Table ronde

Performance absolue : quelles stratégies privilégier ?

Publié le 15 novembre 2023 à 11h49

Catherine Rekik    Temps de lecture 26 minutes

En 2022, année durant laquelle les actions et les obligations ont fortement corrigé, les fonds de performance absolue ont pour la plupart réussi à préserver le capital. Certaines stratégies sont même parvenues à générer des performances positives, et donc à attirer des souscriptions. En 2023, les facteurs de risque restent les mêmes : l’inflation est toujours là, la visibilité sur la croissance mondiale est faible et les tensions géopolitiques sont encore plus vives. Les banques centrales ont continué à monter les taux et la volatilité sur les marchés est élevée, mais le premier semestre a été globalement moins favorable à cette catégorie de fonds. Funds s’interroge sur la pertinence d’investir sur ces stratégies alternatives dans l’environnement actuel. La faible visibilité et l’aversion pour les actifs risqués plaident-elles en faveur des stratégies alternatives ? Quels sont les atouts de ces fonds (régularité de la performance, décorrélation, maîtrise de la volatilité) ? Est-ce le meilleur moyen de gérer une exposition aux marchés actions ? Quelles stratégies privilégier pour les prochains mois ? La gestion quantitative est-elle plus efficace pour certains de ces fonds que la gestion discrétionnaire ? Faut-il combiner plusieurs stratégies ? Quid de l’ESG ? Quelle place faut-il accorder aux stratégies alternatives dans un portefeuille ?

Les intervenants

  • Laurent Chaudeurge, responsable de l’ESG et porte-parole de la gestion, BDL Capital Management
  • Kevin Thozet, membre du comité d’investissement, Carmignac
  • Cyrille Pichot de Cayeux, directeur général, Sapienta Gestion

Dans l’environnement actuel des marchés, quels sont les éléments qui plaident en faveur des stratégies de performance absolue ?

Laurent Chaudeurge : La gestion long/short equity que nous proposons chez BDL Capital Management consiste à réaliser des arbitrages entre, d’un côté, des entreprises de qualité mais sous-évaluées et, de l’autre, des entreprises survalorisées soit parce que les estimations de croissance sont trop élevées ou que la gouvernance n’est pas bonne, par exemple. Et cet arbitrage entre des valeurs décotées et des valorisations excessives implique que les taux d’intérêt ne soient pas à zéro puisque c’est le coût du capital qui induit la valorisation. Pour être efficace, la stratégie long/short equity a besoin d’un niveau de taux raisonnable et proportionné à la croissance et à l’inflation. Or, durant des années, le maintien des taux à 0 par les banques centrales a engendré des marchés irrationnels et des bulles financières. D’ailleurs, en début d’année, les anticipations de baisse des taux n’ont pas été bénéfiques à notre stratégie, puis les marchés ont intégré que les taux allaient encore monter et rester à des niveaux élevés, donc une configuration plus favorable s’est installée.

Kevin Thozet : Au-delà de la conception que les taux devraient rester durablement élevés, il y a les phénomènes de corrélation et décorrélation entre les actifs. Cela pose des questions en termes de construction de portefeuilles : où trouver des actifs plus défensifs dans le contexte actuel ? Comment faire pour désensibiliser un portefeuille multi-actifs ? Le plus simple consiste à augmenter la proportion d’obligations au détriment des actions. Mais en procédant ainsi, le portefeuille global devient plus sensible à l’inflation et à l’incertitude liée à l’inflation. Ce qui pose problème.

L’incertitude liée à l’inflation amène beaucoup de beaucoup de volatilité sur un portefeuille global. Il faut donc avoir des moteurs de performance stables dans le temps. On peut investir dans du crédit ou des obligations souveraines qui offrent un bon rendement et les porter jusqu’à maturité. Mais la trajectoire jusqu’à l’échéance peut être extrêmement chahutée. Or, nous savons que les investisseurs ne sont pas uniquement sensibles au résultat final… Dans ce contexte, les stratégies de performance absolue, moins corrélées et moins tributaires du directionnel de marché, présentent un réel intérêt. Elles permettent d’intégrer une brique plus défensive dans un portefeuille.

