Dans le passé, les fonds à performance absolue ont permis aux investisseurs de disposer d’un moteur de performance non corrélé aux actions et aux obligations. La classe d’actifs permettait d’obtenir un surcroît de performance sans que cet apport augmente le risque du portefeuille global de l’investisseur. Aujourd’hui, Funds s’interroge sur le rôle de cette classe d’actifs dans un portefeuille.
- Comment définissez-vous une gestion à performance absolue ?
- N'est-ce pas difficile d'accepter que la promesse de rendement positif s'inscrive dans un horizon d'investissement défini ?
- Quelles sont les différences entre les fonds flexibles et les fonds à performance absolue ?
- Certains environnements de marché sont donc plus favorables à certaines stratégies…
- Comment avez-vous abordé l’épisode de volatilité qui a eu lieu en début d’année ?
- Comment communiquez-vous sur les risques propres à ces stratégies ?
- Comment aborder la gestion à performance absolue ?
- Peut-on considérer les fonds de performance absolue comme une alternative aux fonds en euro dans les contrats d’assurance vie ?
- Quels sont les principaux risques et sources d'opportunités
- Que représente la gestion à performance absolue dans les allocations ?
Comment définissez-vous une gestion à performance absolue ?
Alexandre Ferci
L’objectif est en effet de réaliser une performance positive quelles que soient les conditions de marché, mais tous ces fonds ont une période d’investissement recommandée. La promesse d’un fonds à performance absolue n’est pas d’être positif tous les jours !
Olivier Nobile
La question qui se pose surtout aujourd’hui est de savoir comment apprécier son capital si les marchés rentraient durablement en «bear market». L’objectif d’un fonds à performance absolue est de permettre à l’investisseur de gagner de l’argent en prenant un risque limité quelles que soient les conditions de marché. L’objectif de ce rendement positif est tout à fait réaliste. Dans le cas de notre fonds Silver Time Gravity, nous capturons les tendances haussières des sociétés qui créent durablement de la richesse pour l’actionnaire, tout en vendant à découvert les sociétés qui détruisent avec persistance leur valeur boursière. Et si le marché devait baisser brutalement de 20 %, la perte sur le portefeuille acheteur serait compensée par construction par le gain sur le portefeuille vendeur. Les attentes des investisseurs sont donc justifiées.
Thomas Samson
Avec les produits long/short, il est possible, en fonction des vues que le gérant a des marchés, de couvrir la partie longue grâce à différents outils et techniques pour réduire la corrélation au marché crédit. Ces dix dernières années, de nombreux fonds ont été vendus avec la promesse de rendement positif sur une période donnée, mais, en réalité, dans le marché du crédit, peu de gérants parviennent à être positifs régulièrement. Cette promesse engendre certaines actions comme couper les positions dès qu’il y a un peu de pertes et faire peut-être trop de trading. Or, dans le fixed income, le trading est coûteux.
N'est-ce pas difficile d'accepter que la promesse de rendement positif s'inscrive dans un horizon d'investissement défini ?
Olivier Nobile
L’horizon d’investissement est souvent de l’ordre de trois ans. Cependant, l’investisseur va, lui-même, se corréler au marché. Il est prêt à investir dans un fonds long/short market neutral pour ne pas prendre le risque de marché mais, si jamais les marchés montent rapidement, il va estimer que la performance n’est pas suffisante. C’est assez paradoxal.
Ces dix dernières années, alors que les marchés évoluaient au gré des politiques de quantitative easing et que les rendements obligataires étaient au plus bas, la gestion passive a été la grande gagnante. Les hedge funds ont pâti d’une mauvaise réputation car ils ont sous-performé la gestion passive. Avec la normalisation monétaire, l’environnement a changé et les hedge funds devraient retrouver une place de premier choix dans les années à venir.
Alexandre Ferci
Nous devons faire preuve de pédagogie pour expliquer à nos clients que notre objectif est de réaliser une performance décorrélée et positive. Il n’est pas judicieux de comparer la performance des fonds à performance absolue à celle des marchés en fin d’année.
Quelles sont les différences entre les fonds flexibles et les fonds à performance absolue ?
Olivier Nobile
L’objectif d’un fonds flexible est de préserver le capital dans un environnement défavorable en réduisant fortement son exposition au marché. A l’inverse, avec des positions longues ou short, un fonds de performance absolue a vocation à performer dans les «bull» et «bear markets».
