Table ronde

La clientèle privée est-elle prête à investir dans le non coté ?

Publié le 30 juin 2025 à 16h24

Catherine Rekik    Temps de lecture 28 minutes

Avec la loi Industrie verte, les pouvoirs publics ont confirmé leur volonté de flécher l’épargne des Français vers le non coté. Depuis janvier, les sociétés de gestion multiplient les lancements de nouveaux produits à destination du retail, sous différents formats (FCPR, fonds evergreen, fonds mixtes cotés/non cotés…). Le non coté permet de mieux orienter l’épargne vers des sujets liés au climat, à la transition énergétique ou les besoins importants en matière d’infrastructures, mais le développement de l’offre suffira-t-il à créer la demande ? Quel est l’intérêt pour les clients privés d’allouer une partie de leur épargne sur ces produits ? Quels sont les obstacles à surmonter : référencement des produits, pédagogie auprès des intermédiaires et conseillers, et vis-à-vis du client final, complexité des produits pour ce type de clients, problématique de la liquidité pour des produits souscrits en assurance vie ? Que peut-on attendre en termes de rendement pour les produits destinés au retail ? 

Les intervenants :

  • Alexandra Tixier, responsable de la gestion impact private credit, Allianz Global Investors
  • Xavier Le Blan, directeur Innovation & gestion privée, Swen Capital Partners
  • Charlotte Lavit d’Hautefort, directrice dette infrastructure, Arkéa Asset Management
  • Yves Desjardins, head of Western Europe & directeur général, Schroders France

L’offre de fonds investis dans des actifs non cotés à destination du retail s’est enrichie ces dernières semaines. Quels en sont les catalyseurs ?

Charlotte Lavit d’Hautefort : Le développement de cette offre s’inscrit dans un contexte dans lequel il faut prendre à bras-le-corps de nombreux enjeux très structurants. Nous devons faire face à la transition écologique, mais aussi digitale, avec les révolutions provoquées par l’intelligence artificielle. Notre modèle de société est en train d’évoluer avec de grands changements dans les équilibres qui obligent à repenser les questions d’autonomie, d’indépendance, de souveraineté. La plupart des enjeux auxquels nous faisons face nécessitent notamment des investissements en infrastructures. Or nous savons que les Etats ne vont pas être en mesure de les financer, d’où un besoin important de recourir à l’épargne privée. Au niveau de la gestion, nous élargissons donc l’offre pour capter cette épargne des particuliers et l’orienter vers le financement de ces investissements essentiels. Depuis une vingtaine d’années, ce sont les investisseurs institutionnels qui ont complété le financement bancaire traditionnel en Europe. Aujourd’hui, en France, avec les lois Pacte et Industrie verte, le contexte politique favorise le fléchage de l’épargne vers ce type d’investissements. C’est vrai aussi au niveau européen avec la version 2.0 du label ELTIF, dont la vocation est de flécher l’épargne vers les investissements de long terme qui répondent aux objectifs européens. C’est une évolution du marché très prometteuse.

Yves Desjardins : Durant de nombreuses années, les investisseurs institutionnels ont participé au financement des infrastructures, notamment sur la partie dette, mais ce marché n’est plus en croissance. Aujourd’hui, ces allocations ont atteint un certain seuil dans les portefeuilles des clients et désormais ils remplacent uniquement les millésimes. Une évolution de la réglementation Solvency II est en cours et pourrait leur permettre d’allouer plus à cette classe d’actifs, mais, en attendant, pour les asset managers, le segment de l’épargne privée devrait prendre le relais. Ce qui est intéressant avec la loi Industrie verte, en dehors de l’obligation d’intégrer des actifs privés dans la gestion profilée, c’est d’avoir permis la création de véhicules plus adaptés pour certaines typologies d’actifs comme la dette d’infrastructures.

Alexandra Tixier : Les particuliers sont désireux d’investir dans des projets très concrets, que ce soient les infrastructures ou la dette privée corporate, qui financent des entreprises en transition. En tant qu’investisseurs, nous incitons ces entreprises à améliorer leur politique environnementale ou sociale. Nous sélectionnons également des entreprises qui ont un impact mesurable et tangible sur ces enjeux. Les clients particuliers vont pouvoir y investir aux côtés des institutionnels au travers de stratégies qui ont bénéficié de processus de sélection rigoureux réalisés par ces derniers.

