Table ronde

Où investir en 2023 ?

Publié le 14 décembre 2022 à 12h03

Catherine Rekik    Temps de lecture 22 minutes

Inflation, guerre en Ukraine, tensions énergétiques en Europe, durcissement des politiques monétaires, risques de récession…Rarement autant de facteurs négatifs auront pesé sur les marchés financiers faisant de 2022 une véritable « annus horribilis » avec l’ensemble des classes d’actifs dans le rouge. Face à un tel constat et à un changement majeur de paradigme, Funds s’interroge sur la meilleure façon d’aborder l’année 2023 en termes d’allocation d’actifs. 
.Comment repenser la composition des portefeuilles ? 
.Comment revenir sur les obligations ? 
.Quelle place faut-il accorder désormais aux actifs risqués et plus particulièrement aux actions dans un contexte de récession économique ? 
.Où se trouvent les opportunités ? 
.Comment protéger les portefeuilles ? 

Les intervenants : 

  • Benjamin Melman, directeur des investissements, Edmond de Rothschild AM
  • Jean-Louis Delhay, directeur de la gestion diversifiée, Crédit Mutuel AM
  • Julien-Pierre Nouen, directeur de la gestion diversifiée, Lazard Frères Gestion

Que retiendrez-vous de l’année écoulée ? Quel est l’événement qui a eu le plus de conséquences sur vos allocations d’actifs ?

Benjamin Melman : Avoir une inflation à deux chiffres a été une surprise. Fin 2021, tout le monde anticipait une poursuite de l’inflation, mais pas d’une telle ampleur.

Julien-Pierre Nouen : A partir de mars, l’inflation a cessé d’être perçue comme transitoire.

Benjamin Melman : Jusqu’à fin décembre 2021, la Réserve fédérale ne parlait que de trois hausses des taux de 25 points de base pour 2022. L’inflation l’a contrainte à agir plus fortement. Cette inflation est la résultante du choc énergétique et sur les matières premières, de la poursuite de la dégradation des conditions sur les chaînes de production et de l’envolée des salaires aux Etats-Unis, mais aussi en Europe où les pressions salariales ont été plus importantes que prévu. Tant qu’il n’y avait pas de pressions salariales, nous pouvions considérer qu’il y avait beaucoup d’éléments exceptionnels reflétés dans cette inflation. Une fois que les salaires se sont envolés, la situation est devenue tout autre.

Jean-Louis Delhay : Une des surprises de l’année concerne le niveau des taux aux Etats-Unis, qu’il était difficile d’anticiper. La remontée des taux était certes actée, mais personne n’avait imaginé qu’ils atteindraient 4,25 %, comme c’est le cas aujourd’hui. Cette hausse est bien entendu la conséquence de l’envolée de l’inflation et du choc sur les matières premières. 

Le conflit entre l’Ukraine et la Russie était, évidemment, difficile à prévoir aussi. On voyait bien les tensions croître, mais personne ne pensait que ça irait jusqu’à l’invasion. Et que cela déclencherait un tel choc sur l’énergie, les prix des matières premières agricoles et de certaines matières premières industrielles. D’où une accélération de l’inflation et un choc obligataire qui est sans doute l’événement majeur de 2022. Tout ceci a pesé sur les performances de nombreuses classes d’actifs. Il était difficile de s’attendre à une baisse aussi forte des marchés obligataires.

Julien-Pierre Nouen : Parmi les événements importants de l’année, je retiens le moment où nous avons compris que la Russie allait réduire drastiquement ses exportations de gaz vers l’Europe. Le gaz est, en effet, instrumentalisé et utilisé comme une arme politique avec pour objectif d’intensifier la pression sur l’Europe et l’Ukraine. Dans le sillage de ces tensions géopolitiques, la dynamique inflationniste s’est fortement accentuée, rendant la tâche très compliquée pour les banques centrales. 

Si la géopolitique est souvent évoquée comme facteur de risque, elle n’a pas toujours d’impact direct sur l’activité économique. Or, dans le cas présent, les répercussions économiques du conflit russo-ukrainien sont nombreuses. En témoigne la dégradation de certains indicateurs, à l’instar du PMI (Purchasing Managers Index) qui laisse planer le risque d’une récession en 2023.

