Table ronde

Faut-il croire au rebond des small & mid caps ?

Publié le 23 février 2024 à 9h40

Catherine Rekik

Les petites et moyennes valeurs affichent une décote historique, mais dans un environnement de ralentissement économique, Funds s’interroge sur la pertinence d’investir dans cette classe d’actifs délaissée depuis des années par les investisseurs.

Les intervenants : 

  • Raphaël Moreau, gérant, Amiral Gestion
  • Diane Bruno, gérante, Eleva Capital
  • Stéphanie Bobtcheff, CFA, gérante, La Financière de l’Echiquier
  • Marie Fournier, responsable du bureau parisien, Lupus alpha AM 
  • Raphaël Lucet, gérant, Moneta AM 

Les small & mid caps souffrent d’une forte désaffection des investisseurs, au point d’avoir retrouvé des niveaux de valorisation proches de ceux de 2008/2009. Comment l’expliquez-vous ?

Diane Bruno : La sous-performance depuis 5 ans dépend des géographies. Il ne faut pas oublier que 2019, 2020 et 2021 étaient des années de surperformance qui ont totalement été gommées en 2022 et 2023. C’est surtout en France que les small caps sont structurellement en souffrance depuis 5 ou 6 ans, tandis qu’au niveau européen, plusieurs phases se sont succédé, de surperformance, de correction, mais aussi d’euphorie comme en 2021. C’est vraiment la correction en 2022 et 2023 qui donne le sentiment qu’il ne s’est rien passé sur la classe d’actifs depuis 5 ans.

Stéphanie Bobtcheff : Et, en 2021, la prime de valorisation de la classe d’actifs par rapport aux large caps était sans doute excessive. En Europe, la sous-performance a, en effet, été très marquée en 2022 et 2023. Elle corrigeait des excès en termes de valorisation avec des primes sur le marché des small caps déraisonnables, de près de 40 %.  A la correction de ces excès se sont ensuite ajoutés d’autres facteurs défavorables, comme l’environnement de taux : quand les taux longs montent, les small caps tendent à sous-performer. Par ailleurs, l’aversion pour le risque s’est accrue, et dans ces périodes, les investisseurs ont tendance à sortir de la classe d’actifs. Les flux sortants ont pesé sur des valeurs qui ne sont pas très liquides.

Raphaël Moreau : Je ne partage pas complètement cette analyse, les small caps ont effectivement sous-performé depuis 2018. Au sein de cet univers, certaines valeurs de croissance ont eu, effectivement, des années extraordinaires, mais, pour une grande partie, c’était plutôt dur entre 2018 et 2020. C’est sans doute ce qui explique les différences de performance entre les pays. En Suède par exemple, beaucoup de valeurs de croissance ont eu des performances stratosphériques pendant cette période. Il me semble donc que depuis 2018, c’est surtout le style croissance qui a connu 2 périodes différentes plutôt que la classe d’actifs dans son ensemble. 

Raphaël Lucet : En France, la sous-performance est évidente : le CAC Small est en baisse depuis 5 ans alors que le CAC 40 a gagné 40 % ! Et au niveau européen, le MSCI Europe Small Caps sous-performe également le MSCI Europe Large Caps. Cette sous-performance s’explique essentiellement par un dégonflement des valorisations. Il y a 10 ans, le PE calculé sur les bénéfices à 12 mois du CAC Small était de 4 points supérieur à celui des large caps. Or, depuis 2023, nous sommes dans une situation inédite avec un CAC 40 mieux valorisé, d’un point, que le CAC Small. Et c’est la même chose quand on regarde le MSCI Europe Large Caps versus Small Caps : historiquement, le PE des small caps était de 2 à 3 points supérieur à celui des grandes valeurs, mais la situation s’est inversée. En ce qui concerne les bénéfices par actions, en termes de performance, les small caps ont plutôt fait jeu égal avec les large caps. Donc, la décote de la classe d’actifs s’explique par les flux. Et ce, pour 2 raisons, dont une plutôt structurelle liée aux encours de la gestion passive, aujourd’hui plus élevés que ceux de la gestion active. Cette gestion passive favorise surtout les large caps, car cela n’a pas de sens de lancer un ETF pour gérer 50 millions d’euros. Autre raison, plus conjoncturelle, au niveau européen, les fonds investis dans des small caps ont décollecté 2 fois plus depuis 2022 que les fonds large caps. Et en France, les rachats ont été très marqués. En fait, depuis 2018, il n’y a eu que 3 ou 4 mois de collecte sur 5 ans, mais cette tendance peut s’inverser. 