Xavier Le Blan : L’investissement dans le non coté est porteur de sens pour les particuliers. Déjà exposés à ces classes d’actifs via les fonds en euro, ils peuvent désormais y accéder directement. Une fois qu’ils ont intégré l’idée d’investissement, et plus seulement d’épargne, ils sont en quête de rendement et de sens. Pour les inciter à franchir le pas, il est essentiel d’améliorer l’expérience offerte à l’investisseur final et de garantir que les produits proposés délivrent leurs promesses. Les particuliers ont déjà vécu des désillusions dans le passé et récemment, avec la crise de l’immobilier et de la pierre papier (SCPI). Les premiers acteurs à lancer des offres pour le retail ont donc une responsabilité à assumer, sous peine de freiner l’ensemble du secteur. Par ailleurs, l’investissement dans le non coté, notamment dans les infrastructures, finance directement de nouveaux projets, contrairement au marché coté où ce sont surtout des titres qui s’échangent. Les actifs privés permettent d’avoir plus d’impact et offrent un levier concret, à terme, pour agir sur l’économie réelle et le financement des enjeux environnementaux et de souveraineté.

«Ouvrir la classe d’actifs infrastructures aux clients privés permet d’apporter de la diversification.»

Charlotte Lavit d’Hautefort directrice dette infrastructure ,  Arkéa Asset Management

La quête de sens des épargnants a déjà été mise en avant par le passé pour promouvoir, par exemple, les fonds labélisés ISR dont ils se sont détournés dès que sont apparus des produits plus rentables. Pourquoi pensez-vous que le non coté va mieux répondre

Yves Desjardins : De façon générale, pour les actifs cotés, l’approche thématique, la labélisation ou l’article 9 du règlement SFDR ont été privilégiés pour aboutir à une offre de fonds ultra-concentrés sur quelques titres à un moment donné. L’effet performance a emporté la plupart de ces fonds et, dans ce cas-là, un principe de réalité s’impose, y compris aux investisseurs les plus désireux de donner du sens à leur épargne. Autre inconvénient : il n’y avait pas de grille de lecture commune à tous ces produits, et c’est une des principales différences avec le non coté. Dans le financement de projets d’infrastructures ou dans les fonds de dette privée, l’approche est également plus diversifiée. Pour reprendre un argument avancé précédemment, les premiers asset managers à se lancer ne doivent pas se tromper sur la promesse de performance, ni sur les frais ni sur la vitesse à laquelle les capitaux sont déployés. Si les actifs sont trop concentrés, le déploiement ne sera pas rapide ou les capitaux seront mal déployés.

Xavier Le Blan : Les épargnants ont connu de fortes déceptions à cause des performances de certains fonds thématiques depuis 2 ou 3 ans mais, peut-être, que d’ici 5 ou 10 ans, ces investissements se révéleront pertinents… La grande force du non coté est de s’inscrire d’emblée dans le temps long sans s’inquiéter de la façon dont varient les prix des actifs ni y être soumis en permanence.

Alexandra Tixier : Le non coté répond mieux à la recherche de sens. Dans les marchés privés, notre rôle d’investisseur est bien plus important que dans les marchés publics, car nous avons accès aux équipes de direction à qui on peut expliquer notre propre quête de sens, les raisons pour lesquelles nous allons investir et comment nous pouvons les accompagner sur le long terme d’un point de vue transition durable. Nous les conseillons pour avoir un impact beaucoup plus significatif sur le changement climatique, la préservation de notre environnement, un meilleur accès aux soins de santé, etc. Détenir des actions d’une société cotée ne donne pas du tout le même poids que lorsqu’on est le principal prêteur ou investisseur dans une société privée.