Cyrille Pichot de Cayeux : L’environnement actuel est moins lisible qu’en 2022, notamment au niveau des taux d’intérêt. Sur le plan macroéconomique, c’est aussi complexe : aura-t-on un soft landing, un hard landing ou pas d’atterrissage économique ? Les stratégies alternatives apportent beaucoup dans une allocation parce qu’elles sont très décorrélantes. Leur principal atout est le contrôle des risques et le contrôle de la perte maximale. Il faut garder en tête que l’objectif d’un fonds de performance absolue est de générer de la performance positive, quelles que soient les conditions de marché. Actuellement, la corrélation est redevenue positive entre les actions et les obligations, donc il faut trouver des actifs décorrélants. Pour gagner de l’argent, il faut déjà essayer de ne pas en perdre !

Ce que nous apprécions particulièrement dans ces stratégies, c’est le contrôle du drawdown, donc de la perte maximale du fonds. Pourquoi ? Parce qu’on se rend bien compte que les investisseurs n’ont pas une aversion au risque mais plutôt aux pertes. La notion de risque pour un investisseur reste assez floue tandis que la notion de perte, qu’elle soit latente ou réalisée, est concrète pour l’investisseur. Les stratégies alternatives permettent avant tout de protéger le capital, ce qui est selon nous essentiel. En tant que gérants de fonds de fonds de performance absolue, nous regardons beaucoup, dans nos analyses, le ratio de Calmar, qui compare la performance annualisée à la baisse maximale (et non à la volatilité). 

«Pour être efficace, la stratégie long/short equity a besoin d’un niveau de taux raisonnable et proportionné à la croissance et à l’inflation.»

Laurent Chaudeurge Responsable de l’ESG et porte-parole de la gestion ,  BDL Capital Management

Générer de la performance positive, quelles que soient les conditions de marché… La promesse n’est-elle pas excessive ? Et donc source de déception pour les investisseurs qui s’attendent à ce que les fonds performent chaque année ?

Cyrille Pichot de Cayeux : Après la crise de 2008, de nombreux fonds alternatifs ont eu de mauvaises performances. La réglementation UCITS qui a été mise en place a eu des effets assez vertueux avec plus de contrôles au niveau des ratios de risque et de concentration d’un portefeuille. Pour quelles raisons ? Parce que très souvent, les gérants de fonds de performance absolue sont des gérants de qualité, mais ils peuvent parfois avoir des convictions très fortes et mal contrôler le risque. La réglementation les a contraints à rentrer dans un cadre réglementaire qui leur a permis de mieux contrôler le risque.

Quoi qu’il en soit, il est clair que toutes les stratégies ne vont pas fonctionner de la même façon selon les conditions de marché à un instant T.  L’an dernier, les stratégies global macro ou CTA ont très bien fonctionné parce qu’il y avait des tendances fortes sur les taux qui n’ont pas arrêté de monter et sur les actions qui, à l’exception de quelques petits rebonds, n’ont pas arrêté de baisser. A l’inverse, cette année, ces mêmes stratégies ont plus de difficultés. En 2023, les stratégies long short equity et equity market neutral sont celles qui fonctionnent le mieux, car, dans un nouvel environnement de taux, il y a une vraie discrimination entre les secteurs, mais également entre les acteurs d’un même secteur. Ceux qui sont plus endettés vont souffrir davantage de la hausse des taux d’intérêt, avec des coûts de refinancement qui augmentent. Un gérant de qualité capable de sélectionner les bons secteurs et les bons acteurs au sein d’un secteur va réussir à tirer son épingle du jeu.

