Table ronde

2023, l’année de la revanche pour les obligations convertibles ?

Publié le 26 avril 2023 à 16h30

Catherine Rekik    Temps de lecture 26 minutes

Le contexte macroéconomique reste incertain même si les risques de récession semblent s’éloigner en Europe. L’inflation devrait se stabiliser et les taux rester durablement élevés. Funds s’interroge sur les atouts de la classe d’actifs dans un tel contexte : Quelles sont les caractéristiques du gisement ? Quels sont les moteurs de performance ? Et les principaux risques qui pèsent sur la classe d’actifs ? Les convertibles offrent-elles une bonne protection contre la volatilité des marchés actions qui ont commencé l’année en fanfare ? Comment se comporte le marché primaire depuis le début de l’année ? Les émissions sont-elles attractives pour les investisseurs ? Faut-il privilégier une zone géographique ou une approche globale de la classe d’actifs ? Quel est le rôle des convertibles dans une allocation d’actifs ?

Les intervenants :

  • Philippe Garnier, gérant convertible sénior, La Banque Postale AM
  • Julien Coulouarn, gérant obligations convertibles, Montpensier Finance
  • Benjamin Schapiro, directeur de la gestion convertibles, UBP Asset Management (France)
  • Antoine Lesné, responsable stratégies et recherche SPDR ETF, State Street Global Advisors

Les obligations ont retrouvé du rendement et les marchés actions ont bien performé depuis le début d’année. Dans cet environnement, comment évolue la classe d’actifs ? 

Benjamin Schapiro - Depuis le début de l’année, nous constatons un rebond de la classe d’actifs comme sur l’ensemble des marchés risqués, de l’ordre de 3 à 4 % en moyenne pour les convertibles européennes et globales. Mais ce qu’il faut souligner, c’est surtout le retour du rendement dans les obligations convertibles. Le marché primaire s’est repris après une année 2022 compliquée, caractérisée par un premier semestre très calme – la volatilité n’incitant pas les sociétés à émettre de nouveaux papiers –, et une reprise lente sur le second semestre. Nous sommes revenus sur des rythmes d’émissions en ligne avec les moyennes historiques. En Europe comme aux Etats-Unis, les sociétés émettent des convertibles avec des coupons plus élevés, y compris celles notées investment grade. Certaines ont offert des émissions avec plus de 2 % de rendement. C’est un facteur important à prendre en compte dans les perspectives de performance de la classe d’actifs et de ratio rendement/risque par rapport à ce que nous avons connu historiquement.

Antoine Lesné - Le profil des convertibles a évolué ces cinq dernières années, avec un biais plutôt croissance pour les obligations convertibles monde et une exposition à la croissance américaine et chinoise. Les émissions ont donc concerné les secteurs de la tech, de l’internet et des services de communication. Des secteurs qui, après avoir beaucoup souffert en 2022, ont rebondi en début d’année et les convertibles en ont aussi profité. Le rallye sur les taux en début d’année a surpris, mais il a bénéficié à ce biais croissance que l’on retrouve plus dans l’univers des convertibles mondiales que dans le gisement européen. Le rebond varie de 3 à 5 % selon les indices et la couverture contre le risque de change. 

Philippe Garnier - Avec la remontée des rendements, la classe d’actifs a retrouvé tout son ADN : la convexité. C’est l’une de ses caractéristiques : un parachute qui permet, lorsque les marchés actions sont défavorables, d’amortir la chute, car l’obligation convertible va se rapprocher de son plancher obligataire. Il ne faut pas oublier que la convertible est un produit hybride. Quand le marché est plutôt orienté à la hausse, nous utilisons l’option qui est dans la convertible : la sensibilité du produit va, au fur et à mesure que l’action monte, s’accroître, et donc vous faire bénéficier de plus de performance. C’est un produit assez unique. Malheureusement, en 2022, la classe d’actifs était dans un contexte extrêmement adverse, les vents étaient tous contraires : des taux négatifs, des crédits qui se détérioraient et des marchés en baisse. 2023 se présente sous de meilleures perspectives.

Antoine Lesné - La sensibilité aux actions sous-jacentes était très élevée au début de l’année 2022 alors qu’aujourd’hui, avec l’impact de la baisse sur les marchés, la convertible retrouve un profil beaucoup plus hybride, plus convexe, et va vraiment jouer son rôle. L’an dernier, l’indice global des convertibles n’a pas forcément joué son rôle de parachute, ou du moins, il l’a joué par rapport à un indice actions de style croissance, mais pas par rapport à un indice actions standard. 