En ce qui concerne la volatilité, en effet, les marchés privés réagissent beaucoup moins fortement aux variations des marchés publics. Il y a toujours un temps de décalage et les réactions sont moins violentes, donc ces actifs apportent un peu plus de stabilité et de sérénité. Et un surcroît de rendement en raison de leur caractère illiquide. Ainsi que des protections contre le risque de perte en capital provenant de la capacité des équipes d’investissement dans les marchés privés à négocier une documentation sur mesure, avec des covenants qui permettent d’anticiper les éventuelles difficultés. Toute la difficulté pour les asset managers va être de trouver un moyen de concilier les perspectives de rendement de ces investissements de long terme tout en respectant les contraintes réglementaires de l’assurance vie et la nécessité d’offrir une certaine liquidité.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Ouvrir la classe d’actifs infrastructures aux clients privés est une bonne chose, car elle permet d’élargir la palette de produits disponibles et d’apporter de la diversification, ce qui est toujours un plus dans un portefeuille. Il convient de rappeler que ces produits n’étant pas sans risques et avec une liquidité réduite, ils doivent s’inscrire dans une optique de diversification. L’aspect risque est aussi intéressant, il est plutôt mesuré puisque les infrastructures sont des actifs contracycliques et naturellement protégés contre l’inflation. Dans les phases de crise, les infrastructures restent opérationnelles et sont soutenues par les pouvoirs publics. La dette infrastructure est un actif très stable en termes de risque mais aussi de rendement. Cela confère à la classe d’actifs de la visibilité et de la stabilité à long terme. A la performance financière s’ajoute la performance extra-financière. L’investisseur connaît précisément le projet qu’il finance. Il est possible de mesurer l’impact et l’additionnalité de ces financements, le nombre de tonnes de CO2 évitées, de kilowattheures verts produits, de populations desservies par la nouvelle infrastructure de réseau de fibre par exemple, etc. C’est très concret pour l’épargnant. 

Xavier Le Blan : Autre avantage des actifs non cotés : que l’on soit investisseur en capital ou en dette, si l’entreprise est en difficulté, il est plus facile de réunir trois ou quatre personnes autour d’une table pour trouver une solution alors que sur un marché coté, dès que l’information est connue, les actionnaires vendent les titres, ce qui peut avoir des effets très violents. Par ailleurs, la plupart des intervenants vont nous demander d’avoir de la liquidité en permanence dans le cadre d’une assurance vie, car c’est rassurant. Or, il faut rappeler que les épargnants restent investis en moyenne entre 8 et 10 ans dans le cadre de ce type de produits, et parfois bien plus longtemps dans un PER. Il est donc essentiel d’intégrer cette logique d’investissement à long terme, mais aussi cette capacité à avoir plus d’impact sur la gouvernance et sur les orientations d’une entreprise.

«Il faut pouvoir investir les capitaux collectés et donc être sérieux sur les montants levés et la vitesse de déploiement pour ne pas être déceptif sur la performance.»

Yves Desjardins head of Western Europe & directeur général ,  Schroders France

Les lancements de nouveaux fonds se multiplient depuis le début de l’année, même si l’offre reste encore confidentielle. Différents formats de fonds sont proposés, avec ou sans label Eltif 2.0. Quelles sont les différences entre ces produits ?

Xavier Le Blan : FCPR, FPS, label Eltif ou pas… Ces distinctions ne sont pas essentielles, l’important est que la réglementation autorise la création de produits non cotés faciles d’accès pour le client final. Cela peut avoir une incidence pour les asset managers et les assureurs, mais le format des fonds ne nous paraît pas un élément différenciant dans le cadre d’une communication destinée aux particuliers.

Yves Desjardins : Les lancements de produits ne sont pas si nombreux. Il y a 700 sociétés de gestion en France plus les acteurs étrangers et, à fin mars, une vingtaine de fonds seulement ont été agréés par l’AMF. Trouver la bonne enveloppe juridique est complexe. Chez Schroders, nous avons passé de longs mois à discuter avec les autorités compétentes pour que les Fonds Professionnels Spécialisés (FPS) puissent être éligibles à la dette privée, car le format FCPR ne nous paraît pas adapté pour offrir cette classe d’actifs à la clientèle retail, surtout quand il s’agit de dettes infrastructures convertibles en actions. En ce qui concerne le label Eltif 2.0, son intérêt réside dans la possibilité de le commercialiser partout en Europe, ce qui est plutôt bien pour un acteur international, d’autant que l’appétence pour les actifs privés est perceptible sur d’autres marchés comme l’Italie, l’Espagne ou le Portugal. En France, il faut que le produit soit éligible à l’assurance vie sinon on rate entre 70 et 80 % du marché.

