Après plus de trente ans de baisse des taux, les gérants obligataires vont devoir gérer leur remontée.• Comment s’adapter à ce nouveau paradigme ?• Investir dans les obligations a-t-il encore du sens ?• Quelles sont les classes d’actifs qui offrent les meilleures perspectives de rendement ?• Faut-il privilégier une approche flexible ?
- Comment se comportent les marchés obligataires depuis le début de l’année ?
- On parle de changement de paradigme dans l’univers obligataire. Qu’est-ce que cela implique ?
- L’inflation est donc un thème majeur pour les marchés obligataires en 2018…
- Pour les porteurs d’obligations, la remontée des taux est perçue de façon très négative. En quoi est-elle aussi source d’opportunités?
- Les gérants obligataires ont-ils été contraints de se réinventer pour s’adapter à ce nouvel environnement ?
- L’idée d’investir dans un fonds obligataire flexible implique-t-elle une plus grande prise de risque pour l’investisseur ?
- Quelles sont les opportunités d’investissement ?
- Les obligations convertibles sont souvent présentées comme le meilleur des deux mondes (actions et obligations). Mais si ces deux marchés sont chers, cette classe d’actifs est-elle vraiment attractive ?
Comment se comportent les marchés obligataires depuis le début de l’année ?
Comment ont-ils réagi à la correction de début février ? Quels sont les éléments d’inquiétude ?
Antoine Lesné, responsable stratégies et recherche, SPDR ETF Europe :
Les marchés obligataires ont commencé l’année 2018 sur une note plutôt instable, pénalisés par la hausse des rendements souverains initiée aux Etats-Unis, qui découlait du renforcement des anticipations d’inflation et des perspectives d’émissions d’obligations du Trésor américain sur fond de réforme fiscale. Toutefois, la volatilité relevée au mois de février, puis les inquiétudes suscitées par les mesures commerciales protectionnistes en mars ont fini par tirer les rendements vers le bas. Les courbes de taux ont depuis poursuivi leur aplatissement, illustré par une baisse des taux longs sur fond d’inflation modérée. L’aversion au risque observée au mois de février a eu une incidence limitée sur la dette émergente, qui a bénéficié de la dépréciation du dollar et de la confiance des investisseurs dans les perspectives économiques mondiales. Il faudra dans tous les cas garder un œil sur les risques d’accélération de la normalisation des politiques monétaires des banques centrales, et sur la possibilité d’un ralentissement brutal ou plus chaotique des programmes de quantitative easing.
Patrick Barbe, responsable de la gestion obligataire euro, BNPP AM :
Il y a eu, en début d’année, un changement dans les anticipations aux Etats-Unis. La hausse des taux d’intérêt américains a provoqué la correction des marchés financiers. Cela correspondait à un quatrième trimestre plus fort qu’attendu en matière de croissance, tandis que les indicateurs avancés montraient une forte progression des dépenses d’investissement, une question de fond par rapport aux créations d’emplois. Les marchés ont considéré que la Fed allait relever ses taux de façon plus importante qu’anticipé.
Maurice Soubiran, directeur de la gestion taux, CM-CIC AM :
Tout part en effet des Etats-Unis, avec un chiffre de croissance des salaires qui avait frôlé les 3 % en janvier et a fait resurgir le spectre de l’inflation, provoquant un emballement des taux longs américains et également des taux européens par voie de contagion.
Eliezer Ben Zimra, gérant, Edmond de Rothschild AM :
Il faut distinguer ce qu’il s’est passé sur les parties courtes et les parties longues des courbes de taux d’intérêt. Il y a eu un repricing sur la partie courte des taux d’intérêt européens, donc une réévaluation assez forte de la politique monétaire de la BCE. Dorénavant, il y a environ 150 points de base d’anticipation de hausse de taux sur les cinq prochaines années. C’est ce qui d’ailleurs a poussé l’euro à des plus hauts par rapport au dollar ces dernières semaines. Ce spread sur la partie courte de la courbe a été vecteur de volatilité.
