Plus la réglementation s’étoffe et plus l’incompréhension semble s’instaurer avec les investisseurs finaux. Au cœur du dispositif avec MIF 2, les CGP doivent faire preuve d’un grand sens de la pédagogie. Un exercice d’autant plus délicat que le dispositif n’est pas encore abouti.
L’année 2022 n’a pas été de tout repos sur le plan de la finance durable, entre montée en puissance des suspicions de greenwashing et introduction de la prise en compte des préférences de durabilité des clients pour les distributeurs de placements financiers. Les épargnants peinent à s’y retrouver et les CGP jouent désormais un rôle de premier plan pour expliquer l’investissement durable.
Désormais, la révision de MIF 2 s’applique à tous : les conseillers doivent interroger leurs clients pour savoir s’ils désirent prendre en compte les critères ESG dans leurs placements. Un questionnement que certains prenaient déjà en considération avant l’entrée en vigueur de la réglementation. « C’était déjà le cas avant, mais sans questionnaire formel, souligne François-Xavier Soeur, fondateur du cabinet Terrae Patrimoine. Dans une allocation, je pondère entre une part de fonds très vertueux et une part plus modérée pour améliorer la diversification sectorielle. Cette part vertueuse dépend des préférences ESG du client. L’avantage de ce questionnaire, c’est de donner des proportions, mais il réside encore un certain flou artistique, car les recommandations des autorités de tutelle et des chambres sont arrivées tardivement, ce qui ne nous a pas laissé beaucoup de temps pour nous adapter. »
En principe, ce nouveau questionnaire comprend en effet un formalisme bien précis. « Il s’articule autour de trois axes de durabilité : la proportion de l’investissement que le client souhaite investir dans des activités considérées comme “vertes” au titre de la taxonomie européenne, la part minimale d’investissements durables au sens de l’article 2 (17) du règlement SFDR et les modalités de prise en compte des principales incidences négatives en matière de durabilité (émissions de gaz à effet de serre, ratio de déchets dangereux, exposition aux énergies fossiles, violation des droits humains…) », rappelle Thibaut Mihelich, directeur de l’ESG chez Lazard Frères Gestion.
Une réglementation complexe à mettre en œuvre
Cette obligation soulève encore de nombreuses questions. « La réglementation en matière de finance durable est réussie sur au moins un point : tous les acteurs ont pris conscience qu’il fallait prendre en considération les facteurs de durabilité, estime Imame Bousfiha, directeur chez Beam-Sagalink. Vu les circonstances économiques et environnementales, personne ne peut remettre en cause le bien-fondé de la réglementation, mais le package est tellement énorme qu’il est difficile à mettre en œuvre, d’autant que la réglementation a mis la charrue avant les bœufs. Les préférences de durabilité sont entrées en vigueur en août 2022, alors que les exigences de transparence des sociétés de gestion viennent tout juste de s’appliquer, depuis le 1er janvier 2023. Les émetteurs publieront, eux, leurs données brutes plus tard, lors de la mise en œuvre de CSRD. » Prévue pour 2024, celle-ci pourrait être reportée.
