Private equity, dette privée, infrastructures… Ces actifs privés, depuis longtemps prisés des investisseurs institutionnels, sont désormais plus accessibles à la clientèle intermédiée. Que recouvrent ces classes d’actifs ? En quoi apportent-elles de la diversification et de la décorrélation dans un portefeuille ? Comment a évolué l’offre ? Le label Eltif 2.0 peut-il être un catalyseur ? Les perspectives de rendement pour la clientèle privée compensent-elles les risques et l’absence de liquidité ? Actifs réels et investissement durable sont-ils compatibles ?
- Dans quel contexte parle-t-on aujourd’hui d’ouverture de l’offre des actifs non cotés à la clientèle privée ?
- Les rendements que vous mentionnez ne sont pas ceux qu’offrent les produits destinés au retail…
- Quelles sont les caractéristiques de ces actifs privés ? Quels sont les horizons de temps et les risques inhérents au private equity ou aux infrastructures par exemple ?
- La retailisation de l’offre arrive à un moment un peu particulier pour le private equity. Les particuliers ne s’étonnent-ils pas de se voir proposer une classe d’actifs sur laquelle les investisseurs institutionnels réduisent leur exposition et qui suscit
- Beaucoup de sociétés de gestion ont recruté des équipes, réfléchissent à des lancements, ou sont sur le point de lancer des fonds investis en non coté. Comment s’y retrouver face à cette offre en développement ?
- Entré en vigueur en janvier, le label Eltif 2.0, qui permet aux investisseurs particuliers une meilleure accessibilité aux marchés privés, est-il un bon moyen de développer le marché ?
- Quels sont donc les produits accessibles aujourd’hui aux clients privés pour s’exposer aux actifs non cotés ?
- Quels sont les produits que vous avez choisi de proposer à la clientèle privée ?
Les intervenants :
- Xavier Le Blan, directeur innovation et gestion privée, SWEN Capital Partners
- Xavier Collot, directeur de l’activité de gestion cotée, Sienna IM
- Alain Guélennoc, président du directoire de Federal Finance Gestion
Dans quel contexte parle-t-on aujourd’hui d’ouverture de l’offre des actifs non cotés à la clientèle privée ?
Alain Guélennoc - Les actifs non cotés sont connus par tous les clients institutionnels qui investissent dans le private equity ou la dette privée depuis une douzaine d’années environ. Les assureurs vie ont notamment en portefeuille des actifs non cotés qu’ils connaissent bien. Au fur et à mesure du développement de cette activité, de nombreux gérants d’actifs ont constitué des équipes qui se sont professionnalisées. Le bilan est très positif : le non coté a démontré sa capacité à délivrer de la performance et sa résilience au cours des années. Par ailleurs, les hausses de taux que nous avons connues en 2022 ont laissé beaucoup de traces négatives sur les actifs cotés. Les particuliers se sont notamment rendu compte des risques de contreperformance significatifs des fonds obligataires puisque ces actifs ont enregistré, cette année-là, entre − 10 et − 15 % de baisse, voire plus pour certains. Les clients ont compris que les taux n’étaient pas un moteur récurrent, tout en constatant parallèlement que les taux des fonds en euro ne cessaient de décroître et que le renouvellement de leurs placements se faisait à des niveaux très faibles. Il n’y avait ainsi pas de parachute face aux actifs cotés, qui ont beaucoup souffert durant cette période.
Dans le même temps, le régulateur a permis la mise sur le marché d’actifs non cotés à destination des particuliers. Tous les acteurs y voient une opportunité de capter de nouveaux capitaux en proposant aux particuliers une nouvelle offre apportant de la récurrence et une dimension extra-financière.
Le non coté permet d’expliquer aux clients qu’ils vont mettre du sens dans leur épargne en finançant des entreprises proches d’eux et contribuer à financer la transition énergétique, via des fonds d’infrastructures par exemple. Les différents filtres ESG vont leur permettre de financer les entreprises les plus vertueuses sur le plan social et environnemental, et qui présentent de surcroît des critères de gouvernance de bon niveau. La loi industrie verte va également permettre le développement du non coté en permettant d’inclure des fonds d’actifs privés dans les mandats de gestion. Le non coté bénéficie actuellement d’un bon alignement d’intérêts, mais son développement reste pour l’instant modeste par rapport à ce que nous avons connu avec la clientèle institutionnelle. C’est encore un marché en émergence.