Julien Coulouarn - La fin de cette période de taux zéro/négatifs, qui a longtemps été délicate pour certaines classes d’actifs, met en lumière la remontée des rendements. Et a deux implications importantes. La première concerne le niveau de portage sur la classe d’actifs obligations convertibles, qui est revenu de manière significative, donc même en cas de perspectives volatiles sur les marchés actions d’ici la fin de l’année, grâce à ce portage, il y a un rendement acquis sur la classe d’actifs. C’est un point essentiel qui permet aussi d’amortir certains chocs sur les actions. 

Deuxième implication, les obligations convertibles retrouvent, à l’émission, des planchers actuariels plus élevés que par le passé, grâce justement aux niveaux de taux et aux spreads de crédit plus élevés.

Quelles sont les principales caractéristiques du gisement des convertibles ? Après avoir souffert de la rotation de style croissance versus value en 2022, la classe d’actifs pourrait-elle bénéficier d’une rotation plus favorable cette année ? 

Benjamin Schapiro - Investir dans des obligations convertibles, c’est investir dans des actifs ayant un profil de risque hybride entre les actions et les obligations. De façon structurelle, il y a un biais croissance assez marqué dans la classe d’actifs ainsi qu’un biais de taille de capitalisation, plutôt valeurs moyennes. En tant que gérant d’obligations convertibles, on parle souvent de l’aspect technique de la convexité, mais il faut aussi insister, pour les non-initiés à la classe d’actifs, sur la typologie des sociétés qui émettent des convertibles, souvent différente de celle qui compose les grands indices actions et obligataires. En effet, les plus grandes capitalisations n’ont pas tendance à émettre des obligations convertibles. Il existe, certes, des contre-exemples, mais le gisement global se compose surtout de sociétés de taille moyenne, avec une médiane autour de 5 milliards de dollars de capitalisation boursière. Cela peut s’expliquer par le fait que le gisement est plus ouvert à des sociétés plus jeunes et non notées que le gisement du crédit. Certaines sociétés utilisent donc les obligations convertibles comme premier instrument sur les marchés de capitaux après leur introduction en Bourse, à un stade de développement offrant toujours de belles perspectives de croissance. Cette typologie de sociétés a également été un facteur défavorable à la performance l’année dernière. En revanche, si la tendance observée en début d’année se poursuit, la rotation sectorielle pourrait désormais favoriser la classe d’actifs.

Philippe Garnier - Il y a deux changements majeurs par rapport à 2022. Nous étions dans un contexte de taux zéro avec des sociétés s’endettant à faibles coûts pour financer leur développement tous azimuts. Les émetteurs étaient le plus souvent de faible qualité, avec des business plan à faible visibilité comme, par exemple, la livraison à domicile. Les accompagner relevait d’un pari risqué. Aujourd’hui, avec la hausse des rendements (taux et crédit), nous évoluons dans un univers plus favorable que l’on peut qualifier de gagnant-gagnant. En effet, en tant qu’investisseurs, nous bénéficions à nouveau d’une part du portage, et d’autre part, nous retrouvons un univers d’émetteurs de qualité et diversifiés. Ces derniers profitaient des taux faibles pour se financer sur le marché obligataire à moindre coût. Aujourd’hui, la même société devrait émettre à 5 ou 6 % alors qu’elle peut le faire à 2 % sur les convertibles. L’arbitrage tombe sous le sens. De son côté, elle profite d’un discount de 3 % et, pour nous, outre le rendement, c’est une chance, car le gisement des émetteurs s’élargit à des sociétés plus intéressantes sur le plan industriel et avec des qualités de crédit bien meilleures.

Julien Coulouarn - Les conditions de marché permettent en effet une diversification du gisement à la fois d’un point de vue sectoriel et stylistique. Les acteurs avec un profil très croissance sont toujours présents et il y aura encore de nouvelles émissions de cette nature, mais certains acteurs, qui avaient perdu l’habitude d’émettre en convertibles, reviennent parce que la dynamique de rationalisation des coûts est devenue un sujet d’actualité pour toutes les entreprises. Une société notée investment grade, qui émettait à taux zéro ou à taux négatifs, n’avait pas besoin de s’intéresser aux obligations convertibles pour réduire son coût de financement. Or, aujourd’hui, toutes les entreprises sont confrontées à des hausses de coûts de financement en raison de la hausse des taux des banques centrales et donc de son corollaire sur le marché obligataire. Il est donc intéressant de chercher à économiser son coût de financement en privilégiant les obligations convertibles. Nous voyons donc revenir sur le marché primaire un certain nombre de sociétés notées investment grade, ce qui contribue à améliorer la qualité du gisement et sa diversification sectorielle et de style. 