Kevin Thozet : Les fonds de performance absolue doivent protéger. Contre un risque de maximum drawdown par exemple. Ils n’y parviennent, pas systématiquement à chaque événement de marché, mais globalement, c’est le cas. Ils doivent également générer de la performance. Il n’est pas question de sacrifier la performance sur l’autel de la protection. La diversification est également importante. Dans la construction d’un portefeuille, il ne faut pas être investi sur une seule brique alternative mais sur plusieurs, et observer comment ces stratégies se comportent par rapport au reste du marché, aux actions ou aux taux, notamment quand ces actifs évoluent dans le même sens. Il est intéressant d’observer que dans les phases de marché où le prix des actions et le prix des obligations baissent en tandem, ce sont les stratégies alternatives qui fonctionnent le mieux.

A part le monétaire, il n’existe pas de classe d’actifs qui ne subira jamais un appel d’air. Quand on parle de performance absolue, il faut également considérer l’horizon de placement. Les fonds de performance absolue sont de bons outils, car ils permettent de s’extraire du timing de marché. L’environnement dans lequel nous évoluons se complexifie de même que la construction de portefeuille. Il est difficile d’avoir le bon timing, de savoir si les marchés actions ont touché un point bas ou si les taux ont atteint leur point haut. Les stratégies alternatives permettent de compléter une gestion active et de limiter les effets liés au timing des investissements.

Laurent Chaudeurge : Vous avez raison de dire que la performance absolue a engendré des déceptions. Dire que quoi qu’il arrive, les fonds alternatifs sont toujours positifs a desservi l’image de la stratégie alternative. Ces fonds permettent d’atténuer la volatilité, de réduire le drawdown grâce à des couvertures, mais il y aura toujours des moments où la performance sera négative parce que, in fine, quel que soit le type de gestion, la performance s’obtient en prenant des risques. Il est possible de calibrer ces risques et de les diversifier, mais la probabilité que vos hypothèses soient les bonnes n’est jamais de 100 %. D’où l’intérêt d’apprécier en effet ces stratégies sur le long terme, d’analyser les performances sur 3 ou 5 ans et d’être prêt à encaisser, parfois, une année de performance négative.

S’extraire du market timing constitue donc un des principaux atouts de ces fonds ?

Laurent Chaudeurge : Pour une stratégie de long/short equity, le market timing n’est pas un sujet. Le gérant ne se demande pas si le momentum est favorable, si les actions sont trop chères, ou si les nouvelles ne sont pas trop négatives. L’avantage pour les stratégies long/short equity, c’est qu’il y a toujours dans le marché des entreprises décotées et d’autres survalorisées et qu’il est ainsi possible de faire des arbitrages sans avoir besoin d’un bon timing ou d’une vue sur le marché à un instant T.

Kevin Thozet : Durant la période de quantitative easing et de taux nuls, beaucoup d’actifs évoluaient de concert. Il y avait peu de dispersion au sein des classes d’actifs actions et crédit. Avec la hausse du coût du capital, on constate à nouveau un phénomène de dispersion. Prenons l’exemple de l’indice S&P 500 : la performance du secteur de la santé évolue entre − 1 et + 1 % cette année, mais au sein du secteur, quelques valeurs sont en hausse de plus de 50 %. Inversement dans le secteur technologique, qui enregistre en moyenne une performance de 50 % mais concentrée sur quelques valeurs. Ces phénomènes de dispersion sont la quintessence de ce qui fait la gestion active. Et pour des gérants de stratégies alternatives, l’univers d’investissement est alors particulièrement riche. A priori, il n’y a pas de timing pour les stratégies alternatives, mais il y a quand même des environnements qui leur permettent de faire mieux que le reste du marché. Et c’est le cas actuellement. Chez Carmignac, nous avons par exemple des fonds d’arbitrage des fusions/acquisitions. Ces stratégies ont pu décevoir ces 2 dernières années, car les taux bas comprimaient les marges des transactions, il y avait peu d’opérations en raison notamment de la pression des autorités de la concurrence aux Etats-Unis. Aujourd’hui, cela change, ces stratégies redeviennent opportunes et intéressantes.