Par ailleurs, d’autres raisons expliquent également le désintérêt pour la classe d’actifs, comme les taux par exemple. La plupart des grandes entreprises ont émis des obligations avec des durations de 3 à 7 ans, donc elles n’ont pas souffert immédiatement de la hausse des taux tandis que les small caps ont souvent des emprunts bancaires à taux variables. Elles ont subi des hausses importantes de leurs frais financiers. 

Marie Fournier : A ceci vient s’ajouter le désintérêt des investisseurs pour les fonds de small & mid caps, qui s’explique également par l’explosion du private equity ces dernières années. Les acteurs du private equity ont profité d’un environnement très favorable grâce aux taux à zéro et sont venus prendre des parts de marché aux small & mid caps avec un narratif de financement de l’économie réelle, mais avec moins de volatilité.

Diane Bruno : L’autre élément à prendre en compte, qui pourrait d’ailleurs s’inverser, concerne la construction des indices, qui est assez différente entre les large caps et les small caps. Dans l’univers des small caps par exemple, il y a beaucoup de valeurs financières, mais de moins de moins de banques. La phase de hausse des taux a favorisé les banques – elles ont eu des révisions bénéficiaires très positives – alors même que les services financiers en ont plutôt souffert. On trouve également dans la composition des indices small caps plus d’industrie et d’immobilier, des secteurs qui ont plutôt souffert de l’évolution des taux et d’une conjoncture économique peu lisible. L’immobilier représente 8 % de certains indices small caps alors que ce secteur est quasiment absent des indices large caps. Ce qui peut justifier la sous-performance, car avec la hausse des taux, les valeurs des actifs immobiliers ont baissé. Mais une fois que les taux se stabilisent, la tendance s’inverse et plus rien ne justifie cette sous-performance, en tout cas pour ce secteur-là.

Raphaël Moreau : Une partie de la sous-performance est liée à une correction des excès. En 2017 et 2018, le ratio price to book (cours sur l’actif net d’une entreprise – NDLR) des small caps françaises offrait 50 % de prime sur les large caps en France et 20 % en Europe. L’élection de Macron en 2017 a drainé des flux importants sur les valeurs domestiques alors que, historiquement, il n’y avait pas de prime sur longue période. Depuis, cette prime a disparu et, au cours des 2 dernières années, la décote s’est considérablement creusée puisque nous sommes passés de 50 % de prime des small caps sur les larges caps à 40 % de décote en France et de 20 % de prime à 30 % de décote en Europe. 

Par ailleurs, je ne crois pas à la concurrence de la gestion passive pour notre classe d’actifs. Quand les small & mid caps surperformeront à nouveau, les investisseurs reviendront sur la classe d’actifs ! 

Marie Fournier : Je ne suis pas convaincue que, sur le long terme, la gestion passive vienne, en effet, concurrencer l’expertise des gérants actifs sur les petites et moyennes valeurs. A court terme, il peut y avoir un effet négatif comme l’an dernier, car, dans un environnement macroéconomique compliqué et avec la perspective d’une récession, les investisseurs ont privilégié des classes d’actifs plus liquides via des ETF. A long terme, je suis en revanche convaincue que nous aurons de nouveau une belle tendance sur les small & mid caps, notamment côté gestion active, car seule une gestion active par une équipe de gérants expérimentés peut saisir les inefficacités dues au manque de couverture du segment par les analystes. En revanche, je ne suis pas certaine que nous retrouverons des périodes d’euphorie comme celles que nous avons connues par le passé. Tous les acteurs attendant un retour fulgurant – et il n’est pas impossible qu’il soit finalement progressif – au fur et à mesure des publications encourageantes et de signaux positifs, les investisseurs retrouveront confiance dans la classe d’actifs. Pour l’instant, ils restent dans l’ensemble attentistes. Cependant, nous commençons à voir certains de nos clients au profil très long terme renforcer leur position en augmentant la taille des mandats que nous gérons pour eux sur cette classe d’actifs. Si on regarde historiquement, c’est un très bon signal.

