, un impact très important sur le cycle de crédit mondial, notamment dans les pays émergents avec un effet décalé. Toute la question est de savoir quel va être le risque de reprise d’une partie de la liquidité injectée au marché par la Fed et par la relance fiscale. Quel va être le cycle du «policy-mix» américain et son impact sur l’économie mondiale ? Selon nous, la politique monétaire de la Fed restera très souple en 2021.  Il nous semble qu’il y a un vrai glissement de sa doctrine, qui évolue vers une plus grande tolérance vis-à-vis de l’inflation, et un besoin de plus de relance budgétaire. Pour des raisons de crédibilité de la Fed vis-à-vis de l’inflation, il sera donc important de garder un cycle monétaire exceptionnellement accommodant et une politique budgétaire expansionniste. Le corollaire sera de voir un redémarrage du cycle de crédit dans les pays émergents.

Le deuxième point concerne la croissance domestique américaine. L’épargne accumulée par les ménages finira par se déverser sur plusieurs pans de l’économie. Il y a eu un report de dépenses de services vers des dépenses de biens. La consommation des ménages va rester un moteur important de la croissance domestique, ce qui constitue un point fort pour les pays émergents et l’Europe. L’année 2021 devrait donc débuter avec une nette surperformance des marchés boursiers, notamment de l’Asie mais aussi de l’Europe.

Matthew Morgan : Les investisseurs ont sans doute été trop enthousiasmés par la victoire de Biden et les annonces de vaccin. La fin de l’ère Trump me semble pourtant plus importante que le début de l’ère Biden. On peut évidemment anticiper une politique extérieure plus calme et prévisible ainsi qu’une meilleure collaboration avec le reste du monde et la Chine en particulier. Cependant, les tensions américano-chinoises vont persister, Biden continuant à mettre la pression sur la Chine. Le gouvernement américain devrait rester divisé avec un Sénat républicain. Après cinq ans de soutien aux énormes déficits budgétaires de Trump, les sénateurs républicains vont sans doute retrouver leur prudence fiscale et pourraient empêcher Biden de concrétiser ses objectifs. Ceux qui attendent des annonces en matière d’infrastructures ou de santé risquent d’être déçus.

Il nous faut donc prendre un peu de recul et réfléchir à la tendance dans laquelle nous vivons depuis 2008. Elle se caractérise par le vieillissement de la population mondiale, le surendettement et des ruptures technologiques importantes. Même si Biden multiplie les efforts pour trouver une solution fiscale et si les banques centrales innovent pour trouver des solutions de soutien à l’économie, ces éléments désinflationnistes vont continuer à peser lourdement. Il faut s’attendre à la persistance d’une faible croissance économique mondiale et d’un monde sans inflation. La tendance d’avant-crise pourrait donc être toujours la même, ce qui me pousse à être prudent.

Alexandre Attal : Pour notre part, nous conservons un sentiment optimiste quant aux perspectives économiques des Etats-Unis. Il y aura un «policy-mix» avec un impact positif sur la vigueur économique et les marchés boursiers. Si le programme de vaccination se met en place rapidement et si les conditions hivernales ne réduisent pas trop l’activité, la reprise pourrait être importante en 2021, autour de 4 à 5 %. La Bourse américaine a cette capacité d’être un indicateur avancé pour les autres places financières. Cela a été le cas en 2020 comme lors des crises précédentes. Il y a toutefois plusieurs points de vigilance. La construction sectorielle des marchés américains, avec une prédominance des valeurs technologiques, peut devenir une source d’inquiétudes car les valorisations sont relativement élevées. Une correction de certaines valeurs entraînerait le reste de la cote. Par ailleurs, les marchés américains sont plus chers que la plupart des autres marchés boursiers. Et attention au consensus sur les marchés, en tout cas à court terme, car si les vaccins ont levé des incertitudes, tout n’est pas réglé pour autant.

Sidney Oury : Sur le plan monétaire, nous pensons également que les politiques expansionnistes de la Fed, qui devraient se prolonger en 2021, contribueront à accélérer la reprise de l’activité. Sur le plan fiscal, il devrait y avoir une annonce de plan de relance assez ambitieux de Biden pour permettre de relancer la demande intérieure américaine, avec des conséquences positives sur les partenaires commerciaux des Etats-Unis. Ces politiques monétaires et fiscales accommodantes devraient avoir pour conséquence indirecte un affaiblissement du dollar, ce qui serait plutôt bénéfique aux pays émergents, notamment ceux qui ont un endettement extérieur important comme l’Argentine. Sur le plan de la politique extérieure, on a le sentiment que la communication sera moins chaotique et que les tensions vis-à-vis de l’Europe et du monde émergent seront moins vives sous l’administration Biden – en particulier avec le Mexique. Même si les tarifs douaniers sur les produits chinois ne sont pas nécessairement levés, la réapparition d’une forme de prédictibilité dans la politique commerciale américaine devrait entraîner une reprise des échanges commerciaux internationaux, bénéfique pour les émergents notamment.

