Table ronde

La gestion diversifiée retrouve des couleurs

Publié le 13 juin 2023 à 16h27

Aurélie Fardeau    Temps de lecture 27 minutes

Après une année 2022 complexe, marquée par la corrélation des marchés actions et obligataires, la gestion diversifiée retrouve un environnement boursier plus favorable. Si la remontée des taux d’intérêt redonne des marges de manœuvre sur la poche obligataire, de nombreuses incertitudes demeurent quant au contexte macroéconomique pour le deuxième semestre. Funds s’interroge sur l’approche à adopter pour bâtir un portefeuille diversifié, résilient et performant. Qu’attendre de l’environnement macroéconomique au second semestre? L’inflation est-elle maîtrisée? Peut-on anticiper une normalisation des politiques monétaires des banques centrales? Anticipez-vous une récession aux Etats-Unis et en Europe? Actions, obligations : quelle poche recèle le plus de valeur aujourd’hui? Les rendements obligataires sont-ils attractifs? Quels segments vous semblent les plus attrayants? Pour la partie actions, faut-il revenir sur les segments de croissance et de qualité? Quelle zone privilégier pour les prochains mois? Le monétaire retrouve-t-il un rôle à jouer? Où trouver des actifs de diversification? Comment regagner la confiance des investisseurs?

Les intervenants :

  • Anthony Lapeyre, directeur de la gestion diversifiée, Amplegest
  • Xavier Laurent, responsable multigestion et gestion pilotée, Federal Finance Gestion
  • Julien-Pierre Nouen, directeur des études économiques et de la gestion diversifiée, Lazard Frères Gestion
  • Elsa Fernandez, product specialist de la gamme Valor, Rothschild & Co AM
  • Loïc Bécue, gérant gestion diversifiée et allocation d’actifs, Sienna Gestion

L’inflation est-elle maîtrisée ? A quoi s’attendre en matière de politique monétaire ?

Loïc Bécue - Nous sommes convaincus que l’inflation va baisser, ne serait-ce que parce que les banques centrales œuvrent en ce sens. Cela se perçoit déjà sur l’indicateur global et nous commençons à en voir les prémices sur l’inflation core. Ce mouvement devrait s’accélérer en raison de la baisse du prix des matières premières. De ce fait, nous pensons que nous sommes arrivés à la fin du cycle de remontée des taux d’intérêt. Du côté de la Fed, nous nous attendons à une pause pour la prochaine réunion mi-juin, pour aboutir sur un taux terminal de 5-5,25 %. Du côté de la BCE, de façon consensuelle, nous nous attendons à deux nouvelles hausses de taux, au mois de juin puis en juillet, pour arriver à des niveaux de 3,50-3,75 %.

Julien-Pierre Nouen - Rappelons qu’il y a un peu plus d’un an, les taux courts aux Etats-Unis étaient à zéro et qu’aujourd’hui, nous sommes au-dessus de 5 %. Nous commençons à ressentir les effets de ce resserrement sur l’économie, qui est en train de faire basculer l’économie américaine en récession. Cette situation devrait finalement résoudre la question de l’inflation. Aujourd’hui, sur les trois éléments de l’inflation core, l’inflation des biens est revenue à la normale et l’inflation du logement commence à se retourner. Par contre, sur l’inflation des services hors logement, nous demeurons sur des hauts niveaux du fait de salaires élevés liés à un marché du travail très tendu. La logique économique nous dit qu’une récession entraîne une détente du marché du travail et donc des pressions salariales, ce qui génère une normalisation de l’inflation. Il reste à savoir combien de temps cela peut prendre.

Xavier Laurent -  En Europe, l’inflation core est encore très élevée et elle devrait le rester sur la deuxième partie de l’année, notamment parce que les salaires devraient continuer à augmenter sur la fin d’année et sur le début de l’année 2024. Cela poussera vraisemblablement la BCE à poursuivre son resserrement monétaire. Nous devrions en revanche être sur des pas beaucoup plus prudents – qui se limitent à des hausses de 0,25 % – parce que la BCE tient compte du fait que l’économie commence à ralentir. Tout cela augure d’un environnement relativement compliqué pour la deuxième partie de l’année.