Stéphanie Bobtcheff : Il faut distinguer le marché des petites valeurs européennes de celui des valeurs françaises, très particulier, délaissé, et pour lequel des sujets de liquidité peuvent se poser. Pour nous qui investissons dans les small caps européennes, les montants de rachats mentionnés précédemment ne sont pas exactement les mêmes : 15 % des actifs ont été rachetés sur les fonds européens en 2022, entre 8 et 10 % l’an dernier. Depuis fin 2023, nous ne constatons plus de flux sortants, mais, au contraire, un regain d’intérêt pour cette stratégie : les niveaux de valorisation redeviennent attractifs par rapport aux large caps, et la croissance bénéficiaire est plus élevée.

«Nous sommes passés d’un monde buy & hold à un monde de gestion active où le stock picking est la clé. »

Marie Fournier responsable du bureau parisien ,  Lupus alpha AM

Durant la période d’euphorie pour la classe d’actifs, les gérants mettaient en avant les bilans sains et le faible endettement des petites et moyennes entreprises. Y a-t-il eu beaucoup d’accidents dans cet univers d’investissement ?

Stéphanie Bobtcheff : Plusieurs éléments expliquent la corrélation entre la sous-performance des small caps et la hausse des taux. On entend souvent dire que les small caps sont plus endettées, mais chez LFDE, nous investissons dans des valeurs aux bilans solides. En l’occurrence, toutes les small caps ont sous-performé, quelle que soit la solidité de leur bilan. L’idée commune est de dire qu’au niveau des indices, il y a davantage de dette sur les small caps que sur les large caps, que la dette est plus difficile à refinancer, etc. Mais la sous-performance de la classe d’actifs s’explique également parce que les valeurs aux multiples de valorisation les plus élevés sont celles qui corrigent dans un contexte de hausses de taux.

Marie Fournier : Nous avons été confrontés brutalement à un changement de paradigme : nous sommes passés d’un univers de taux bas, voire négatifs, dans lequel les valeurs de qualité et de croissance pouvaient se payer très cher à un univers où l’argent a de nouveau un prix ! Le financement a désormais un coût, mais ce changement de paradigme est-il pour autant un problème ? Je pense qu’il faut, au contraire, regarder tous les signaux positifs. En 18 mois, les taux sont passés de 0 à 4 % en moyenne sans qu’il y ait vraiment de casse au niveau macroéconomique ni au niveau des entreprises. Celles-ci continuent à faire preuve de dynamisme. Les managers ont intégré le nouveau paradigme financier et font preuve d’efficience. La plupart des sociétés que nous couvrons chez Lupus alpha sont capables de s’adapter et faire preuve de résilience. Il faut regarder ce qu’il se passe sur le marché et être à l’affût des belles sociétés (et il y en a !) plutôt que de regarder passer le train en attendant une baisse hypothétique des taux.

Diane Bruno : Si on regarde les indices et les taux d’endettement en Europe, les small & mid caps sont un peu plus endettées que les large caps, mais la situation n’a rien à voir avec celle que nous avons connue en 2007, à la veille de la grande crise financière. Retraités du secteur immobilier qui structurellement a plus de dettes et ne compte pas de grandes capitalisations boursières, les indices small & mid caps et les indices large caps ont des taux d’endettement très similaires. Il y a la même proportion de sociétés en situation de trésorerie nette dans le Stoxx Europe Small 200 que dans le Stoxx Europe 600, environ 20 %. La solidité financière est bien réelle, donc cela ne peut pas expliquer la sous-performance. 