De façon unanime, vous considérez les marchés émergents comme une des classes d’actifs à privilégier dans les prochains mois, notamment dans la perspective d’un affaiblissement du dollar. Mais comment abordez-vous ce monde émergent ?

Sidney Oury : L’Asie et l’Amérique latine ont connu des dynamiques très différentes à tous les niveaux : sanitaire, économique, et concernant la dynamique des marchés. En 2021, la Chine va rester le moteur de l’économie mondiale. D’ailleurs, chaque point de croissance gagné en Chine génère 0,5 point de PIB supplémentaire pour les autres pays émergents. Certains secteurs en profitent, le cuivre, par exemple qui a enregistré une hausse de 27 % sur l’année. Deux pays en Amérique latine en ont bénéficié : le Pérou et le Chili, qui exportent du cuivre vers la Chine.

Ailleurs, en Amérique latine, le Brésil et le Mexique ont été les plus résilients de la région économiquement parlant, profitant d’une reprise des secteurs exportateurs et d’un stimulus fiscal important au Brésil. Cependant, ces deux pays se classent toujours dans les premiers en nombre de cas touchés par le Covid-19, et l’allègement du stimulus fiscal au Brésil à partir de l’année prochaine pourrait freiner la reprise économique de manière importante.

Cependant, en termes de valorisation, l’Asie offre peu d’opportunités intéressantes sur le crédit, les primes de risque y étant généralement plus faibles. L’Amérique latine, en revanche, est un vivier structurellement intéressant – nombreux émetteurs en USD, notations capées des entreprises dans certains pays high yield –, mais surtout conjoncturellement, du fait du sell-off massif qui a impacté les entreprises, souvent de manière injustifiée. En 2020, par exemple, 50 % de la dégradation des notations d’entreprises était liée à la dégradation de la notation du pays. Ce qui nous ouvre des opportunités.

Enfin, du côté du marché des changes, où le marché s’est également polarisé devises fortes/devises faibles, les monnaies émergentes devraient désormais être portées par un environnement plus favorable soutenu par une demande plus importante en matières premières.

Alexandre Attal : Au cours de l’année 2020, nous avons eu une approche positive des marchés émergents. Les paris sur les actions émergentes ont permis de diversifier les portefeuilles et ont été sources d’un surcroît de performance. Les marchés émergents n’amplifient plus le comportement des autres places financières comme en 2007 ou 2008. Ils ne sont pas plus risqués que les marchés des pays développés et se montrent, d’une certaine manière, plus résilients.

Nous conservons une vue positive sur les marchés émergents pour des raisons intrinsèques – vigueur de la Chine, poursuite de la hausse des matières premières –, mais aussi pour des raisons exogènes, le maintien par la Fed d’une politique monétaire accommodante, ce qui constitue un soutien indirect. Nous privilégions plus l’Asie que l’Amérique latine dans nos allocations, car elle devrait plus profiter du redémarrage de la croissance mondiale en 2021.

Michaël Nizard : Nous sommes investis dans les marchés émergents, aussi bien sur la dette que sur les actions, depuis plusieurs mois. Sur la dette émergente, les valorisations sont intéressantes. C’est l’un des rares marchés qui offrent encore un potentiel de resserrement attractif. De plus, les conditions financières vont rester favorables à la classe d’actifs, notamment avec la baisse structurelle du dollar et des taux d’intérêt réels et nominaux plafonnés. Enfin, la croissance économique des pays émergents va rester supérieure, avec la Chine qui tire bien son épingle du jeu. Du côté des actions, la dynamique est positive en matière de croissance bénéficiaire, et les valorisations sont attractives. D’un point de vue structurel, l’Asie va profiter des nouveaux accords commerciaux RCEP. Le Japon devrait aussi tirer son épingle du jeu avec des mesures en faveur de la croissance.