Les taux élevés ne sont-ils pas un frein aux opérations de fusions-acquisitions ?

Cyrille Pichot de Cayeux : On pourrait le croire mais c’est plutôt l’inverse ! Des taux plus élevés rendent les acquisitions plus coûteuses si elles sont financées en cash, mais elles peuvent aussi être financées en actions. En revanche, les spreads que les gérants vont capter s’ajustent mécaniquement. Il existe de nombreux fonds de performance absolue qui sont multi-stratégies. Ces fonds vont allouer plus ou moins de capital à chacune des stratégies en fonction des conditions de marché et de l’attractivité des différentes stratégies. Donc, quand les spreads de fusions-acquisitions sont trop peu intéressants, ils vont avoir tendance à sortir de ces stratégies, et les spreads vont se reconstituer. Donc l’augmentation des taux n’est pas un élément négatif. Quant à la hausse des taux courts, elle est plutôt positive pour des stratégies comme les long/short equity ou les equity market neutre. Par exemple : une stratégie market neutre va acheter 100 d’actions et vendre 100 d’actions, donc elle a 100 de trésorerie à placer. Avant, ces 100 étaient placés à taux zéro, voire ils pouvaient coûter de l’argent. Aujourd’hui, leur dépôt chez un prime broker est bien rémunéré.

Laurent Chaudeurge : Je suis d’accord avec l’idée qu’il ne faut pas confondre timing et configuration de marché. Dans la configuration actuelle, les taux sont élevés, donc en théorie, une entreprise endettée est une entreprise risquée. Cependant, quand les taux étaient à zéro, on considérait que c’était très bien qu’une entreprise s’endette à des taux très faibles et, à l’inverse, une entreprise qui avait du cash au bilan était pénalisée parce que le cash ne rapportait rien. Aujourd’hui que les taux sont plus élevés, les entreprises endettées sont plus risquées en raison notamment des risques de refinancement, et on préfère investir dans des entreprises qui ont des liquidités qui rapportent, parce qu’elles sont moins risquées et disposent d’une marge de manœuvre pour saisir une opportunité comme une acquisition par exemple. Nous sommes ainsi revenus à un schéma de pensée classique.

Cyrille Pichot de Cayeux : C’est une des raisons pour lesquelles, selon moi, l’environnement pour les fonds long/short equity est extrêmement favorable. Durant la période Covid, toutes les entreprises se sont refinancées à des taux faibles, voire négatifs pour certaines. Et elles ne vont pas tarder à devoir se refinancer. Certaines risquent de voir leur coût d’endettement financier exploser. Les gérants doivent identifier les entreprises qui vont souffrir. Le contexte peut aussi relancer des fusions-acquisitions, car certaines sociétés vont se retrouver en difficulté. D’où l’intérêt des fonds d’arbitrage de fusions-acquisitions. 

La période de quantitative easing et de taux à zéro a sans doute été la moins favorable aux stratégies alternatives. Le monde a changé : il va falloir l’expertise du gérant pour aller sélectionner les gagnants et vendre les perdants des prochaines années.

Dans cet environnement globalement positif pour les stratégies alternatives, quel est le principal risque que vous identifiez ?

Laurent Chaudeurge : Si les taux reviennent à zéro, le raisonnement serait de nouveau déformé et les actifs seraient probablement plus corrélés. Pour les gérants, cela signifie moins d’opportunités d’arbitrage. Ce n’est pas notre hypothèse, mais c’est un risque que nous ne pouvons pas exclure.

Kevin Thozet : Pour ces stratégies alternatives, il ne faut pas négliger le risque de liquidité. Ces stratégies sont complexes et peuvent avoir recours à l’effet de levier et à des contreparties pour mettre en place des positions qui ne peuvent pas l’être par des investissements traditionnels en actions ou en obligations. A cet effet, les gérants s’appuient sur des institutions financières ou bancaires, de préférence les plus solides, mais les questions relatives à la liquidité peuvent éventuellement amener un stress sur ces instruments financiers.