Ces anticipations d’une remontée des taux par la BCE à partir de 2019, sur un rythme presque aussi important que celui de la Fed ces dernières années, ont alimenté la correction. Certes, cette dernière venait des Etats-Unis mais s’est pleinement exprimée sur les marchés européens, avec des contagions sur le marché du crédit investment grade ou high yield ainsi que sur les subordonnées financières, sur l’ensemble des classes d’actifs qui avaient bien performé en 2017.
Patrick Barbe : Ce phénomène est la conséquence de la hausse des taux. Cette hausse, qui a été le déclencheur du phénomène obligataire du trimestre, a été stoppée à partir du moment où les marchés financiers se sont mis globalement à baisser. La correction a été généralisée sur les actifs risqués et a entraîné un mouvement de «flight to quality».
On parle de changement de paradigme dans l’univers obligataire. Qu’est-ce que cela implique ?
Quelles vont être les conséquences des changements des politiques monétaires ?
Eliezer Ben Zimra : Chez Edmond de Rothschild AM, nous évoquons en effet un changement de paradigme. Cela concerne, en premier lieu, les marchés financiers avec la fin des politiques monétaires accommodantes aux Etats-Unis puis dans la zone euro. La réduction du quantitative easing a démarré aux Etats-Unis en décembre 2013, et les premières hausses de taux datent de fin 2015. Le bilan de la Fed est en train de se réduire progressivement. Mais, fait nouveau, alors que la Fed était la seule à resserrer sa politique monétaire il y a encore quelques mois, toutes les autres banques centrales suivent la même voie. Les rachats de la BCE ont été réduits de 60 à 30 milliards d’euros. Prochainement, elle devrait arrêter de racheter des obligations souveraines ou corporate et remonter les taux. Ces dernières années, il fallait être long sur la duration et le crédit pour assurer de la performance aux clients. Aujourd’hui, les portefeuilles doivent être flexibles et aller sur des durations négatives pour protéger au mieux les investisseurs. Les mouvements de hausse de taux ne sont pas continus dans le temps mais amènent des épisodes de volatilité qui font ensuite baisser les taux. Il faut donc être flexible au niveau de la sensibilité.
Antoine Lesné : La taille des bilans des banques centrales du G3 atteint actuellement plus de 14 000 milliards de dollars. Le dégonflement inéluctable de ces bilans pourrait avoir une incidence sur les niveaux de rendement, en fonction du rythme et de la démarche employés. Le «taper tantrum» de 2013 a démontré l’impact de marché que peut avoir une mauvaise communication ; à l’époque, les maladresses de la Fed avaient provoqué une hausse de près de 1 % des rendements du dix ans américain en quatre mois. Reste à savoir quand la BCE s’exprimera sur les prochaines étapes de la sortie du programme de QE, qui devrait pour l’instant prendre fin de manière toujours graduelle à partir de septembre. Parallèlement, la politique de taux d’intérêt aura un effet important sur les marchés. La Fed, en particulier, semble déterminée à mener à bien son calendrier de normalisation progressive. Alors que nous sommes probablement dans la dernière ligne droite de la phase d’expansion, le niveau des taux d’intérêt à court terme continuera d’être scruté. Le moment venu, les banquiers centraux devront en effet disposer de leviers de relance suffisamment maniables pour nous sortir de la prochaine récession.
Patrick Barbe : Depuis de longues années, les marchés ont bénéficié d’injections de liquidités. Les banques centrales ont certes commencé à changer de politique, mais la liquidité continue d’augmenter, excepté aux Etats-Unis où la Fed l’a réduite. La banque centrale du Japon n’en injecte plus beaucoup depuis que son objectif de taux a été atteint. Concrètement, nous sommes dans un phénomène amorti de changement de politique monétaire, de sorte que les marchés financiers ne l’intègrent pas tant qu’il n’y a pas de risques fondamentaux. Il est possible de maintenir la liquidité et de gérer une sortie très progressive des quantitative easing tant qu’il n’y a pas de risque avéré sur l’inflation. En début d’année, il y a bien eu une progression des dépenses d’investissement, mais la question est de savoir si celle-ci va provoquer une hausse des salaires. Les banques centrales vont rester accommodantes tant qu’il n’y aura pas de hausse des salaires avérée. Lorsque ce sera le cas, les banques centrales devront agir plus vite. Il y a bien une surliquidité mondiale qui finit par s’investir aussi dans des obligations américaines. Récemment, la banque centrale de Hong Kong est intervenue sur son taux de change par rapport au dollar car des investisseurs achètent du dollar contre le dollar hongkongais pour investir dans des actifs obligataires américains. Cette liquidité abondante peut provoquer des phénomènes violents sur les marchés, comme celui que nous avons connu en février sur les actions.
