Longtemps réservée aux institutions publiques, l’éducation financière s’impose aujourd’hui comme un outil stratégique de communication pour un grand nombre d’acteurs. A l’heure où les Français s’informent massivement via les réseaux sociaux, la frontière entre pédagogie et promotion commerciale devient de plus en plus floue.
Les 20 et 21 septembre 2024, Nicolas Chéron, stratégiste boursier aux 150 000 abonnés sur Twitter, organisait le Sommet de l’Investisseur, un événement en ligne au cours duquel il a fait intervenir des gérants, des experts de la finance… et ses partenaires commerciaux. Avec une audience imposante, puisque les 12 heures de live ont rassemblé jusqu’à 20 000 personnes en direct et bien plus en replay. Cet expert de la Bourse, passé par Zonebourse, CMC Markets, Binck, etc., a fait de la pédagogie sa marque de fabrique. Après des années à pratiquer la création de contenus pour ses employeurs, il a finalement décidé de prendre son indépendance. « Pendant 10 bonnes années, j’ai été salarié, avec pour mission de rédiger des contenus, faire des vidéos, des conférences et d’apporter des clés de lecture des marchés aux investisseurs particuliers, résume-t-il. A force de créer des chaînes YouTube, de développer des comptes Twitter et LinkedIn pour des marques, je me suis rendu compte qu’à chaque fois que je changeais de société, je devais repartir de zéro. Le covid aidant, mes propres comptes ont pris de l’ampleur et j’ai alors eu envie de capitaliser sur ma propre image de marque et ma notoriété. » S’il a été précurseur avec une présence sur les réseaux sociaux dès 2010, Nicolas Chéron n’est plus seul sur ce créneau, avec des centaines de comptes d’influenceurs positionnés sur la thématique de l’éducation financière.
Pourtant, il y a peu, ce sujet était encore l’apanage des grandes institutions. En effet, depuis 2016, sous l’impulsion de l’OCDE, la France s’est dotée d’une stratégie nationale d’éducation économique, budgétaire et financière (appelée Educfi) opérée par la Banque de France. Elle s’appuie sur différents relais, dont des institutions, des associations professionnelles et des associations. Le défi est grand tant la réputation des Français en la matière est mauvaise. Les épargnants seraient peu éduqués, averses au risque, trop attachés à l’immobilier et aux livrets, etc. Derrière ces constats, un objectif pointe : « Il faut qu’une partie de l’épargne des Français finance l’économie réelle, affirme Anne Gaignard, directrice générale de Place des Investisseurs (ex-Fédération des investisseurs individuels et des clubs d’investissement, F2iC). C’est un constat partagé au sein de l’écosystème, mais l’essentiel du travail mené porte sur l’offre. Or, il faut aussi œuvrer sur la demande, car il y a un sujet d’acceptation. Les jeunes actifs n’ont pas été formés à l’investissement, donc il faut leur donner des clés de compréhension. » D’ailleurs, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a indiqué dans son plan d’action pour 2024 vouloir définir une stratégie d’éducation financière centrée sur les nouveaux investisseurs, constatant que ces derniers ont tendance à surestimer leurs connaissances financières et à s’informer davantage sur les réseaux sociaux.
«Certains acteurs comprennent qu’il y a un intérêt général dont tout le monde va bénéficier, et d’autres sont plus court-termistes.»
De nouveaux modes de communication
Reste que, pour cette population, le discours officiel et les modes de communication anciens sont difficilement audibles. A contrario, de nouveaux acteurs investissent le terrain des réseaux : influenceurs, conseillers en gestion de patrimoine, créateurs de contenus, sociétés en tout genre (gérants d’actifs, courtiers, fintech, etc.). « Cette tendance est globalement positive dans la mesure où elle permet de parler davantage d’investissement, est un sujet tabou en France, relève Anne Gaignard. Mais il faut trouver un équilibre. Certains acteurs comprennent qu’il y a un intérêt général dont tout le monde va bénéficier, et d’autres sont plus court-termistes. Nous, nous avons un objectif : faire croître la communauté des épargnants et faire en sorte qu’ils soient plus éclairés et actifs. » L’association a lancé fin 2024 un collectif avec 8 acteurs de la place pour rendre l’éducation financière accessible à tous via une plateforme de formation, Investisseurs Academy, qui ouvrira d’ici l’été.
