Table ronde

Où investir en 2022 ?

Publié le 5 janvier 2022 à 17h18

Catherine Rekik    Temps de lecture 25 minutes

L’année 2021 s’achève sur de belles performances pour les actifs risqués, en particulier les actions des pays développés, mais l’horizon semble s’assombrir pour les investisseurs. Les plans de relance aux Etats-Unis et dans la zone euro vont soutenir la croissance, mais certains éléments devraient continuer à perturber l’environnement (dérèglement de l’offre mondiale, hausse des salaires, ampleur et durée de l’inflation, interrogations sur la Chine, etc.). Funds dresse un bilan de l’année écoulée et s’interroge sur les perspectives macroéconomiques pour 2022. 
• Quels sont les facteurs de soutien de la croissance mondiale ? 
• Quels sont les risques qui pèsent sur les marchés financiers ? 
• Quid de l’impact du « tapering » sur les différentes classes d’actifs ? 
• Faut-il craindre une correction sur les marchés actions ? 
• Quelle allocation d’actifs privilégier pour affronter 2022 ? 
• Comment protéger les portefeuilles ? 

De gauche à droite : Julien-Pierre Nouen, directeur de la gestion diversifiée, Lazard Frères Gestion,  Jean-Louis Delhay, directeur de la gestion diversifiée et opportunité, Crédit Mutuel AM, Alexandre Attal, directeur de la gestion multi-actifs, Russell Investments France, Michaël Nizard, directeur du département multi-asset et overlay, Edmond de Rothschild AM, Paul Jackson, responsable global de la recherche en allocation d’actifs, Invesco

Quel a été pour vous le fait le plus marquant de l’année 2021 ? Une bonne ou une mauvaise surprise ayant eu un impact sur vos allocations d’actifs ?

Jean-Louis Delhay : Le ralentissement de l’économie chinoise, cet été, a été un événement majeur de 2021. Il n’était pas facile à anticiper et il a eu des impacts sur nos portefeuilles désormais sous-pondérés sur les marchés émergents de façon générale, et en particulier sur les actions chinoises. Certes, il y avait eu une petite alerte lors de la mise en place de la mutation du modèle chinois avec certains secteurs d’activité ciblés, notamment celui de l’immobilier ou de la technologie avec des autorités chinoises intervenant dans la gouvernance de plusieurs grands champions nationaux, mais le ralentissement a été plus fort que ce que nous avions anticipé en début d’année.

Michaël Nizard : En dehors de la Chine, c’est la multiplication des foyers inflationnistes qui nous a particulièrement marqués. Ces tensions sont allées crescendo durant l’année. Elles ont commencé par une pénurie sur les semi-conducteurs, puis l’acheminement des biens vers les zones de consommation a été perturbé par la fermeture de certains ports (Rotterdam, Los Angeles, Shanghai…), provoquant un allongement des délais de livraison des fournisseurs qui a crispé l’activité. Nous avons vu un choc d’offre. Ensuite, ce sont les matières premières comme les énergies fossiles puis le gaz en Europe qui ont ajouté une pression. Les prix de certains biens intermédiaires indispensables à la production de produits manufacturés ont eu également tendance à progresser. A cela se sont ajoutées des difficultés de recrutement aux Etats-Unis, avec des augmentations de salaires nominaux de plus de 4 %, et en Europe où les salaires ont progressé de 1,5 % en rythme annualisé. Les prix du logement ont également augmenté outre-Atlantique, et le poids du logement dans l’inflation américaine est de plus en plus fort.

L’économie a donc subi plusieurs points de tension inflationniste sans même avoir connu de boucle prix/salaires. Si nous n’avons pas encore vu le pic de cette inflation alors que les banquiers centraux pensaient qu’elle était transitoire, nous estimons que ce pic devrait se produire au cours du premier trimestre, avec néanmoins des traces qui demeureront pendant de nombreux mois.