Xavier Le Blan : Le FCPR, qui existe depuis longtemps, permet d’investir en capital-investissement. Le label Eltif 2.0 apporte une solution et des assouplissements ouvrant notamment la voie à l’investissement en dette privée. Un des enjeux d’ailleurs était de pouvoir offrir toutes les classes d’actifs au travers de différents véhicules adaptés. Mais un obstacle demeure : il n’y a pas d’uniformisation des marchés européens, et le protectionnisme est quasi systématique dans chaque Etat. Par exemple, en France, le code des assurances ne permet pas à un fonds Eltif de droit luxembourgeois d’être éligible à l’assurance vie française. Inversement, un véhicule français n’est pas éligible à l’assurance vie luxembourgeoise ou allemande.

Yves Desjardins : Entre les deux versions du label Eltif, il y a une évolution majeure qui concerne le poids maximum par sous-jacent, de 10 % à 20 %. Cela simplifie le travail pour les asset managers et permet de proposer des fonds de fonds ou de faire du co-investissement. Au niveau européen ou au niveau français avec la loi Industrie verte, les donneurs d’ordre ont pris en compte ce qui n’avait pas fonctionné dans la précédente version du label et travaillent déjà sur des évolutions et sur la création d’un futur label Finance Europe qui devrait être annoncé prochainement.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Plusieurs options sont possibles en fonction des stratégies, plutôt equity ou plutôt dettes, et des enjeux de distribution, qu’elle soit domestique ou européenne. La réglementation a ouvert le champ des possibles. Nous ne sommes qu’au début de cette retailisation de l’offre, donc on verra au fur et à mesure quel est le format qui va s’imposer en raison de sa souplesse, de sa simplicité, de la facilité d’obtention de l’agrément et de sa capacité à suivre l’évolution de la réglementation. En général, les produits lancés sont de type evergreen, donc avec des durées très longues. La question est de savoir comment nous allons gérer ces produits dans le temps, comment ils vont s’adapter à de nouvelles contraintes réglementaires, etc.

Alexandra Tixier : En fonction des stratégies proposées, il revient à chaque asset manager le choix du format le plus adapté aux contraintes réglementaires et aux besoins du client. Nous avons toutefois des efforts de pédagogie à faire vis-à-vis des clients privés. Ça fait partie du challenge que nous devons relever. Au quotidien, il faut être sur le terrain auprès de cette clientèle, ce qui est très différent d’une levée de fonds auprès de clients institutionnels, avec un nombre restreint d’interlocuteurs. Pour proposer cette offre au retail, il y a des barrières à l’entrée, car il faut avoir accès à un large réseau de distribution avec des CGP et des commerciaux sur le terrain auxquels, en tant que société de gestion, nous devons expliquer les caractéristiques du produit. La formation est aussi une des clés de la réussite de la distribution de ces fonds.

Charlotte Lavit d’Hautefort : La commercialisation des actifs privés à destination du retail impose une réorganisation des sociétés de gestion et de toute la chaîne de valeur. Il faut s’adresser à des intervenants différents, s’assurer qu’on peut offrir un parcours client simple, facilement compréhensible, rapide à exécuter, voire digitalisé. C’est un gros changement pour les acteurs du non coté, qui s’inspirent de la gestion classique, liquide, qui ont un savoir-faire en matière de distribution. Gérants, assureurs et distributeurs vont devoir travailler ensemble pour commercialiser ces nouveaux produits en faisant preuve de pédagogie.

«Nous avons des efforts de pédagogie à faire vis-à-vis des clients privés. Ça fait partie du challenge que nous devons relever.»

Alexandra Tixier responsable de la gestion impact private credit ,  Allianz Global Investors

Les contraintes imposées par la réglementation pour les produits destinés au retail impactent-elles la façon dont vous gérez ces classes d’actifs pour des investisseurs institutionnels ? La promesse de rendement est-elle la même ?