Certains établissements financiers sont particulièrement actifs sur le sujet. « L’éducation financière est un enjeu sociétal majeur et il est de notre rôle d’y participer en tant que première société de gestion européenne, considère ainsi Natacha Andermahr, directrice de la communication d’Amundi. Il existe de grandes disparités en termes de connaissance économiques et financières ; Or, il faut aider les investisseurs particuliers et les encourager à trouver des solutions d’investissement qui leur permettent de financer leur retraite. » Avec l’essor d’une génération do-it-yourself, non conseillée et recourant massivement à des plateformes en ligne, l’enjeu est encore plus marqué. Pour le gérant d’actifs, c’est aussi une question de notoriété. « Nous ne vendons pas de solutions financières en direct, mais nous devons accompagner nos distributeurs, non seulement en leur fournissant des placements, des services et des solutions technologiques, mais aussi en faisant en sorte que leur clientèle finale connaisse Amundi », ajoute Natacha Andermahr.
«Le recours à des prescripteurs n’est pas une nouveauté, ce qui est différent c’est l’utilisation accrue des réseaux sociaux et du digital.»
Les influenceurs en renfort
Elle a donc multiplié les initiatives en la matière, par exemple en réorientant son compte Instagram, en créant une application dédiée à la retraite en Italie, ou encore en créant des vidéos pédagogiques à destination de plateformes partenaires. « Nous travaillons aussi avec des influenceurs, comme notamment Matthieu Stefani, avec qui nous avons monté un programme éducatif diffusé sur TF1 sur des sujets comme les intérêts composés, la diversification, l’ESG, etc., relate Natacha Andermahr. Le recours à des prescripteurs n’est pas une nouveauté, ce qui est différent c’est l’utilisation accrue des réseaux sociaux et du digital. » Dans une étude mondiale intitulée Decoding Digital Investment, le gérant d’actifs constate que le digital est devenu incontournable comme source d’informations, et ce, pour toutes les générations d’investisseurs.
Boosté par l’algorithme, le contenu pédagogique – écrit, audio ou vidéo – est devenu le must pour parler aux investisseurs. De ce fait, la frontière entre l’éducation financière et le marketing est devenue particulièrement poreuse. La Banque de France décerne un label Educfi aux contenus respectant des critères de neutralité, de fiabilité, de gratuité et d’accessibilité. Des associations comme La finance pour tous proposent à la diffusion des contenus indépendants et de qualité. Mais ceux-ci n’intéressent guère, car les sociétés utilisent l’information pour valoriser leurs produits et services. C’est par exemple le cas de la banque allemande Trade Republic, qui recourt aux services de 200 créateurs de contenus, dont 30 rien qu’en France, pour promouvoir l’investissement en ETF et, in fine, de ses services. Nicolas Chéron en fait partie. « L’essentiel de mon chiffre d’affaires provient de contrats à l’année avec des marques qui proposent des outils que je connais bien et avec lesquelles je suis en phase, détaille ce dernier. Il ne s’agit que de marques européennes, de qualité, autorisées par l’AMF et jouissant d’une forte notoriété. De plus, je ne produis pas du contenu en fonction de mes sponsors, mais je propose ma grille de production de contenus à des marques susceptibles d’être intéressées. » Pour lui, les nouveaux arrivants sur le marché doivent avoir la présence d’esprit de refuser des collaborations de faible qualité. « Mon image, c’est mon actif financier en tant que créateur de contenus et je ne dois pas l’abîmer », souligne Nicolas Chéron.
Des règles pour régir l’influence
Les autorités ont progressivement bâti des règles pour encadrer l’influence. La profession d’influenceur est ainsi reconnue juridiquement en France depuis le 9 juin 2023. La loi définit qu’un influenceur est une personne qui utilise sa notoriété pour communiquer des contenus promotionnels auprès de son audience contre une rémunération financière ou en nature. Elle leur impose différentes obligations, notamment de transparence. Ainsi, ces derniers doivent indiquer clairement une mention publicité, collaboration commerciale ou contenu sponsorisé, le cas échéant. Dans le cas spécifique de la finance, l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) ont créé un certificat de l’influence responsable dans la finance. Les deux autorités ont mis en place un parcours pédagogique sur les règles s’appliquant dans le secteur des produits et services financiers, qui vient compléter un module généraliste. Elles y détaillent notamment les règles à respecter en matière de communication sur une offre d’investissement. Mais les sanctions sont encore rares et peu sévères.