Paul Jackson : Ce choc d’offre a, en effet, été une surprise ! Le PIB mondial est revenu aux niveaux précédant la pandémie, mais l’économie a du mal à fournir suffisamment de produits et de services pour satisfaire la demande. Mais, pour ma part, je considère que l’élément le plus surprenant concerne les taux réels qui restent faibles voire négatifs, alors que l’économie mondiale a redémarré fortement. Aux Etats-Unis, les taux réels sur dix ans se situent autour de - 1 % et, en Grande-Bretagne, ils sont proches de - 3 %. C’est très étonnant, d’autant que les banques centrales ont annoncé leur intention de réduire les achats d’actifs. Ces taux réels négatifs ont un impact sur d’autres classes d’actifs, par exemple sur le prix de l’or ou d’autres matières premières, et plaident en faveur des marchés actions, en particulier des valeurs de croissance.

Alexandre Attal : Sur le plan microéconomique, la solidité des résultats des entreprises est un des éléments marquants de 2021, malgré la présence de certains vents contraires auxquels celles-ci ont été confrontées. La situation sanitaire s’est certes améliorée, mais il y a eu plusieurs vagues d’épidémie et l’arrivée de nouveaux variants. Pour autant, dès le premier trimestre 2021, les publications de résultats étaient plutôt bonnes et, au deuxième trimestre, il y a même eu un pic avec des progressions de chiffres d’affaires ou de bénéfices très élevées, supérieures aux anticipations et aux moyennes historiques. Même chose sur le troisième trimestre, mais à un rythme plus modéré alors que l’environnement de fin d’année est bien plus difficile pour toutes les raisons qui ont été évoquées précédemment. Les entreprises ont réussi à adapter leurs modèles industriels durant cette crise et en sortent dans de meilleures conditions qu’avant la crise.

« Les marchés étant globalement plutôt chers, nous avons une préférence pour les actions européennes et britanniques. »

Alexandre Attal Directeur de la gestion multi-actifs ,  Russell Investments France

C’est aussi vrai en Europe qu’aux Etats-Unis ?

Alexandre Attal : Oui, c’est vrai de part et d’autre de l’Atlantique. Les disparités ont été plus sectorielles que géographiques, les difficultés se concentrant sur quelques noms. L’appareil productif et les entreprises en général sont aussi globalement ressortis de cette crise plus forts grâce au soutien des banques centrales et des faibles taux d’intérêt. En général, en sortie de crise, les entreprises les plus vulnérables disparaissent alors que, dans le cas présent, il y a eu très peu de problèmes comme le montrent les faibles taux de défaut.

Julien Pierre Nouen : On a beaucoup parlé de choc d’offre, mais on peut se demander si nous ne sommes pas passés à un choc de demande. La production a pratiquement retrouvé la tendance qu’elle avait avant la crise, comme le montrent les chiffres du PIB. Mais, avec les très fortes mesures de soutien budgétaire en 2020 et 2021, la demande a été dopée. Les problèmes d’offre et de chaînes de production justifient l’inflation, mais celle-ci s’explique également par une solide demande, du fait que les aides publiques ont préservé les bilans des entreprises et des ménages. Nous sortons donc de cette crise dans des conditions très différentes de celles des crises précédentes. Ce qui n’est pas sans conséquence pour l’avenir, surtout face à la grande réticence des gouvernements à mettre en place des politiques de rigueur budgétaire. Dès qu’un problème émerge, comme la hausse des prix de l’énergie pour les ménages en Europe, des aides sont désormais mises en place pour protéger la population.

Il y a quelques semaines encore, l’inflation était perçue comme un phénomène transitoire qui se résorberait durant les premiers mois de l’année 2022. Désormais, elle est envisagée de façon plus durable. Comment expliquez-vous ce changement de perception ?

Michaël Nizard : Il a fallu du temps pour que la bascule se mette en place. Au mois de mai, il y a eu un pic de croissance, avec une inflexion sur le rythme de croissance aux Etats-Unis, ce qui a fait penser aux investisseurs que nous allions vers une modération du risque inflationniste. En réalité, ce scénario sur l’inflation s’est éloigné. Durant des années, pendant les vagues successives de quantitative easing, nous avons constaté que l’inflation n’était plus forcément un phénomène monétaire. Il y a eu des injections de liquidités considérables partout dans le monde sans inflation !