Cyrille Pichot de Cayeux : Pour les stratégies equity, le risque est de revenir au monde d’avant. Ce n’est pas non plus notre scénario, mais on ne peut pas l’exclure. Pour d’autres stratégies, le risque est plutôt celui d’un retournement violent sur les taux comme celui que nous avons connu au printemps dernier avec la faillite de SVB aux Etats-Unis : les taux courts ont fortement rebaissé d’un coup, mettant à mal les stratégies global macro et de suivi de tendances. Elles ont dû déboucler leurs positions et ont accusé un drawdown de quelques pour cent. Si les taux rebaissent, mais progressivement, ce sera alors favorable aux stratégies CTA, car leurs modèles vont se retourner et suivre cette tendance.

«Les stratégies alternatives permettent de compléter une gestion active et de limiter les effets liés au timing des investissements.»

Kevin Thozet Membre du comité d’investissement ,  Carmignac

Qui sont les investisseurs en performance absolue, plutôt des clients privés sophistiqués ou des institutionnels ? Et à quel moment sont-ils acheteurs de ces stratégies ? Lorsque les marchés sont chahutés ?

Laurent Chaudeurge : Chez BDL, la répartition des clients investis en performance absolue est à peu près la même que pour les fonds traditionnels : environ 40 à 50 % de clients institutionnels qui ont toujours une poche de gestion alternative, 30 % à 40 % de banques privées et ensuite de conseillers en gestion de patrimoine. Quel que soit le segment de clientèle, il y a toujours une poche de gestion alternative plus ou moins importante pour essayer de décorréler le reste des portefeuilles. Au sein de la gestion alternative, il y a aussi une multitude de stratégies pour décorréler aussi cette poche.

Kevin Thozet : Historiquement, cette gestion était plutôt réservée et investie par une clientèle dite avertie – banques privées et investisseurs institutionnels. Avec le temps et grâce au format UCITS, l’offre s’est démocratisée. Dans le sillage de la gestion traditionnelle, les investisseurs profanes ont plutôt tendance à acheter ces fonds quand ils ont bien performé et à les vendre quand ils ont sous-performé. Mais des clients plus avertis tendent à avoir une approche structurelle et à renforcer ces positions quand elles ont contre-performé ou que la complaisance de marchés est de mise. Ces stratégies sont complexes, les moteurs de performance sont plus difficiles à comprendre.

Cyrille Pichot de Cayeux : Souvent, c’est quand les marchés sont un peu compliqués que l’on parle plus de la performance absolue. Il faut rappeler qu’un certain nombre de ces stratégies ont des limites de capacité d’investissement, donc elles peuvent difficilement être distribuées dans les réseaux des grandes banques. Quand ces fonds marchent bien, ils ont tendance à limiter les souscriptions voire à être fermés pour préserver la performance, ce que les clients apprécient.

Par ailleurs, tous ces réseaux bancaires ont encore souvent des grilles d’investissement assez rigides et la poche dédiée aux stratégies alternatives est relativement faible, ce qui est bien dommage.  

Kevin Thozet : Nous avons, avant toute chose, un devoir fiduciaire. Les clients nous confient de l’argent que nous devons gérer au mieux. Pour mettre en place des stratégies vendeuses sur des actions, les gérants ont recours à des instruments moins liquides que des actions de grandes capitalisations ou des obligations souveraines. Ce qui contraint la taille, l’encours sous gestion, des fonds. C’est la raison pour laquelle, chez Carmignac, notre fonds long/short equity a parfois été fermé à la souscription. Nous l’expliquons à nos clients, et pour répondre à leur demande pour ce type de produits, nous lançons de nouvelles stratégies d’investissement qui utilisent de nouveaux instruments ou nous intégrons de nouvelles équipes comme nous l’avons fait sur les douze derniers mois – sur le long/short et sur l’arbitrage de fusion-acquisition.