Anthony Lapeyre - Nous croyons assez franchement à un scénario de désinflation progressive aux Etats-Unis, un peu moins pour l’Europe. Surtout sur l’inflation core, qui est extrêmement persistante. Pour l’instant, on ne voit pas réellement de baisse. Nous sommes plutôt sur un plateau qui peut durer encore longtemps, potentiellement, jusqu’à la fin de l’année. Cela justifie une poursuite du resserrement de la politique monétaire de la BCE, avec encore deux hausses de taux, voire plus. Cela va surtout dépendre de la dynamique aux Etats-Unis selon nous, car si l’économie américaine commence à ralentir plus franchement, cela se répercutera côté européen.

Elsa Fernandez - Le ralentissement progressif des économies à travers le monde, l’environnement géopolitique instable, le durcissement de l’accès au crédit et le rebond, pour le moment claudicant de la Chine, nous poussent à conserver un positionnement relativement prudent. Les mouvements de hausse de taux des banques centrales semblent toucher à leur fin, néanmoins, une baisse à court terme nous semble peu probable. Historiquement, la Fed entame une première baisse des taux quatre mois après sa dernière hausse. Mais aujourd’hui, la situation est différente avec une inflation core encore élevée et un marché de l’emploi résilient. Seule une dégradation notable des publications macroéconomiques pourrait pousser les banquiers centraux à se montrer plus accommodants.

«Nous pourrions avoir une période qui combine la dégradation de l’économie et une politique monétaire un peu restrictive.»

Julien-Pierre Nouen Directeur des études économiques et de la gestion diversifiée ,  Lazard Frères Gestion

Les résultats des entreprises ont surpris par leur robustesse jusqu’à présent. Anticipez-vous une récession aux Etats-Unis et en Europe ?

Anthony Lapeyre - Au premier semestre, l’Europe a surpris positivement. Pour l’instant, l’inflation a été captée à 50 % par les entreprises qui ont favorisé leurs marges dans la hausse des prix. Nous nous attendons à un retour de bâton avec plus de pression sur les marges bénéficiaires d’autant que la composante des salaires ne s’est pas encore diffusée partout. De plus, la croissance européenne devrait ralentir en raison de la réduction des volumes de crédits. Il ne faut pas oublier que 75 % du financement des entreprises passe par le système bancaire. Cela justifie à nos yeux une dichotomie qui va être encore plus marquée entre l’Europe et les Etats-Unis. Car, de son côté, l’économie américaine reste robuste. Ainsi, la réserve d’épargne des ménages est encore très conséquente, de l’ordre de 800 milliards de dollars de surplus d’épargne. Cela fournit une réserve de consommation importante. De plus, le marché du travail reste très tendu avec un taux de chômage de 3,4 %, toujours au plus bas depuis 50 ans.

Loïc Bécue - Nous anticipons un scénario favorable où nous aurions un ralentissement de l’économie, mais sans récession. Pourquoi? Parce que le taux de chômage est le plus bas des 40 dernières années dans tous les pays développés. Les résultats des entreprises au premier trimestre étaient extrêmement bons. Il faut avoir à l’esprit que l’impact financier de la remontée des taux d’intérêt est moindre que celui de la hausse des prix qu’elles ont réussi à faire passer dans leurs produits. De plus, la banque centrale américaine dispose de marge de manœuvre pour baisser ses taux en cas de besoin. D’ailleurs, le FMI anticipe une croissance mondiale positive en 2023 et 2024, de 2,8 % et 3 %, et l’OCDE a revu à la hausse ses prévisions de croissance. Le point à surveiller c’est un éventuel tightening trop rapide et trop important de la part des banques centrales, qui serait pénalisant pour les marchés financiers.

Julien-Pierre Nouen - Historiquement, à peu près tous les cycles de remontée de taux d’une ampleur conséquente entraînent une récession. Actuellement, nous avons une accumulation d’indicateurs qui nous font penser que nous ne dérogerons pas à cette règle, sur les conditions d’octroi de crédit, les inscriptions au chômage… Il est vrai que les réserves accumulées par les ménages leur ont permis d’absorber les chocs sur la consommation. Mais nous voyons que c’est en train de changer : les ménages commencent à baisser en gamme sur leurs achats et les perspectives d’investissement des entreprises sont désormais un peu plus prudentes. La politique monétaire agit avec des délais plus ou moins longs, mais elle finit par agir. C’est pourquoi nous pensons que nous allons vers une récession, mais relativement modérée parce que nous n’avons pas eu d’importants excès financiers.