En revanche, les small & mid caps sont endettées à taux variables. Elles ont sans doute moins bien anticipé l’évolution des taux quand elles ont bouclé leurs financements et leurs opérations de croissance externe fin 2021/début 2022 puisque c’était encore une période euphorique pour les fusions/acquisitions. Cette part de la dette à taux variable, qui est de quasiment 60 % pour les small & mid caps versus 30 à 40 % pour les large caps, ainsi que les échéances de refinancement à horizon 2024/2025 font que mécaniquement dans le compte de résultat, les frais financiers ont plus augmenté pour les PME que pour les larges. Un point positif cependant : cet élément négatif depuis 2 ans va moins peser dans les années à venir même si les taux ne baissent pas fortement. 

«Quand les small & mid caps surperformeront à nouveau, les investisseurs reviendront sur

la classe d’actifs !»

Raphaël Moreau gérant ,  Amiral Gestion

La hausse des frais financiers a-t-elle beaucoup plombé les résultats ?

Diane Bruno : Tout dépend des sociétés, mais, pour performer, la classe d’actifs a besoin d’avoir des prévisions bénéficiaires en hausse. Entre la conjoncture macroéconomique plus incertaine, des hausses de prix et des dynamiques de marges un peu plus compliquées à appréhender pour les analystes, la hausse des frais financiers a été un argument supplémentaire qui a réduit les attentes de bénéfice net par action. 

Raphaël Moreau : Que l’impact des taux élevés sur les frais financiers, et donc sur les résultats, soit un problème pour les small caps, c’est surtout vrai aux Etats-Unis où 40 % de l’indice Russell 2000 est en pertes. Ces entreprises américaines consomment du cash, aussi leur capacité à se refinancer ou à trouver de nouveaux financements est assez limitée. La sensibilité de l’indice Russell 2000 aux taux est donc très forte. 

Les deux tiers des sociétés que j’ai en portefeuille sont en situation de trésorerie positive, mais elles souffrent aussi. Et pourtant, la trésorerie est aujourd’hui rémunérée donc, pour moi, les taux ne sont pas un facteur explicatif de sous-performance. En revanche, l’activité économique et notamment les PMI sont un plus fort catalyseur pour les small caps que les taux. Quand l’économie ralentit, en général, les small caps surperforment moins, voire sous-performent. Bien évidemment, quand les banques centrales relèvent les taux, cela pèse sur l’économie, qui ralentit, donc, il y a un impact. Rappelons quand même qu’entre 1975 et 1980, aux Etats-Unis, les taux sont passés de 6 à 20 % et les small caps ont fait bien mieux que les large caps, avec 42 % de performance annualisée pendant 6 ans d’affilée. Mais, durant cette période, l’activité économique était excellente. 

Raphaël Lucet : Les taux ont monté, mais le CAC 40 n’a jamais été aussi haut ! Les small caps ont été pénalisées par un mix de hausse des taux et de dégradation de la conjoncture économique, mais surtout de la composition de cet univers où on trouve plus d’immobilier et de valeurs industrielles. Les PMI manufacturières ont plus souffert que les PMI des services, qui ont relativement bien tenu. Les petites valeurs évoluent sur des activités plus cycliques et sont, par conséquent, plus sensibles aux taux. Toutes ces raisons justifient une sous-performance conjoncturelle. En relatif, les petites capitalisations boursières ont peut-être vécu le pire, et à moins d’une nouvelle correction, elles devraient rattraper les grandes valeurs. 

Marie Fournier : La classe d’actifs a subi par ailleurs la concurrence des fonds obligataires et monétaires. Depuis 2022, l’allocation de temps de la part des investisseurs pour les small & mid caps a souffert du grand retour obligataire, et à juste titre. Avec la hausse de taux, il y avait urgence. Notre classe d’actifs est très dépendante de ces grands investisseurs. Cependant, nous sentons depuis quelques mois un regain d’intérêt et aujourd’hui, nous parlons à nouveau small et mid caps avec nos clients. La notion de flux reste toutefois à relativiser. Malgré cette absence de flux en 2023, il était possible de faire de l’alpha.

Stéphanie Bobtcheff :  En effet, sans retour de flux, la classe d’actifs aura du mal à surperformer. 

«Les opérations de M&A pourraient être en 2024 un facteur de soutien pour le marché

des small caps.»