Charlotte Lavit d’Hautefort : Le client institutionnel est investi dans un fonds fermé avec un horizon long, 10, 15 ou 20 ans, alors que le particulier va souscrire à un produit semi-liquide. Cela va évidemment introduire une différence dans la gestion de ces produits pour assurer une liquidité, alors que les actifs sont par nature illiquides. Pour la dette infrastructure par exemple, le fonds ouvert aux particuliers investit en parallèle avec le fonds institutionnel sur les mêmes actifs, et la différence portera sur la gestion de la liquidité. Pour offrir cette liquidité, il va falloir définir en amont certains paramètres comme les pourcentages liquides à chaque date de sortie. Le produit final ne peut donc pas être le même que celui proposé aux investisseurs institutionnels ; la liquidité et les coûts de distribution vont générer un biais et le rendement ne sera pas le même.

Yves Desjardins : Du côté des investisseurs institutionnels, nous constatons toutefois chez certains une tendance à aller également vers des mandats evergreen plutôt que d’investir dans des millésimes successifs. Chez Schroders, d’un point de vue gestion, le fonds evergreen pour le retail va investir dans les fonds fermés et va co-prêter à côté de ces fonds. Le travail du gérant en matière de sourcing, d’analyse des dossiers, de négociation des termes est exactement le même. C’est une façon d’optimiser le travail de l’équipe de gestion qui a aussi un impact important sur la partie frais. Il n’est ainsi pas possible de justifier des frais plus élevés au simple titre de la gestion financière sur un fonds retail et d’en pénaliser de la sorte la performance. En revanche, la poche de liquidité nécessaire pour un fonds à destination du retail introduit une différence importante avec l’offre destinée aux institutionnels. En ce qui concerne l’impact de la liquidité sur la performance, les fonds de dette privée sont mieux placés que les fonds equity, car il y a plus d’actifs éligibles à cette poche de liquidité qui offrent des coupons et des remboursements à moins d’un an. Cela permet d’éviter la dilution qu’il peut y avoir sur les FCPR equity.

Alexandra Tixier : Sur la partie investie, le rendement brut est en effet en ligne avec celui des institutionnels. En net, il sera différent en raison des frais de distribution…

Yves Desjardins : La différence tient en effet aux frais du distributeur, car rien ne justifie, selon moi, que l’asset manager augmente les frais sur ces produits en dehors de l’accompagnement commercial et marketing des réseaux.

Xavier Le Blan : La question est de savoir si la distribution ne va pas capter l’essentiel de la valeur créée par ces produits. Car je ne pense pas que les asset managers ont des marges plus élevées sur les produits retail que sur les fonds institutionnels. Chez Swen Capital Partners, nous venons du monde institutionnel et nous proposons aujourd’hui du co-investissement avec l’ensemble de nos plateformes. Ce qui n’est pas le cas de sociétés de gestion dédiées à l’activité retail, avec des investissements qui ne sont faits que pour cette clientèle. Co-investir au côté d’un investisseur institutionnel n’est pas une garantie, cela ne signifie pas que le deal est de qualité mais, en revanche, il y a un alignement de l’ensemble des parties. Par ailleurs, pour les fonds d’infrastructures en capital investissement, nous sommes capables de trouver de la liquidité et d’apporter des solutions au client final. Vendre une position n’est pas un problème, mais la vraie question est à quel prix ? Lorsqu’on dispose d’une plateforme assez large, il y a d’autres options. Pour les petites sociétés de gestion qui se lancent dans le non coté, même avec des produits de très bonne qualité, cette gestion de la liquidité peut être un problème. Les banques et les assureurs qui vont distribuer les produits doivent en être pleinement conscients et prendre cela en considération.

Yves Desjardins : Quel que soit le format proposé et bien que des poches de liquidité soient prévues, il faut être clair : ces fonds ne sont pas liquides ! Même la notion de semi-liquidité peut prêter à confusion. Ce sont des fonds destinés à des enveloppes d’épargne ayant des horizons de long terme. Personne n’a besoin d’une liquidité bimensuelle même si nous la mettons en place en réponse à la demande des assureurs et pour répondre à des situations spécifiques (acquisition d’un bien immobilier, décès.).

Alexandra Tixier : Chez AllianzGI, nous avons géré la question de la liquidité en proposant aux particuliers un produit qui permet d’avoir accès au bilan d’un de nos assureurs qui est investi sur les marchés privés. Si le client souhaite sortir, l’assureur reprend sa position.