Xavier Laurent - Nous sommes prudents, mais sans catastrophisme. L’économie ralentit, mais, à ce stade, nous n’allons pas vers un scénario du pire avec une entrée en récession dure. Compte tenu des niveaux de l’inflation, nous devrions avoir des taux monétaires beaucoup plus élevés aux Etats-Unis, donc nous ne considérons pas que nous soyons dans un environnement de resserrement extrême. Nous sommes néanmoins prudents pour la deuxième partie de l’année parce que les marchés sont déjà dans une anticipation de baisse des taux importante, ce qui nous semble trop optimiste par rapport à la réalité.

Elsa Fernandez - Les probabilités de récession sur les douze prochains mois ont été revues à la hausse en Europe et aux Etats-Unis, consécutivement aux secousses vécues par le secteur des bancaires. Si une récession est effectivement un scénario envisageable, elle pourrait selon nous être mesurée. L’absence d’accord aux EtatsUnis sur le relèvement du plafond de la dette pourrait néanmoins venir challenger ce scénario d’un soft-landing.

Où voyez-vous le plus de valeur sur les marchés ?

Anthony Lapeyre - Notre plus forte allocation est réalisée sur des poches de portage obligataire, avec une préférence pour les obligations d’entreprise, à la fois sur les segments investment grade et high yield. Nous considérons qu’il y a toujours beaucoup de valeur dans le high yield, même si les spreads se sont resserrés, à partir du moment où l’on reste sélectif sur des durées courtes pour éviter d’avoir à affronter un mur de refinancement dans les mois à venir.

Loïc Bécue - Le crédit nous semble adapté à toutes les situations. En ce moment, il rapporte 4 % sur du moyen terme. De plus, en cas de récession ou tout autre scénario négatif, la banque centrale se mettra à baisser les taux et cela resserrera les spreads des entreprises. Quant à une éventuelle hausse des taux de défaut, c’est déjà en partie intégré dans l’écartement récent des spreads. Nous restons sur de l’investment grade, car le high yield, bien qu’attractif en termes de rendement, nous semble manquer actuellement de momentum.

Julien-Pierre Nouen - Nous misons sur l’obligataire de bonne qualité. Nous avons un scénario de récession et, en plus, une situation assez inédite historiquement. En effet, la Fed commence traditionnellement à baisser ses taux avant même l’entrée officielle en récession. Mais, actuellement, la question de l’inflation risque de lier les mains des banques centrales. Donc nous pourrions avoir une période qui combine la dégradation de l’économie et une politique monétaire un peu restrictive. Les banques centrales finiront par baisser leurs taux, mais cela pourrait venir plus tard que ce que le marché pense.

Xavier Laurent - Je rejoins mes confrères sur le crédit. Nous sommes présents sur toute la courbe, car, si le scénario économique se dégrade, cela va se ressentir sur les taux longs, qui vont avoir tendance à baisser. Nous aurons alors un effet taux positif. Les spreads nous semblent correctement valorisés sur l’investment grade, puisqu’ils sont un peu au-dessus de la moyenne historique par rapport aux autres phases de ralentissement. En revanche, ils ne se sont pas écartés tant que cela sur le high yield, surtout aux Etats-Unis. Donc, même si le rendement facial est attractif, nous restons attentistes. Ceci dit, nous pensons aussi qu’il y a du potentiel sur les actions de qualité. Tout le monde dira que c’est cher, mais dans les fins de cycle de resserrement monétaire et d’entrée en récession, la qualité-croissance a toujours été un élément favorable en relatif au marché.