Stéphanie Bobtcheff CFA, gérante ,  La Financière de l’Echiquier

Et pour que les flux reviennent, que faut-il ? Que les doutes soient levés sur la macroéconomie ?

Marie Fournier : Il y a 2 scénarios. Que les mauvaises nouvelles macros se multiplient, obligeant les banques centrales aux baisses de taux. Mais avant un impact positif d’une éventuelle baisse de taux, nous pourrions voir une forte baisse dans le marché justifiant la baisse de taux. L’autre scénario serait que les taux restent relativement élevés avec une croissance faible et une économie résiliente, et dans ce cas-là, les small caps feront une remontada progressive, regagnant la confiance des investisseurs au fur et à mesure grâce aux publications de résultats et à la capacité des gérants à délivrer de l’alpha.

Stéphanie Bobtcheff : Historiquement, dans la zone euro, lorsque les PMI atteignent des niveaux proches de ceux que nous connaissons aujourd’hui, les small caps ont tendance à surperformer dans les 12 mois qui suivent.

Raphaël Moreau : Et les PMI remontent dans tous les pays d’Europe à l’exception de la France et de l’Allemagne. Les clients disaient qu’ils ne reviendraient sur la classe d’actifs tant que la récession n’aurait pas eu lieu, mais ce discours a évolué : la capitulation de septembre et octobre dernier a été un point d’inflexion. Les cours de Bourse sont les mêmes qu’à la fin de l’été dernier, mais le sentiment a changé. 

Diane Bruno : Les flux ont été négatifs en Europe, que ce soit sur les small, les mid ou les large caps en général. Or les small caps sont une classe d’actifs de diversification. Pour que nous ayons un effet flux qui permette à la classe d’actifs d’amplifier la surperformance, il faut que l’Europe redevienne désirable pour les investisseurs. Ce sont sans doute les grandes valeurs qui vont en profiter en premier lieu puis les investisseurs vont aller chercher un surplus de performance dans notre classe d’actifs. 

Raphaël Moreau : Mon sentiment est qu’il y aura un effet d’entraînement et les flux viendront après la surperformance. Dans les fonds small caps que nous gérons, les clients investis sont convaincus par la classe d’actifs, mais les gérants de fonds multicaps ne le sont pas encore. Ce sont eux qui peuvent être à l’origine de la surperformance. 

Raphaël Lucet : En effet, il y a toujours un effet d’entraînement, car les marchés sont assez moutonniers. La dernière période de belle collecte sur les small caps date de 2014 à 2017, après la grande crise financière de 2008 suivie par la crise de la zone euro en 2012. Il y a quand même eu un long passage à vide jusqu’à ce que les investisseurs aient de nouveau envie de se projeter, de reprendre plus de risque et de se repositionner sur la classe d’actifs. Aujourd’hui, il y a un consensus sur l’idée que les small & mid caps vont rebondir, mais en réalité, les flux ne sont pas encore là. 

Stéphanie Bobtcheff : Le discours de la Fed sur le pivot des taux en fin d’année dernière a déclenché un rallye en novembre et décembre. Mais les investisseurs ne sont pour autant pas revenus. Le discours est, en effet, très consensuel en faveur de la classe d’actifs, mais sans encore déclencher de souscriptions importantes.

«Les small caps sont une des rares classes d’actifs pour laquelle le gérant peut espérer générer

de l’alpha. »

Raphaël Lucet gérant ,  Moneta AM

Qu’est-ce qui fait la richesse de la classe d’actifs pour un gérant ? Quels sont les atouts qui peuvent convaincre les investisseurs de revenir sur les small & mid caps ?

Raphaël Lucet : Les small caps sont une des rares classes d’actifs pour laquelle le gérant peut espérer générer de l’alpha, ce qui est de moins en moins possible pour les grandes valeurs. Sur les large caps, il est rare qu’un gérant identifie un catalyseur que les autres gérants n’ont pas vu ou qu’il ait une information que les autres n’ont pas. Le segment des small caps est, quant à lui, beaucoup moins suivi. Dans cet univers, il y a des poches d’inefficiences plus fortes, car il y a moins de suivi par des analystes sell-side, et les gérants spécialisés ont moins de moyens. Sur le long terme, la possibilité de créer de l’alpha est plus importante, car il y a moins de concurrence. 

