Soumise à d’âpres débats, la réforme du label ISR intègre notamment une exclusion partielle du secteur des énergies fossiles et une plus grande sélectivité. Les gérants estiment ainsi que les écarts de performance des fonds labellisés avec les grands indices devraient s’accroître et réfléchissent à la pertinence de conserver de larges gammes.
Annoncé le 12 décembre dernier, le nouveau référentiel du label ISR pourrait profondément transformer le marché français des fonds durables en réduisant le nombre de fonds éligibles au label. Cette réforme, qui est entrée en application au mois de mars dernier pour les nouveaux fonds et sera effective au premier trimestre 2025 pour les fonds déjà labellisés, inclut 3 évolutions majeures qui rendent le label plus exigeant. Dorénavant, le charbon, mais aussi les entreprises engagées dans de nouveaux programmes d’exploration dans le pétrole et le gaz seront exclus. Toujours dans un souci de préservation du climat, les entreprises appartenant aux secteurs les plus émetteurs ne seront éligibles que si et seulement si elles ont élaboré des plans de transition. Enfin, le nouveau label augmente le niveau d’exigence en matière de critères ESG (environnement, social et gouvernance) dans la mesure où au lieu d’exclure 20 % des entreprises les moins bien notées sur la base de ces critères, le seuil grimpe à 30 %.
Ces changements seront plus ou moins difficiles à mettre en œuvre. Selon les gérants, les plans de transition ne devraient pas créer de difficultés particulières, car la plupart des grands groupes ont déjà engagé des travaux sur le sujet.
Concernant l’exclusion des énergies fossiles, des groupes très représentés dans les fonds européens à l’image de TotalEnergies ne seront plus éligibles. Morningstar a publié une étude sur le sujet le 15 novembre 2023, indiquant que 45 % des fonds qui disposent du label ISR français étaient investis dans les énergies fossiles (gaz et pétrole), les cessions pour être en conformité pouvant aller jusqu’à 7 Md€! Ces chiffres ont depuis été nuancés. « Le label ISR a finalisé ses critères en décembre dernier et confirmé que parmi les entreprises engagées dans les énergies hydrocarbures, seules celles qui développent de nouveaux gisements devront être exclues, précise Hortense Bioy, responsable de la recherche sur le développement durable chez Morningstar. Nous n’avons pas ajusté nos calculs après cette annonce, mais nous considérons que les désinvestissements pourraient être moins importants ». Par ailleurs, quelques fonds sont déjà en conformité avec cette exigence, soit parce que la classe d’actifs se prête moins à investir dans les énergies fossiles, soit parce que les gérants avaient déjà fait le choix de ne pas être présents sur ces secteurs. « Nous possédons 2 fonds labellisés : un premier sur l’immobilier coté et un fonds à impact sur le crédit; le premier n’est pas exposé par définition aux énergies fossiles et le second les exclut par conviction », indique par exemple Amélie Pichon, responsable ESG pour les stratégies de marchés de capitaux chez Tikehau Capital.
«Il existait une dissonance entre le label ISR dans sa version initiale et la façon dont les investisseurs perçoivent la notion de développement durablen. La réforme met fin à cette dissonance, notamment en ce qui concerne les investissements dans les énergies fossiles.»
Des écarts significatifs sur les actions
Le changement considéré comme le plus radical par les gérants concerne ainsi la sélectivité. « Nous estimons que la réduction – en nombre de titres investissables – de l’univers d’investissement des fonds devrait être comprise dans une fourchette entre 30 et 45 % selon la classe d’actifs, avance Xavier Hoche, directeur général délégué de Groupama Asset Management. Cela se traduira par des écarts de performance importants par rapport aux indices sur un horizon d’investissement d’un an. Nos premiers calculs montrent que cet écart de performance sera de +/− 5 % pour les fonds actions; de +/− 0,15 % pour un fonds obligataire et de +/− 2,5 % pour un fonds diversifié ». Pour les équipes de Groupama Asset Management, il devrait ainsi être plus facile de conserver le label pour les produits de taux que pour les autres classes d’actifs. Les experts de Federal Finance Gestion estiment de leur côté que la transformation des fonds monétaires n’est pas non plus évidente. « Nous disposons d’un encours conséquent en gestion monétaire et nous essayons de nous positionner dans le premier quartile, voire le premier décile du marché en termes de performance; cela suppose que nous allions chercher un surcroît de performance sur les émissions corporates et notamment sur les émissions non notées alors que la plupart des fonds monétaires investissent plus largement dans des émissions du secteur financier, relève Alain Guélennoc, président du Directoire de Federal Finance Gestion. En ce qui nous concerne, la définition de l’univers investissable dans le cadre de la dernière version du label soulève des questions sur notre capacité à maintenir nos objectifs de performance ». Le gérant pointe aussi l’impact de la réduction du nombre de fonds labellisés sur la sélection de fonds : « Si l’univers d’investissement se réduit, il deviendra plus complexe de réaliser de la multigestion labellisée ».