Durant l’année écoulée, il y a eu quelques décalages entre un certain optimisme sur les marchés et la communication des banques centrales, notamment de la Fed, qui a dû durcir le ton à l’automne. Est-ce que le message est clair désormais ? Et bien intégré

Benjamin Melman : Du côté de la Fed, la situation semble désormais cadrée. Ce qui est rassurant, c’est de voir que même les membres les plus « hawkish » de la Fed, notamment James Bullard, parlent d’un corridor de politique monétaire restrictive de taux qui serait compris entre 5 et 7 % et estiment qu’il faut maintenir ces taux directeurs dans le bas de cette fourchette, mais sur une longue durée. Et c’est ce que le marché valorise aujourd’hui. La Fed arrive sans doute au bout du relèvement des taux par rapport à l’ampleur des mouvements précédents. Il faudrait vraiment une deuxième vague inflationniste qui emporte complètement le scénario sur lequel nous sommes désormais ancrés pour qu’il y ait un changement. La Fed est en train de converger et de faire converger le marché vers son objectif. 

Ce qui est surprenant, c’est que le marché se met à anticiper des baisses de taux dès le second semestre 2023, alors que c’est à l’opposé du discours de la Fed. Il pourrait y avoir là quelques ajustements, sans que cela ait un impact majeur sur le marché obligataire. Comparé à tout ce que nous avons vécu cette année, cela paraît presque anecdotique.

Julien-Pierre Nouen : Nous sommes passés de taux longs américains se situant autour de 0,5 % à 1 % en 2021 à des taux supérieurs à 4 % cette année. Pour l’instant, nous ne savons toujours pas si la Fed conservera une ligne dure en matière de hausse des taux. D’autant plus que les derniers chiffres sur les salaires aux Etats-Unis interrogent. Nous avions, en effet, le sentiment que le coût de la main-d’œuvre se stabilisait, mais la publication des derniers chiffres a démenti cela. Or, pour casser la dynamique inflationniste, la Fed devra provoquer un ralentissement de la hausse des salaires afin de réduire la pression sur le marché du travail. La Fed pourra-t-elle y parvenir sans récession ? La question reste ouverte. 

Ces vingt dernières années, dans un cycle classique, le resserrement de la politique monétaire de la Fed s’est accompagné d’une récession, laquelle a ensuite conduit les banques centrales à baisser les taux. Aujourd’hui, la Fed privilégie le maintien de taux à des niveaux élevés. Va-t-elle conserver sa position au risque d’un rebond du chômage ? Ce sera l’un des grands enjeux du second semestre 2023. Nous pensons que l’année 2023 sera compliquée. Il faudra être assez flexible, car selon nous, le consensus de marché est un peu trop optimiste et sous-estime la volonté des banques centrales d’endiguer l’inflation.

Et du côté de l’Europe ?

Jean-Louis Delhay : En Europe, la situation est complexe, avec des dettes souveraines assez élevées. Il faut rester vigilant notamment sur la dette italienne. La BCE va continuer à relever ses taux, mais ses marges de manœuvre sont plus limitées. Sur les Etats-Unis, nous conservons un scénario d’inflation toujours élevée l’année prochaine, avec des facteurs d’affaiblissement probable de l’économie, mais il y a quand même des points positifs comme la forte baisse des coûts logistiques. 

Nous observons que les exportations de la Chine vers les Etats-Unis diminuent et que le commerce mondial est en train de changer sur fond de ralentissement, d’une part parce que les Américains achètent plus en Europe pour des raisons de tensions géopolitiques, et d’autre part, on peut penser aussi qu’il y a des stocks de précaution qui ont été mis en place par les industriels ou les détaillants en raison des difficultés rencontrées dans les chaînes d’approvisionnement durant le covid. Il y a un peu de déstockage aujourd’hui, donc on commande moins en Asie. Ce sont des facteurs qui vont aller dans le bon sens pour l’inflation aux Etats-Unis. En Europe, l’inflation va rester un peu plus élevée à cause des problèmes d’énergie, les prix étant structurellement plus élevés qu’aux Etats-Unis. Concernant les salaires, on note une accélération comme aux Etats-Unis. Globalement, la situation est un peu moins favorable en Europe qu’aux Etats-Unis pour l’inflation : elle va baisser, mais rester à un niveau élevé l’année prochaine des deux côtés de l’Atlantique.

L’inflation est élevée, la récession se profile : comment expliquez-vous le rebond des marchés actions début décembre ?

