Les frais prélevés par les producteurs et les distributeurs de placements financiers sont dans l’œil des régulateurs et des politiques. A Bruxelles, le sujet des rétrocessions n’est pas encore totalement clos.
Les frais des produits d’épargne pour le grand public sont dans le viseur des autorités. Les différents régulateurs mais aussi les politiques se sont emparés du sujet. Niveau des frais, transparence des frais et aussi modalités de perception des frais sont scrutés de près. En 2021, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire avait lancé les hostilités en pointant du doigt ceux du plan d’épargne retraite (PER), ce qui avait conduit à un accord de place renforçant la transparence de ces derniers pour les épargnants.
Les unités de compte concentrent les attaques
En décembre dernier, c’est l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui a remis le sujet sur la table. Lors de la conférence annuelle de cette institution, le 5 décembre dernier, Jean-Paul Faugère, vice-président de l’ACPR, a indiqué qu’il fallait faire des progrès en matière d’assurance-vie. « L’accumulation de frais élevés peut dans certains cas amputer toute espérance de rendement, alors que le retour sur investissement ne bénéficie finalement pour l’essentiel qu’aux intermédiaires financiers, a-t-il déclaré. De tels cas doivent donner lieu à des arbitrages ou à une révision de la liste des unités de compte offertes à la clientèle. »
Fin mai, c’était au tour du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, de demander aux assureurs de formuler des propositions en ce sens.
C’est chose faite. France Assureurs a demandé à ses membres de renforcer l’examen des unités de compte référencées dans leurs contrats. Chaque année, les compagnies vont devoir examiner leurs listes d’unités de compte en comparant les frais de ces dernières à un niveau de référence cohérent (par exemple la moyenne de supports dotés d’un niveau de risque comparable). Les produits avec des frais supérieurs de 33 % à ce niveau de référence devront être étudiés de près. L’assureur devra alors évaluer leurs performances nettes de frais sur longue période pour juger si ces produits doivent continuer d’être référencés.
De leur côté, les sénateurs Jean-François Husson et Albéric de Montgolfier ont fait voter au Sénat une proposition de loi « tendant à renforcer la protection des épargnants ». Elle doit désormais être étudiée à l’Assemblée nationale. Parmi les nombreuses mesures envisagées, plusieurs touchent aux frais, directement ou indirectement. A l’image de l’article 3, qui « vise à imposer aux distributeurs d’assurance-vie et aux gestionnaires de plans d’épargne retraite de présenter, lors de la souscription d’un contrat ou d’un plan, les fonds indiciels cotés disponibles ». Une promotion des ETF qui vise à faire baisser le coût de l’épargne financière. Autre cheval de bataille de cette proposition de loi : la transférabilité de l’assurance-vie après huit ans pour améliorer la concurrence.
« La tendance baissière des frais de gestion est continue sous la pression de la concurrence des acteurs, de la montée en puissance des ETF, du poids des investisseurs institutionnels et maintenant des centrales de distribution internationales, constate Pascal Koenig, président fondateur d’Insight AM. Le modèle de distribution des produits financiers appelle à être bousculé par la généralisation d’innovations de rupture telles que la tokénisation par exemple. »
Les rétrocessions en péril ?
Mais le sujet qui a le plus agité l’industrie depuis le début de l’année, c’est la possible interdiction des rétrocessions. Un serpent de mer qui revient régulièrement sur la table. Cette année, le coup est parti de Bruxelles, où la commissaire européenne aux services financiers, Mairead McGuinness, a fait part de son intention de bannir cette forme de rémunération en début d’année. Un sujet qui divise fortement les acteurs concernés. « Dans l’idéal, il faut supprimer les rétrocessions, car c’est un système biaisé, qui incite les conseillers à ne pas recommander les meilleurs produits, estime Julien Coudert, associé gérant du cabinet de conseil financier Alpha & K. Ainsi, cela freine la diffusion des ETF et plus largement des fonds avec des frais raisonnables. Dans les faits, c’est compliqué, car énormément de personnes dépendent de ce système. Tous les CGP non indépendants ne vont pas pouvoir passer aux honoraires du jour au lendemain. »
Les opposants à une telle réforme pointent, eux, les risques de supprimer le modèle des rétrocessions : « On ne sait pas faire un travail de masse sans rétrocessions, plaide David Charlet, président de l’Anacofi. La gestion de fortune existe dans tous les pays, mais pour un modèle démocratique et accessible, on n’a pas trouvé mieux que de laisser le choix au client. » Un argument qui semble avoir convaincu. Le 24 mai dernier, la Commission européenne a adopté la législation sur la stratégie d’investissement de détail (retail investment strategy – RIS), un ensemble de textes qui va servir de base à la révision de MIF 2 et de DDA. La commissaire européenne a mis de l’eau dans son vin puisque l’interdiction ne concernera finalement que la vente de produits sans aucun conseil. Les professionnels ne sont pour autant pas complètement soulagés. Dans un communiqué commun, un ensemble de groupements professionnels (dont l’AFG, la FBF, France Assureurs, Paris Europlace et les associations de CGP) appelle à un dialogue avec les législateurs européens : « La Commission européenne affirme écarter une interdiction généralisée de la rémunération par commissions, mais en pratique les nouvelles obligations qui les conditionnent les rendent pour l’essentiel inapplicables en comptes-titres, en assurance-vie et risquent plus largement de mettre à mal l’ensemble de la distribution des produits. » En cause notamment : la volonté d’encadrer les prix par la mise en place d’un référentiel.
Le modèle indépendant doit être renforcé
Or, le modèle des honoraires peine à trouver sa place en France. « Techniquement, ce n’est pas simple : il n’existe pas de logiciel dédié, il faut comptabiliser les rétrocessions pour pouvoir les rendre et la majorité des partenaires n’a pas l’habitude de travailler ainsi », pointe Julien Coudert. Sur le plan financier, un sujet fait aussi grincer des dents. « Il faut nous mettre sur un pied d’égalité avec les CGP non indépendants, poursuit Julien Coudert. Les rétrocessions sont calculées hors taxes alors que pour le même montant facturé à mon client en honoraires, il doit payer la TVA. » Ainsi que de l’impôt sur le revenu sur les rétrocessions qui lui sont versées. Pour David Charlet, « si on voulait un modèle un peu efficace sur honoraires, même si moins que par rétrocessions, il faudrait améliorer le dispositif en permettant la déductibilité fiscale des honoraires ».
La fin des commissions de mouvement actée… pour 2026
Le 19 mai 2022, un arrêté du ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance a entériné l’interdiction des commissions de mouvement. « Il s’agit de supprimer la possibilité pour les gérants d’OPCVM et de FIA de bénéficier des commissions de mouvement, à l’exception des commissions de mouvement sur les actifs immobiliers », précise l’Autorité des marchés financiers dans le document indiquant ses priorités de supervision pour 2023. Ces frais, prélevés chaque fois qu’une transaction est réalisée sur un titre en portefeuille, font l’objet d’une polémique de longue date du fait du conflit d’intérêts qu’elles peuvent entraîner, les gérants pouvant être tentés de faire tourner excessivement leur portefeuille pour engranger des commissions. Bon an mal an, ces commissions représentent environ un demi-milliard d’euros de revenus pour les sociétés de gestion, selon l’AMF. En 2021, ce chiffre est même monté à 706 millions d’euros, en hausse de 40 % sur un an. Les sociétés de gestion ont néanmoins un délai confortable pour s’adapter puisque la suppression des commissions de mouvement ne s’appliquera pas avant le 1er janvier 2026.