Table ronde

Comment tirer parti de la hausse des taux ?

Publié le 3 novembre 2022 à 12h20

Catherine Rekik    Temps de lecture 26 minutes

Face à l’inflation, les banques centrales poursuivent leurs politiques de resserrement monétaire. Aux États-Unis, les taux commencent à devenir une alternative aux marchés actions, mais c’est encore loin d’être le cas dans la zone euro. Pour autant, certaines classes d’actifs obligataires, notamment le crédit high yield, délivrent des rendements attractifs.Funds s’interroge sur la meilleure façon de s’exposer aux marchés obligataires dans un contexte de forte volatilité et de craintes liées à la récession.
• Faut-il privilégier certaines classes d’actifs obligataires ou favoriser une gestion obligataire flexible ?• Dans le crédit, quels sont les facteurs de soutien ? Comment vont évoluer les taux de défaut ? • Les rendements offerts par le high yield sont-ils suffisamment attractifs ? Quels sontles secteurs à privilégier ?

Les intervenants

  • Nicolas Leprince, gérant, Edmond de Rothschild Asset Management
  • Stephan Mazel, responsable de la gestion crédit, Groupama Asset Management
  • Benjamin Le Roux, responsable du pôle aggregate/monétaire, Lazard Frères Gestion
  • Edouard Faure, responsable de la gestion high yield, Swiss Life Asset Managers 
  • Akram Gharbi, responsable gestion crédit high yield, La Française Asset Management

Les marchés obligataires ont été très secoués en 2022. Quel est pour vous le fait le plus marquant ?

Stephan Mazel : La corrélation positive entre les taux et les spreads est, sans aucun doute, l’élément le plus marquant de l’année. En général, dans les phases d’aversion au risque, les spreads s’écartent, mais au moins les taux, qui sont là pour nous supporter, baissent. C’est une des rares années durant laquelle on a eu cette corrélation : des taux et des spreads qui montent, ce qui se traduit par des performances extrêmement négatives sur la classe d’actifs crédit investment grade et high yield.

Benjamin Le Roux : Peu de gérants ont connu dans leur carrière cette configuration de taux et de spreads qui montent. Le phénomène trouve sa source dans les niveaux élevés d’inflation et l’action des banques centrales. Nous vivons cette année une situation historique de hausse durable des taux et des spreads, entraînant des performances négatives, jusqu’à -20 % sans qu’il y ait eu de catastrophe sur le choix de valeurs, mais uniquement dues à l’effet marché.

Edouard Faure : Autre fait inédit cette année : il n’y avait pas vraiment de secteurs refuges ! Les secteurs défensifs ont souffert de leurs corrélations importantes aux taux, les plus cycliques ont souffert des risques croissants de récession et donc des écarts de spreads. Avoir des durations courtes en début d’année et du cash en portefeuille était un des seuls moyens d’éviter les performances très négatives.

Akram Gharbi : Le bilan est très négatif en termes de performances pour la classe d’actifs, surtout sur la partie investment grade, avec une baisse de 18 % aux Etats-Unis par exemple. Des mauvaises performances qui s’expliquent plus par les taux que par les spreads. Les spreads sur les indices cash ne se sont pas beaucoup écartés sur le marché du crédit, ce sont plutôt les taux qui ont un impact assez important. Cependant, on a une image plus vraie de la situation générale des marchés quand on regarde les indices CDS, puisque l’écartement de spread est beaucoup plus important.

Nicolas Leprince : Il y a eu une montée en puissance tout au long de l’année mais, pour le moment, il n’y a pas vraiment eu de capitulation. Certes, les performances sont mauvaises, entre - 15 et - 20 %  pour l’investment grade et le high yield, voire pire pour certains segments obligataires émergents. Il y a eu des flux sortants de façon assez régulière, mais pas de capitulation, ce qui donne peu de perspectives positives. D’autant que l’inflation est toujours là, qu’il y a toujours une forte volatilité sur toutes les classes d’actifs et la corrélation entre les taux et les spreads est positive. Autre point à souligner actuellement : il y a beaucoup de dispersion entre les émetteurs.