«Il est possible que nous diminuions le nombre de fonds labellisés ISR. Nous pourrions modifier la gestion afin que les fonds soumis à ce label relèvent aussi de l’article 9 du règlement SFDR. »
Une recherche de cohérence avec les textes européens
Pour avancer dans leurs travaux, les gérants attendent aussi des précisions. « Les 3 certificateurs, à savoir l’Afnor Certification, Deloitte, EY France, doivent encore analyser le nouveau différentiel et préciser la façon dont ils vont l’interpréter », avance Amélie Pichon. En parallèle, ils consultent leurs clients afin de déterminer l’importance du label et surtout leur capacité à accepter les écarts de performance. Certes, tous les acteurs considèrent que le nouveau label ISR devrait rencontrer un écho favorable auprès du grand public, car plus cohérent avec ses attentes. « Il existait une dissonance entre le label ISR dans sa version initiale qui s’appuyait sur un contrôle des process et la façon dont les investisseurs perçoivent la notion de développement durable, explique Amélie Pichon. La réforme met fin à cette dissonance, notamment en ce qui concerne les investissements dans les énergies fossiles ». Pour autant, ces fonds seront-ils privilégiés par les clients finaux? Rien n’est moins certain. « Les épargnants s’intéressent en premier lieu à la performance des fonds auxquels ils souscrivent, si les fonds ISR font moins bien que le marché, comme cela a pu être le cas en 2022 et 2023, alors ils n’y investiront pas », affirme Georges Nemes, président du groupe Patrimmofi. Les investisseurs s’attendent aussi à trouver dans les fonds investis des valeurs vedettes qui ne sont pas forcément éligibles au nouveau label. « Seules 4 valeurs sur les 7 magnifiques sont éligibles à un fonds actions internationales labellisé, il est difficile de les exclure compte tenu de leur notoriété et de la performance qu’elles génèrent», relève Xavier Hoche. En revanche, le label est important pour les distributeurs, qu’il s’agisse des grands réseaux bancaires et d’assurance ou des conseillers de gestion de patrimoine (CGP). « Tous les acteurs du marché de la distribution doivent posséder une offre durable consistante afin d’être en conformité avec la législation européenne et nationale sur l’investissement durable, prévient Georges Nemes. Nous devons aussi, en tant que groupe, développer une politique RSE de qualité qui intègre une offre de produit responsable. Nous nous sommes ainsi engagés à ce que 50 % des fonds proposés par notre réseau de CGP disposent d’un label ISR ». Ce label est également structurant pour l’offre en épargne d’entreprise et en épargne retraite. « La demande est forte de produits labellisés sur ce segment de clientèle et elle fait sens dans une optique de long terme », avance Xavier Hoche.
Enfin, les sociétés de gestion doivent aussi prendre en compte dans leurs réflexions d’autres réformes à venir. « La Commission européenne devrait dévoiler dans quelques mois ses conclusions sur la réforme de la réglementation SFDR, à la suite de quoi un système de catégorisation des fonds durables pourrait être créé et de nouveaux critères précisés, rappelle Hortense Bioy. De nombreuses sociétés de gestion attendent donc la finalisation du cadre européen avant de décider si elles vont ou non se mettre en conformité avec le nouveau label ISR et pour quels types de fonds ». Chez Groupama AM par exemple, la gamme pourrait être resserrée afin d’être compatible avec le nouveau label ISR et les textes européens. « Il est possible que nous diminuions le nombre de fonds labellisés ISR, précise Xavier Hoche. Nous pourrions modifier la gestion afin que les fonds soumis à ce label relèvent aussi de l’article 9 du règlement SFDR. Nous disposerons alors d’une gamme thématique durable affirmée ». Un dossier à suivre.