Thomas Samson
Dans le crédit, les outils ne sont pas forcément les mêmes, mais l’objectif de performance absolue est identique.
Alexandre Ferci
Un fonds flexible a une corrélation positive au marché, ce qui n’est pas le cas d’un fonds de performance absolue.
Olivier Nobile
Contrairement à la gestion à performance absolue, un fonds flexible a un indice de référence. En 2008, les marchés actions ont perdu 45 %. Certains fonds flexibles ont limité la baisse à 10 %, donc ils ont rempli leur objectif de préserver une large part du capital dans un environnement dégradé. A l’inverse, un fonds de performance absolue pouvait afficher une performance de + 10 % parce qu’il avait généré de la performance dans sa partie short.
Thomas Samson
Il est très important de créer un climat de confiance avec les investisseurs. Il faut leur expliquer quelles sont les règles, car la flexibilité que nous proposons via ces stratégies implique que nous pouvons, par exemple, être vendeur du marché («net short»). Il est important de communiquer sur les paramètres et les risques inhérents à la stratégie. D’ailleurs, les investisseurs veulent également voir comment se comporte le fonds en période de nervosité des marchés.
Alexandre Ferci
Investir dans les fonds de performance absolue est aujourd’hui sensé, car nous sommes à la fin des politiques accommodantes et dans un contexte de marchés actions et crédit chers. Nous anticipons plus de volatilité sur fond de remontée des taux. Le comportement des fonds de performance absolue devrait être satisfaisant dans un environnement créant plus d’incertitudes.
Olivier Nobile
Ce qui n’a pas été le cas ces dernières années ! En effet, chaque fois qu’il y a eu du stress sur les marchés, cela n’a duré qu’un ou deux mois avant d’être suivi d’un rallye dû à l’intervention des banques centrales. La gestion des risques n’a vraiment pas été récompensée, raison pour laquelle il y a sans doute une défiance vis-à-vis des hedge funds. Il faut donc faire de la pédagogie envers les investisseurs, surtout quand, dans un passé proche, ils n’ont pas expérimenté de «bear market». Ils préfèrent investir dans la gestion passive : c’est moins coûteux.
Si, sur une année, les marchés actions devaient être orientés à la baisse et le marché du crédit en stress, les investisseurs plébisciteraient alors activement les fonds alternatifs.
Thomas Samson
Quand nous regardons les valorisations sur le marché du crédit, nous constatons que les marchés font preuve de peu de discernement en matière de secteurs et d’émetteurs. Entre la photo du marché en juin 2016, lorsque commence le programme de rachat des obligations corporate par la BCE, et une photo prise aujourd’hui, nous voyons que les spreads sont plus bas, mais aussi que très peu d’obligations traitent à des niveaux de spreads élevés. Il y a peu de primes de risque, ce qui signifie qu’il y a eu un rush de tous les investisseurs pour capturer du rendement là où il y en avait. Les valorisations sont très comprimées. Il y a forcément plus d’opportunités aujourd’hui pour vendre des obligations à découvert qu’il y a deux ans, ce que nous pouvons mettre en place dans une stratégie long/short sur le crédit.
Olivier Nobile
Sur les marchés actions, nous estimons que l’environnement a changé depuis septembre dernier. Nous avons commencé à voir des valeurs être durablement sanctionnées par le marché. Nous l’avons constaté dans les télécoms ou les médias, par exemple, où certains titres sont en fort repli depuis plusieurs trimestres. C’est nouveau, il n’y a plus cette idée que les sociétés fragiles type «value» vont être sauvées par les taux à zéro ou que les marchés actions dans leur globalité vont être portés par les injections de liquidité. Dans les marchés actions, il y a désormais une vraie sélection, raison pour laquelle il commence à y avoir de la génération d’alpha dans les positions short des hedge funds. C’est le cas pour les stratégies long/short actions ou market neutral, mais aussi dans les fonds global macro qui délivrent à nouveau de la performance depuis le début de l’année.
Certains environnements de marché sont donc plus favorables à certaines stratégies…
Thomas Samson
L’environnement actuel est plus favorable, car les investisseurs s’attendent à un retrait progressif des banques centrales du marché du crédit, et donc à moins de soutien systématique des niveaux de valorisation. Depuis cette année, les investisseurs semblent anticiper cette nouvelle phase et ne sont plus systématiquement acheteurs après chaque mouvement de baisse.