Que faudrait-il pour qu’il y ait vraiment capitulation ?

Nicolas Leprince : Nous avons eu l’impression qu’elle aurait lieu en juin quand la probabilité d’une capitulation s’est amplifiée tout au long du deuxième trimestre et avec l’arrêt du gazoduc Nord Stream. Ces facteurs négatifs sont toujours présents, mais les investisseurs ne sont pas sortis massivement des classes d’actifs : il n’y a pas eu de krach brutal.Le marché reste sous tension, avec de fortes volatilités sur les taux d’intérêt. Aux Etats-Unis, la volatilité sur les taux d’Etat est à des niveaux élevés, mais en ligne avec la période 20002010, alors qu’en Europe, elle se situe à des niveaux historiques. Prenons l’exemple des prévisions d’inflation : durant les vingt dernières années, les macroéconomistes ou les stratégistes anticipaient un intervalle de 1 à 2 %, alors qu’il est aujourd’hui de 5 % entre le plus bas et le plus haut. Idem pour les taux d’intérêt. Auparavant, il y avait entre 40 et 50 points de base entre la fourchette haute et la fourchette basse, alors que l’écart est désormais de 150 points de base à la hausse ou à la baisse. La dispersion et la volatilité ne s’atténuent pas pour l’instant.

Benjamin Le Roux  : Le risque de liquidité est à surveiller et à mettre en parallèle des flux sur la classe d’actifs. Le marché obligataire peut se figer et l’on ne pourrait alors que très difficilement passer des ordres de vente sans dégrader nettement la valorisation. A ce moment-là, si les banques, qui font les prix, n’ont pas envie de récupérer du papier, on peut se retrouver avec des cotations qui baissent alors qu’il y a très peu de volumes.

Stephan Mazel : C’est ce que nous avons connu en mars 2020 quand le marché s’est figé, avec une capitulation provoquée par des investisseurs contraints de vendre. L’incertitude était grande, les prix chutaient, mais parfois sans transaction. Cette fois-ci, il n’y a pas eu de capitulation dans le marché du crédit, alors que les performances sont bien pires qu’en mars 2020.

Cette capitulation est-elle vraiment inévitable ?

Stephan Mazel : Il n’y aura peut-être pas de capitulation en effet, c’est difficile de prévoir cela. Les exemples passés montrent que, lorsqu’elle se produit, le marché est réellement investi dans les actifs risqués. C’était le cas en 2020, tout le monde était positionné sur les actifs risqués, avec plus ou moins de levier. Et la crise a été soudaine, ce qui s’est traduit par des ajustements de positions très rapides, provoquant des effets d’enchaînement et de capitulation. Or, depuis le début de l’année, et même si personne n’avait prévu la guerre en Ukraine, le sentiment sur les classes d’actifs risqués était quand même plutôt pessimiste. Personne ne voulait vraiment reprendre du risque de façon extrême et les positionnements étaient relativement modérés, avec déjà un peu de cash dans les portefeuilles. Quand le positionnement n’est pas très agressif, la capitulation n’est pas forcément nécessaire.

Edouard Faure : Je partage ce point de vue, beaucoup de gérants avaient du cash dans les portefeuilles en début d’année. Donc, les sorties des classes d’actifs ont été absorbées, en grande partie par ce cash. Durant les dernières crises que nous avons vécues, en 2008 ou en mars 2020 avec le covid, nous étions dans une incertitude complète sur ce que le monde allait devenir.Au début du confinement, bien malin celui qui pouvait prédire quelles sociétés allaient s’en sortir ou pas. L’incertitude était totale, mais les aides des Etats et des banquiers centraux ont finalement permis de sortir relativement rapidement de cette crise et d’avoir des resserrements importants sur les crédits pendant un an et demi. Aujourd’hui, il y a des incertitudes sur l’inflation et sur la perspective d’une récession. La probabilité d’une récession est forte, mais il reste des incertitudes sur son ampleur et sa durée. Chez Swiss Life AM, nous pensons qu’elle sera plutôt modérée, ce qui, combiné avec la solidité des fondamentaux des sociétés, rend les incertitudes sur le devenir de nos classes d’actifs un peu moins fortes qu’en 2008 ou 2020. La capitulation peut donc être moins forte, voire ne pas avoir lieu.