David Taieb : La Chine est sans doute sortie plus forte de la crise, avec une croissance positive en 2020. En ce début d’année, les marchés émergents sont surpondérés dans nos allocations pour plusieurs raisons. La Chine et les pays asiatiques ont eu une meilleure gestion de la crise sanitaire. L’élection de Joe Biden va permettre une accalmie sur le front des tensions commerciales. L’affaiblissement du dollar va favoriser les investissements et les expositions aux marchés émergents où les valorisations sont attractives, notamment dans le secteur technologique qui constitue une alternative intéressante aux valeurs technologiques américaines. Dans l’obligataire, nous avons une préférence pour la dette à duration courte. Avec la baisse du dollar, un investisseur européen peut aussi faire le pari d’investir dans la dette en devises locales. Par ailleurs, la zone euro et en particulier l’Allemagne sont des bons «proxy» de la Chine. Il est possible de profiter de la dynamique de la Chine et des pays émergents à travers un fonds exposé à l’Europe.

Matthew Morgan : Notre point de vue sur la dette des pays émergents reste conservateur. Certes, il y a bien un rebond cyclique mais, sur le long terme, cette tendance ne devrait pas perdurer. En étant sélectifs, on trouve quelques opportunités dans le crédit émergent et dans les obligations souveraines de la Chine et de la Russie. Ces deux pays ont des problèmes démographiques et devraient connaître une décélération de la croissance. Leurs rendements obligataires sont attractifs mais, selon nous, ces deux Etats vont être contraints de baisser leurs taux, soit directement, soit via une sorte de quantitative easing, ce qui justifie d’être un peu exposés à ces actifs.

Vous avez évoqué plusieurs perspectives positives pour 2021, mais quels sont les principaux risques à surveiller ?

Matthew Morgan : En 2020, les marchés ont rebondi grâce à l’action des banques centrales, mais les données économiques sont incertaines. L’étendue des dommages de la crise n’est pas encore bien appréhendée par les investisseurs. Ces dommages vont se révéler tout au long de 2021. Avant la crise du Covid-19, nous avons connu une décennie de croissance faible et déflationniste. Et cela va continuer, avec une croissance attendue autour de 2 % aux Etats-Unis, de 1 % maximum dans la zone euro et de 3 % maximum au niveau mondial. Les investisseurs finiront par se rendre compte que nous atteignons les limites des politiques monétaires et que la convergence des taux vers 0 se poursuit. Nous anticipons également des périodes de stress sur les marchés actions.

Les investisseurs ont été trop optimistes, trop vite…

Matthew Morgan : Les liquidités les ont poussés à être optimistes et à investir dans les marchés sans attendre le rebond des données économiques. Or, ce rebond risque d’être plus long qu’ils ne l’imaginent.

Alexandre Attal : Les vaccins et l’élection américaine ont levé des incertitudes à court terme, mais il reste des points de vigilance pour les marchés. La mise en œuvre du programme de vaccination va prendre du temps selon les pays. Les marchés vont donc surveiller les différentes politiques vaccinales, car elles vont avoir des conséquences sur la capacité des économies à rester ouvertes et à éviter de nouvelles mesures de confinement. Dans certains Etats américains, par exemple, de nouvelles mesures de restrictions ont d’ailleurs déjà été mises en place mi-décembre. Tout cela peut donc influencer le rythme de la reprise mondiale sur le début 2021.

A moyen terme, il faudra aussi se focaliser sur les taux américains : une remontée en 2021 ferait peser un risque sur les marchés actions. En effet, la faiblesse des taux a constitué un facteur de soutien pour les marchés actions au cours des derniers mois, les investisseurs n’ayant d’autre possibilité pour générer un rendement attractif. Plus particulièrement, cela a soutenu les valeurs de croissance. Toute remontée des taux pourrait donc être perçue comme un signal négatif pour les investisseurs.

David Taieb : Le premier risque concerne la crise sanitaire et, malgré le vaccin, on ne peut pas exclure une troisième vague. Si elle a lieu, elle pourrait être plus dévastatrice que les deux précédentes car, après avoir annoncé la découverte de vaccins, un nouveau confinement sera plus douloureux pour la population, et donc pour l’économie. Il existe un risque de logistique dans la mise en œuvre de la vaccination, notamment dans le transport et le stockage des vaccins, sur lequel les marchés vont se focaliser.

A cela s’ajoute le risque économique. Jusqu’à présent, les entreprises ont bénéficié de plans de soutien mais, lorsque les aides vont se réduire, il y aura un nombre important de faillites, notamment dans les secteurs les plus fragilisés. Quid de cette dette créée pour faire face à la crise et de l’impact des faillites sur l’économie et les bilans des banques et des assureurs ? A plus long terme, il faut garder sous surveillance le risque inflationniste. Quand les banques centrales distribuent autant d’argent, quand les gouvernements prévoient des plans de relance aussi importants et qu’on élimine dans le même temps le risque de pandémie, l’inflation peut faire son retour. Enfin, un retrait prématuré des banques centrales pourrait engendrer de nombreuses incertitudes pour les investisseurs.