Olivier Nobile
Cette année, d’ailleurs, le fameux «buy the dips» a peu fonctionné, contrairement aux années passées. L’environnement a suffisamment changé pour que nous puissions penser que l’âge d’or de la gestion passive et des ETF est derrière nous.
Alexandre Ferci
Les flux sur les gestions passives ont fortement influencé les évolutions des marchés. Les sorties de la gestion passive et, plus précisément, les rachats sur les ETF sont porteurs de risques pour les marchés, mais sources d’opportunités pour les gestions à performance absolue.
Olivier Nobile
Personne ne sait comment vont réagir les marchés à ces fins programmées des QE, ou qui va être en face des rachats sur les gestions passives si l’environnement venait à se dégrader. L’univers des hedges funds, qui constituaient des forces de rappel à la baisse, est aujourd’hui plus faible car les positions et les encours ont fortement baissé. Ces incertitudes plaident pour davantage d’alternatifs dans les portefeuilles.
Alexandre Ferci
Il y a eu des achats indifférenciés des investisseurs, qui se sont tournés vers le risque quelles que soient les classes d’actifs – actions, high yield, émergents… – pour aller chercher plus de performance. Aujourd’hui, nous avons une opportunité plus grande de générer de l’alpha via la performance absolue dans un environnement plus chaotique.
Comment avez-vous abordé l’épisode de volatilité qui a eu lieu en début d’année ?
Thomas Samson
Notre fonds ayant été lancé en novembre dernier, cet épisode a constitué notre premier test. Cela nous a permis de vérifier que les outils mis en place amortissaient les chocs et apportaient vraiment de la valeur ajoutée au portefeuille. Cela dit, le pic de volatilité a été de courte durée et plutôt faible. Mais cela va dans le bon sens.
Olivier Nobile
Si les fonds «risk parity» ont été largement impactés par les mouvements sur la volatilité, les fonds market neutral y ont été majoritairement insensibles.
Alexandre Ferci
Le mouvement de début février vient d’une classe d’actifs qui ne concerne pas notre style de gestion. Il provenait principalement du VIX, sur lequel il y avait beaucoup de positions vendeuses via des ETF achetés massivement, y compris par des particuliers américains. Or, ces produits à levier n’auraient jamais dû être vendus au retail.
Comment communiquez-vous sur les risques propres à ces stratégies ?
Alexandre Ferci
L’indicateur SRRI, mis en avant par l’AMF, est une mesure de la volatilité du fonds. C’est un indicateur de risque passé, mais il doit être représentatif du comportement futur du fonds.
Thomas Samson
Dans le crédit, nous nous référons plus à la notion de volatilité maximale que nous sommes prêts à supporter, puis à l’univers d’investissement. Volatilité et maximum drawdown par rapport au marché sont les deux indicateurs sur lesquels nous communiquons.
Olivier Nobile
En effet, volatilité et maximum drawdown sont les deux indicateurs que les investisseurs comprennent le mieux. En matière de communication, il faut leur expliquer à quel moment la stratégie est performante ou pas et, quand l’environnement se dégrade, ce que le gérant est censé faire. L’investisseur doit comprendre cela pour être en confiance et investir sereinement dans le fonds.
Comment aborder la gestion à performance absolue ?
Alexandre Ferci
Avant toute chose, c’est l’analyse macroéconomique qui conditionne l’intérêt pour ce type de gestion. Force est de constater que ce cycle très porteur pour acheter du risque est terminé. La question de l’allocation globale d’actifs doit se poser dans un environnement où être exposé aux marchés obligataires ou avoir des positions longues sur les actions est de plus en plus compliqué. Recourir à des fonds de performance absolue qui doivent délivrer quel que soit l’environnement est judicieux.
Thomas Samson
En ce qui nous concerne, je pense que les clients qui s’intéressent à notre fonds cherchent d’abord une exposition au crédit alors qu’il y a peu d’opportunités dans cette classe d’actifs. Ces investisseurs doivent allouer une partie de leurs actifs au crédit, mais ils sont très prudents par rapport au niveau des valorisations.
Olivier Nobile
Après pratiquement dix ans de quantitative easing, l’allocation dans les fonds de performance absolue est assez faible. Les investisseurs sont surtout investis dans des fonds ayant un biais directionnel significatif. Nous entrons dans une phase d’interrogation : comment les marchés vont-ils réagir face à la normalisation des politiques monétaires ? Les investisseurs devraient donc réallouer une partie du capital à ces fonds de performance absolue pour diminuer leurs risques sur les fonds directionnels.