Elsa Fernandez - Après une année 2022 particulièrement difficile, le marché obligataire représente aujourd’hui une réelle opportunité. Néanmoins, le risque de dégradation des conditions macroéconomiques incite à la prudence. C’est pourquoi nous avons réduit le poids des obligations high yield, plus risquées, au profit de titres investment grade. Le cycle de refinancement des sociétés high yield devrait battre son plein en 2025 et 2026, et une certaine prime est à attendre sur le marché primaire pouvant peser sur le marché secondaire, et cela, dès 2024. Par ailleurs, les actions restent un actif à ne pas négliger, sur un horizon plus long terme, en acceptant de la volatilité. Le stock picking est essentiel dans un environnement où les rotations sectorielles sont de plus en plus rapides et violentes.

Anthony Lapeyre - Pour nous, les spreads dans le high yield intègrent déjà d’importantes dégradations. Il faut souligner que les ratios de couverture des intérêts aujourd’hui sont proches des plus hauts historiques. C’est-à-dire que les niveaux de bénéfices couvrent près de neuf fois le coût de la dette!

«La poche obligataire n’a plus seulement pour vocation d’amortir la volatilité globale, mais elle constitue également un moteur de performance en soi.»

Elsa Fernandez Product specialist de la gamme Valor ,  Rothschild & Co AM

Globalement, les obligations jouent de nouveau leur rôle…?

Elsa Fernandez - Au sein d’un fonds diversifié, la poche obligataire n’a plus seulement pour vocation d’amortir la volatilité globale, mais elle constitue également un moteur de performance en soi. Par précaution, la sensibilité de notre portefeuille est de 3,3, alors qu’elle ressort à 4,5 pour le marché des obligations corporate investment. Néanmoins, la fin prochaine du cycle de hausse de taux nous pousse à remonter graduellement la sensibilité globale de notre poche obligataire.

Anthony Lapeyre - La sensibilité est redevenue attractive. Depuis le début de l’année, et en particulier depuis la crise bancaire du mois de mars, la corrélation action-taux est à nouveau très négative. De ce fait, la diversification, si chère aux fonds diversifiés, est revenue. Et selon nous, elle va demeurer, car le sujet actuel c’est davantage la dynamique de croissance que le rebond de l’inflation. Or, à partir du moment où l’on considère que la dynamique de croissance va ralentir, la sensibilité devient un vecteur positif dans la gestion de l’allocation. De plus, même si nous sommes plutôt positifs sur la croissance, il est probable que les excès de la pandémie génèrent des chocs externes comme cela s’est matérialisé sur les banques. Cela arrivera sûrement de secteurs très spécifiques, tels que l’immobilier commercial aux Etats-Unis. Nous pourrions ainsi avoir des résurgences de stress très marquées, et dans ce cas, la sensibilité sera un moteur de performance à avoir dans le portefeuille.

Julien-Pierre Nouen - Nous avons également remonté la sensibilité de nos portefeuilles après une période assez longue où nous étions sous-sensibles. Nous sommes ainsi revenus au niveau de notre indice parce que l’épisode de l’année passée est derrière nous. Il n’y a qu’à regarder le rendement embarqué, qui est en quelque sorte le matériau de base de la gestion diversifiée. Avec de l’investment grade, vous êtes à 4 % aujourd’hui; pendant presque 10 ans, vous étiez à 1 % : cela change totalement la donne.

Le monétaire retrouve-t-il une place dans les portefeuilles ?

Loïc Bécue - Il reprend le rôle qu’il ne jouait plus avant. Avec un taux de 3,70 % en moyenne sur l’année 2023, c’est une classe d’actifs extraordinaire lorsque nous avons moins de convictions ou que nous désirons être plus prudents et garder de la liquidité dans les fonds. Cela nous permet même de prendre un peu plus de risque et de levier, car nous bénéficions de cet effet tampon sur le monétaire.

Anthony Lapeyre - Pour ceux qui n’étaient pas en sensibilité négative l’année dernière, le monétaire avait déjà retrouvé de l’intérêt. Les gérants diversifiés qui ont réussi à faire le dos rond et à bien passer l’année 2022 sont ceux qui ont investi dans le segment monétaire et ont accepté de perdre 0,50 %.