Nicolas Leprince : En effet, nous sommes plutôt dans un contexte de lente dégradation des fondamentaux depuis un an. Jusqu’à quel niveau ? Ces fondamentaux étaient plutôt bons en 2021, les entreprises s’étaient désendettées et avaient beaucoup de cash. Le niveau de qualité de crédit était plutôt bon. Désormais, nous savons que la croissance sera plus faible, voire que nous allons vers une récession. Reste à savoir comment vont réagir les entreprises.

Akram Gharbi : Je ne pense pas qu’il y ait eu de capitulation, en tout cas je ne la vois pas sur le crédit pour l’instant. Il y a bien sûr eu des flux sortants, mais dans des proportions mesurées, et quelques trous de liquidité constatés fin septembre sur le marché du crédit, notamment sur la dette subordonnée. Cette capitulation aura-t-elle lieu ? Tout dépendra de l’évolution de la situation en Europe (crise énergétique ; risque politique en Italie ; guerre en Ukraine) et de certains risques spécifiques (des rumeurs sur la situation financière d’une banque de premier rang). Si elles se confirmaient, cela pourrait créer des mouvements de panique et une capitulation.

La situation est-elle très différente entre les Etats-Unis et l’Europe ?

Édouard Faure : En ce qui concerne le crédit high yield aux Etats-Unis, nous constatons plus de positivisme de la part des investisseurs. D’une part, l’énergie, qui est le plus gros secteur du gisement, profite de tout ce qui se passe depuis quelques mois, notamment les producteurs de pétrole et de gaz. D’autre part, les Etats-Unis sont en avance sur le cycle de hausse des taux. La reprise économique devrait intervenir en amont de celle de l’Europe, ce qui confère plus d’attrait au crédit. Mais tout ceci est déjà bien anticipé dans le niveau des spreads de crédit américains aujourd’hui. Il y a moins de risques aux Etats-Unis, mais le risque est mieux rémunéré en Europe.

Stephan Mazel : Il est rare d’avoir de telles différences de spreads entre le high yield européen et le high yield américain !

«Nous avons tendance à privilégier des stratégies short duration sur beaucoup de classes d’actifs. »

Nicolas Leprince Gérant ,  Edmond de Rothschild Asset Management

Le risque de récession est-il intégré dans les valorisations ?

Stephan Mazel : Plus ou moins… Tout dépend de quelle récession nous parlons. La perspective d’une petite récession ou de « soft landing » de l’économie est largement intégrée dans les valorisations. Si on parle d’une récession de même ampleur qu’en 2008 ou 2020, ce n’est pas intégré par les marchés. Mais le consensus ne prévoit pas un tel choc. Il anticipe plutôt un resserrement monétaire, une inflation qui commence à pénaliser les marges des entreprises et une activité qui ralentit. Mais on part d’un niveau très élevé et de fondamentaux sains. Il y aura peut-être des plans de soutien dans certains pays ainsi qu’au niveau européen. Il est donc difficile d’envisager que l’on va vers une récession importante et des niveaux encore plus extrêmes de valorisation.

Benjamin Le Roux : Comparer des niveaux de valorisation sur différentes périodes de récession est un exercice difficile. Si une récession se confirme, celle-ci différerait des précédentes mentionnées puisqu’elle serait provoquée par l’action des banques centrales, ce qui la rendrait un peu plus lisible. Il n’y a pas à l’origine de choc exogène comme avec le covid ou une crise de crédit. Le degré de confiance des investisseurs accordé aux banques centrales dans la lutte contre l’inflation devient donc un élément clé.