Diane Bruno : La diversité des business models et des acteurs de niche fait la richesse de ce segment de la cote. Il est possible de créer des fonds très diversifiés avec des entreprises moins matures, plus agiles, qui peuvent générer plus de croissance que les grandes entreprises, parce que leurs activités démarrent localement pour ensuite se développer à l’international. Au-delà des inefficiences, notre terrain de jeu de stock-picking est donc assez extraordinaire. 

Stéphanie Bobtcheff : Le terrain de jeu est également extraordinaire en raison de sa profondeur. On évoque souvent l’appauvrissement de la cote, mais en réalité, ce segment regorge d’opportunités, de très belles histoires, dont certaines peu connues. L’univers des capitalisations boursières comprises entre 1 et 10 Md€ comprend environ 1000 valeurs. Et il n’est pas rare de voir des sociétés doubler leur chiffre d’affaires en 5 ans, avec de très belles progressions de leurs marges. Ces entreprises opèrent le plus souvent sur des marchés de niche, en croissance.

Raphaël Moreau : Certaines small caps ont aussi des activités matures et ce ne sont pas forcément de mauvais investissements. Dans cet univers, il y a aussi beaucoup de leaders dans des niches, donc avec des avantages compétitifs que leur confère ce statut de leader. Dans ce segment de la cote, nous aimons beaucoup identifier des sociétés qui ont ce type d’avantages compétitifs et des primes de leader. 

Marie Fournier : Un investisseur dans cette classe d’actifs doit garder en tête qu’il participe activement au financement de l’économie réelle européenne : les small caps créent de l’innovation et des emplois. Tous les secteurs sont représentés dans l’univers des small & mid caps, ce qui offre une belle opportunité de diversification. Ces dernières années, ce narratif de financement de l’économie réelle a été accaparé par le private equity, et pas toujours à juste titre. Les small caps jouent parfaitement ce rôle avec, en plus, l’avantage d’opérer au sein d’un marché transparent, relativement liquide et réglementé.

Raphaël Lucet : En effet, les fonds de small caps participent au financement de l’économie réelle, avec des frais moins élevés que dans le private equity, sans avoir recours à l’endettement, et avec des produits plus liquides ! 

«La diversité des business models et des acteurs de niche fait la richesse de ce segment de la cote.»

Diane Bruno gérante ,  Eleva Capital

Au sein de l’Europe, existent-ils des différences entre les marchés ? Certains offrent-ils plus d’opportunités ?

Raphaël Moreau : La France est peut-être le marché le plus diversifié en termes de secteurs. Au nord de l’Europe, il y a les plus belles entreprises, et au sud de l’Europe, les plus grandes inefficiences de marché. Bien sûr, il y a aussi dans le sud de très belles valeurs, mais on y trouve plus d’aberrations de valorisation que dans les pays nordiques. Notre fonds a un biais un peu structurel sur la France : c’est le marché qui a le plus souffert par rapport au pic de 2018. La Suède est un pays que nous aimons bien également, avec une économie assez cyclique. L’endettement y est à taux variable aussi bien pour les entreprises que pour les ménages. L’économie suédoise a ralenti plus vite que le reste de l’Europe continentale et, logiquement, devrait repartir plus rapidement. Cette économie est saine, le pays est un des moins endettés d’Europe et la culture capitaliste y est bien développée. 

Marie Fournier : Au nord de l’Europe, l’Allemagne est connue pour son mittelstand – son tissu d’entreprises familiales avec un fort biais industriel. On y apprécie la capacité en matière d’innovation des entreprises industrielles et leur adaptabilité, notamment ces dernières années, avec les évolutions des prix de l’énergie, la hausse des taux…

Stéphanie Bobtcheff : Les pays nordiques sont des marchés de croissance, ils constituent un terreau d’innovation et de technologie. Notre fonds est actuellement surexposé aux marchés nordiques en raison de son biais croissance. Il n’est en revanche pas exposé à la Suisse, un marché structurellement assez cher. Nous cherchons toutefois, d’une façon générale, à construire une exposition géographique équilibrée.