Maurice Soubiran : Si les injections de liquidité des banques centrales vont progressivement arriver à leur terme, le retrait se fait graduellement et la liquidité des marchés financiers reste un sujet important pour les argentiers. Par ailleurs, la BCE surveille de près l’évolution de la parité de change euro/dollar. Une appréciation trop forte de l’euro est évidemment préjudiciable pour les marchés.
Patrick Barbe : La BCE ne va pas changer de politique monétaire en septembre mais va devoir tenir compte de ce qu’elle a déjà fait et de la taille de son bilan. Même si elle réduit ses achats, la BCE reste très accommodante en maintenant la taille de son bilan.
Maurice Soubiran : Cette liquidité encore importante sur les marchés a permis d’atténuer la volatilité sur les taux lors de la correction en début d’année. La volatilité pourrait augmenter dans les mois à venir, notamment avec la fin du quantitative easing de la BCE.
Eliezer Ben Zimra : Je ne partage pas cette idée. Nous avons connu en 2015 un épisode très fort de volatilité sur le Bund alors que la BCE commençait son programme de quantitative easing, suivi d’un retour de la volatilité sur le marché du crédit. La perception des investisseurs a évolué. Ces derniers sont assez confortables, avec les anticipations de taux telles qu’elles sont valorisées aujourd’hui. Si le taux à dix ans allemand revenait autour de 1 %, ce serait un niveau intéressant d’achat. Compte tenu de l’inflation et de la hausse des salaires, on imagine mal la BCE aller plus loin dans sa politique de resserrement monétaire.
Patrick Barbe : Le marché obligataire attire encore de nombreux flux d’investissement, ce qui le stabilise. Tant qu’il n’y aura pas un élément fondamental de nature à modifier l’environnement macroéconomique ou à réviser les perspectives de croissance, il ne devrait pas y avoir de grand changement sur les marchés obligataires. 2018 va être une année durant laquelle la qualité de la croissance dans les grands pays industrialisés va être réévaluée. A court terme, les marchés réagissent à beaucoup de nouvelles sur la guerre commerciale, la géopolitique, etc., mais, à partir de l’été, nous pourrons savoir si ces éléments peuvent avoir un impact sur l’économie. Ce premier semestre va être clé, et c’est sans doute pour cette raison que la BCE ne s’exprimera pas avant l’été. Par ailleurs, les marchés obligataires entrent dans une période difficile car l’inflation devrait remonter dans les prochains mois, les prix des matières premières étant orientés à la hausse, ainsi que les prix à la production aux Etats-Unis.
L’inflation est donc un thème majeur pour les marchés obligataires en 2018…
Eliezer Ben Zimra : Oui, l’inflation est un thème majeur cette année. On parle beaucoup de continuité entre Janet Yellen et Jerome Powell, qui a pris la tête de la Fed. Chez Edmond de Rothschild AM, nous avons une vision un peu différente des discours de Jerome Powell, plus affirmatifs sur la croissance et l’inflation. Il avait ouvert la porte à une quatrième hausse des taux lors de son audition par le Congrès, avant de faire marche arrière lors de la dernière réunion. Il y a une crainte importante de surchauffe, avec une progression plus rapide que prévu de l’inflation. Jerome Powell a déclaré qu’il était possible de laisser l’inflation aller au-delà de l’objectif de 2 % sans relever les taux plus fortement. C’est un élément important à prendre en compte car, en 2017 et début 2018, l’aplatissement de la courbe américaine a fait craindre des signaux avancés de récession. En laissant courir l’inflation, nous devrions voir une repentification de la courbe.