Xavier Le Blan : Pour revenir à la question du rendement des produits pour le retail, en prenant en compte la poche de liquidité représentant 10 % de l’allocation, la capacité à investir, la vitesse de déploiement des capitaux, etc., l’exposition se situera entre 70 et 90 % et donc produira entre 70 et 90 % de la performance brute des sous-jacents. C’est là que se situe l’écart avec la performance pour les institutionnels, en plus des frais de distribution associés. En résumé et concrètement, si la performance brute se situe entre 12 ou 14 %, le client final obtiendra un rendement situé autour de 7 % à 8 % avant déduction des frais du contrat d’assurance vie.

Charlotte Lavit d’Hautefort : En contrepartie de la liquidité qu’il garantit sur les UC, l’assureur va demander à ce que le produit sélectionné ait sa propre poche de liquidité. Ce fonctionnement propre à l’univers du retail crée un biais par rapport aux produits institutionnels et un rendement différent. Mais à part tous ces sujets d’ingénierie financière, le sous-jacent de l’investissement est le même. En co-investissement, la promesse est d’ouvrir aux particuliers un produit qui, jusqu’à présent, a été réservé aux institutionnels et de bénéficier d’un rendement assez proche de ce marché institutionnel. Il ne faudrait pas que la structuration du produit et toutes les complexités juridiques, de souscription ou autre altèrent cette promesse initiale.

En plus de la pédagogie nécessaire pour assurer le succès de la distribution, quels sont les autres obstacles à la commercialisation que vous avez identifiés (complexité des produits, lenteur des référencements…) ?

Yves Desjardins : Les actifs privés sont peut-être difficiles à appréhender, mais je n’ai pas le sentiment que la formation que nous allons devoir faire dans les réseaux pour les aider à expliquer ces produits au client final soit très différente des besoins de pédagogie sur les marchés cotés. Le niveau de connaissance financière en France est très faible. Il faut vraiment réfléchir à ce sujet et trouver des solutions permettant une meilleure compréhension des différentes classes d’actifs cotées ou non cotées.  

Xavier Le Blan : Partout en Europe, l’éducation financière reste un enjeu majeur. Aux Etats-Unis, les particuliers épargnent pour financer leurs retraites. Les Français, eux, pourraient changer de comportement si le système de retraite par répartition était remis en cause. Si la logique de retraite par capitalisation s’impose au niveau européen, cela ouvre d’autres perspectives pour le financement à long terme de nos infrastructures et de nos entreprises. Par ailleurs, je suis convaincu que les particuliers comprennent, dès lors qu’on leur explique clairement les enjeux. 

Yves Desjardins : Le référencement chez les assureurs fait également partie des points de blocage. Le processus est long, il ne peut pas vraiment débuter tant que le prospectus n’a pas été agréé ou tant que le fonds n’est pas lancé. Certains éléments ne rentrent pas dans la chaîne de traitement des assureurs dont les systèmes informatiques datent d’ailleurs un peu. Il faut également pouvoir répondre aux demandes des banques privées ou des groupements de CGP. Nous sommes ainsi confrontés à des obstacles et des limitations techniques qui ne relèvent pas de nos compétences d’asset managers. 

Charlotte Lavit d’Hautefort : Nous sommes confrontés aux mêmes problèmes ! Nous réfléchissons au lancement d’un fonds evergreen sur la dette infrastructure qui serait vendu également par nos réseaux, mais pour cela il faut modifier la chaîne de traitement du conseiller et faire des développements informatiques qui prennent du temps. L’effort d’adaptation est important.

Xavier Le Blan : Chaque nouveau produit référencé par un assureur nécessite pratiquement un développement spécifique par rapport aux produits traditionnels. Les assureurs ne sont pas prêts, mais ils ont raison de prendre le temps nécessaire pour que les référencements se fassent dans de bonnes conditions, qu’il n’y ait pas de complications ensuite ou de déception au niveau des clients au moment de la souscription ou d’un rachat par exemple.

«Il est essentiel d’améliorer l’expérience offerte à l’investisseur final et de garantir que les produits proposés délivrent leurs promesses.»