Alexandre Ferci
Nous avons constaté que, par crainte d’une remontée des taux, certains investisseurs sortent des fonds obligataires traditionnels pour aller vers des fonds de performance absolue, y compris sur les stratégies actions car le risque porté est sur la gestion et non pas sur le marché. En investissant dans les fonds de performance absolue, l’investisseur envisage donc l’espérance de rendement au regard de la volatilité attendue.
Peut-on considérer les fonds de performance absolue comme une alternative aux fonds en euro dans les contrats d’assurance vie ?
Alexandre Ferci
Dans les fonds de performance absolue, il n’y a pas de garantie en capital !
Olivier Nobile
Il n’y a pas non plus le même niveau de volatilité. Quelques fonds de performance absolue pourraient se rapprocher de ces fonds euro : les fonds multistratégies, qui ont des volatilités de 1, voire 2 %. Mais il n’y a aucune garantie sur la performance. Les fonds de performance absolue peuvent être considérés comme une alternative car ils ont un risque très mesuré et ont vocation à faire plus de performance que les fonds en euro, dont les rendements n’ont cessé de baisser. Face à cette érosion, la question est donc de savoir à quel moment il est préférable de prendre un peu plus de risque pour avoir un meilleur rendement.
Alexandre Ferci
Dans cette optique, la moindre collecte sur les contrats d’assurance vie peut être source d’opportunités pour nos gestions, comme le montrent les flux.
Quels sont les principaux risques et sources d'opportunités
Olivier Nobile
Je considère qu’une nouvelle intervention des banques centrales pourrait perturber les stratégies de capture de tendances. Cependant, ce scénario me semble peu probable désormais : les banquiers centraux ont épuisé beaucoup de solutions et doivent désormais gérer le risque inflationniste.
Alexandre Ferci
La fin de l’intervention des banques centrales sur les marchés va créer plus d’opportunités avec plus de différenciation entre les entreprises, entre les bons et les mauvais élèves. C’est ce qui va nous permettre de générer de l’alpha sur la durée. Quand tout monte de manière indifférenciée, les gérants actifs ont du mal à se distinguer. C’est quand la liquidité se réduit que naissent les opportunités, avec une différenciation des performances boursières entre les entreprises.
Thomas Samson
Il y a peu de crédit avec des spreads élevés. La difficulté consiste à trouver des ventes à découvert qui performent. Le retour de la dispersion est donc favorable, même si, jusqu’à présent, cela reste modéré. Il y a beaucoup d’investisseurs récents et tactiques sur notre classe d’actifs, notamment des investisseurs venant de l’investment grade, qui peuvent investir jusqu’à 20 % dans le high yield. Ces derniers vont acheter des noms connus sur la base du rendement uniquement, sans procéder à une analyse fondamentale poussée. Les valorisations sont donc très serrées. S’ils sortent de la classe d’actifs, attirés par des rendements obligataires plus attractifs ailleurs, notamment sur les obligations d’Etat italiennes, le phénomène inverse d’écartement des spreads pourrait continuer.
Olivier Nobile
Nous passons d’un environnement dans lequel les banquiers centraux géraient le risque pour tout le monde à un environnement où les risques vont être gérés par les gérants. Dans ce contexte, détenir trop de gestion passive est devenu un véritable risque.
Alexandre Ferci
La bonne nouvelle est que la fin du QE est prévue pour la fin de l’année. Les investisseurs ont une échéance et se préparent à ce retour à la normale.
Que représente la gestion à performance absolue dans les allocations ?
Olivier Nobile
Ces derniers trimestres, nous avons constaté plus de demande de la part des family offices, des banques privées et de certains grands institutionnels.
Thomas Samson
Notre fonds ayant un track record de six mois, ce sont surtout les banques privées et les family offices qui ont accompagné son lancement. Toutefois, plusieurs investisseurs institutionnels nous ont d’ores et déjà fait part de leur intérêt pour le fonds.
Alexandre Ferci
De notre côté, nous observons que l’intérêt est assez partagé entre les investisseurs institutionnels et la clientèle privée. Pour les premiers, le processus de décision est plus long, mais il y a une vraie tendance de fond en faveur de ces fonds. Les marchés étant globalement chers, la gestion à performance s’adresse à tous les types d’investisseurs.
Pour l’heure, toutes classes d’actifs confondues (fonds alternatifs, infrastructures, private equity…), cette poche ne représente pas plus de 15 à 20 % des allocations.