Xavier Laurent - Le monétaire n’était plus un outil de diversification, il l’est redevenu. Avec du 3,70 %-3,75 % de rendement potentiel embarqué d’ici la fin de l’année et quasiment zéro de volatilité, en termes de ratio de Sharpe, il n’y a pas mieux! C’est une bonne base pour aller prendre du risque de façon beaucoup plus opportuniste et c’est ce que nos clients vont nous demander d’ici la fin de l’année.

Elsa Fernandez - Le monétaire ou assimilé monétaire représente aujourd’hui un réel choix d’allocation avec un rendement associé intéressant. Au sein du fonds, nous détenons par exemple des bons d’Etat français de maturité inférieure à un an offrant un rendement d’environ 3 %.

Europe, Etats-Unis : quel marché actions privilégiez-vous pour le second semestre ?

Loïc Bécue - Nous avons bien profité du rebond des actions et nous venons de passer à la neutralité pour plusieurs raisons : la saison des publications est passée, il existe des incertitudes sur le plafond de la dette américaine, la Fed et la BCE doivent prendre des décisions mi-juin…

En parallèle, nous avons réduit la voilure sur les actions européennes au profit des actions américaines. En effet, les analystes ont fortement révisé à la baisse les attentes de bénéfices par actions aux Etats-Unis. Ils attendaient + 15 % début 2023, ils sont revenus à zéro, alors qu’on s’attend toujours à + 10 % sur les actions européennes. De plus, les valeurs américaines ont moins progressé que la moyenne et le cycle est en avance par rapport à l’Europe. De ce fait, nous pourrions profiter d’une baisse des taux de la part de la Fed au troisième ou quatrième trimestre 2023, ou plus probablement début 2024.

«Le rebond récent aux etats-unis est très lié aux anticipations de baisse des taux de la fed, qui sont un peu prématurées.»

Xavier Laurent Responsable multigestion et gestion pilotée ,  Federal Finance Gestion

Julien-Pierre Nouen - De notre côté, nous ne croyons pas beaucoup aux actions d’une manière générale. Nous sommes fortement sous-exposés, mais nous continuons de privilégier encore un peu l’Europe par rapport aux Etats-Unis. Sur le marché américain, il faut avoir conscience que la hausse est très concentrée. Moins de 20 valeurs expliquent la totalité de la hausse du S&P 500. De ce fait, les indices plus larges, comme le Russell 2000, sont stables ou en baisse depuis le début de l’année. Cela reflète l’enthousiasme sur la thématique de l’intelligence artificielle qui fournit un nouveau narratif sur lequel construire des plans sur la comète et le fait que le marché est très influencé par le comportement des investisseurs retail qui privilégient les grands noms.

Anthony Lapeyre - Nous avons re-balancé notre allocation vers les Etats-Unis parce que les révisions y ont été plus massives. En revanche, nous sommes inquiets de la très forte concentration du marché. Ce sont sept entreprises – les GAFAM – qui représentent 90 % de la performance sur le début de l’année. Par ailleurs, le top 10 du S&P 500 a révisé à la hausse ses prévisions de bénéfices quand les 90 % restants les ont revues à la baisse. C’est extrêmement criant en termes de dispersion. Dans ce contexte, nous voulons capter des mécaniques de momentum. Donc, nous avons acheté le marché américain, mais nous le surveillons de près.

Xavier Laurent - Le rebond récent aux Etats-Unis est aussi très lié aux anticipations de baisse des taux de la Fed, qui sont un peu prématurées. Donc nous sommes prudents sur les actifs américains au global. Nous privilégions les actifs de qualité en Europe, qui offrent des valorisations et une visibilité satisfaisantes.

«Nous pourrions avoir des résurgences de stress très marquées, et dans ce cas, la sensibilité sera un moteur de performance à avoir dans le portefeuille.»

Anthony Lapeyre Directeur de la gestion diversifiée ,  Amplegest

Quels types de valeurs recherchez-vous ?

Elsa Fernandez - Nous sommes positionnés sur des thématiques porteuses en conservant notre approche agnostique en termes de style de gestion. Ainsi le secteur de la technologie, soutenu notamment par d’excellents résultats pour les sociétés américaines, reste une de nos convictions après une année 2022 compliquée. La consommation chinoise, à travers des titres tels que Trip.com ou Vipshop, devrait être en mesure de déployer son potentiel dans les mois à venir. Les minières, à la fois aurifères et diversifiées, devraient notamment bénéficier d’une déconnexion entre l’offre et une demande structurelle croissante.