Nicolas Leprince : On ne parle que d’économie, pas de crise financière. Or, ces dernières semaines, on parle de problèmes sur les marges, on regarde aussi ce qui s’est passé au Royaume-Uni… Que se passerait-il si des risques financiers venaient dédoubler le risque économique ? Aujourd’hui, c’est la solidité du système financier qui est testée face à la remontée très brutale des taux d’intérêt. Tous les agents économiques sont-ils suffisamment solvables pour des remontées de 200 ou 300 points de base ? Les banques sont-elles bien capitalisées ? Tous les « shadow banking », tous les financements structurés qu’on peut avoir dans beaucoup d’entreprises sont-ils bien construits ? Les entreprises sont-elles assez solvables pour encaisser toutes ces hausses de taux ? Dans certains marchés, comme celui de l’immobilier en Espagne, on peut se demander si le système est viable à moyen terme, alors que les niveaux de taux courts européens vont remonter. La crise financière n’a pas commencé…

Edouard Faure : S’il y a une crise financière, les banques centrales devraient intervenir !

Benjamin Le RouxEn l’absence de risque systémique, leur intervention n’est pas souhaitable, de crainte de brouiller leur message. C’est une réaction classique d’attendre que les banquiers centraux viennent au secours du marché, mais ce n’est pas leur rôle. Et dans le présent, elles doivent agir durement pour casser l’inflation en freinant la croissance. Il y a un équilibre à trouver.

Stephan Mazel : Les banques centrales dépendent pour leur part des données sur l’inflation. Comme elles ont tardé à intervenir, elles doivent se montrer plus agressives.

Akram Gharbi : Le risque d’une éventuelle récession, notamment en Europe, ne se pose pas. La question est plutôt : quelle sera l’ampleur de cette récession ? Doit-on s’attendre à une contraction du PIB de l’ordre de 1,2,3 % ou plus en Europe en 2023 ? Le marché des CDS intègre déjà ce risque, mais je trouve que le marché de cash crédit euro ne l’intègre pas suffisamment. Aujourd’hui, on peut avoir un risque peut-être bien plus grand qu’on ne le pense, car nous avons une crise énergétique importante et une guerre aux portes de l’Europe. La situation pourrait empirer et les spreads s’écarter davantage sur les marchés cash, puis s’aligner un peu plus sur le pricing des marchés CDS.

Edouard Faure : Bien sûr qu’on ne peut savoir quelle suite Poutine va donner au conflit en Ukraine, mais il y a de la valeur en Europe. Quand on voit les spreads à 650 points de base sur le high yield euro et si on estime que l’on va gagner la médiane de ce que nous avons gagné sur les cinq dernières années – c’est-à-dire 300 points de base –, cela veut dire que nous avons 350 points de base de coûts de défaut. Avec un taux de recouvrement à 50 % pour faciliter le calcul, il en ressort un taux de défaut de 7 %. C’est relativement élevé, ce qui implique que le marché anticipe déjà une récession.

Akram Gharbi  : Je pense que nous sommes d’accord pour dire que le risque de récession est déjà intégré. Mais selon moi, au-delà de ce risque, il en existe deux autres en Europe qui ne sont pas intégrés : la guerre, sachant que Poutine ne peut pas perdre, et le risque souverain, notamment italien. Dans ce contexte « anxiogène », quand la BCE qui a « administré » les marchés crédit pendant les dix dernières années se retire, quelle est la fair value des indices de crédit (HY ou IG) ? Je pense que les corrélations historiques et les primes de risque du crédit ne sont plus pertinentes, car elles étaient fortement biaisées par la politique accommodante de la BCE. Ceci m’incite à la prudence.