Par ailleurs, la courbe de Phillips qui lie le taux de chômage à l’inflation n’a pas non plus fonctionné depuis longtemps. Nous sommes restés sur l’idée qu’il y aurait, cette année, une croissance des salaires relativement limitée qui n’allait pas permettre d’avoir une boucle prix/salaires et que, malgré un taux de chômage proche de 3,5 % aux Etats-Unis, il y aurait peu de croissance unitaire salariale du fait d’un regain de productivité. En fait, le rythme de progression des salaires nominaux est déjà de l’ordre de 5 %, et les grèves aux Etats-Unis peuvent encore accroître la pression sur les salaires à court terme, mais nous nous approchons d’un pic. Le changement de perception sur le caractère transitoire de l’inflation est tout récent. Il s’est produit quand le mix croissance/inflation a commencé à s’inverser au début de l’automne et que la composante logement dans l’inflation a fortement monté. Cette inflation pourrait décroître, mais dans des proportions plus faibles que ce qui était anticipé récemment encore, sachant que certains foyers inflationnistes vont perdurer.

Jean-Louis Delhay : La pandémie et la fermeture des économies en 2020 ont amené une réflexion sur le développement durable et sur la relocalisation de certaines industries. Produire plus localement, dans les pays développés, se traduit par des coûts de production et des coûts salariaux plus élevés que dans les pays émergents. La transition énergétique, avec le développement des énergies renouvelables, et une forte hausse du prix du CO2 en Europe vont aussi dans cette direction. Nous pourrions donc avoir une inflation plus structurelle.

Paul Jackson : Les banquiers centraux considéraient cette inflation comme transitoire car liée à des phénomènes ponctuels. Mais la multiplication de ces tensions inflationnistes supposées transitoires a fini par lui conférer un caractère plus permanent. La hausse du prix du gaz naturel a été un tournant dans le changement de perception de l’inflation. Le gaz naturel représente près d’un quart de notre consommation d’énergie primaire, donc il a un poids important dans l’économie. Cette hausse a aussi une influence sur le prix du pétrole et du charbon.

Si on part du principe qu’une accélération monétaire a un impact sur l’inflation et sachant que cette accélération a déjà eu lieu aux Etats-Unis en 2020, c’est maintenant qu’on devrait commencer à voir l’effet haussier sur le taux d’inflation américain. L’inflation atteindra probablement un pic vers le milieu de l’année 2022.

«Tant que les anticipations d’inflation fluctueront, il faudra rester vigilant sur la duration. »

Michaël Nizard Directeur du département multi-asset et overlay ,  Edmond de Rothschild AM

Quelles sont les conséquences de cette inflation sur les perspectives macroéconomiques de 2022 ? Anticipez-vous un ralentissement de la croissance économique mondiale ? De quelle ampleur ? Quels sont les facteurs de risque ?

Alexandre Attal : La durabilité de l’inflation est un des sujets d’inquiétude pour 2022, et nous pensons également que le pic devrait être atteint en milieu d’année prochaine. Les conséquences seront nombreuses, notamment en ce qui concerne la corrélation des actions des banques centrales. Autre incertitude : l’étendue du ralentissement chinois qui a commencé par l’immobilier. Il est important d’analyser son impact à la fois sur l’économie chinoise et sur l’économie mondiale. Enfin, la pandémie n’est pas terminée. Un nouveau variant provoque habituellement une réaction déflationniste sur les marchés car il est synonyme de nouvelles restrictions, mais c’est sans commune mesure avec ce que nous avons vécu en mars 2020 avec des confinements stricts. Malgré ces facteurs négatifs, la dynamique de croissance reste positive, sur des niveaux plus élevés que la moyenne historique mais en deçà de ceux de 2021.

Quant à l’inflation, pourquoi pense-t-on que le pic sera atteint à partir de mi-2022 ? Car plusieurs éléments vont progressivement tempérer les effets qui ont généré cette inflation, tels que les excès de demande qui vont se résorber, notamment sur les biens d’équipement. Il n’y aura plus cette euphorie de consommation des ménages. Par ailleurs, pendant la crise et post-crise, les entreprises ont beaucoup investi, mais ce cycle va progressivement se normaliser. Enfin, si les vaccins démontrent leur efficacité face aux nouveaux variants, la consommation devrait également évoluer de façon graduelle vers les services, un secteur moins soumis à une inflation durable que le secteur industriel.

Du côté de la Chine, il faudra être vigilant tant la situation est paradoxale avec, d’un côté, un ralentissement économique qui peut freiner l’inflation et, d’un autre côté, l’épidémie qui repart et peut entraîner de nouveaux confinements stricts avec des fermetures d’usines et donc accroître à nouveau des tensions sur l’offre.

