Entre les performances contrastées des fonds et les tensions économiques et géopolitiques qui pèsent sur les marchés, le désamour des investisseurs pour l’ISR semble s’installer de façon durable. En témoignent les flux toujours négatifs sur les premiers mois de l’année. Si la communication autour des produits ESG/ISR s’est faite plus discrète, les critères extra-financiers sont désormais bien intégrés au cœur des processus de gestion de la plupart des asset managers européens.
L’élection de Trump en novembre 2024 a accéléré le fossé qui se creuse en matière de finance durable de part et d’autre de l’Atlantique. Les asset managers américains prennent leurs distances, au risque pour certains de perdre des mandats institutionnels importants au profit de leurs concurrents européens. « Si les Etats-Unis et l’Europe adoptent désormais des approches très différentes sur ce sujet, il est essentiel de considérer le reste du monde : l’Asie et l’Amérique latine ont initié un chantier réglementaire en matière de durabilité », soulignait cependant Elodie Laugel, directrice de l’investissement responsable d’Amundi, dans une interview accordée à Funds Magazine en février dernier.
Dans ce contexte, les fonds ouverts et ETF durables ont subi une décollecte record au cours des trois premiers mois de l’année selon Morningstar. Les investisseurs ont retiré un montant estimé à 8,6 Md$, ce qui constitue un revirement brutal par rapport aux 18,1 Md$ collectés au cours du dernier trimestre 2024. En Europe où les flux avaient certes ralenti mais étaient restés positifs, la dynamique s’est même inversée, avec un premier trimestre de sorties nettes de capitaux (1,2 Md$), tandis que les investisseurs américains ont retiré des capitaux pour le 10e trimestre consécutif. « Le premier trimestre de 2025 indique un changement, non seulement au niveau des flux, mais aussi dans la manière dont les stratégies d’investissement durable sont perçues et positionnées sur le marché , constatait fin avril Hortense Bioy, responsable de la recherche sur l’investissement durable chez Morningstar Sustainalytics. Nous observons d’autres signes de consolidation, de changement de marque et de développement prudent de produits, dans un contexte d’intensification de l’hostilité à l’égard de l’ESG aux Etats-Unis, qui affecte désormais aussi sensiblement le sentiment à l’égard de cette offre en Europe. L’appétit des investisseurs pour les fonds ESG continuera d’être mis à l’épreuve dans les mois à venir par un paysage réglementaire en évolution et des tensions géopolitiques croissantes. »
Parmi les dernières évolutions réglementaires en Europe, les sociétés de gestion doivent se conformer, depuis le 21 mai, aux nouvelles règles définies par l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) pour lutter contre le risque de greenwashing en faisant évoluer la dénomination de leurs produits dits ESG. Il n’est plus possible de parler de fonds vert ou ESG sans appliquer des exclusions, ou d’évoquer la notion de durabilité si l’investissement n’est pas conforme aux critères imposés par le règlement SFDR. Selon Morningstar, environ 880 fonds – soit 19 % des fonds du champ d’application – ont changé de dénomination sur un an, dont 508 ont abandonné les termes liés à l’ESG, 304 ont remplacé un terme ESG par un autre, et 68 ont ajouté un terme ESG. « Les fonds passifs ont été touchés de manière disproportionnée, puisqu’ils représentent un tiers (33 %) des produits ayant fait l’objet d’un changement de nom, soit plus du triple de leur présence dans l’univers des fonds du règlement SFDR ».
En plus du cadre réglementaire européen, en France, tous les fonds labélisés ISR ont dû s’adapter à un nouveau cadre référentiel à partir du 1er mars 2024 pour les candidats au label et du 1er janvier 2025 pour ceux qui l’avaient déjà. Un chantier important pour les sociétés de gestion qui ont dû repenser leurs gammes de produits pour s’adapter aux nouvelles exigences, notamment en matière d’exclusions sectorielles et de sélectivité. Ce nouveau label a introduit également la notion de double matérialité inscrite par ailleurs dans les règlements européens SFDR et CSRD. Un an après l’adoption de cette nouvelle version du label, plus d’un tiers des fonds y ont renoncé, nombre de sociétés de gestion ayant estimé les critères trop contraignants pour la gestion.