Raphaël Lucet : La Suisse compte tout de même un certain nombre de valeurs industrielles, bien gérées et pas très chères en termes de valorisation. 

Dans l’univers des small & mid caps, certains secteurs ont-ils corrigé plus que d’autres ? Certains sont-ils plus propices au stock picking ?

Diane Bruno : Tous les secteurs ont souffert dans cette phase de sous-performance, à des moments différents. Les valeurs du secteur de la santé ont corrigé après les excès de valorisation post-Covid, les cours de certaines avaient beaucoup trop monté et il y avait trop de stocks dans la chaîne de valeur. Aujourd’hui, elles se payent beaucoup moins cher, les valorisations ayant atteint un certain seuil à la baisse alors que les stocks ont été résorbés. L’immobilier et la chimie ont également beaucoup souffert. 

Stéphanie Bobtcheff : Le secteur des énergies renouvelables a souffert de la hausse des taux, comme tous les actifs à duration longue. 

Diane Bruno : La sous-performance a eu lieu à des moments différents selon les secteurs, mais elle a fini par toucher de nombreuses valeurs dans de nombreux secteurs de notre classe d’actifs. Je ne pense pas qu’il y ait un secteur spécifique de notre univers qui soit aujourd’hui trop cher. 

Stéphanie Bobtcheff : Dans le secteur de la medtech, qui nous intéresse beaucoup, si certaines sociétés sont chères dans l’absolu, avec des PE encore élevés, elles présentent toutefois aujourd’hui une décote par rapport à leurs valorisations historiques. On renoue désormais avec davantage de rationalité et une attention particulière portée à la valorisation. Les niveaux de taux actuels sont très différents de ceux de 2020 et 2021, raison pour laquelle il faut être attentifs à la valorisation.

Faut-il jouer le rebond du secteur de la santé en 2024 ?

Diane Bruno : La santé a souffert en relatif de la performance de Novo Nordisk, qui a tiré tous les indices grandes capitalisations. Au-delà de cela, plusieurs medtechs avaient bénéficié du Covid et des effets de surstockage à cause des problématiques de stocks de sûreté. Elles ont ensuite corrigé et arrivent au bout de cette normalisation d’inventaires. 

Stéphanie Bobtcheff : Les medtechs, qui se payaient très cher, ont publié des résultats décevants en raison notamment d’effets de surstockage. La correction s’explique donc non seulement par des valorisations excessives, mais également par des performances opérationnelles décevantes ces 2 dernières années. Si on estime que leur problème de déstockage est résolu, il peut y avoir, en effet, une reprise. Par ailleurs, les caractéristiques défensives du secteur peuvent rassurer dans l’actuel contexte macroéconomique.

Marie Fournier : Nous partageons ce sentiment. Post-Covid, nous avions déserté ce secteur, car toutes les valeurs nous paraissaient hors de prix. On commence à y retrouver des opportunités. 

Peu d’introductions en Bourse, des retraits de la cote : peut-on parler d’un rétrécissement du segment des petites et moyennes valeurs ?

Raphaël Moreau : Le marché est tellement décoté qu’il n’y a presque pas d’introduction en Bourse. Nous avons tout de même participé à l’IPO de Norconsult en Norvège, en novembre dernier, qui a bien fonctionné. En 2021, en pleine euphorie, nous avons eu beaucoup d’introductions en Bourse, une centaine rien qu’en Suède par exemple. Mais en 2022 et 2023, il n’y a pratiquement rien eu à part quelques tentatives opportunistes dans l’armement par exemple suite à la guerre en Ukraine. 

Marie Fournier : L’univers d’investissement reste suffisamment vaste pour que nous n’ayons pas de problèmes de sélection de valeurs. Les bonnes idées et les belles sociétés ne manquent pas. Au contraire, nous sortons d’une période durant laquelle nous étions polarisés sur quelques secteurs en termes de picking et, aujourd’hui, le champ des possibles est plus vaste, c’est-à-dire moins concentré sur quelques grands thèmes au sein de cet univers. 