Benjamin Le Roux : Nous avons tous en tête les différents risques, y compris ceux qu’on ne peut pas valoriser. La prochaine étape consiste plutôt à se demander quels seront les points d’entrée. On peut se dire que des rendements à 6 ou 7 % sont attractifs, mais ils peuvent aussi aller à 8 %, 9 %… ! Nous avons tous abordé la récession avec du cash dans les portefeuilles et une approche défensive. Et nous avons essayé de préserver les portefeuilles directionnels, que ce soit dans le crédit ou les taux, par rapport aux indices de référence, donc de surperformer dans la baisse.

Stephan Mazel : La volatilité est le point clé ! Si on allonge l’horizon, que l’on est confiant sur le cycle, que l’on s’immunise contre la volatilité, il nous semble intéressant aujourd’hui de chercher des points d’entrée.

«Il faut privilégier une gestion flexible aussi bien du risque de taux que de crédit. »

Benjamin Le Roux Responsable du pôle aggregate/monétaire ,  Lazard Frères Gestion

Quels sont les éléments qui plaident aujourd’hui en faveur des obligations ?

Stephan Mazel : Nous sortons d’une longue période de taux négatifs. Rappelons qu’en début d’année encore, le Bund évoluait en territoire négatif, alors qu’il dépasse actuellement les 2 %. Il y a eu plus de 200 points de base de hausse de taux. La classe d’actifs obligataire reprend donc ses lettres de noblesse et les parties courtes sont particulièrement attractives. Nous pouvons investir et offrir des rendements, y compris sur le crédit investment grade, autour de 4 % à trois ans. Nous n’avions pas vu cela depuis très longtemps. La classe d’actifs crédit retrouve de l’attractivité, même si tout n’est pas intégré dans les valorisations et que la volatilité reste importante.Pour revenir sur ce qui a été dit précédemment sur le high yield, des spreads à 650 points de base signifient des taux de défaut implicites extrêmement élevés, à plus de 40 % sur cinq ans cumulés. Depuis 1970, le niveau le plus élevé sur cinq ans est de 31 %, après avoir traversé toutes les crises. Dans le contexte actuel, même à des niveaux qui peuvent paraître peu attractifs pour certains, on est capable d’être compensé complètement, même avec des taux de défaut historiques extrêmes.

Benjamin Le Roux : Avec des rendements de 4 % sur le crédit euro investment grade et de 8 % sur le high yield, on peut se positionner dès aujourd’hui dans une optique de portage et ainsi accompagner la poursuite de la remontée des taux, si on anticipe que la récession à venir et la hausse des défauts qui en découlera resteront modérées.On peut par ailleurs se tourner vers des stratégies flexibles intervenant sur les différents risques de la classe d’actifs obligataire (taux, crédit…), qui ont l’avantage de s’adapter à toutes les configurations de marché.

Nicolas Leprince : Nous sortons d’une période de trois ou quatre ans durant laquelle nous n’avions aucune perspective de performance. Rappelons qu’un an auparavant, il y avait 15 000 milliards de dollars de dettes à taux négatif ! Aujourd’hui, ce chiffre a fondu à 2000 milliards et nous avons retrouvé des perspectives de rendement sur toutes les classes d’actifs obligataires. Certes, les taux d’intérêt peuvent continuer à monter, mais on peut désormais trouver du rendement sans risque : des treasuries américains à deux ans entre 3,5 et 4 % et des papiers courts peu risqués qui offrent du rendement positif. En nous projetant sur deux ans, nous avons quand même des rendements réels positifs aux Etats-Unis et bientôt en zone euro, ce qui est globalement positif pour notre industrie.

Edouard Faure : Nous avons retrouvé du portage, qui est l’un des principaux atouts de la classe d’actifs crédit. Nous l’avions perdu pendant plusieurs années, notamment sur l’investment grade. Investir aujourd’hui dans la classe d’actifs high yield implique d’accepter de la volatilité, mais ça veut dire aussi engranger 8, 9 ou 10 % de rendement en fonction des obligations sélectionnées. Sur ces niveaux, il devient donc intéressant de construire des positions dès aujourd’hui. Si les sociétés sélectionnées ne font pas défaut et même si les spreads ne se resserrent pas, donc s’il n’y a pas d’appréciation au capital, nous pourrons au moins capter un portage très intéressant.