Julien Pierre Nouen : En Chine, le XXe congrès du Parti communiste devrait permettre à Xi Jinping de faire, exceptionnellement, un nouveau mandat. Quand les enjeux du congrès sont aussi importants, ils s’accompagnent en général de mesures de soutien de l’activité pour assurer un contexte économique et social favorable.

D’une manière générale, après une année 2021 durant laquelle nous avons pu voir les effets de la réouverture des économies, la croissance devrait être moins forte, mais toutes les conditions sont réunies pour maintenir une demande finale solide. Les ménages ont profité d’aides importantes, les bilans des entreprises sont bien orientés, certains secteurs ont bénéficié de forts investissements, comme le résidentiel aux Etats-Unis. Il ne devrait pas y avoir non plus de durcissement notable de la politique budgétaire, à part peut-être aux Etats-Unis, mais il sera compensé car toutes les aides n’ont pas encore été dépensées.

C’est donc l’inflation et ses conséquences sur la politique des banques centrales qui seront déterminantes en 2022. Leurs actions mettent du temps à se répercuter sur l’économie, donc ce n’est peut-être pas en 2022 que nous en verrons les effets, mais cela pose clairement la question des conditions financières qui sont sans doute trop accommodantes aujourd’hui. Il y aura forcément un ajustement sur les anticipations de taux. Sera-t-il progressif, sans choc de marché qui pourrait peser sur la confiance, ou plus brutal ?

«Une seule classe d’actifs protège plus ou moins les portefeuilles : la liquidité ! »

Paul Jackson Responsable global de la recherche en allocation d’actifs ,  Invesco

Doit-on s’attendre à une remontée des taux en 2022 et à l’apparition de divergences entre les principales banques centrales après qu’elles ont agi dans le même sens ces dernières années ?

Alexandre Attal : Ces divergences entre les banques centrales, certaines pouvant être plus « faucons », d’autres plus « colombes », est un sujet important. Au sein des comités de chaque banque centrale, il pourrait y avoir aussi des divergences sur les implications monétaires des résultats économiques ou sur les progressions de croissance, d’inflation ou de chômage. Au risque de générer de la volatilité sur les marchés de taux mais aussi sur les marchés actions.

Ces divergences sont déjà perceptibles, puisque les banques centrales de Norvège et de Nouvelle-Zélande ont déjà relevé leurs taux, que celle du Canada devrait procéder à un resserrement en début d’année prochaine tandis que la Banque d’Angleterre, qui a récemment passé son tour, devrait prochainement relever ses taux. Quant à la BCE, elle vient de rassurer les marchés en indiquant qu’une hausse des taux serait hautement improbable en 2022 alors que la Fed se pose la question pour la fin de 2022, en attendant de voir à quel niveau se situera l’inflation après la fin du « tapering ».

Ces divergences entre les banques centrales sont très inhabituelles, surtout dans des pays qui ont les mêmes conditions économiques et dans un contexte de pandémie mondiale. Finalement, tous les pays sont entrés dans cette crise de la même manière et ont eu la même gestion, mais la sortie de crise sera différente d’une zone à l’autre. Les vagues d’épidémie n’ayant pas la même ampleur dans tous les pays au même moment, cela génère des différences d’appréciation économique, plus de volatilité et des disparités d’une zone à l’autre.

Michaël Nizard : Il me semble que la Fed et la BCE vont chercher davantage d’optionalité pour garder la possibilité de resserrer plus rapidement leur politique monétaire si nécessaire, tout en accélérant le « tapering ». Elles vont vouloir faire le minimum requis pour empêcher les anticipations d’inflation de dériver tout en laissant des conditions financières suffisamment accommodantes dans un contexte de croissance plus faible pour les années à venir et d’excès de dettes. Nous pensons que la Réserve fédérale pourrait procéder au mieux à deux ou trois hausses de taux l’an prochain. Néanmoins, alors que les chiffres d’inflation surprennent encore à la hausse, il est étonnant de voir si peu d’anticipations en 2023 et au-delà. Exemple : entre fin 2023 et 2025, il n’y a pas du tout de remontée des taux anticipée. Le vrai risque est que la crédibilité de la Fed et de la BCE soit testée en 2022. Plus ce pic d’inflation est durable et plus on risque d’avoir une remontée des taux déraisonnable.