Loïc Bécue - Nous avions acheté pas mal de Nasdaq, car les fintech américaines – qui avaient commencé à licencier massivement dès l’été dernier – nous semblaient les mieux armées pour s’adapter à une récession ou profiter d’un rebond. C’était une bonne conviction puisque le Nasdaq a gagné 26 % depuis le début de l’année. Donc nous avons pris un peu de profit. Aujourd’hui, il y a beaucoup de dispersion au niveau sectoriel : nous privilégions le luxe et les banques. Nous avons conservé notre exposition malgré la crise du mois de mars, et nous avons bien fait. Le secteur bancaire a récupéré quasiment tout ce qu’il avait perdu. Nous restons convaincus, car le secteur bancaire n’est pas cher et il offre aussi un rendement des dividendes assez élevé. Le share buy-back (rachat d’actions) est aussi un élément porteur.

Julien-Pierre Nouen - Notre gestion actions aime beaucoup le secteur de la santé qui, tout en ayant plutôt une histoire croissance, offre des valorisations raisonnables.

Anthony Lapeyre - Ce que nous recherchons ce sont des gisements de qualité – robustes et avec du cash au bilan – mais à valorisation relativement attractive. La santé et l’assurance en sont de bons exemples. Ce sont les actions les moins volatiles de la cote. Nous prenons ce biais factoriel de faible volatilité parce que les perspectives sur les bénéfices nous semblent un peu trop optimistes pour 2024. Pour l’instant, tout le monde est concentré sur 2023, mais d’ici l’été, le marché va commencer à se projeter…

Xavier Laurent - Nous sommes positifs sur les entreprises à forte visibilité sur la croissance des bénéfices, avec des niveaux de valorisation relativement bas historiquement et en relatif par rapport aux autres marchés, ainsi que sur les entreprises globales, avec des sources de revenus très diversifiées. C’est le cas du secteur pharmaceutique et de certaines sociétés de service de consommation, qui nous paraissent aussi intéressantes. Sur les banques, les valorisations sont attractives, mais nous préférons investir par le biais du crédit pour profiter du portage sans subir les aléas des marchés actions.

Investissez-vous dans d’autres marchés actions?

Loïc Bécue - De façon assez consensuelle, nous avons investi en Chine, pour profiter de la réouverture du pays post-pandémie. Récemment, nous avons aussi initié une position sur les actions indiennes. Le marché avait beaucoup baissé suite à la chute du conglomérat Adani, accusé de fraude. Par ailleurs, l’Inde profite de nombreux éléments comme le redémarrage chinois, le pétrole pas cher venant de Russie, etc. La croissance indienne sera bien supérieure à la croissance chinoise en 2023 et 2024.

Elsa Fernandez - Une exposition sur la Chine nous semble aujourd’hui opportune, le pays étant en désynchronisation sur le cycle par rapport à l’Europe et aux Etats-Unis. Si l’activité manufacturière a basculé en territoire de contraction, souffrant notamment du ralentissement de la dynamique macroéconomique mondiale, celui des services se porte bien. La fragilité du secteur immobilier, le ralentissement global, et la persistance des tensions géopolitiques restent des défis majeurs pour que la reprise de la Chine s’inscrive dans la durée. Les chiffres de la Golden Week de mai semblent néanmoins prometteurs avec des niveaux de valorisation sur certains titres particulièrement attractifs.

Julien-Pierre Nouen - La Chine était l’une des certitudes du début d’année, mais c’est peut-être en train de devenir une nouvelle incertitude. La réouverture de l’économie chinoise a beaucoup joué dans la performance insolente du luxe depuis le début de l’année, mais les choses deviennent moins évidentes. Les chiffres du mois d’avril n’étaient pas très bons. Il n’y a pas eu d’effet massif sur la demande. Les importations de pétrole, notamment, ne sont pas aussi vigoureuses qu’attendu. Nous risquons de basculer dans une période où il y aura un peu plus de questions sur le potentiel de croissance de la Chine. La population active commence à diminuer, la question du secteur immobilier n’est pas résolue et, sur le plan géostratégique, les relations du pays sont toujours plus conflictuelles avec les EtatsUnis. C’est un moteur de la performance des marchés, européens notamment, qui pourrait se retourner dans les prochains mois.