Cyrille Pichot de Cayeux : Il est appréciable de savoir qu’on investit chez un gérant qui va, à un instant T, considérer que la taille de son fonds limite ses capacités et va privilégier ses investisseurs actuels, sa performance, son contrôle des risques par rapport à la collecte. Libre à lui de lancer un autre fonds sur une autre stratégie, bien évidemment, mais les clients apprécient d’être investis dans un fonds qui n’est plus accessible.

Kevin Thozet : Pour investir dans des fonds alternatifs, il est important d’être accompagné par des sélectionneurs de fonds, des conseillers bancaires ou des CGPI. Un client privé risque de se laisser tenter par la performance passée, de ne pas bien comprendre les moteurs de performance et donc, au final, d’être déçu.

Laurent Chaudeurge : Ces 10 dernières années, il y a eu un désamour pour la gestion alternative au profit, souvent, du private equity. Si les taux très bas ont été un peu l’ennemi de la gestion alternative, ils ont, en revanche, favorisé le private equity, car les fonds pouvaient s’endetter et payer plus cher les acquisitions. A l’avenir, ces acquisitions réalisées à des prix élevés risquent d’être cédées dans de moins bonnes conditions, et financer de nouvelles acquisitions coûtera plus cher à cause des taux d’intérêt plus élevés. On peut donc penser qu’après des années difficiles, la gestion alternative a aujourd’hui le vent dans le dos.

Kevin Thozet : Je pense également que nous allons assister à un retour en grâce de la gestion alternative. Les investisseurs vont regarder le comportement de ces stratégies dans les phases un peu compliquées telles que celles que nous avons connues ces 18 derniers mois et adhérer à ce type de gestion.

Il y a beaucoup de questions autour de la façon dont sont gérés les fonds alternatifs, sur les leviers utilisés, etc. Le côté boîte noire est-il un frein pour les investisseurs ? Comment concilier ces processus de gestion et l’ESG ?

Laurent Chaudeurge : Au sein de la gestion alternative, la gestion long/short est relativement simple parce que les actions sont une classe d’actifs que tout le monde connaît. Acheter ou vendre une entreprise, ce n’est pas difficile à comprendre, mais nous avons des vidéos et des formations pour expliquer à nos clients les ventes au découvert. En y consacrant un peu de temps, on comprend rapidement le fonctionnement. Nous appliquons à notre fonds long/short equity, classé article 8, le même processus ESG utilisé pour l’ensemble de nos fonds. Nous avons un scoring pour chaque entreprise – et si la note est inférieure à 10/20, on ne peut pas investir – sur la base d’une analyse environnementale, sociale et de gouvernance. Sur le short, les régulateurs ne demandent pas d’analyse ESG, ils ne prennent tout simplement pas en compte cette partie de la stratégie dans leur réglementation ESG. L’autre problématique importante est que la courte durée de détention des positions short n’est pas adaptée aux pratiques ESG des entreprises qui s’étendent sur des horizons pluriannuels. En revanche, l’analyse ESG a beaucoup de sens sur le short quand elle porte sur l’étude de la gouvernance des entreprises. Historiquement, une gouvernance déficiente, des pratiques comptables opaques et agressives ont toujours été des signaux d’alerte forts pour mettre en place des positions short.

«Toutes les stratégies ne fonctionnant pas en même temps, il est important d’en avoir un panel : long/short equity, arbitrage de fusions/acquisitions, equity market neutral, CTA, etc.»

Cyrille Pichot de Cayeux Directeur général ,  Sapienta Gestion

Et quand la position short est uniquement liée à un problème de valorisation ?