Du côté de la BCE, nous anticipons plutôt l’arrêt progressif des rachats d’actifs, mais sans qu’elle soit obligée de remonter ses taux. Dans le contexte actuel, c’est peut-être la BCE qui gagne le plus en crédibilité auprès des investisseurs.

Paul Jackson : Je suis d’accord avec les perspectives macroéconomiques qui ont été précédemment mentionnées, à savoir une décélération de la croissance mondiale en 2022, vers 4 %, soutenue par la consommation. Un resserrement budgétaire n’est pas à exclure alors que les gouvernements ont été très généreux en 2020 et 2021. Par ailleurs, face aux enjeux de développement durable, les habitudes de consommation pourraient évoluer, devenir plus raisonnables, ce qui pèserait sur la consommation globale et donc sur la croissance.

En ce qui concerne les banques centrales, il est clair que la Fed sera loin devant la BCE en matière de resserrement monétaire. Mais cela ne devrait pas avoir un impact trop important sur la croissance. La Fed va sans doute cesser d’acheter des obligations souveraines au cours du premier semestre et relever ses taux deux fois durant l’année. Pour la Banque d’Angleterre, nous anticipons trois ou quatre hausses de taux en 2022. Sur l’évolution des devises, le dollar ne devrait pas s’apprécier davantage.

«La question de l’inflation va être déterminante et complique la construction d’une allocation d’actifs pour 2022.»

Julien-Pierre Nouen Directeur de la gestion diversifiée ,  Lazard Frères Gestion

Les actifs risqués, dont les actions, ont bien performé en 2021, notamment les indices boursiers des pays développés.

La plupart des classes d’actifs sont bien valorisées. Quelle allocation d’actifs construire dans un contexte d’inflation persistante et de décélération de l’économie ?

Julien Pierre Nouen : Après le relèvement de 1,5 % des taux par la Fed attendu pour 2022-2023, les marchés font aujourd’hui le pari qu’il n’y aura pas d’autres hausses et que cela suffira à contrôler l’inflation. C’est un pari important et très structurant, car cela crée de la faiblesse sur les taux longs et, au sein du marché actions, favorise les valeurs de croissance à duration très longue.

Si jamais ce scénario est remis en cause en 2022, par exemple du fait que l’inflation se révèle plus durable ou que les banques centrales doivent aller plus loin dans le cycle de remontée des taux pour ralentir l’activité, les taux longs remonteraient plus ou moins fortement. Par conséquent, les obligations à duration longue seraient à la peine ainsi que, au sein des marchés actions, toutes les valeurs à duration élevée, la technologie, les valeurs de croissance en général.

On en revient donc à la question de l’inflation qui va être déterminante et qui, aujourd’hui, complique la construction d’une allocation d’actifs pour 2022. Il faudra être très vigilant et très flexible. Ces derniers mois, nous avons réduit le poids des actifs risqués (actions, high yield et subordonnées financières) dans nos portefeuilles diversifiés pour avoir une position neutre et une certaine souplesse dans le contexte.

Jean-Louis Delhay : Nous avons réduit ces derniers mois le poids des actions émergentes dans nos portefeuilles en raison du ralentissement chinois et de l’appréciation du dollar qui pèse sur les entreprises émergentes dont la dette est libellée dans cette devise. Dans certains pays émergents, l’inflation oblige les banques centrales locales à maintenir des taux d’intérêt élevés. Quand elles tentent de les baisser, les devises dévissent. Pour autant, la classe d’actifs émergente reste intéressante dans une perspective de moyen/long terme, en raison, notamment, de l’émergence d’une classe moyenne qui soutient la consommation.

A court terme, nous restons toutefois prudents sur les actions émergentes et neutres sur les actions des pays développés, en particulier sur les actions américaines et européennes, avec l’idée de profiter plutôt des creux de marché pour investir dans des entreprises de qualité et de croissance. L’idée est d’investir dans des grandes tendances structurelles qui sont à l’œuvre – innovation, transition énergétique, sciences de la vie, bien-être –, et pour lesquelles la prise de risque n’est pas très élevée pour un investisseur de long terme. Il faut profiter de la volatilité des marchés, qui devrait augmenter dans les prochaines semaines, pour accumuler des positions sur des valeurs situées sur ces grandes tendances.