Jean-Louis Delhay : Les investisseurs voient le pic d’inflation atteint, voire dépassé ! Ils anticipent des politiques monétaires moins agressives, mais qui vont rester haussières. Certains investisseurs ont été rassurés. Soulignons toutefois que la plupart n’étaient pas très exposés aux actifs risqués. Pour autant, peut-on anticiper une poursuite de la hausse ? Nous avons plutôt le sentiment qu’une grande partie du chemin a été faite et que le potentiel est trop limité pour revenir sur des marchés actions qui se paient 17,5 fois le PE 2023 pour le S&P 500 par exemple, avec des bénéfices par action révisés à la baisse. L’été dernier, le consensus tablait sur une progression de plus de 10 % des profits pour 2023, cette prévision a été ramenée à 5,8 % et les révisions ne sont sans doute pas finies. Compte tenu de ces niveaux de valorisation et des primes de risques limitées, et alors que les taux d’intérêt à long terme sont autour de 3,5 %, les placements obligataires sont mieux positionnés et moins volatils, avec une performance attendue proche de celle des marchés actions.

«L’histoire montre que le point bas du marché actions est atteint une fois que l’économie américaine entre en récession.»

Julien-Pierre Nouen Directeur de la gestion diversifiée ,  Lazard Frères Gestion

Le consensus table sur une récession de faible ampleur et de courte durée. Est-ce également votre scénario ? Qu’est-ce qui pourrait l’assombrir ? Faut-il par exemple se préoccuper de la situation en Chine et de son impact sur l’économie mondiale ?

Benjamin Melman : Nous avons plutôt l’impression que la Chine a touché le fond et que les annonces de changement de cap concernant la politique zéro covid vont dans le sens d’une normalisation progressive de la politique chinoise. Les autorités s’emparent du sujet immobilier et, petit à petit, créent les conditions pour que l’économie se stabilise et redémarre. Si nos prévisions sur l’économie chinoise ne sont pas erronées, la situation chinoise ne devrait pas changer sensiblement la donne. Au contraire, cela ne peut qu’aider à stabiliser l’économie mondiale et à éviter la catastrophe. 

Le consensus table sur une récession de faible ampleur, que l’on ne voit d’ailleurs toujours pas venir. Les indicateurs restent bons au titre du quatrième trimestre aux Etats-Unis et c’est frappant de constater que tous les signes concernant l’investissement des entreprises, notamment aux Etats-Unis, demeurent robustes. Or, en général, à la veille d’une récession, l’investissement commence vraiment à se retourner. Par ailleurs, la désinflation que nous évoquions précédemment a tendance à réinjecter du pouvoir d’achat et donc à soutenir la croissance. Même si on n’observe toujours pas les signes de cette récession, elle finira par se produire. En revanche, les bilans des entreprises sont sains. Et ce qui fait la différence entre une récession modérée et une récession dure, ce sont souvent les ajustements bilanciels à faire. Rappelons-nous 2008, alors qu’aujourd’hui les entreprises sont peu endettées et les prochaines grandes échéances pour le remboursement de la dette sont fixées à 2025. Finalement, peu d’éléments indiquent une récession de grande ampleur, à l’exception de l’immobilier de bureaux qui décroche sévèrement aux Etats-Unis.

Jean-Louis Delhay : Notre scénario est également celui d’une récession modérée, avec même une légère croissance aux Etats-Unis sur l’année, ce qui n’exclut pas d’avoir deux trimestres de croissance proche de zéro, et une faible décroissance sur la zone euro. Il y a de nombreux points positifs, dont une consommation qui résiste grâce aux chiffres de l’emploi et à l’accélération des salaires. En ce qui concerne l’investissement industriel, il est vrai que les entreprises continuent d’investir pour plusieurs raisons, dont l’amélioration des gains de productivité sur les sites industriels en matière d’efficacité énergétique. Les industriels expliquent bien que ces investissements dans la chaîne de production sont destinés à limiter l’impact de l’énergie sur les coûts et que, pour y parvenir, il faut mettre en place des outils industriels plus modernes. Compte tenu des tensions géopolitiques, certaines entreprises ont également choisi de relocaliser des unités de production en Europe ou aux Etats-Unis, ce qui soutient l’investissement industriel. La consommation et l’investissement compensent partiellement la situation difficile dans l’immobilier résidentiel et commercial et, par ricochet, la consommation discrétionnaire liée à l’immobilier comme l’électroménager, etc. 

L’économie va croître faiblement, mais devrait s’en sortir. Nous devrions éviter une récession dure, mais nous savons aussi qu’il faut au moins 12 mois pour voir les effets d’une politique monétaire. Donc les mouvements de hausse des taux de la Fed produiront pleinement leur impact vers la fin du premier semestre.