Sidney Oury : Dans les pays développés en particulier, le risque de crédit des entreprises est plus important en 2021. Aux Etats-Unis, le levier d’endettement dans l’investment grade a atteint 3,5 fois. C’est le niveau le plus élevé depuis 1998. Dans le high yield, le levier d’endettement est passé de 4,4 à 5,5 fois en quelques mois. Beaucoup d’entreprises ont profité des plans de soutien. Les investisseurs vont devoir faire face à un retour dans le monde d’avant «high risk/low yield», avec des taux bas, un environnement de risques élevés et de faibles rendements.

Nous allons passer de la macroéconomie à la microéconomie, d’un raisonnement sur les secteurs gagnants versus les secteurs perdants à un raisonnement sur les gagnants et les perdants au sein d’un même secteur, en particulier sur les secteurs les plus affectés par la crise sanitaire, ce qui devrait favoriser les stratégies de gestion active.

Par ailleurs, on ne peut pas exclure l’émergence de risques sociaux, car cette crise a accentué les écarts de richesse entre les populations et augmenté la paupérisation d’une partie plus importante de la population.

Comment abordez-vous l’année sur le plan de la gestion ? Comment construire une allocation d’actifs dans le contexte actuel ? Les classes d’actifs les plus attractives, notamment les actions, ne sont-elles pas déjà chères ?

Michaël Nizard : Un gérant diversifié va devoir naviguer entre plusieurs écueils. Nous sommes dans une phase de répression financière, avec une convergence des taux d’intérêt vers 0 et une dette globale à taux négatif qui dépasse les 17 trillions de dollars. La difficulté est d’aller chercher du portage.

En parallèle, nous avons une multiplication des facteurs de risque. Il est donc de plus en plus difficile d’identifier le bon facteur de risque et son market timing et d’évaluer la finalité des pertes. Le décryptage des risques en dehors de la macroéconomie devient très compliqué, et cela devrait marquer la gestion d’actifs pour les années à venir. Enfin, les actifs refuges jouent de moins en moins leur rôle, ce qui pose un problème en termes de diversification et de décorrélation.

Par rapport à ces écueils, la solution en matière de construction de portefeuilles est de privilégier une gestion active et flexible de la duration. Il faut aussi avoir une gestion flexible de l’allocation entre les différents segments obligataires. Des protections permanentes et optionnelles, pouvant offrir de la convexité dans un portefeuille au moment où un risque se matérialise, sont nécessaires.

Face au problème de diversification des risques, il faut aller au-delà de la diversification géographique ou par actifs, vers des stratégies différenciantes d’intervention sur les marchés. Une approche multistratégies permet de reconstruire un peu de diversification.

En termes d’exposition, nous commençons l’année avec une surpondération sur les marchés actions, principalement l’Asie et l’Europe. Nous restons constructifs sur certains actifs obligataires comme la dette émergente et la dette financière subordonnée. En matière d’allocation, nous allons chercher à neutraliser les biais sectoriels et factoriels dans la perspective d’une rotation. Pour l’instant, il n’y a pas de dommage sur le style growth mais, en cas de rotation plus forte, il est important d’avoir des portefeuilles bien équilibrés sur les marchés actions.

Ce début d’année est plus orienté vers les actifs risqués mais, au fur et à mesure que les marchés intégreront le rebond du cycle, il faudra revenir à un positionnement plus défensif, avec plus de protections dans les portefeuilles.

David Taieb : Tout n’est pas réglé et de nouveaux risques vont probablement se matérialiser, mais il faut aborder 2021 avec confiance car l’environnement est plus porteur. Il devrait favoriser la hausse des actifs risqués, dans les premiers mois de l’année notamment. Nous privilégions les actions européennes et émergentes ainsi que les obligations corporate investment grade des pays développés, mais aussi les subordonnées financières dont le couple rendement/risque est favorable, et la dette émergente.

En matière de construction du portefeuille, la décorrelation par classes d’actifs n’est plus aussi forte qu’avant la crise. Il va donc falloir innover et avoir une gestion plus rigoureuse et flexible des actifs refuges tels que les obligations souveraines, le yen, le franc suisse ou l’or. Le portefeuille peut contenir des briques d’actifs risqués associées à des poches de décorrelation avec des options listées et encore peu chères. La gestion du couple rendement/risque est au cœur de nos préoccupations en ce début d’année.