Laurent Chaudeurge : Et bien, il faut être transparent. Si la valorisation est la raison principale du short, on ne va pas raconter que c’est une décision liée à l’ESG. En revanche, nous pouvons considérer que la valorisation d’une entreprise et les perspectives de bénéfices sont trop élevées alors qu’elle va devoir, par exemple, payer pour ses émissions de CO2 d’ici quelques années. Et si ce n’est pas intégré dans les comptes et que nous faisons le travail d’estimation de cette charge supplémentaire, le résultat de l’entreprise peut baisser de façon significative et faire ressortir des multiples de valorisation excessifs. Dans ce cas, même si la décision de vendre repose sur la valorisation, elle est le fruit d’une réflexion et d’une analyse ESG. 

Nous sommes souvent interrogés par nos clients sur la partie short, mais plutôt par curiosité. De façon générale, il est difficile de systématiser l’ESG pour la gestion alternative et notamment dans la partie short. Nous pouvons le faire au cas par cas.

Kevin Thozet : Chez Carmignac, nos stratégies long/short equity sont également classées article 8. En revanche, elles ne peuvent pas être labellisées, car les critères de labellisation ne permettent pas d’avoir des positions vendeuses sur une entreprise ou encore d’acheter des protections sur les indices et de les conserver durant un certain temps. Nos clients nous font cependant confiance, et face à cette idée de boîte noire, nous sommes très transparents sur nos processus de gestion, sur les positions que nous avons dans les portefeuilles et nous expliquons régulièrement d’où viennent le risque et la performance. Il est important que nos clients sachent comment sont gérés les fonds dans lesquels ils sont investis. Par ailleurs, il faut sortir de l’image caricaturale de la gestion alternative : un gérant alternatif n’est pas un vautour, et vendre des positions à découvert contribue aussi à rendre les marchés efficaces.

Cyrille Pichot de Cayeux : Dans la gestion alternative, certaines stratégies comme le long/short equity sont en effet faciles à comprendre. D’autres sont un peu plus opaques, notamment les stratégies plus quantitatives et systématiques. Elles sont fondées sur des algorithmes desquels ont été extraits les facteurs humains et émotionnels. Prenons l’exemple d’un des meilleurs hedge funds du monde, Renaissance Technologies, géré par Jim Simons depuis 35 ans : rien n’a jamais filtré sur le processus de gestion et, même en interne, personne ne maîtrise toutes les briques de gestion. C’est en effet une boîte noire très quantitative et systématique, mais qui marche très bien (rendement annualisé net de 66 % depuis 1988) !

Par ailleurs, de plus en plus de fonds intègrent l’ESG, parce que c’est le sens de l’histoire. Quelques-uns sont même classés article 9. Si l’un des objectifs principaux de l’investissement responsable est d’améliorer le comportement des entreprises, un gérant qui vend à découvert a plus beaucoup d’impact qu’un gérant traditionnel. Souvent, ces gérants, après avoir identifié des problèmes de gouvernance ou de comptabilité, vendent à découvert un titre alors qu’un gérant long va simplement s’abstenir d’en acheter ou l’exclure de son univers d’investissement. Même si nous n’adhérons pas toujours à certaines méthodes, il faut bien reconnaître que la plupart des gros scandales ont éclaté grâce aux hedge funds.

Laurent Chaudeurge : Le short peut être vu comme sorte de police informelle des marchés qui, la plupart du temps, surveille ce qui se passe et sanctionne quand c’est opportun. Certes, les gros scandales donnent lieu à de nombreux articles de presse, mais il ne faut pas oublier que derrière tout ça, il y a des milliers d’épargnants qui ont perdu de l’argent ! D’où l’importance d’avoir ce type de gérants.

Kevin Thozet : Notre métier consiste à gérer de l’épargne et donc à allouer du capital de façon efficace. Et il y a une vertu à le faire en sélectionnant les entreprises les mieux disantes en matière d’ESG et, à l’inverse, en s’abstenant d’investir, voire en prenant des positions vendeuses sur des acteurs moins regardants sur ces critères.

Pour certaines stratégies alternatives, la gestion quantitative systématique est-elle plus efficiente ?