Maurice Soubiran : L’inflation est en effet surveillée de très près cette année, et les yeux restent rivés sur les Etats-Unis en premier lieu. Beaucoup d’ingrédients (plein-emploi, réforme fiscale, effet dollar) sont présents pour que l’inflation continue de monter aux Etats-Unis. En revanche, la situation est différente en zone euro. L’inflation sous-jacente (c’est-à-dire la mesure de l’inflation qui exclut les éléments les plus volatils tels que les matières premières et les produits alimentaires) devrait se redresser progressivement au second semestre tout en restant modérée.
Antoine Lesné : L’inflation reste modérée aux Etats-Unis et dans la zone euro. Toutefois, les minutes du FOMC ont récemment montré que la Fed prévoyait bien une remontée des prix à moyen terme. Est-ce que ce sera pour 2018 ? C’est la question que tout le monde se pose. Le marché ne semble pas de cet avis étant donné l’aplatissement de la courbe des bons du Trésor américains, attribuable en partie au fait que les anticipations d’inflation ne sont pas totalement intégrées dans la partie longue. Dans la zone euro, l’inflation est attendue en deçà de l’objectif 2018 de la BCE, même si l’inflation sous-jacente semble gagner très lentement du terrain. Les dernières minutes de la BCE soulignent la confiance de l’institution dans les perspectives d’inflation, mais insistent également sur la persistance de risques baissiers tels que l’euro fort et la situation de sous-emploi sur le marché du travail (qui pourrait avoir été sous-estimée).
Pour les porteurs d’obligations, la remontée des taux est perçue de façon très négative. En quoi est-elle aussi source d’opportunités?
Maurice Soubiran : Il y avait en début d’année un consensus assez fort et global sur la remontée des taux. Or, il n’y aura pas de reprise forte de l’inflation en zone euro dans les mois à venir. C’était également sans compter sur une remontée de l’aversion au risque, qui a profité aux obligations d’Etat en tant que valeurs refuges. La remontée devrait toutefois se faire de manière graduelle et non linéaire, un environnement dans lequel une gestion flexible obligataire peut tirer son épingle du jeu.
Patrick Barbe : L’effet taux est généralisé dans tous les actifs : tout est cher ! Si les taux augmentent, tous les actifs, y compris les actions et le marché des changes, seront impactés. Cet effet devrait être très progressif et, dans ce contexte, la diversification est la meilleure solution pour un investisseur euro. Si les taux augmentent, le dollar pourrait en bénéficier. La dette émergente offre aussi des opportunités. Le portage est ce qui rend les obligations attractives et, clairement, il est faible aujourd’hui. Le rendement n’est pas suffisant pour amortir les mauvaises nouvelles, ce qui rend limite les marges de manœuvre. Les investisseurs ont donc tout intérêt à s’orienter vers des solutions flexibles et la diversification. BNPP AM a développé une gamme de fonds monétaires dynamiques permettant de tirer bénéfice de la volatilité, et une gamme flexible pour que les clients puissent profiter de tous les événements de marché.
Antoine Lesné : Il est possible de trouver des opportunités intéressantes dans un contexte de durcissement monétaire, par exemple au niveau des obligations convertibles, qui sont justement réputées fournir une protection partielle contre la hausse des taux. Celles-ci ont en effet tendance à mieux se comporter que les autres actifs obligataires grâce à la possibilité de conversion en actions et à leur sensibilité aux mouvements de taux plus faible. La différence avec les obligations d’entreprises nominales est particulièrement frappante, puisque ces dernières ont vu leur sensibilité aux taux d’intérêt bondir au cours des dix dernières années. A titre d’exemple, la duration de l’indice Bloomberg Barclays Global Corporate Investment Grade a augmenté de près d’un an sur la période, soit environ 20 %. Les données de performances historiques montrent que lorsque la Fed a relevé ses taux ou que les rendements des bons du Trésor américains à dix ans ont grimpé de plus de 75 points de base, les obligations convertibles ont davantage imité les actions et surperformé les obligations d’entreprises bénéficiant de la force du cycle économique. Ce phénomène a notamment été observé lors du «taper tantrum» de 2013 et au premier semestre 2006, alors que le cycle économique se trouvait dans sa dernière phase.
Les gérants obligataires ont-ils été contraints de se réinventer pour s’adapter à ce nouvel environnement ?
Comment a évolué l’offre de gestion obligataire ?