Akram Gharbi : Sur la partie obligataire, je pense qu’une grande partie de la correction a été faite compte tenu des performances enregistrées depuis le début d’année. Ces performances négatives sont historiques puisque, pour certains, il faut pratiquement remonter à la Seconde Guerre mondiale. Il est donc évident que les obligations redeviennent attractives par rapport aux autres actifs risqués, en particulier versus les actions. Quand les obligations d’Etat américain à deux ans (considérées comme étant sans risque) offrent actuellement un rendement de 4,3 % (en dollars) qui est nettement au-dessus du rendement risqué des dividendes de l’indice S&P 500 (de 3 %), l’arbitrage en faveur des obligations versus les actions me semble évident ! Toute la question, encore une fois, porte sur le market timing qu’il est difficile de prévoir. Nous recommandons à nos clients de recommencer à y investir, quitte à moyenner à la baisse si d’autres facteurs de risque devaient être intégrés dans les spreads de crédit.

Vous avez indiqué précédemment que les valorisations actuelles laisseraient apparaître un taux de défaut de 7 %. A combien se situe-t-il actuellement ? Que peut-on dire sur la santé des entreprises comparée à la crise de 2008 ?

Benjamin Le Roux : Le taux de défaut se situe à des niveaux historiquement bas. Actuellement, ce dernier est proche de 2 % sur l’environnement high yield d’après Moody’s, ce qui signifie que sur cent sociétés notées high yield, deux ont fait défaut sur les douze derniers mois.

Edouard Faure : Avec la récession, le marché s’attend à ce que ce taux de défaut augmente. Dans son scénario central, Moody’s prévoit un taux de défaut d’environ 4 % pour l’an prochain, ce qui semble relativement réaliste. Les sociétés ont une bonne santé financière et ont la capacité d’absorber une période de ralentissement économique, à condition qu’elle ne soit pas trop violente ni trop longue. Il faudrait que la crise énergétique se résolve, car la hausse du prix de l’énergie va devenir difficilement supportable pour certains industriels. Heureusement, les Etats et l’Union européenne essaient de mettre en place des mesures pour atténuer ce choc.Par ailleurs, en ce qui concerne l’évolution du taux de défaut, il convient de rappeler que les entreprises n’ont pas besoin de se refinancer à court terme. Post-covid, elles ont été proactives pour profiter des conditions très attractives sur les marchés. Il n’y aura pas de mur de maturité avant 2025. Il n’y a que 8 % de l’indice qui doit se refinancer d’ici fin 2023 et 20 % d’ici fin 2024.

Benjamin Le Roux : J’ajouterais qu’il n’y a pas si longtemps, durant la crise du covid, le taux de défaut était déjà remonté à 6 %. En dépit des PGE en France et autres aides, une hausse significative des défauts avait eu lieu, touchant les sociétés les plus fragiles financièrement. On peut estimer que la qualité du gisement s’était donc renforcée avant que la récession ne se profile.

«Nous avons retrouvé du portage, qui est l’un des principaux atouts de la classe d’actifs crédit.»

Edouard Faure Responsable de la gestion high yield ,  Swiss Life Asset Managers

Quels sont les secteurs les plus exposés aux défauts ?

Edouard Faure : La chimie est un des secteurs qui souffrent le plus aujourd’hui, car il est particulièrement exposé à la crise énergétique. Depuis quelques jours, les avertissements sur les résultats se multiplient dans le secteur du retail, y compris de la part de grandes sociétés. Dans une période de récession, tous les secteurs cycliques vont être sous pression. On espérait par exemple que l’industrie automobile se reprendrait après le covid, que les chaînes d’approvisionnement allaient s’améliorer et la demande revenir… Désormais, ce secteur subit la hausse des coûts de l’énergie et potentiellement une baisse de la demande en raison de la récession.