Xavier Le Blan directeur Innovation & gestion privée ,  Swen Capital Partners

Les assureurs risquent-ils de se montrer très sélectifs et donc de référencer peu de produits ? Par ailleurs, n’est-ce pas prématuré de communiquer sur des produits qui, finalement, ne seront pas accessibles avant plusieurs mois ?

Yves Desjardins : Je ne pense pas que les assureurs vont restreindre les référencements. Ils sont aussi un peu contraints par la demande qui émane de leurs réseaux de distribution ou des CGP. Dès qu’un produit est lancé, la demande est là. Il y aura donc du choix dans les contrats d’assurance vie mais… pas avant début 2026, car les assureurs n’ont pas les ressources pour aller plus vite.

Xavier Le Blan : Pour l’instant, il y a de la communication autour de ces lancements, mais les flux sont modestes. On peut légitimement se demander pourquoi les épargnants privilégient toujours l’assurance vie au lieu d’investir en direct et éviter ainsi tous les frais associés. En réalité, en France, hors capital retraite, 90 % de l’épargne est en assurance vie, donc nous n’avons pas d’autre choix que de mettre à disposition des produits adaptés et donc un peu différents des stratégies initiales pour pouvoir coller aux règles spécifiques de l’assurance vie, tout en répondant à une potentielle demande.

Yves Desjardins : Je ne pense pas qu’il soit prématuré de parler de l’offre de fonds non cotés. Pour être présent auprès des assureurs, étant donné les délais de référencement, mieux vaut se positionner très en amont. Si vous voulez être présent sur l’épargne retraite, sur les PERCO prévus pour juin 2026 mais qui seront prêts dès ce second semestre, il faut communiquer très tôt pour être sûr de rentrer dans les chaînes de traitement et dans la sélection des produits.

Le risque est qu’en parler suscite des appels entrants, de groupements de CGP, par exemple, qui veulent savoir si le fonds est disponible et auxquels il faut répondre que le bulletin de souscription en nominatif n’est pas tout à fait prêt. Là, en effet, on prend le risque de décevoir une demande que nous ne pourrions pas traiter pour des problématiques d’infrastructures de marché.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Former les équipes et faire de la pédagogie auprès du client final prennent du temps. C’est le travail que nous faisons actuellement. C’est un investissement que tous les acteurs du marché réalisent pour que le non coté rentre dans les habitudes, dans les portefeuilles, dans les catalogues de produits de l’ensemble des acteurs du marché. Quand on ne parle que du produit, les clients sont intéressés. Ce n’est pas plus compliqué de parler d’investissement dans l’infrastructure que d’un autre produit, sauf que l’offre est nouvelle, qu’il faut construire tout le parcours et embarquer l’ensemble des acteurs, y compris sur des sujets très opérationnels, très techniques, qui vont ensuite permettre de diffuser ces stratégies.

Alexandra Tixier : Pour répondre au besoin de pédagogie et de quête de sens, il est important de mettre en avant des exemples. Dans les réseaux d’Allianz, les agences disposent d’affiches sur les projets ou les entreprises financées pour pouvoir expliquer concrètement les investissements et nourrir d’exemples nos agents et les clients. Autres points qui méritent d’être abordés : le timing et la capacité d’investissement. En effet, lorsqu’on lance un produit auprès des clients particuliers, il va falloir investir rapidement les flux collectés. Si on investit dans les fonds fermés, il y a des périodes de fundraising qui arrivent à une certaine échéance, et il faut donc prendre cela en compte dans le timing de la levée. Se préparer en amont avec un calendrier très clair permet de choisir avec précision dans quel fonds investir au moment de la collecte. Si la période de fundraising d’un fonds se termine, il va falloir en choisir un autre ou attendre qu’un nouveau millésime soit prêt. Et attendre le vintage suivant sur la dette privée, cela revient à attendre que le fonds soit investi à 70 %, donc environ 2 à 3 ans après la fin de la période de levée de capitaux. Donc le timing est vraiment essentiel, car si on collecte et qu’on n’investit pas, la performance sera décevante. Il faut trouver les bonnes stratégies et les bons véhicules sous-jacents qui vont être alignés sur le calendrier.