Anthony Lapeyre - Une partie de notre sortie des actions européennes, en termes de directionnel, a été redéployée sur les marchés émergents. Nous avons joué le redémarrage de la Chine en nous focalisant sur la consommation domestique. Les indices très concentrés sur la consommation de base et les services financiers, moins exposés à la technologie, ont créé plus de valeur que les indices plus larges, type MSCI China. En revanche, le sujet du covid-19 n’est pas totalement évacué. Nous apprécions aussi le Japon. La banque centrale japonaise a réussi, de manière discrète, à dévaluer sa devise d’environ 30 %, renforçant la position exportatrice du pays. Il offre aussi une exposition indirecte aux exportations vers l’Asie. L’inflation devenant également un sujet, nous commençons à construire des positions sur la devise, puisque le yen devrait désormais se renchérir.

Loïc Bécue - Il faut avoir en tête que le Nikkei progresse de 16 % depuis le début de l’année, mais pour un investisseur européen, il fallait l’acheter couvert contre le risque de change. Car, entretemps, le yen a fait − 9 % par rapport à l’euro.

Xavier Laurent - Le rebond de la Chine s’est matérialisé sur la fin de 2022 et sur le début de 2023, mais c’est plus compliqué sur la période récente, avec quelques inquiétudes par rapport aux chiffres économiques du pays, qui ne sont pas aussi robustes qu’attendu. Nous restons investis pour le moment, car le pays n’a pas encore profité à plein d’une politique monétaire plus accommodante. Celle-ci n’a pas encore actionné le levier de la baisse des taux, mais elle pourrait le faire. Nous avons aussi constitué quelques positions sur le Japon, qui profite d’une banque centrale toujours accommodante, de valorisations basses, des rachats d’actions réguliers et d’une gouvernance en amélioration significative.

Quels actifs utilisez-vous pour amener de la diversification dans les portefeuilles?

Elsa Fernandez - L’or, à travers les minières aurifères, est une conviction des gérants depuis fin 2016. C’est un actif de diversification par nature qui a su dans le passé jouer son rôle de safe haven dans un environnement macroéconomique instable.

Xavier Laurent - Certaines devises offrent un potentiel de diversifications intéressant : nous pourrions par exemple avoir un rebond du yen par rapport au dollar. La dette émergente peut être étudiée également même si la classe d’actifs a souvent déçu. Nous regardons aussi la volatilité, qui, dans un monde plus incertain, peut être un élément de protection et de diversification des portefeuilles. Loïc Bécue - Nous sommes long dollar contre euro avec un objectif de parité sur l’euro-dollar à 1,13 d’ici la fin de l’année. Nous gardons notre exposition sur les Mid et Small caps européennes (SMID). Les niveaux de valorisation restent favorables, à des niveaux historiquement bas, laissant peu de potentiel de baisse supplémentaire. Après plusieurs années de contre-performance par rapport aux indices larges, les SMID continuent d’afficher des valorisations inférieures à leurs niveaux historiques, ce qui donne une possibilité de sur-performance par rapport aux grandes capitalisations.

Anthony Lapeyre - La volatilité des actions est revenue à des niveaux très bas, il y a eu une vraie normalisation. C’est un vecteur de diversification important qui se matérialise désormais. D’autant que la plupart des investisseurs ont pris des positions optionnelles à la hausse pour courir après le rallye, donc c’est certainement un bon moyen de se couvrir.

Les gestions diversifiées peinent à regagner la confiance des investisseurs : pourquoi? Le succès des stratégies alternatives peut-il être un facteur explicatif ?