Julien-Pierre Nouen : Selon nous, la prudence reste de mise. Jusqu’à récemment, nous étions en ligne avec le consensus sur la perspective d’une récession modérée. En effet, les économies occidentales ont fait preuve d’une grande résilience, principalement grâce à la reprise économique suscitée par la levée des restrictions sanitaires et grâce à la bonne santé financière des ménages et des entreprises. Le surplus d’épargne accumulé par les ménages durant la période pandémique a notamment permis à la consommation américaine de se maintenir à des niveaux relativement élevés. 

Néanmoins, les effets du choc inflationniste se font de plus en plus ressentir. En témoigne la forte baisse du taux d’épargne des ménages. Ce dernier se situait autour de 7,5 % avant le covid, puis a augmenté de façon significative grâce aux relances budgétaires. Au mois d’octobre, il est redescendu à son plus bas niveau, à savoir 2,3 %. 

Si ce taux d’épargne particulièrement faible est normalisé, le choc sur les flux de consommation et sur le PIB pourrait être conséquent. Il serait par ailleurs compensé en partie par une réduction du déficit commercial américain.

«Si 2022 a été l’année du “cash is king”, 2023 devrait être celle du portage !»

Benjamin Melman Directeur des investissements ,  Edmond de Rothschild AM

La situation économique sera-t-elle plus problématique dans la zone euro en 2023, avec des disparités entre les pays ? Et par conséquent, faut-il s’attendre à plus de tensions sur les marchés européens ?

Julien-Pierre Nouen : Les niveaux de dépendance au gaz russe sont différents selon les pays de la zone euro : la France et l’Espagne en sont moins tributaires que l’Italie et l’Allemagne. La zone euro étant toutefois un espace intégré, regroupant des Etats membres hétérogènes, il pourrait y avoir un effet de contagion qui risquerait d’affaiblir l’ensemble des pays européens. 

Le problème du gaz a été quelque peu occulté en raison des températures clémentes du mois d’octobre, ce qui explique sans doute une partie du rebond des marchés. Aussi, l’Europe a réussi à acheter à peu près tout le gaz naturel liquéfié (GNL) produit sur la planète, nous permettant ainsi d’être à un niveau de stockage élevé. 

Les Européens devraient pouvoir passer l’hiver, mais si la guerre se prolonge, si les difficultés d’approvisionnement en gaz persistent et si la Chine redémarre en achetant sa part habituelle de GNL, l’équation sera certainement de nouveau compliquée l’année prochaine. C’est un risque qu’il faut garder en tête.

Benjamin Melman : Dans la zone euro, nous n’avons pas d’inquiétude majeure autre que les inquiétudes macroéconomiques classiques. Il y a bien eu un changement de politique important en Italie, mais pour l’instant tout se déroule sans difficulté. Face à ce type de coalition au pouvoir, il faut quand même rester vigilant concernant l’agenda politique.

Jean-Louis Delhay : Il y a plutôt une bonne nouvelle pour l’inflation de la zone euro : la baisse du dollar ! Non seulement les prix de l’énergie sont très élevés, mais l’Europe l’importe en dollars et achète des biens de consommation grand public en Asie, payés en partie en dollars. C’était un peu la double peine.

En matière d’allocation d’actifs, comment abordez-vous l’année 2023 ? Comment se positionner sur les actifs risqués ? Quelle place accorder aux obligations ?

Jean-Louis Delhay : Globalement, nous restons tout de même prudents sur les actifs risqués et nous n’envisageons pas de réallouer des capitaux sur les actions. Le marché est un peu en dents de scie : quand il y a une accalmie sur le front de l’inflation, les taux d’intérêt à long terme baissent et les marchés d’actions prennent une bouffée d’oxygène et remontent fortement. Mais lorsque les chiffres de l’inflation ne sont pas bons, les marchés reperdent une grande partie de ce qu’ils ont gagné. Ils devraient rester volatils. 