Matthew Morgan : Notre portefeuille privilégie une approche «barbell», avec une exposition à des actifs risqués comme les obligations high yield – avec un rendement de 3,5 % –, et une allocation assez conservatrice, investie dans des obligations souveraines. La politique monétaire va continuer à soutenir les marchés du crédit. Il y a donc encore des opportunités à saisir dans le crédit, surtout dans le haut rendement et les pays émergents. Nous conservons une préférence pour les entreprises capables de traverser les cycles dans un contexte où nous ne connaissons pas encore tous les dégâts économiques causés par la crise. Une partie du portefeuille est donc optimiste et offre un bon rendement aux investisseurs, mais notre vision macro nous amène à douter fortement de la suite. Les faibles rendements des obligations souveraines vont perdurer en 2021 et 2022, raison pour laquelle le portefeuille a une duration de six ans. La duration est, pour nous, la meilleure façon de couvrir le portefeuille. Celui-ci reste néanmoins dynamique et peut changer rapidement.

Alexandre Attal : Actuellement, nous avons un positionnement légèrement sous-pondéré sur les marchés actions. Toutefois, nous constituons cette poche avec des stratégies procycliques qui nous permettent de capter la performance des marchés si ceux-ci restent bien orientés. Le rallye a été important en novembre, il y a sans doute eu un excès d’optimisme. Néanmoins, considérant que nous sommes dans une phase de relance économique, nous sommes constructifs à moyen terme. 2021 devrait confirmer une bonne performance de la croissance mondiale.

Au sein de la poche taux, nous sommes plutôt sous-sensibles en duration. Même si les primes de risque se sont resserrées, avec un retour sur les niveaux d’avant-crise, la présence des banques centrales et des taux de défaut toujours modérés, nous conservons une exposition sur les marchés de la dette d’entreprise, de sorte à générer du rendement au sein des portefeuilles.

Nos fonds conservent une bonne diversification entre les classes d’actifs – actions, taux et actifs réels – et, au sein de chacune, une forte granularité en termes de secteurs, de pays et styles de gestion. Il est important d’avoir également une approche internationale pour rendre les portefeuilles plus résilients.

Par ailleurs, face à des mini-cycles de marchés tels que nous les connaissons, il faut avoir une gestion active des expositions pour tenir compte des effets de recorrélation des classes d’actifs. Chez Russell Investments, nous nous appuyons sur les expertises de gérants externes pour construire nos portefeuilles tout en ayant recours à l’ensemble des instruments disponibles, notamment des stratégies optionnelles, pour apporter une certaine asymétrie.

Sidney Oury : En 2021, il faut conserver une gestion active des portefeuilles et une certaine agilité pour naviguer entre les différentes classes d’actifs et zones géographiques. Les pays émergents vont profiter de la faiblesse du dollar et de la forte reprise attendue de la croissance, portée notamment par le dynamisme de la Chine, qui est leur premier partenaire économique et le premier moteur de leur croissance.

L’annonce des vaccins a apporté ce qui manquait pour libérer les flux sur la dette émergente, à savoir le passage d’un marché hésitant «risk on/risk off» à un mode «risk on» plus ancré.

La faiblesse du niveau d’endettement des entreprises et du taux de défaut attendus sur ce segment est une opportunité au regard des rendements actuels. De même, le niveau extrêmement bas des taux d’intérêt dans les pays développés est toujours un élément très favorable au crédit émergent, notamment car les investisseurs élargissent leur univers d’investissement à la recherche d’opportunités possibles pour améliorer leur rendement et leur risque. Sur le plan plus technique, le crédit émergent high yield est le segment obligataire qui offre encore le plus de potentiel de resserrement des spreads de crédit, et encore davantage que ce que les indices révèlent. En effet, l’univers étant très hétérogène, les indices ne sont pas représentatifs des opportunités que l’on peut trouver en faisant de la sélection active.

Concernant les secteurs, nous privilégions aujourd’hui des thématiques comme la reprise structurelle et progressive de la mobilité mondiale ou les infrastructures. Parfois, nous identifions même des niches comme les obligations d’entreprises dans le secteur immobilier chinois où certaines entreprises devraient profiter d’une réglementation récente, qui devrait avoir pour conséquence une amélioration générale du profil de crédit des émetteurs sur ce segment de marché et une compression des primes de risque. n 

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