Elsa Fernandez - La gestion diversifiée est un terme pouvant inclure un ensemble de stratégies et de fonds finalement assez différents, notamment en termes d’exposition au risque. Concernant la défiance des investisseurs, la performance des obligations corporate euro en 2022 (− 11,4 % pour l’investment grade et − 10 % pour le high yield) est venue peser sur la performance de nombreux fonds diversifiés exposés à la classe d’actif. Il n’existe pour autant pas de catégorie miracle. Les stratégies alternatives regroupent également par nature un ensemble de fonds qui peuvent avoir des orientations de gestion fondamentales. Il est important de ne pas se limiter à la catégorie à laquelle appartient le fonds, mais prendre le temps de regarder la composition du fonds, sa stratégie et son comportement à travers les différentes phases de marchés.

Loïc Bécue - Nous allons assister à un mouvement de balancier des flux, qui vont revenir d’abord sur des produits garantis bancaires parce qu’aujourd’hui, vous avez des dépôts à terme extrêmement intéressants. Et d’autre part, les grandes maisons vont remettre au goût du jour, pour leurs réseaux, les produits diversifiés, qu’ils avaient un peu enterrés ces dernières années.

Anthony Lapeyre - L’attente des clients a été déçue l’année dernière parce que la limitation des pertes fait partie de la promesse des fonds diversifiés et cela a été véritablement mis à mal. Le problème de fond, c’est que beaucoup de fonds étaient trop benchmarkés. Or, la flexibilité et l’absence d’allocation structurellement biaisée sur telle ou telle classe d’actifs sont des éléments clés.

Loïc Bécue - Nous sommes en train de passer progressivement des profils prudent, équilibré, dynamique, aux fonds flexible-prudent, flexible-dynamique. Je pense que ces deux-là vont remplacer la chaîne de valeur qui existait avant. J’ajouterai aussi que l’on nous demande désormais d’avoir une expertise élargie en termes de classes d’actifs. Aujourd’hui, nous sommes entre 30 et 50 classes d’actifs investissables, sur un périmètre bien plus international que par le passé.

Julien-Pierre Nouen - Notre philosophie, c’est d’être très flexible et de faire un travail d’allocation en utilisant toutes les marges de manœuvre à notre disposition. Les contextes de marché changent, et notre travail c’est d’essayer – en fonction de notre lecture de la situation – d’avoir le portefeuille le plus adapté à chaque environnement. Ces dernières années, nous étions dans cette phase de baisse tendancielle des taux qui faisait que certains actifs, notamment liés à l’immobilier, avaient des performances très intéressantes. Aujourd’hui, il y a un travail de pédagogie pour expliquer que cet environnement est en train de changer.

Xavier Laurent - L’attractivité de certaines classes d’actifs alternatives, qui ont très largement bénéficié d’un contexte de taux bas, comme l’immobilier, va se réduire. Pour le private equity, il y a eu un effet de mode et une forte incitation chez les investisseurs institutionnels qui sont allés chercher du rendement supplémentaire dopé par le levier et l’expansion des multiples de valorisation. En revanche, sur la dette privée, nous sommes au début de l’histoire, et l’environnement reste porteur, selon nous, avec des niveaux de rendement attractifs. Plus généralement, la retailisation des actifs non cotés est un mouvement de fond parce que les clients sont en demande de lisibilité sur le rendement et de performances qui ne soient pas soumises à la volatilité au quotidien.

«Nous avons déjà des investissements non cotés dans certains portefeuilles et nous allons continuer à saisir les opportunités sur cette classe d’actifs.»

Loïc Bécue Gérant gestion diversifiée et allocation d’actifs ,  Sienna Gestion

On pourrait imaginer que la gestion diversifiée intègre une part de non coté ?

Loïc Bécue - L’hybridation est déjà en cours… L’accompagnement des pouvoirs publics et l’assouplissement de la réglementation sont un véritable accélérateur. Nous avons déjà des investissements non cotés dans certains portefeuilles et nous allons continuer à saisir les opportunités sur cette classe d’actifs, que ce soit en dette privée, en infrastructure, en private equity, etc. Nous allons nous appuyer sur les expertises de Sienna IM en non coté, et nous ne nous interdisons pas d’aller chercher des expertises externes.

Julien-Pierre Nouen - Il faut bien surveiller la liquidité!

Xavier Laurent - Ces produits d’hybridation vont surtout concerner l’épargne longue. Cela fait du sens pour les plans d’épargneretraite, c’est moins vrai pour les fonds diversifiés accessibles en assurance-vie.

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