Akram Gharbi : J’ai une vision un peu plus négative sur les taux de défaut. En 2008, on a beaucoup reproché aux agences de notation d’être trop complaisantes et de ne pas avoir assez anticipé les taux de défaut. Lors de la crise du covid, c’est l’inverse qui s’est produit : elles ont anticipé 20 % de défaut alors qu’ils n’ont augmenté que de 3 à 5 %. Actuellement, je les trouve de nouveau complaisantes. La prévision de 4 % de Moody’s me semble optimiste, même si le mur de refinancement des entreprises high yield est faible. Il ne faut pas regarder seulement le marché du high yield, mais aussi celui des leveraged loans sur lequel de nombreuses sociétés seront impactées par la hausse des taux d’intérêt et ce, d’autant plus que la qualité des émetteurs s’est fortement dégradée au cours des dernières années. Cela devrait impacter le marché du high yield par ricochet.Nous risquons d’avoir également des défaillances de sociétés investment grade (« jump to default » qui ne sont pas intégrés aujourd’hui dans les prévisions des agences de notation), notamment dans certains secteurs qui ont pleinement profité de la politique accommodante des banques centrales. Je pense notamment au secteur immobilier dans les pays nordiques et en Allemagne. Avec la hausse des taux d’intérêt et le ralentissement économique en cours, il est difficile d’imaginer que certains de ces acteurs ne seront pas impactés. 

Stephan Mazel : Cela pourrait se produire s’il y avait des besoins de refinancement immédiats. Or, a priori, il n’y a pas de mur de refinancement avant 2025. Ce type de défauts se produit surtout quand les entreprises ont besoin d’accéder au marché mais n’y parviennent pas. Les dernières émissions ont d’ailleurs été compliquées et plutôt rares sur le marché du high yield

«Nous préférons clairement le marché du crédit américain au crédit euro, quand bien même les valorisations sont intéressantes. »

Akram Gharbi Responsable gestion crédit high yield ,  La Française Asset Management

Où se trouvent les opportunités ? Faut-il privilégier certains secteurs ou types d’émetteurs ?

Stephan Mazel : Il faut privilégier les sociétés qui offrent une bonne visibilité. L’environnement est incertain et l’inflation ainsi que les prix des matières premières sont à des niveaux élevés. Il va y avoir aussi de l’inflation financière avec la hausse des taux d’intérêt. Nous essayons de trouver des sociétés qui ont déjà le business model le plus solide, qui ne sont pas dépendantes de coûts matières, donc plutôt des sociétés de service, qui ont une visibilité sur leur cash flow et qui sont peu dépendantes du cycle. Ce qui revient à privilégier les secteurs de la santé ou des télécoms. C’est insuffisant pour construire un portefeuille, au risque sinon de se retrouver avec une dizaine de valeurs seulement. Certaines sociétés ont été récemment plus pénalisées que d’autres, elles ont des fondamentaux stressés mais suffisamment solides pour pouvoir traverser cette période difficile. On en trouve dans l’automobile, dans l’industrie, mais aussi dans la chimie où le positionnement de quelques acteurs peut tout à fait leur permettre de s’en sortir. 

Edouard Faure : Nous avons également une préférence pour les secteurs non cycliques tels que les télécoms qui offrent aujourd’hui des rendements très attractifs, ou la santé mais aussi les loisirs, qui, bien que cycliques, profitent de la dynamique post-covid. On y trouve aussi le sous-secteur du gaming, qui est intéressant dans une période de récession. Nous reconstruisons également des positions dans le secteur automobile avec des noms très bien notés et des rendements de 8 à 9 % aujourd’hui.Nos portefeuilles sont très diversifiés, ce qui est très important aujourd’hui. On peut se tromper et devoir revoir une analyse, donc il faut éviter de mettre 4 ou 5 % sur un émetteur. Nous préférons nous limiter à 2 % pour maximiser la diversification. Même s’il y a beaucoup de volatilité, nous regardons tous les secteurs, car certains émetteurs ont fortement corrigé alors qu’ils devraient s’en sortir.