Antoine Lesné - Il y a cinq ans encore, le gisement était relativement diversifié, avec une représentation sectorielle équilibrée. Puis, la période taux bas a favorisé les sociétés de croissance, avec une explosion notamment des émissions du secteur de la technologie, qui, avec l’internet, le commerce en ligne, etc., ont représenté jusqu’à 50 % de l’indice global. Aujourd’hui, il n’y a presque plus de financières, de banques japonaises, et moins de sociétés industrielles. Les émissions en dollars, à taux bas, voire à zéro coupon de sociétés de croissance a augmenté.

La dynamique est à nouveau plus saine, avec un retour des sociétés industrielles. Et comme les taux en euro commencent à remonter, on devrait revoir les entreprises européennes émettre à nouveau des convertibles, ce qui améliorera aussi la diversification du gisement pour les investisseurs.

Quelles sont les différences entre les gisements américain, européen et asiatique ?

Julien Coulouarn - Le gisement américain reste le plus important. Il est encore relativement centré sur la tech/biotech/medtech même si cela évolue vite. La partie européenne est plus diversifiée sur le plan sectoriel et de meilleure qualité en termes de crédit. Le gisement asiatique réservé aux investisseurs étrangers reste plus étroit et plus petit que le gisement européen, avec des caractéristiques assez nationales, des secteurs liés au tourisme, des conglomérats ou des semi-conducteurs. Le point commun à tous les gisements est la quasi-absence de financières pures.

Philippe Garnier - Le marché américain reste le marché dominant au niveau mondial et satisfait l’appétit des investisseurs et des émetteurs. La liquidité y est abondante. Elle a permis le financement de nombreuses sociétés biotech et tech. Ce qui explique la richesse du gisement dans ces secteurs et maintient le leadership américain sur ces activités. La cybersécurité en est un bon exemple : on compte 4 ou 5 acteurs de qualité aux Etats-Unis, ce n’est pas le cas en Europe. L’Europe offre une meilleure diversification sectorielle, avec des profils de risques plus faibles, donc à meilleure visibilité sur le plan crédit. Les Etats-Unis permettent un accès sur des sociétés plus dynamiques, avec en contrepartie des profils de risque plus élevés. 

Antoine Lesné - Sur un indice global, les Etats-Unis représentent environ 53 %. Ils sont suivis de la Chine, qui émet en dollars, avec environ 8 %, puis de la France. 

Philippe Garnier - La culture des dérivés et des convertibles est très française.

Antoine Lesné - En effet, l’innovation dans le monde des convertibles est souvent française, de même que le biais français chez les investisseurs qui utilisent des convertibles dans les portefeuilles.

Philippe Garnier - La France a eu un certain poids, et avec une culture des dérivés assez forte, nous avons réussi à imposer des clauses dans les émissions, qu’on ne retrouve pas toujours sur le marché américain. Les clauses de ratchet en sont un bon exemple : elles nous permettent de bénéficier, en cas d’OPA, d’une meilleure indexation. Elles sont assez courantes en Europe et peu fréquentes sur les autres marchés.

Julien Coulouarn - En cas d’OPA, deux clauses peuvent être activées. La première est la clause de ratchet qui a plusieurs formules : la plus favorable est celle la plus souvent utilisée en Europe, alors qu’aux Etats-Unis, il s’agit d’une table de correspondance, un peu moins généreuse, mais toujours favorable à l’investisseur. La deuxième est la clause de remboursement au pair en cas de changement de contrôle (donc d’OPA), dont la valeur a crû dans le contexte actuel. En raison de la forte baisse d’un certain nombre de valeurs technologiques, une grande partie du gisement, notamment aux Etats-Unis, cote sensiblement en dessous du pair, alors que le risque de crédit nous semble assez limité pour nombre d’entre elles. Leur taux de rendement actuariel est assez élevé et il y a cette possibilité d’être remboursé au pair pour une convertible qui vaut entre 70 % et 80 % du nominal, soit un gain instantané très favorable quelle que soit la prime d’OPA exercée. 