Eliezer Ben Zimra : Cela fait dix ans qu’on dit que les taux sont bas et qu’ils vont remonter ! Et, jusqu’à présent, ça n’a pas été le bon pari. Dans notre maison, nous avons également développé une gamme obligataire flexible dont le principal fonds a vu son encours sous gestion passer de 100 millions d’euros en 2013 à plus de 2 milliards aujourd’hui. Il est possible de générer de la performance dans un portefeuille obligataire dans un contexte de taux haussiers en recourant à plusieurs options : être en sensibilité négative et être flexible sur le choix des classes d’actifs (high yield, convertibles, subordonnées financières…). Ces poches d’investissement sont ensuite déléguées à des experts. Cette approche de gestion est ainsi différente de l’offre qui existait par le passé, principalement des fonds «long only» sur une seule classe d’actifs qui faisaient prendre aux clients des risques importants.
Maurice Soubiran : Nous avons constaté ces dernières années une volonté d’enterrer la gestion de taux, mais il ne faut pas oublier que, en 2017 encore, le high yield a mieux performé que les actions. Et, depuis le début de l’année, les fonds obligataires affichent également de meilleures performances que la plupart des marchés actions.
Patrick Barbe : Historiquement, un gérant obligataire avait quatre sources de valeur ajoutée : la duration, la courbe des taux, le risque pays et le risque crédit. Depuis que les banques centrales agissent, nous avons surtout réduit la duration. Nous nous sommes adaptés en réallouant le risque sur la partie risque pays et sectoriel. Nous avons des positions plus marquées sur les pays. La zone euro offre beaucoup d’opportunités, puisqu’il y a toujours une échéance politique à venir.
Par ailleurs, en 2018, la réduction de la liquidité par les banques centrales va entraîner une réévaluation du marché obligataire, qui n’est plus organisé par les «market makers» comme par le passé. C’est un risque à prendre en compte cette année ou en 2019.
Antoine Lesné : Les risques liés aux produits de taux n’ont pas vraiment changé, à savoir sensibilité aux taux d’intérêt et risque de crédit. En revanche, le positionnement des investisseurs a évolué, de même que les outils de gestion du risque qui sont à leur disposition. Le paradigme de la liquidité n’est plus le même, et les ETF constituent aujourd’hui une nouvelle façon d’accéder à un large éventail d’expositions qui sont d’ordinaire difficiles à mettre en œuvre pour certains gérants. Certains ETF proposés par SPDR permettent un pilotage plus précis de la duration d’un portefeuille en s’exposant spécifiquement à des tranches de maturité. Utilisés comme blocs de construction, nous pensons que les ETF facilitent la mise en œuvre d’une gestion dynamique de portefeuille, en se substituant avantageusement au recours à un overlay de produits dérivés sur une poche concentrée d’obligations de base.
L’idée d’investir dans un fonds obligataire flexible implique-t-elle une plus grande prise de risque pour l’investisseur ?
Antoine Lesné : Non, plus de flexibilité ne doit pas être synonyme de plus grande prise de risque. De nombreux investisseurs sont déjà exposés aux classes d’actifs plus risquées comme la dette émergente en devise locale et les obligations convertibles, attirés par leur potentiel de rendement supérieur et de diversification du portefeuille. Il devient cependant primordial d’identifier rapidement les opportunités et d’en tirer profit, dans la mesure où nous entrons progressivement dans ce qui semble être la dernière phase du cycle économique. La volatilité de marché est de retour et devrait être plus présente au cours de cette phase. Cela pourra créer des points d’entrée ou des occasions de rebalancer le portefeuille vers des rendements plus intéressants.
Maurice Soubiran : Une gestion obligataire flexible, qui se construit autour de plusieurs moteurs de performance, offre forcément une diversification par rapport à une gestion obligataire benchmarkée. Or, lorsqu’on diversifie un portefeuille, on réduit le risque sur le moyen/long terme. Une gestion souple de la sensibilité permet également d’amortir les mouvements de marché, en particulier dans un régime de volatilité des taux plus élevée, ce qui réduit de facto le risque.