Nicolas Leprince : Il faut faire très attention au poids de la charge financière dans les entreprises et donc éviter toutes les situations d’endettement, notamment dans l’immobilier. En tant que gérant obligataire, ce qui nous intéresse le plus, c’est d’essayer de conserver de la flexibilité pour pouvoir bien séparer la duration du risque de crédit. Aujourd’hui, nous avons plutôt tendance à privilégier des stratégies short duration sur beaucoup de classes d’actifs, que ce soit du high yield, de l’investment grade ou même des emprunts d’Etat, avec des courbes de taux extrêmement plates.Les taux d’intérêt vont continuer à monter mais, à partir du moment où on atteint les 3,5 ou 4 % sur du deux ans américain, l’effet de carry est extrêmement important. Toutes les parties courtes de courbes de taux dans nos portefeuilles sont largement privilégiées. Dans notre portefeuille, très diversifié, la stratégie short duration représente 35 %.

Benjamin Le Roux : Il faut pouvoir tirer profit de la volatilité et privilégier une gestion flexible aussi bien du risque de taux que de crédit. A court terme, il faut maintenir une exposition faible au risque de taux et, si possible, se positionner en sensibilité inverse afin de bénéficier de la hausse des taux. Sur la partie crédit, nous préférons les secteurs les moins cycliques et privilégions les émissions de maturité courte. Nous considérons que les spreads peuvent se tendre davantage. Mais il faudra être prêt à se repositionner rapidement.

Akram Gharbi : Nous positionnons les portefeuilles pour essayer de traverser une probable récession, dont on ignore encore l’ampleur. Nous avons une allocation plutôt en faveur des secteurs défensifs comme les télécoms, la santé ou les services, et une sous-pondération de tous les secteurs liés à la chimie, etc. D’un point de vue géographique, nous préférons clairement le marché du crédit américain au crédit euro, quand bien même les valorisations sont intéressantes. Sur le high yield euro, c’est le segment BB qui nous semble le plus intéressant ainsi que les obligations subordonnées AT1, plus attractives que les corporate hybrides.

«Les fonds datés permettent de s’extraire de la volatilité. Si le travail est bien fait en termes de sélection de valeurs, l’investisseur connaît le niveau de rendement qu’il aura à l’échéance. »

Stephan Mazel Responsable de la gestion crédit ,  Groupama Asset Management

De nombreux fonds à échéance ont été lancés récemment. Pouvez-vous nous rappeler leurs atouts ?

Stephan Mazel : Les fonds datés permettent de s’extraire de la volatilité. Si le travail est bien fait en termes de sélection de valeurs, l’investisseur connaît le niveau de rendement qu’il aura à l’échéance. Il est possible ensuite de rajouter dans la conception du produit des spécificités ou des thématiques.

Benjamin Le Roux : Ce type de fonds offre une visibilité sur la performance. L’exercice consiste à transformer un rendement actuariel en performance moyenne annuelle à l’échéance, ce qui implique pas mal d’hypothèses, dont celle de garder constant le même portefeuille. L’investisseur subit cependant la volatilité au jour le jour. Au risque de défaut près, le fonds à échéance permet de sécuriser ce rendement sur une période définie.

Edouard Faure : Un fonds à échéance est comme une maxi-obligation diversifiée de 100 à 150 lignes. A ce niveau de valorisation, il peut y avoir un accident dans le portefeuille, pas forcément un défaut, mais une entreprise qu’il faut vendre car ses fondamentaux se dégradent, sans que cela pénalise trop le rendement attendu par l’investisseur. Un fonds à échéance a tout intérêt à être souscrit à un moment de marché où les spreads sont larges et où les rendements sont élevés.

Akram Gharbi : Dans un contexte de volatilité élevé, le fonds daté présente comme avantage d’avoir une sensibilité décroissante dans le temps. Le gérant fige l’horizon d’investissement et plus l’échéance approche, plus la duration du portefeuille va baisser. La composante à gérer est la composante spread, donc le risque de défaut. 

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