Marché

Les CGP se jettent à l’eau des réseaux sociaux

Publié le 19 juin 2024 à 16h49

Aurélie Fardeau    Temps de lecture 7 minutes

Peu familiers des réseaux sociaux, les CGP doivent faire face à la montée en puissance du contenu dédié aux finances personnelles. Une minorité d’entre eux ont bien compris l’intérêt de cet outil pour développer leur notoriété… et leur business. Retours d’expérience. 

Feuilles volantes, vidéos face caméra, discours décomplexés et déjargonnisés… Les formats se multiplient sur les réseaux sociaux pour démocratiser l’information patrimoniale. Les experts aussi, de façon plus ou moins justifiée. L’explosion des réseaux sociaux est une manne potentielle pour les conseillers en gestion de patrimoine (CGP) que peu d’entre eux saisissent encore. « La profession est très en retard, constate Georges de La Taille, fondateur d’Actusite, qui accompagne un millier de professionnels du droit et du chiffre dans leur marketing digital. Nous avons un rôle d’évangélisation, car les cabinets ne sont pas encore tous convaincus de la pertinence de cette démarche. »

A ce sujet, une faille générationnelle se fait sentir. Chez de nombreux jeunes CGP, les réseaux sociaux représentent un allié de taille pour développer leur activité. Ainsi, Morgane Ernoult est un pur produit LinkedIn. Après 8 ans d’une vie professionnelle bien remplie dans le conseil en stratégie et le marketing, elle crée, fin 2023, L’Envol, son cabinet de conseil en gestion de patrimoine. « J’ai découvert la profession sur LinkedIn et j’ai commencé par contacter des professionnels par ce biais lorsque j’ai voulu faire une formation pour me reconvertir, relate-t-elle. Je me suis ensuite inspirée, pour ma communication, de Charles-Elias Farah, que j’avais rencontré à cette occasion et qui s’était lui-même lancé un an plus tôt sur LinkedIn avec succès. » 

A l’origine, la démarche n’est pas forcément très construite, mais l’idée sous-jacente consiste toujours à se faire connaître et à créer une marque, sur son nom ou celui de son cabinet. « Au départ, j’ai écrit un livre sur l’argent dans le couple et lorsque j’en ai parlé sur LinkedIn et Facebook, ça a intéressé les gens, raconte Héloïse Bolle, la fondatrice d’Oseille & compagnie. Je me suis donc dit qu’il me fallait être davantage présente sur les réseaux sociaux, d’abord LinkedIn puis Instagram. »

«L’objectif consiste à aller chercher de nouveaux clients mais aussi du réachat. »

Georges de La Taille fondateur ,  Actusite

Pour se lancer ou fidéliser

Les jeunes professionnels ne sont toutefois pas les seuls utilisateurs des réseaux. Pour les cabinets déjà bien établis, la communication digitale a aussi des atouts. « L’objectif consiste à aller chercher de nouveaux clients mais aussi du réachat, souligne Georges de La Taille. Les CGP ont finalement peu d’échanges au quotidien avec leurs clients. Or, c’est beaucoup plus agréable d’avoir un client qui vous appelle parce qu’il a vu une information intéressante sur LinkedIn que de l’appeler une fois par an pour mettre à jour son dossier. C’est aussi un bon levier de recommandation. » Certains ne s’y sont pas trompés. Des cabinets réputés comme Haussmann Patrimoine ou Cheval Blanc Patrimoine sont omniprésents sur LinkedIn par la voix de leurs dirigeants, qui publient, commentent et repartagent des informations.  Ce réseau, orienté vers les professionnels, est devenu incontournable. « On peut y diffuser des informations très simples ou bien des contenus plus experts, et aussi partager des éléments diffusés par d’autres lorsqu’on n’a pas d’idée de post, détaille Georges de La Taille. Mais nous invitons nos clients à aller plus loin avec des photos de l’équipe, des demandes de mise en relation ciblées, etc. » En effet, l’implication personnelle est toujours valorisée sur ces médias. « Ce qui marche le mieux c’est de parler de soi, de ses erreurs, ou encore les publications très grand public », constate Morgane Ernoult. 