Benjamin Schapiro - En ce qui concerne la Chine, il existe en réalité deux marchés. Le marché offshore plus accessible aux investisseurs internationaux, qui se compose de convertibles émises par des sociétés généralement cotées à Hong Kong. Les émissions se font en dollars ou autres devises internationales. Le second marché, qui s’est pour l’instant développé dans l’ombre du premier, mais est déjà très important par sa taille, représente celui des convertibles dites onshore, et émises en yuan. Ce marché pèse environ 150 milliards de dollars, ce qui en fait le deuxième plus gros marché mondial de convertibles derrière le marché américain. Il est par ailleurs déjà plus de deux fois plus gros que le marché européen alors qu’il affichait une taille négligeable il y a quelques années. Il convient de noter qu’une présence locale est indispensable pour pouvoir investir sur ce marché.

«Avec l’impact de la baisse sur les marchés, la convertible retrouve un profil beaucoup plus hybride, plus convexe et va vraiment jouer son rôle.»

Antoine Lesné Responsable stratégies et recherche SPDR ETF ,  State Street Global Advisors

Est-ce que cet attrait retrouvé se matérialise dans les flux ? Qui achète des fonds de convertibles ? 

Julien Coulouarn - Historiquement, ce sont surtout des caisses de retraite, des fonds souverains, des mutuelles, des assurances et des family offices qui investissent dans la classe d’actifs.

Benjamin Schapiro - Après une année 2020 historique en termes de performance, les flux entrants sur la classe d’actifs avaient été significatifs en 2021. Depuis un an, la tendance s’est inversée notamment en raison des performances affichées. Il existe cependant un socle d’investisseurs historiques qui observent que la classe d’actifs a retrouvé un paradigme plus favorable et offre un potentiel de ratio rendement/risque intéressant. La dynamique actuelle du marché primaire est un élément encourageant pour les perspectives de flux ; la diversification offerte et le renouvellement du gisement étant souvent utilisés comme un indicateur d’opportunité.

Antoine Lesné - De façon générale, les flux n’ont pas été très importants sur le mois de mars. Ils étaient encore positifs sur les ETF, mais les flux des investisseurs institutionnels étaient négatifs sur le corporate euro. Depuis le début de l’année, nous constatons toutefois un essoufflement des flux négatifs et des discussions s’engagent avec les investisseurs sur les niveaux de valorisation et la croissance du gisement. L’évolution du marché primaire est une question clef. Février a été un très bon mois en termes de nouvelles émissions puis le rythme a ralenti avec la crise bancaire aux Etats-Unis. 

Par ailleurs, en France, les investisseurs sont effectivement des institutionnels type retraites et assureurs. En Italie et en Allemagne, ce sont plutôt des assureurs aussi. Mais on commence à revoir de l’intérêt du côté banques privées pour le côté diversifiant de la classe d’actifs. 

Pourquoi ces fonds, qui ont un profil assez patrimonial, n’ont-ils pas plus de succès auprès des banques privées ou des CGP ? 

Antoine Lesné - Le rendement des fonds de convertibles n’était pas très attractif dans le passé. En s’améliorant, la classe d’actifs va peut-être élargir sa base d’investisseurs.

Philippe Garnier - En 2022, a contrario du marché, LBP AM a réussi à collecter sur la classe d’actifs grâce à un positionnement défensif et conservateur. En 2023, le démarrage de la collecte n’est pas encore au rendez-vous. Or, grâce à sa convexité, elle redevient un actif incontournable pour un allocataire d’actifs. Comme nous l’avons souvent constaté par le passé, lorsque l’environnement est plus incertain, volatil, avec, comme aujourd’hui, un contexte de tension sur les taux, une croissance qui ralentit, une inflation persistante, investir dans les convertibles permet de bénéficier de portage et de conserver une exposition aux actions au cas où les marchés se comporteraient bien. 

En ce qui concerne la typologie d’investisseurs, je suis en effet surpris que la classe d’actifs n’ait pas plus de succès auprès de la clientèle patrimoniale. Un fonds de convertibles devrait être un investissement naturel pour les particuliers dans une perspective de long terme. Le produit peut paraître complexe à comprendre. Nous devons, nous, professionnels, faire preuve d’une meilleure pédagogie. C’est un investissement qui offre, selon nous, un bon profil en termes de risque/rendement.