Sur la partie obligataire, nous anticipons plutôt un scénario de trajectoire haussière sur les taux à long terme. Nous observons toutefois des facteurs baissiers des taux d’intérêt longs que sont le ralentissement chinois, qui va peser sur l’économie mondiale, et la crise sanitaire. Face à cela, il y a des facteurs haussiers comme les tensions inflationnistes, la mise en place progressive par les grandes banques centrales de politiques monétaires moins accommodantes, et les plans de relance qui vont soutenir l’activité, notamment aux Etats-Unis avec le plan dédié aux infrastructures. Globalement, les différents facteurs plaident pour une trajectoire haussière des taux longs, mais de faible ampleur. Le risque inflationniste nous semble plus fort aux Etats-Unis qu’en Europe, car les entreprises américaines ont licencié massivement leurs salariés durant la crise. Après avoir reçu une aide directe de l’Etat, ces salariés reviennent sur le marché du travail et négocient de meilleures conditions salariales qu’avant la crise. En Europe, la crise a été gérée différemment, les Etats aidant plutôt les entreprises, ce qui a heureusement permis à une majorité de salariés de conserver leur contrat de travail. Il y a donc moins de renégociations de salaires en dehors de quelques secteurs.

Paul Jackson : En ce qui concerne les taux à dix ans américains, nous anticipons 2,2 % fin 2022 en raison d’une hausse des taux réels. Historiquement, depuis la Seconde Guerre mondiale, les taux longs américains suivent l’inflation. Les marchés ne réagissent pas immédiatement au changement de tendance de l’inflation. Il faut attendre plusieurs années pour que l’impact se matérialise complètement sur les marchés. Pour cette raison, nous avons toujours une sous-pondération sur la dette souveraine. Après une année 2021 durant laquelle il y a eu de grandes divergences entre les retours sur investissement des différentes classes d’actifs, entre les plus cycliques et les défensives, la décélération de la croissance mondiale devrait amener plus de convergence sur les rendements. Les actifs cycliques vont encore surperformer les actifs plus défensifs, mais dans une moindre mesure.

Du côté des actions, nous sommes passés d’une surpondération à une position neutre avec une préférence aujourd’hui pour l’immobilier. Dans le crédit, la position sur le high yield est à son maximum, la classe d’actifs nous semblant moins risquée et volatile que les actions. Sur l’investment grade, la position est neutre et nous sommes sous-pondérés sur les matières premières. Comme nous anticipons une remontée des taux longs, le contexte nous semble moins favorable à l’or.

En matière d’allocation géographique, nous avons une surpondération sur les marchés émergents après une année 2021 décevante. Le Royaume-Uni est aussi un marché pour lequel les valorisations sont intéressantes. A l’inverse, nous avons une sous-pondération sur les actions américaines qui ont fortement progressé durant l’année écoulée.

Alexandre Attal : Dans nos portefeuilles, nous restons constructifs sur les actifs risqués. Le poids des actions est légèrement surpondéré, notre exposition incluant des stratégies sur les actifs réels comme les infrastructures ou l’immobilier cotés qui apportent de la diversification. Nous considérons les marchés selon trois prismes : l’analyse du cycle, de la valorisation et du sentiment. Sur le cycle, nous sommes plutôt positifs dans une logique de poursuite de la reprise économique au niveau global, ce qui justifie notre position sur les actifs risqués. Au sein de la poche taux, nous avons une préférence pour les actifs de rendement, notamment le high yield, et une sous-pondération sur les obligations souveraines et la dette émergente. En revanche, nous avons une diversification sur les actions émergentes, car il y a un potentiel d’appréciation après une année 2021 décevante. Enfin, les marchés étant globalement plutôt chers, nous avons une préférence pour les actions européennes et britanniques dont les valorisations sont plus proches des moyennes historiques, contrairement aux actions américaines. La position sur le Japon est plutôt sous-pondérée en raison d’une visibilité plus réduite et d’un potentiel d’appréciation plus faible comparé à d’autres zones géographiques.