Mais quelques conseillers s’aventurent au-delà, sur Instagram ou même Tik Tok. « Le climat est plus agréable sur Instagram : il y a moins de monsieurje-sais-tout, et le propos est plus décomplexé », estime Héloïse Bolle. Guillaume Bonnet et Jérémy Doyen, les cofondateurs de Bonnet & Doyen Conseil, ont, eux, fait le choix de Tik Tok où leur compte comporte pas moins de 167000 abonnés. « Lorsque nous nous sommes lancés, fin 2022, il n’y avait personne sur ces sujets, souligne Guillaume Bonnet. Nous ne pouvons pas accompagner tout le monde individuellement, donc ce compte nous permet de rendre la gestion de patrimoine accessible à tous. C’est une mission supplémentaire, qui est gratifiante ! »

«Les réseaux et ma newsletter, c’est environ 25 % de mon temps!»

Héloïse Bolle (photo © Frédérique Toulet) fondatrice ,  Oseille & compagnie

Un outil de prospection efficace

Les objectifs des uns et des autres peuvent varier. Les réseaux permettent d’acquérir une forme de notoriété mais aussi une légitimité. « C’est une reconnaissance de notre expertise, estime Jérémy Doyen. Et cela nous a permis d’être sollicités par les éditions Larousse pour la rédaction d’un ouvrage. » Pour certains CGP, cela va bien au-delà, et les réseaux sociaux deviennent une véritable source d’acquisition de clients. « La majorité de mes clients viennent de là, assure Héloïse Bolle. C’est ma façon de faire du commercial et j’y prends beaucoup plus de plaisir qu’à faire des cold calls. » Même constat pour Morgane Ernoult : « Je suis mal à l’aise avec le fait de faire de la prospection téléphonique, la publication de contenus est beaucoup moins intrusive. » 

Encore faut-il y consacrer du temps et se montrer rigoureux, car les réseaux exigent de la régularité. « Les réseaux et ma newsletter, c’est environ 25 % de mon temps! », estime Héloïse Bolle, qui a fait appel aux conseils d’un community manager pour se former aux bonnes méthodes. Une énergie à déployer qui peut décourager. « Cela demande aussi beaucoup d’organisation et les résultats ne sont pas toujours palpables à court terme, reconnaît Guillaume Bonnet. Il faut se laisser du temps, un an au minimum. » Car c’est justement dans la persévérance que l’effet communautaire joue à plein. Pour se fixer un cap, certains ont un planning très calibré. « Je me fixe comme objectif de publier 3 fois par semaine, les lundis, mercredis et vendredis, avant 9  h, détaille Morgane Ernoult. Chaque post ne me prend qu’une heure environ, mais après la publication, je passe généralement beaucoup de temps sur LinkedIn à répondre aux commentaires, etc. » Au détour d’une publication, il est aussi possible de nouer des contacts précieux. « La co-autrice de mon dernier ouvrage, je l’ai rencontrée sur Insta! », sourit Héloïse Bolle.

Les influenceurs, une concurrence déloyale ?

Les réseaux sociaux ont transformé la diffusion de l’information et vu émerger des influenceurs dans la finance, aussi appelés finfluenceurs. Selon une étude menée par le CFA Institute, leur contenu comporte 3 caractéristiques principales : il est accessible, il est peu personnalisé et il reçoit un haut niveau d’engagement. Face à cet essor, l’Autorité des marchés financiers (AMF) et l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) ont conçu un certificat de l’influence responsable dans la finance. Il vient compléter le certificat généraliste de l’ARPP, encadrant l’activité d’influence commerciale. « La finance est un secteur très encadré, et la communication en matière d’investissement doit respecter des règles, être claire, exacte, non trompeuse, équilibrée. Il apparaît que certains influenceurs l’ignorent », soulignait Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’AMF, dans un communiqué, fin 2023. Si l’enjeu en matière d’éducation financière est important, notamment au regard du jeune public principalement ciblé par ces personnes, les CGP semblent peu touchés par cette forme de concurrence. « Les influenceurs recrutent de tout petits comptes et ne touchent pas, la plupart du temps, la clientèle des CGP », estime Georges de La Taille. Ce qui ne les empêche pas de voir émerger une forme de concurrence, plus ou moins qualitative. « Le marché a beaucoup évolué avec l’arrivée des influenceurs en finance personnelle, note Jérémy Doyen. Cela crée de l’émulation et nous voyons beaucoup de bons contenus, mais il y a aussi parfois des dérives. »

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