Antoine Lesné - Après avoir déserté un temps la classe d’actifs à partir de 2015, les hedges funds commencent aussi à revenir, et c’est plutôt bien pour la liquidité. 

Philippe Garnier - La liquidité est un point important à souligner. Lorsque nous avons eu d’importants hedge funds qui ont été liquidés en 2022 dans un contexte économique difficile, la liquidité est restée satisfaisante. C’est plutôt bon signe de voir que dans une situation extrême en termes de stress, l’actif est resté résilient sur le plan de la liquidité. 

Julien Coulouarn - La majorité des investisseurs sont en effet institutionnels, mais dans certains pays, en Suisse par exemple, les family offices et les banques privées sont assez friands de la classe d’actifs. 

Que représente la poche convertibles dans une allocation d’actifs ? 

Benjamin Schapiro - Compte tenu de tous les éléments positifs que nous avons mentionnés, en tant que gérant de convertibles, j’aurais tendance à répondre qu’il faudrait faire la part belle à cette classe d’actifs ! Mais il faut garder en tête que c’est un marché de niche, avec une taille globale d’environ 400 milliards de dollars, soit la taille d’une grosse capitalisation boursière. Bien sûr, on ne peut pas comparer la taille d’une société cotée à un marché d’instruments de dette, mais la mise en perspective est tout de même intéressante pour avoir des ordres de grandeur en tête. En raison de son ratio rendement/risque favorable, et dans le contexte actuel, il nous semble incontournable d’être exposé à la classe d’actifs. Cette exposition varie en moyenne de quelques pour cents jusqu’à 10 %.

Philippe Garnier - Les investisseurs qui comprennent bien l’intérêt de la classe d’actifs lui allouent en général entre 4 et 10 %. C’est le cas des assureurs en général. 

«Le marché chinois onshore a des spécificités qui le rendent particulièrement attrayant.»

Benjamin Schapiro Directeur de la gestion convertibles ,  UBP Asset Management (France)

En plus des nouveaux profils de sociétés ou d’une meilleure qualité de crédit, avez-vous constaté des nouveautés sur le marché primaire ? 

Philippe Garnier - En plus du retour du coupon que nous avons déjà évoqué, il n’y a pas de changement majeur à part peut-être la mise en place d’une nouvelle clause liée aux dividendes (pour compenser d’éventuelles hausses ou baisses, soit en faveur de l’investisseur, soit de l’émetteur). On commence également à voir apparaître des émissions green et des sustainable bonds, c’est une tendance de fond qui nous intéresse particulièrement et qui répond à une demande des investisseurs. 

Julien Coulouarn - Cette caractéristique est plus importante en Europe qu’aux Etats-Unis. La réglementation outre-Atlantique en matière de green bonds y est plus libre pour l’émetteur.

Antoine Lesné - Entre janvier et mars, le montant des émissions nouvelles est déjà proche de 20 milliards de dollars, alors que le montant total était de 40 milliards pour l’année 2022. 

Benjamin Schapiro - Rappelons qu’en 2020 et 2021, deux années historiques, le montant total des émissions était de l’ordre de 140/150 milliards pour le gisement global. La moyenne historique est de l’ordre de 80 milliards. Avec une maturité moyenne de 5 ans et une taille d’environ 400 milliards, il faut donc environ 80 milliards d’émissions par an pour renouveler ce marché. Le rythme de ce premier trimestre s’inscrit dans cette tendance.

Antoine Lesné - Sans parler de mur de refinancement, il reste quand même environ 45 milliards à rédimer aux Etats-Unis avant la fin de l’année et à peu près 20 milliards en Europe. Il va donc falloir encore pas mal d’émissions. Les émetteurs qui avaient un peu délaissé les convertibles ces dernières années, notamment sur le gisement européen, vont peut-être revenir. Depuis le début de l’année, les Etats-Unis représentent les deux tiers des émissions. 

Julien Coulouarn - En Europe, le montant des émissions est d’environ 5 milliards d’euros depuis le début de l’année. Du côté de l’Asie et du Japon, les montants sont plus faibles. Globalement, le rythme du premier trimestre est équivalent à celui que nous avions dans les années 2010.