Eliezer Ben Zimra : Les fonds flexibles sont certes «non contraints», mais ils sont encadrés par des contraintes de risque assez strictes. Le risque est une notion qui doit évoluer. Acheter en début d’année des obligations portugaises pouvait paraître plus risqué que le Bund, mais la volatilité a été moins forte grâce au relèvement de la notation. Il ne faut pas se contenter de regarder la volatilité passée, sinon on s’interdit par exemple d’investir dans la dette grecque alors que la performance est excellente depuis début 2016.
Patrick Barbe : La différence entre une gestion flexible et une gestion obligataire classique est que cette dernière est benchmarkée. L’investisseur a une idée de ce qu’il peut obtenir comme performance pour une gestion benchmarkée. Une gestion flexible peut générer des gains ou des pertes indépendamment de la tendance du marché.
Maurice Soubiran : Il est vrai que cette décorrélation est difficile à expliquer dans bien des cas, mais c’est la seule façon de ne pas se retrouver embarqué dans une hausse des taux ou une baisse du crédit.
Patrick Barbe : Nous sommes passés d’une gestion dont l’essentiel de la performance était prévisible en fonction des indices de marché à une performance qui dépend des convictions du gérant. Ce qui complique la compréhension pour les investisseurs que chaque société de gestion a sa définition de la flexibilité. Certaines approches flexibles recourent à l’effet de levier, d’autres pas. Certaines incluent les paris de change ou investissent aussi dans les actions. Un fonds flexible n’est pas plus risqué qu’un fonds obligataire classique, à condition de rester dans un univers contraint par rapport à ce que veut le client.
Les gérants obligataires se sont adaptés, mais les investisseurs aussi…
Patrick Barbe : C’est surtout l’investisseur qui a dû s’adapter à ce nouvel environnement ! D’autant plus qu’il existe beaucoup de fonds avec des profils de risque très différents.
Eliezer Ben Zimra : Nous avons en effet constaté une montée en gamme des investisseurs qui maîtrisent beaucoup plus le sujet. Quand ils investissent dans des fonds flexibles, ils sélectionnent différentes approches et les assemblent pour créer une poche flexible dans leur exposition obligataire. Ils rentrent beaucoup plus dans le détail de la flexibilité des fonds.
Quelles sont les opportunités d’investissement ?
Où trouver du rendement alors que les classes d’actifs obligataires sont chères ?
Maurice Soubiran : Dans notre gamme obligataire, nous avons lancé fin 2016 un fonds flexible obligataire que nous avons baptisé Gestion Privée Obligataire, aujourd’hui essentiellement constitué d’une base de clientèle privée. Une gestion flexible de la sensibilité, une possibilité de s’exposer aux devises, aux marchés obligataires émergents, aux obligations spéculatives et aux obligations convertibles, et tout cela dans un cadre de risques définis, sont autant d’atouts que le fonds peut exploiter.
Antoine Lesné : L’aplatissement de la courbe des taux des bons du Trésor américains devant se poursuivre, nous ne sommes pour le moment pas trop préoccupés par la duration, en particulier aux Etats-Unis. Les flux sur le marché européen des ETF reflètent bien cet état d’esprit, puisque les fonds axés sur les bons du Trésor américains de maturité sept-dix ans ont collecté plus de 1,5 milliard de dollars depuis le début de l’année. En dehors de cela, nous estimons que les fondamentaux jouent toujours en faveur des expositions de croissance, malgré l’accroissement de la volatilité, à condition d’adopter un biais plus défensif. A ce titre, les obligations convertibles pourraient être un bon moyen de jouer la thématique, étant donné que la croissance demeure solide et que les valorisations sont globalement attractives. Ajoutez à cela une capacité de gestion des pertes maximales potentielles par rapport à un portefeuille purement actions, et vous obtenez une classe d’actifs séduisante dans l’environnement de marché actuel.
Patrick Barbe : Nous avons identifié trois sources de performance : 1) les obligations émergentes en devises locales qui bénéficient de la croissance mondiale ; 2) des fonds obligataires court terme comme Parvest Enhanced Cash 6 Months ou BNP Paribas Sustainable Bond Euro Short Term destinés aux entreprises, aux caisses de retraite mais aussi à la clientèle privée ; 3) une gamme de fonds obligataires flexibles.