Au-delà même du nombre de valeurs à suivre, ce qui compte, c’est d’avoir une équipe suffisante pour toutes les couvrir. Nous sommes passés d’un monde buy & hold à un monde de gestion active où le stock picking est la clé. Il faut être à l’affût des opportunités dans tous les secteurs et dans tous les pays. Et comme suivre les small caps est très chronophage – le gérant rencontre les sociétés, ses clients, ses concurrents, etc. –, la taille de l’équipe pour couvrir l’univers est très importante. 

En ce qui concerne le rétrécissement de la cote, il y a eu en effet quelques mauvaises surprises notamment dans l’univers des microcaps avec des sorties de cote à la suite de rachats par le private equity. Même si ceci apparaît très frustrant pour un gérant, car ces valeurs offraient de belles perspectives de croissance pour les investisseurs, ce n’est pas problématique à ce stade.

Raphaël Lucet : En France, on assiste quand même à un appauvrissement de la cote : il y a eu moins de 10 introductions en Bourse l’an dernier. Et ces sociétés ont levé moins de 10 millions d’euros. Et face à cela, de très belles sociétés ont été retirées de la cote comme SII, Somfy, etc., de belles entreprises familiales, bien positionnées, qui disparaissent et que nous ne reverrons peut-être jamais en Bourse. Les entreprises qui s’introduisent en Bourse sont loin d’égaler celles qui en sortent ! Parmi les plus petites entreprises, qui capitalisent entre 0,5 et 1 Md€, les dirigeants se posent beaucoup de questions sur la pertinence de rester en Bourse : les actifs sont décotés, ils n’ont souvent pas besoin de faire appel au marché pour financer leur croissance et ont de plus en plus de contraintes réglementaires liées à l’ESG notamment. 

Stéphanie Bobtcheff : Les opérations de M&A pourraient être en 2024 un facteur de soutien pour le marché des small caps. Il y a eu peu d’opérations d’acquisition en 2023, mais elles se sont concentrées sur l’univers des small caps. Certaines familles, qui ne comprennent pas la valorisation que la Bourse confère à leur entreprise, préfèrent racheter leurs titres et se retirer de la cote. De nombreux fonds de private equity, ainsi que des industriels, sont également intervenus sur les marchés cotés pour acquérir des sociétés. 

Le marché est donc attractif, avec des valeurs positionnées sur des niches, en position de leadership, qui ne se payent pas très cher. C’est un formidable vivier pour les investisseurs.

Vous avez évoqué les contraintes engendrées par les obligations réglementaires en matière d’ESG. Comment les managements des petites et moyennes entreprises s’adaptent-ils ?

Stéphanie Bobtcheff : Tout dépend de la taille de la valeur que nous analysons. Il n’y a pas de sujet pour les mid caps sur lesquelles la donnée disponible est satisfaisante pour nourrir l’analyse ESG. C’est parfois plus complexe sur les plus petites valeurs de la cote.  

Raphaël Moreau : Les small caps ont toutefois fait des progrès rapides sur ce sujet alors qu’elles n’étaient pas très réceptives il y a 3 ou 4 ans. Aujourd’hui, elles y sont contraintes aussi par leurs clients qui réclament ces informations dans tous les appels d’offres. 

Diane Bruno : Les dirigeants ont compris que l’absence de données ESG pouvait être un frein à l’investissement pour des investisseurs institutionnels ou des gérants comme nous. 

Raphaël Lucet : Avec l’application de la directive CSRD, les petites entreprises ont désormais l’obligation de publier les données extra-financières, mais cela représente un coût important pour elles. Dans une petite entreprise, le directeur financier est déjà bien occupé et toutes n’ont pas les moyens d’affecter des ressources humaines sur ce sujet. Dans les entreprises familiales, les aspects de gouvernance peuvent aussi poser problème, plusieurs membres de la famille travaillent dans la société et sont membres du conseil d’administration. Elles peuvent donc être moins bien notées sur le G, mais elles se rattrapent souvent sur l’alignement des intérêts avec les actionnaires minoritaires. 

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