Xavier Le Blan : Nous investissons avec une vision de long terme et non pas pour les six prochains mois. On est dans une logique de temps long, car ce marché est important aussi bien en termes de transfert de richesse que d’ouverture au travers des retraites par capitalisation. Le potentiel est considérable mais aujourd’hui, peu d’acteurs parviennent à collecter de manière significative. C’est donc important de positionner dès le départ, au risque sinon de rater les premiers flux.

Yves Desjardins : Je suis convaincu que le marché sera diversifié, car il y a un principe de réalité : il faut pouvoir investir les capitaux collectés et donc être sérieux sur les montants levés et la vitesse de déploiement pour ne pas être déceptif sur la performance. Ça, c’est un point important. Par ailleurs, avec la crise récente de l’immobilier, certains assureurs ont compris le risque d’avoir une offre concentrée sur quelques acteurs uniquement. Nous savons cependant, par expérience sur les marchés cotés, qu’en matière de distribution, le « winner takes all ». Il y a toujours une prime pour le premier à condition de ne pas se louper.

Quelle part un client privé doit-il allouer aux actifs privés dans son portefeuille ?

Yves Desjardins : Si un client privé veut s’exposer aux actifs non cotés, il doit avoir une approche diversifiée. S’il a un montant à investir à un horizon de 10 ans ou 15 ans, il a tout intérêt à privilégier les marchés privés. Il doit évaluer ses besoins et structurer son portefeuille en conséquence. Aux Etats-Unis, selon la taille du portefeuille, les actifs privés représentent entre 15 à 40 %. Pourquoi ce ne serait pas le cas en Europe aussi à moyen terme ? Tout dépend également de la sensibilité du client au risque et à la volatilité. S’il ne supporte pas de voir son portefeuille encaisser des chocs de marché, mieux vaut être exposé uniquement à des actifs non cotés.

Charlotte Lavit d’Hautefort : Les investisseurs institutionnels ont des expositions qui varient entre 10 et 15 % de leurs portefeuilles. En France, selon les institutions, c’est plutôt dans le bas de cette fourchette alors qu’au Canada par exemple, ça peut aller jusqu’à 40 %. Quel que soit le type de client, il faut comprendre ses besoins et son horizon de temps. La diversification est importante, car tous les actifs privés n’ont pas le même cycle. Il faut donc bien gérer son horizon de temps, diversifier puis travailler avec des gérants expérimentés qui ont un track record, de la crédibilité et des reins solides pour pouvoir accompagner les cycles. Par ailleurs, dans la loi Industrie verte, il y a des indications sur les fourchettes d’allocation sur les actifs privés (immobilier, la dette corporate, les infrastructures, le private equity) en fonction des profils de risque.

Alexandra Tixier : Pour une meilleure diversification, il est intéressant aussi de combiner investissement direct et indirect.

Xavier Le Blan : Il est notable de voir le retour en grâce des fonds de fonds qui, du fait de leur diversification très forte, conservent des poches d’efficience permettant, notamment, de rembourser plus vite. Ces véhicules sont intéressants, car ils ont montré toute leur pertinence et efficacité dans la période actuelle. La diversification apparaît plus que jamais comme l’un des meilleurs leviers de résilience et d’efficacité. 

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Expertises

La démocratisation du non coté s’accélère

Portées par une réglementation proactive, les offres de fonds sur le non coté se multiplient, la…

Carole Leclercq FUNDS 26/06/2025

Parole d’expert - Allianz Global Investors

« La dette privée apporte de la diversification dans les portefeuilles et elle offre des rendements potentiellement très attrayants »

Capitalisant sur son expertise acquise de longue date dans le domaine de la dette privée, Allianz…

Allianz Global Investors FUNDS 26/06/2025

Parole d'experts - Covéa Finance

« De nouvelles perspectives s’ouvrent pour les petites et moyennes capitalisations »

Ces dernières années, les performances boursières des petites et moyennes valeurs européennes ont…

Covéa Finance FUNDS 30/06/2025

Parole d’expert - Schroders

« La dette d’infrastructure nous semble adaptée pour permettre aux particuliers d’accéder à une approche prudente de l’investissement dans le non coté »

Schroders Capital a décidé de mettre à profit l’ouverture du marché des actifs non cotés vers la…

Schroders FUNDS 26/06/2025

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