Benjamin Schapiro - Le marché chinois onshore est intéressant en matière de clauses spécifiques. Il s’est développé de manière très structurée et favorable à l’investisseur. Les émetteurs chinois sont très optimistes sur leur capacité à aller jusqu’à la conversion, c’est-à-dire que le prix de l’action augmente suffisamment pour que la convertible soit effectivement convertie. Ils sont donc prêts à donner des clauses particulièrement intéressantes, notamment un schéma de coupons qui augmentent avec le temps, ou un coupon exceptionnel payé à maturité si l’obligation n’est pas convertie. D’un point de vue technique, le marché chinois onshore, sans doute parce qu’il est encore jeune, est très intéressant et ces clauses particulières expliquent une partie de la performance.

«Nous voyons revenir sur le marché primaire des sociétés notées investment grade, ce qui contribue à améliorer la qualité du gisement.»

Julien Coulouarn Gérant obligations convertibles ,  Montpensier Finance

Les critères ESG sont-ils facilement intégrables dans la gestion d’un fonds d’obligations convertibles ? 

Antoine Lesné - Il n’existe pas aujourd’hui de véritable indice ESG sur les convertibles. Compte tenu de la taille du gisement et du nombre d’obligations, l’univers que nous suivons se compose de 360 obligations pour près de 200 émetteurs. L’ESG est un sujet important qui répond à une vraie demande des investisseurs en Europe et auquel s’est aussi greffée la dimension carbone. Il y a un vrai travail en cours du côté des fournisseurs d’indices et des gérants.

Benjamin Schapiro - Comme pour l’ensemble des classes d’actifs, il est devenu important d’intégrer les critères ESG dans la gestion, y compris pour les convertibles. Les données existent dans cet univers de mid&small caps, qui est bien suivi, avec un taux de couverture proche de 100 %. Chaque société de gestion a développé des outils et des processus ces dernières années pour obtenir une combinaison entre la recherche externe et les ressources internes afin de proposer des produits différenciants. A l’UBP, certains de nos fonds sont labélisés et certains mandats ont des biais ESG privilégiés. Mais l’analyse ESG est intégrée à l’ensemble de nos processus de gestion et notre recherche interne est un des éléments clefs de la sélection comme de l’allocation des titres détenus en portefeuille.

Philippe Garnier - Chez LBP AM, l’investissement durable fait partie de notre ADN, et nous avons beaucoup investi dans les équipes ISR puisque nous notons en interne l’ensemble des sociétés du gisement. L’univers étant assez restreint, cela peut être perçu comme une contrainte, mais nous l’abordons différemment, comme une chance de donner du sens à nos investissements. A moyen/long terme, le bénéfice devrait être au rendez-vous, car nous investissons dans des sociétés qui ont une vision durable et pérenne, ce qui implique à terme qu’elles auront, selon nous, une meilleure rentabilité.

Julien Coulouarn - Les critères ESG sont intégrés dans la sélection au même titre que les critères financiers. Certains éléments de la partie gouvernance sont notamment importants et nous aident à limiter le risque sur un certain nombre d’émetteurs. Cela introduit des biais dans les fonds puisque l’Europe est plus en avance sur la partie ESG que les autres zones géographiques. En matière de gouvernance, il est plus difficile de faire des choix dans le gisement asiatique. Un focus sur la gouvernance permet de réduire aussi le risque de crédit sur la société dans laquelle on investit. 

Quels sont les principaux risques identifiés pour la classe d’actifs ?

Benjamin Schapiro - Le consensus anticipe un ralentissement de l’inflation, d’abord aux Etats-Unis puis en Europe, et estime que les banques centrales commencent à préparer les marchés à la fin de la remontée des taux même si ces derniers devraient rester sur des niveaux élevés. L’an dernier a montré qu’un des principaux risques pour notre classe d’actifs est un rebond soudain des taux d’intérêt dû à une inflation qui surprend à la hausse. S’il s’avère finalement que l’inflation est plus élevée qu’attendu dans les mois qui viennent, on pourrait retrouver un scénario défavorable, mais ce n’est pas le scénario central. Par ailleurs, le profil de la classe d’actifs a évolué, et elle est donc moins exposée à ce risque qu’il y a un an et demi.

Julien Coulouarn - Il faut différencier le risque absolu et le risque relatif. Le risque absolu est essentiellement, à mon sens, un risque de dérapage important sur les marchés actions et sur les actifs risqués. Mais dans cette configuration, les convertibles partiraient avec un point de départ nettement plus favorable que l’année dernière en raison d’un niveau de taux et de crédit beaucoup plus élevés. Et en raison de ces niveaux élevés de taux et de spreads, le risque relatif versus actions et crédit nous semble assez limité.