Cyrille Pichot de Cayeux : Pour un fonds long/short equity pour lequel il faut une certaine flexibilité au niveau de l’exposition au marché, nous avons tendance à privilégier l’approche fondamentale avec un gérant qui va à la fois chercher à générer de l’alpha mais aussi du bêta par rapport à la flexibilité de son exposition au marché en fonction de ses vues sur l’évolution des marchés. Pour les stratégies de suivi de tendance, l’idée est plutôt d’enlever le facteur humain pour appliquer un modèle systématique. Et pour les stratégies equity market neutre, les deux existent : l’approche fondamentale avec des gérants qui s’en sortent bien et l’approche quantitative qui va se baser sur la dynamique de révision des croissances de bénéfices, les niveaux de valorisation, etc. En 2023, nous avons observé que les fonds equity market neutre avec une approche quantitative fonctionnent plutôt bien.

Laurent Chaudeurge : La gestion quantitative fonctionne bien quand les tendances reflètent ce qui s’est passé, mais c’est plus compliqué quand il y a un vrai retournement. Un algorithme est construit sur la base d’événements passés. Il fonctionne et génère de la performance quand les événements se reproduisent, mais si le chemin futur suivi par l’économie et les marchés est très différent, l’algorithme aura plus de mal. Il faut donc que l’algorithme soit évolutif pour s’adapter à de nouvelles configurations de marché.

Kevin Thozet  : Il faut différencier quantitatif et systématique. Chez Carmignac, nous mettons en œuvre une approche fondamentale pour nos stratégies long/short, mais elles s’appuient aussi sur des outils quantitatifs. Le volet quantitatif est plus important pour nos stratégies d’arbitrage de fusions/acquisitions, car il permet d’analyser de nombreux critères, mais à la fin, c’est le gérant qui décide d’acheter ou de vendre.

Quelle place doit-on accorder aux fonds de performance absolue dans un portefeuille ? Quel est leur rôle ?

Kevin Thozet : Les fonds de performance absolue apportent de la diversification, de la décorrélation, de la protection et de la performance sur le long terme. Il faut en avoir plus en portefeuille que par le passé, mais dans quelle proportion ? Il faut raisonner en fonction de l’appétit pour le risque du client et de la liquidité. Mais avoir une exposition entre 10 et 20 % peut faire sens dans un contexte de retour de la dispersion aussi bien dans sur les marchés d’actions que sur les marchés de crédit. C’est un environnement qui est très favorable à la sélection de valeurs et d’obligations, et donc aux stratégies alternatives actives. Et puis des primes élevées, des annonces d’opérations importantes, un taux d’échec faible et même certaines opérations qui font l’objet de surenchère : les stratégies d’arbitrage de fusion-acquisition devraient également revenir dans les portefeuilles.

Cyrille Pichot de Cayeux : Chez Sapienta, dans nos mandats pour des personnes physiques ou des personnes morales, nous avons tendance à investir à peu près un tiers de chaque mandat dans des fonds de performance absolue. Nous pouvons aller jusqu’à 100 % pour des clients qui recherchent avant tout la limitation du drawdown. Toutes les stratégies ne fonctionnant pas en même temps, il est important d’en avoir un panel : long/short equity, arbitrage de fusions/acquisitions, equity market neutral, CTA, etc. Ces stratégies ne sont pas corrélées entre elles et, même quand elles performent moins bien, elles vont globalement apporter de la protection. Il faut donc diversifier les stratégies.

Laurent Chaudeurge : Pour savoir quelle place accorder à ces stratégies, il faut se poser deux questions : quelle est la configuration du marché pour savoir quelles sont les stratégies à privilégier ? Est-ce que je comprends bien la stratégie dans laquelle j’ai investi ? Plus je comprends la stratégie, plus je peux me permettre d’augmenter son poids dans le portefeuille. Si la stratégie est performante, mais que c’est une boîte noire, mieux vaut limiter le risque d’exposition.

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