En revanche, certaines thématiques nous semblent intéressantes pour l’année prochaine. Dans notre scénario de récession modérée, le secteur bancaire nous paraît attractif après avoir vécu dans un monde de taux zéro pendant de nombreuses années. Nous sommes en train de changer de paradigme, ce qui est très favorable pour les marges d’intérêt des banques de détail et de réseaux. Cela va améliorer la profitabilité, mais ça prendra du temps. La diffusion est progressive, plus rapide dans les banques d’Europe du Sud que dans les banques allemandes ou françaises pour lesquelles les marges d’intérêt augmentent plus lentement : il faudra sans doute attendre cinq ans pour en voir le plein effet. La valorisation du secteur bancaire en zone euro reste assez raisonnable et les dividendes sont généreux. Donc, si on est dans un scénario dans lequel les banques ne sont pas obligées de monter leurs provisions pour créances douteuses en raison de la récession, le secteur nous semble assez intéressant pour 2023. 

Portée par des investissements de long terme, la thématique de la transition énergétique offre également des opportunités. Il faut faire preuve de sélectivité, car certains acteurs sont déjà bien valorisés. Autres thèmes : la reprise du tourisme, qui bénéficie à l’écosystème de l’aéronautique civile, et tout ce qui a trait aux dépenses structurelles de souveraineté nationale, la défense pour assurer notre sécurité mais aussi les plans d’infrastructures. 

Il y a donc des thématiques intéressantes, plus que les marchés eux-mêmes, qui me semblent à peu près bien valorisés. Le potentiel de rebond est limité, autour de 10 % en l’Europe, de 4 ou 5 % aux Etats-Unis. Il nous paraît ainsi plus avantageux de profiter de la volatilité pour prendre des positions sur des thématiques de long terme ou sur certains secteurs comme les banques de façon tactique.

Benjamin Melman : Si 2022 a été l’année du « cash is king », 2023 devrait être celle du portage ! Nous sommes à la veille d’un mouvement de désinflation et peut-être d’une récession et pourtant, quand on regarde les volatilités implicites, elles se situent dans le haut de la fourchette pour les taux et dans le bas de la fourchette pour les actions. Beaucoup de craintes sont encore exprimées par cette volatilité implicite sur les taux. Nous pensons qu’il devrait y avoir une normalisation de cette volatilité. S’il y a une récession, il y aura plus de volatilité sur les marchés actions, alors que si l’inflation redescend doucement, la volatilité implicite sur les taux va se réduire. Cette baisse de la volatilité implicite sur les taux a un impact sur les spreads. Pour nous, c’est le moment de se positionner sur du crédit investment grade, du high yield de bonne qualité et des subordonnées financières qui offrent de bons rendements, assez proches des actions. On peut avoir des rendements de 4 ou 5 % sans prendre trop de risque, même à la veille d’une récession. De notre point de vue, il n’y a pas d’hésitation à avoir entre les deux classes d’actifs ! 

Concernant les marchés actions, nous n’avons pas vraiment de convictions géographiques, à part peut-être sur les actions émergentes si on ne se trompe pas sur le scénario de normalisation progressive en Chine et que le dollar se stabilise. C’est un pari spéculatif, mais les valorisations des actions émergentes sont attractives. Par ailleurs, certaines thématiques nous semblent intéressantes : la santé, qui est un secteur défensif avec une croissance structurelle et des valorisations attrayantes, donc parfait pour traverser un contexte économique qui s’annonce compliqué, ainsi que les thèmes du big data et du capital humain.

Julien-Pierre Nouen : Sur les marchés obligataires, la hausse des taux et des spreads a désormais permis de retrouver des niveaux de rendement attractifs pour des investisseurs de long terme capables de supporter une certaine volatilité à court terme. La période de vaches maigres pour les investisseurs obligataires semble donc terminée. Dans cet univers, nous privilégions les subordonnées financières ou corporate high yield. Mais le meilleur point d’entrée est peut-être encore devant nous. Il l’est clairement en tout cas pour les actions : l’histoire montre que le point bas du marché actions est atteint une fois que l’économie américaine entre en récession. 

Je suis assez d’accord avec l’idée d’une certaine complaisance sur les marchés actions : les marges sont au plus haut et il est peu probable que les entreprises parviennent à maintenir le même niveau de profitabilité dans le contexte actuel. La contraction des marges pourrait de ce fait constituer une solution au problème inflationniste, car elle est susceptible de peser sur la croissance des résultats et, in fine, sur le marché actions.

Jean-Louis Delhay : Nous préférons également les obligations aux actions, et plutôt celles de la zone euro que les obligations américaines à cause du risque de change à couvrir. Dans la zone euro, nous privilégions le crédit investment grade et le high yield de bonne qualité. Il faut être sélectif en période de ralentissement. Par ailleurs, la baisse du dollar met moins de pression sur les économies émergentes, donc la dette émergente retrouve de l’attrait.