Philippe Garnier - Nous revenons finalement à des risques communs à toutes les classes d’actifs risqués qui ne sont donc pas spécifiques aux convertibles. Les risques identifiés sont de 3 ordres : politique avec la guerre en Ukraine et les tensions sino-américaines ; macroéconomique avec le ralentissement de l’économie américaine, qui aurait une répercussion évidente sur l’économie mondiale ; et microéconomiques avec un contexte récessif qui devrait mettre les sociétés sous pression (il leur sera difficile de répercuter l’inflation dans leurs prix, et les marges pourraient en souffrir) et une problématique de refinancement, car les banques prêtent moins et les taux sont plus élevés. Les banques pourraient également restreindre leurs prêts, et donc mettre en difficulté les sociétés trop endettées.

Antoine Lesné - Il existe aussi un risque de crédit, avec une remontée potentielle des défauts, après une longue période sans quasiment aucun défaut sur les convertibles. Ce n’est pas forcément visible dans les indices en raison de la taille des émetteurs qui les composent. Mais dans un scénario de récession économique un peu plus fort, le risque existe, même si je pense que, dans ce cas-là, il vaut mieux être exposé aux convertibles qu’au high yield. 

Philippe Garnier - J’ajouterai un dernier risque : celui de liquidité. Les banquiers centraux ont enfin compris qu’ils devaient réduire la masse monétaire en circulation, mais quand ils le font, cela crée des tensions pour la liquidité. L’enjeu est d’arriver à gérer le ralentissement de la liquidité sans qu’il y ait de situation de stress. 

«Avec la hausse des rendements obligataires, nous évoluons dans un univers plus favorable que l’on peut qualifier de “gagnant-gagnant”.»

Philippe Garnier Gérant convertible sénior, ,  La Banque Postale AM

Faut-il avoir une approche régionale ou globale de la classe d’actifs ? 

Philippe Garnier - Les deux approches font sens. Il est intéressant d’investir en Europe, qui offre une meilleure visibilité sur le plan économique et une meilleure diversification. C’est une zone majeure pour 2023. Un fonds global permet d’avoir un biais sur l’Europe tout en ayant une exposition au marché américain, le plus gros gisement mondial. C’est une zone plus dynamique et également plus risquée. En diversification, nous avons identifié la Chine comme un vecteur d’investissement intéressant, ciblé sur la consommation pour profiter du redémarrage de leur économie post-covid. Après, cela dépend du profil des investisseurs, de leurs contraintes et objectifs. 

Antoine Lesné - Les Etats-Unis restent le marché ayant la sensibilité action la plus élevée, avec des delta proches de 50 contre 35 à 40 pour l’Europe selon les indices. Si on estime que l’Europe va surperformer les Etats-Unis sur le marché actions, les convertibles européennes profiteraient moins de la hausse. Mais si les marchés actions américains surprennent à la hausse, une exposition à un fonds global de convertibles est plus intéressante. Si l’investisseur choisit une exposition globale, couvrir le risque de change d’une baisse du dollar contre l’euro s’envisagerait. 

Julien Coulouarn - Le choix revient à l’allocataire d’actifs et à l’investisseur. Autrefois, choisir une approche globale revenait à faire le choix d’une exposition au gisement américain et à sa composante technologique très marquée. C’est un peu moins vrai aujourd’hui, car l’international s’est diversifié. Un investissement global recèle plus de leviers et d’opportunités, mais est aussi un peu plus volatil. L’Europe est un peu moins volatile et dispose d’un peu plus d’investment grade.

Benjamin Schapiro - Nous avons lancé il y a deux ans un fonds dédié aux obligations convertibles chinoises onshore. Il nous semble que c’est un gisement attractif pour des investisseurs souhaitant s’exposer de nouveau à la Chine, mais à travers une stratégie moins volatile qu’en investissant en actions locales chinoises. Ce marché a des spécificités qui le rendent particulièrement attrayant. Depuis que nous avons lancé ce fonds, les actions chinoises ont baissé de 13,7 % alors que notre fonds a gagné 20,5 %, et l’indice convertibles 10,5 %. Ce marché séduit des investisseurs qui recherchent de l’innovation et des produits différenciants. 

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