Dans un premier temps, la prise en compte des préférences de durabilité devrait se concentrer sur la part d’investissement durable. Les deux autres piliers passent au second plan. En effet, la taxonomie n’est pas encore aboutie et la donnée est difficile d’accès puisque les entreprises ne communiquent pas encore toutes dessus. De plus, elle cible des pans d’activité très limités. « Le degré d’alignement avec la taxonomie est de l’ordre de 2 à 3 % sur les grands indices de marché, indique Olivier Paté, spécialiste produits chez BNP Paribas AM. Nous avons 28 fonds présentant un engagement en matière de taxonomie, qui va de 0,5 à 15 % au maximum. Il faut faire attention aux biais capitalistiques, car dans certains indices, l’alignement repose sur une poignée de valeurs. »
L’investissement durable, une notion centrale
A l’inverse, la prise en compte des PAI ne devrait guère être discriminante. De l’avis de Jean de Collongue, associé chez Beam-Sagalink, « la réglementation n’est pas très contraignante et permet des approches qualitatives » sur cet aspect. Les gérants adoptent une approche globale sur le sujet. « La prise en compte et l’atténuation des PAI passent par de l’exclusion, de l’engagement, du vote ainsi que des critères exigeants sur notre score ESG, détaille Mathieu Omeyer, head of Business Management chez BNP Paribas AM. Notre approche est nécessairement holistique, car si l’on pratiquait des exclusions sur chacun des 16 indicateurs obligatoires, l’univers d’investissement deviendrait très limité. »
Il ne reste donc que la part d’investissement durable pour cibler les besoins du client, une notion qui est propre à chaque société de gestion. « La notion d’investissement durable est un peu en opposition avec les objectifs de SFDR que sont la transparence et la comparabilité, car ici chaque société de gestion fixe sa propre méthodologie », regrette Jean de Collongue. Une liberté qui a ses limites puisque tous les acteurs craignent l’accusation de greenwashing. Les sociétés de gestion ont publié ces éléments l’an dernier dans la documentation précontractuelle de chaque produit. « L’enjeu de cette année va être l’étalonnage des pourcentages de durabilité dans les fonds ainsi que les premiers contrôles du régulateur », souligne Jean de Collongue.
Un besoin colossal de pédagogie
L’autre enjeu sera d’appliquer correctement ce questionnaire et de réussir à en faire un véritable outil au service de la transition énergétique. « Nous avons besoin de conseils pour les clients et de formations pour les conseillers », souligne François-Xavier Soeur. Or, entre les attentes des clients et l’offre de fonds, un gouffre semble s’établir. Ainsi, l’association Que Choisir publiait une étude mi-mars dernier sur la finance verte, pointant du doigt de nombreuses lacunes. De façon surprenante, l’une des conclusions de cette étude résidait dans l’attente d’une « stricte réglementation de l’épargne durable à l’échelle européenne mettant un terme à l’écoblanchiment ». Un souhait qui pourrait prêter à sourire s’il ne montrait pas une forme d’échec de la part de la finance durable et de sa réglementation à convaincre le grand public… à ce stade.
Article 9, le grand rétropédalage
Fin 2022, de nombreuses sociétés de gestion ont choisi de déclasser leurs fonds article 9 au sens de la réglementation SFDR en article 8, une catégorie moins ambitieuse. Les premiers doivent poursuivre un objectif de développement durable, selon les textes originaux. Une définition suffisamment floue pour inciter, dans un premier temps, les sociétés de gestion à intégrer de nombreux produits dans cette catégorie, supposément vert foncé. Pour endiguer ce phénomène, les autorités européennes ont publié des précisions, indiquant que le taux d’investissement durable de ces supports, tel que défini par la société de gestion, devait se monter à 100 %. Les encours de la catégorie ont alors chuté de 40 %, note Morningstar. « La première vague de déclassification des fonds article 9 nous semblait prévisible et même souhaitable, estime Thibaut Mihelich. Elle a montré que les gérants d’actifs devaient faire preuve d’une plus grande vigilance et réserver la désignation article 9 aux fonds ayant réellement un objectif d’investissement durable. » Les gestionnaires sont donc au travail pour retravailler leur offre, la demande pour ces supports étant importante. Ils attendent aussi des réponses concernant les ETF reposant sur des indices climat (PAB, Paris-aligned benchmark, et CTB, Climate transition benchmark). « Toutes les sociétés de gestion ont classifié ces fonds article 9, car ils visent à réduire les émissions de carbone, relate Mathieu Omeyer. Mais comme ce sont des fonds indiciels, ils suivent l’indice et non la méthodologie propre à chaque société de gestion. Il est donc impossible de garantir qu’un fonds PAB n’ait que des investissements durables selon la définition de chaque société de gestion, et c’est pour cette raison que les gérants ont reclassé ces fonds en article 8 en fin d’année dernière. »
Selon les dernières précisions de la Commission européenne, ces fonds pourraient toutefois être considérés article 9 par nature et pouvoir déroger à la règle du 100 % d’investissement durable.