Les fonds datés sont-ils une bonne solution pour revenir sur les obligations ?

Benjamin Melman : Quand les marchés sont très volatils, les clients ont parfois du mal à comprendre ce qui se passe dans le portefeuille. Un fonds daté est simple, le client connaît son échéance et le rendement qu’il va avoir s’il n’y a pas de défaut dans le portefeuille. Ces règles du jeu beaucoup plus claires aident probablement les porteurs de parts à mieux vivre la volatilité de marché.

«Dans la zone euro, nous privilégions le crédit investment grade et le high yield  de bonne qualité. Il faut être sélectif  en période de ralentissement.»

Jean-Louis Delhay Directeur de la gestion diversifiée ,  Crédit Mutuel AM

Comment protégez-vous les portefeuilles ? Les obligations vont-elles retrouver leur rôle ?

Benjamin Melman : Dans un scénario de récession, les obligations bien notées seront un instrument de protection du portefeuille. En revanche, le débat n’est pas complètement tranché sur l’inflation et le marché pourrait se faire peur à nouveau si celle-ci repartait à la hausse. Dans ce cas-là, les obligations ne constitueront pas une protection. Cela dit, ce n’est, pour nous, qu’un scénario alternatif. On devrait donc revenir à une répartition 60/40 en faveur des obligations. 

Par ailleurs, il y a, selon nous, un sujet d’inquiétude majeur pour 2023 : la liquidité. Celle des banques centrales se dégrade considérablement, notamment aux Etats-Unis avec la contraction du bilan de la Réserve fédérale. Rappelons que la dernière fois que nous avons vécu autant de contraction de la liquidité mondiale, c’était au quatrième trimestre 2018 avec un krach soudain des marchés. Il y a un lien très compliqué à appréhender entre la liquidité des banques centrales et les marchés. Dans nos portefeuilles, nous prendrons des positions sur la volatilité quand le prix des options de couverture reviendra à des niveaux corrects. La faible liquidité n’annonce pas forcément un krach, mais s’il se produit on ne pourra pas dire qu’il n’y avait pas de signal d’alerte. Par ailleurs, la liquidité des marchés est également extrêmement faible, quasiment au plus bas depuis mars 2020 sur le S&P 500 par exemple. Il suffit de peu d’acheteurs aujourd’hui pour faire bouger le marché dans un sens ou dans un autre. Raison pour laquelle il faut songer régulièrement à se protéger quand les prix des protections ne sont pas trop élevés.

Jean-Louis Delhay : Pour protéger les portefeuilles, nous recherchons des actifs de décorrélation. Nous trouvons le yen intéressant, car nous avons le sentiment que l’économie japonaise va un peu mieux grâce à leur plan de relance. L’or est aussi un actif décorrélant que nous avons utilisé cette année pour nous protéger de la volatilité. Avec des taux réels américains qui ont progressé, nous conservons une poche, mais nous sommes moins positifs sur cet actif. L’obligataire nous semble également intéressant. Nous profitons de la baisse de la volatilité sur les marchés actions pour mettre en place des stratégies de protection à base de dérivés.

Julien-Pierre Nouen : Le contexte économique est pour plusieurs raisons tout à fait inédit : la reprise post-covid, l’ampleur des mesures de soutien, les chocs exogènes, etc. Nous restons donc à la fois prudents et flexibles en matière d’allocation de nos portefeuilles diversifiés. Je pense également que nous arrivons au bout d’un cycle sur les marchés financiers après presque dix années de quantitative easing et de politiques de taux zéro, qui ont des conséquences défavorables sur la liquidité. Il faut donc être prêt à bouger les portefeuilles assez régulièrement. Du côté des actions, nous restons actuellement peu exposés, principalement en raison du risque de récession aux Etats-Unis et en Europe. 

Concernant la partie obligataire, nous avions construit un portefeuille bénéficiant d’une sensibilité négative aux taux jusqu’en septembre 2022, de manière à tirer profit d’un mouvement de hausse des taux et des spreads. L’anticipation d’une hausse de l’inflation et de futurs resserrements monétaires nous avait amenés à renforcer ce pari dès 2021. Cette stratégie a bien fonctionné. Désormais, les rendements offerts par les marchés obligataires nous semblent avoir retrouvé une certaine attractivité. Pour cette raison, nous avons ramené la « sensibilité taux » de notre portefeuille en territoire positif. 

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