Michaël Nizard : La construction des portefeuilles pour 2022 est liée à la stabilité des anticipations d’inflation. Tant que cette question n’est pas réglée, nous allons considérer que, dans un portefeuille, tous les effets bénéfiques de la diversification entre les classes d’actifs ont des chances d’être faussés. Tant que les anticipations d’inflation fluctueront, il faudra rester vigilant sur la duration. Cela se traduit en matière d’allocation d’actifs par une préférence pour les actions versus le fixed income, notamment la dette souveraine et le crédit investment grade. Nous allons commencer l’année avec une sensibilité au risque de taux particulièrement basse. Pour la partie obligataire, nous allons privilégier certains actifs de rendement, car notre scénario principal prévoit une inflation plutôt bien maîtrisée, ce qui va favoriser les stratégies de portage sur deux segments : la dette financière subordonnée, récemment malmenée, ce qui a offert des points d’entrée intéressants, et la dette court terme, aussi bien high yield qu’émergente en devise dure. Dans la partie actions, nous allons privilégier les zones où il existe un levier opérationnel. Le Japon et l’Europe devraient être plus sensibles à une croissance économique qui va rester soutenue. Dans ces zones, les leviers opérationnels sont plus élevés et les valorisations ont plutôt eu tendance à baisser. Le PER des actions européennes est, par exemple, revenu sur des niveaux de 2016. Avec un PER de 14 fois les bénéfices attendus, la zone euro nous semble intéressante, d’autant que les attentes de progression des résultats se situent autour de 10 %.

En ce qui concerne les marchés émergents, il nous semble opportun de se positionner sur le duo Inde/Chine. L’Inde a été la révélation de l’année, avec de belles performances en dépit de l’envolée des prix des matières premières. Le pays est en train de changer de statut et commence à profiter des effets positifs des réformes engagées ces dernières années et du réveil de la classe moyenne. Nous considérons qu’il faut aussi rester investi en Chine. Une fois réélu, Xi Jinping va probablement mettre en place des stimuli pour son économie.

Enfin, mieux vaut se positionner sur des thématiques de long terme comme le Big Data, la santé, la transition énergétique ou le capital humain plutôt que d’essayer d’arbitrer des styles de gestion, « value » versus « growth ».

«Il faut profiter des creux de marché pour investir dans des entreprises de qualité et de croissance. »

Jean-Louis Delhay Directeur de la gestion diversifiée et opportunité ,  Crédit Mutuel AM

Comment protéger les portefeuilles ?

Michaël Nizard : Les obligations souveraines ont longtemps protégé les portefeuilles en allocation globale, mais cette diversification va se tarir et peut-être engendrer des pertes au moment où nous aurons besoin de protection. La volatilité est le seul actif qui offre aujourd’hui une vraie alternative. L’idée est d’avoir des actions protégées directement, liées à la volatilité de moyen terme. Elles permettent de rester investi en gardant le cap, de faire face à des éléments inattendus, d’accompagner la hausse et d’avoir une bonne convexité. Ce type de gestion sera encore plus intéressant au fur et à mesure qu’on se rapprochera de la fin du cycle économique et que les primes de volatilité augmenteront.

Alexandre Attal : Dans nos portefeuilles multi-actifs, nous utilisons des stratégies optionnelles pour apporter de l’asymétrie et de la convexité. C’est un moyen de conserver une allocation constructive sur les marchés actions à moyen terme, tout en tenant compte des mouvements de marchés plus volatils qui pourraient s’intensifier en 2022. Ces positions optionnelles sont gérées activement dans nos portefeuilles pour tenir compte des phases de marchés et apporter ainsi un gain de performance supplémentaire en gestion dynamique et active de nos expositions aux actifs risqués, et notamment sur les actions américaines.

Jean-Louis Delhay : Nous mettons également en place des stratégies optionnelles pour protéger notre exposition aux actions. Dans l’obligataire, nous avons beaucoup augmenté le poids des obligations indexées à l’inflation, au détriment des obligations souveraines. Cette classe d’actifs est intéressante pour protéger la performance des portefeuilles obligataires et apporter de la diversification.

Paul Jackson : On peut mettre en place toutes sortes de protections en fonction des scénarios anticipés mais, si un scénario change, le portefeuille en subit les conséquences. Une seule classe d’actifs nous protège plus ou moins : la liquidité. Elle n’est corrélée avec aucune autre classe d’actifs.

Julien Pierre Nouen : Dans nos fonds diversifiés, nous sommes plutôt vendeurs des durations très longues comme le 30 ans américain. Cela permet d’avoir des positions de taille modérée et un coût de portage faible.

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