Eliezer Ben Zimra : Nos principales convictions obligataires s’expriment dans le fonds Edmond de Rothschild Fund Bond Allocation. Pour marquer notre prudence par rapport à des marchés obligataires chers, le cash représente environ un quart du fonds. Nous considérons en effet que le moindre stress de marché peut annuler la performance réalisée sur l’année. Les niveaux faibles de volatilité implicite montrent également la cherté des marchés. Nous avons commencé à réinvestir progressivement du cash dans des obligations gouvernementales, avec des convictions sur le Portugal, la Grèce et la Catalogne que nous avons en portefeuille depuis un an. Ces actifs sont décorrélés du risque allemand ou des risques liés à la politique monétaire de la BCE. Le fonds est également investi dans des subordonnées financières, le high yield européen et l’investment grade américain. Enfin, nous avons quelques investissements opportunistes sur la dette émergente et les obligations indexées à l’inflation.
En ce qui concerne la dette émergente, faut-il investir en devises fortes ou en devises locales ?
Eliezer Ben Zimra : Cet arbitrage dépend des vues que le gérant a sur les devises. Dans notre fonds, nous couvrons le risque de devises et nous allons privilégier la dette émergente en devises fortes. Sur cette classe d’actifs, nous avons des positions assez contrariantes sur la Turquie, le Venezuela et l’Ukraine. En revanche, nous ne sommes pas investis en Asie, notamment à cause du risque chinois qui pèse sur la région. Enfin, nous estimons qu’il y a des opportunités sur certaines devises émergentes comme le peso mexicain ou la Turquie.
Antoine Lesné : La dette émergente en devises locales a surperformé les titres libellés en devises fortes (USD, EUR) au premier trimestre, principalement en raison de la hausse des rendements des bons du Trésor américains et de la dépréciation continue du dollar. Face aux anticipations de recul du billet vert et de la poursuite de la normalisation de la politique monétaire de la Fed en 2018, nous privilégions les émissions en devises locales par rapport à la dette en devises fortes. Dans l’ensemble, nous restons optimistes quant aux perspectives des obligations émergentes locales, qui bénéficient de l’environnement macroéconomique solide et ne seront pas trop affectées par des vents contraires tels que l’escalade des tensions douanières, la pression sur les prix des matières premières ou une légère appréciation du dollar américain.
Les obligations convertibles sont souvent présentées comme le meilleur des deux mondes (actions et obligations). Mais si ces deux marchés sont chers, cette classe d’actifs est-elle vraiment attractive ?
Maurice Soubiran : La convexité des obligations convertibles est un atout intéressant dans des marchés volatils. Les obligations convertibles nous semblent attractives dès lors que l’investisseur n’est pas averse au risque et souhaite s’exposer aux marchés actions.
Eliezer Ben Zimra : Nous avons une petite exposition à cette classe d’actifs car, si les marchés actions sont globalement chers, la prime de risque n’est pas si élevée pour les actions européennes.
Antoine Lesné : Depuis un certain temps, les investisseurs ont recours aux obligations convertibles pour réduire leur exposition aux performances trop corrélées des actions durant les périodes de forte baisse, tout en bénéficiant d’un potentiel de participation à la hausse des cours lorsque le marché actions progresse. Les obligations convertibles présentent les mêmes caractéristiques que leurs homologues traditionnels en matières de flux, avec le versement de coupons réguliers et le remboursement à l’échéance. La possibilité de convertir le titre en actions de l’émetteur permet également aux investisseurs de participer à la hausse des marchés actions. C’est la valeur de cette option, associée à la composante obligataire traditionnelle appelée parfois «plancher obligataire», qui limite les pertes maximales en cas de repli des marchés actions. Dans sa forme la plus simple, une obligation convertible s’apparente à une obligation avec option d’achat ou de vente sur une action. Cette structure offre donc aux investisseurs une alternative intéressante à la détention simultanée d’actions classiques et d’obligations «plain vanilla».
Patrick Barbe : Nous sommes sous-pondérés sur cette classe d’actifs car nous préférons la gestion active. L’année 2018 va être volatile, et nous préférons en tirer parti avec une exposition sur le high yield européen.