Xavier Collot - En effet, l’environnement de taux est un facteur perturbateur pour les particuliers, mais sans doute davantage pour le monde institutionnel qui, durant la période de liquidités abondantes, est allé chercher du rendement sur des produits de très long terme et donc sur les actifs privés. Investir dans les actifs privés ne relève pas d’un effet de mode même si on en parle beaucoup actuellement. Il faut quand même avoir en tête que nous sommes face à des réformes successives du système de retraite. L’allongement de la durée de vie est réel, mais l’allongement de la durée de cotisation l’est aussi! Et il ne règle pas la question de ce que le particulier va percevoir au moment de la retraite, car ce n’est pas parce qu’il a travaillé plus longtemps qu’il gagnera plus. La capacité de diversification et d’allocation des Français face aux enjeux de long terme est un problème, d’autant qu’ils ont toujours été habitués à une épargne réglementée.
A travers la création du PER, la loi Pacte est un déclencheur qui va permettre de diriger l’épargne de précaution vers le long terme puisque l’horizon de sortie est le départ à la retraite. Il ne faut quand même pas oublier que pour avoir un complément de revenus de 1000 € brut à la retraite, c’est quasiment 300000 € de capital constitué qu’il faut détenir. Et ce n’est pas avec des rendements qui couvrent à peine le risque d’inflation aujourd’hui que les épargnants auront un capital acquis significatif au moment du départ en retraite. D’où cette notion de diversification, de capitalisation, et cette idée d’inclure dans une allocation des actifs beaucoup plus risqués que sont les actifs non cotés tels que le private equity, la dette, l’infrastructure ou l’immobilier pour obtenir quelques points de rendement en plus et avoir moins de volatilité. Pour avoir du rendement, il faut prendre du risque. Et la meilleure façon d’y parvenir, sur du moyen/long terme, est de coupler des actifs non cotés avec des actifs cotés. Il faut apporter à l’épargnant de l’innovation, car il recherche la performance, la diversification et la liquidité. Si, pour préparer la retraite, les épargnants optent pour un PER, ils vont optimiser leur fiscalité d’un côté et d’un autre, privilégier une allocation qui va apporter du rendement sur le long terme tout en participant au financement de l’économie. En finançant des actifs non cotés, le risque est plus élevé, mais les rendements se situent autour de 15 % par an pour le private equity, 6 à 7 % pour la dette privée et autour de 10 % pour les infrastructures.
Les rendements que vous mentionnez ne sont pas ceux qu’offrent les produits destinés au retail…
Xavier Collot - Non, en effet. Ces 15 % correspondent, en moyenne, au rendement d’un fonds pur de private equity. Mais la loi industrie verte permet d’inclure une part d’actifs non cotés dans la gestion pilotée, ce qui pourrait permettre de dégager un rendement supérieur par rapport à l’inflation, au taux du livret A, et qui pourrait dépasser les 5 % sur les profils les plus offensifs.
Xavier Le Blan - Aujourd’hui, la plupart des Français ne s’inquiètent pas de la manière dont ils vont gérer leur retraite puisque nous avons un système par répartition. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas ce phénomène de capitalisation que l’on peut retrouver dans d’autres pays et qui oblige les épargnants à s’inquiéter de la gestion de leur patrimoine et, donc, à avoir des allocations diversifiées, avec des expositions aux actifs privés. Les allocations en actifs privés sont ainsi plus matures dans certains pays, notamment chez les Anglo-saxons. En France, ce sont surtout les institutionnels qui sont investis dans les actifs privés ainsi que les family offices.
Il ne faut pas opposer actifs cotés et actifs privés. La principale différence entre les 2 réside dans la liquidité. L’idée d’accompagner une entreprise non cotée séduit bien des anciens dirigeants, par exemple, qui comprennent très bien l’intérêt d’investir dans ce type de support, mais ce placement se fait sur le long terme pour avoir une maîtrise de son résultat. Or, en France, on a plutôt tendance à investir à court terme et sur des produits liquides. Les allocations d’actifs privés correspondent très bien aux placements comme l’assurance-vie ou le PER, mais elles ne sont pas encore ancrées chez les épargnants. Il y a beaucoup de pédagogie à faire, même si ces allocations sont assez évidentes pour le PER et l’épargne salariale. Il faut tout de même rappeler que la classe d’actifs est relativement jeune, en particulier l’infrastructure ou la dette privée, qui n’existent que depuis une vingtaine d’années, avec des résultats très satisfaisants.
«Les allocations d’actifs privés correspondent très bien aux placements comme l’assurancevie ou le PER, mais elles ne sont pas encore ancrées chez les épargnants.»
Quelles sont les caractéristiques de ces actifs privés ? Quels sont les horizons de temps et les risques inhérents au private equity ou aux infrastructures par exemple ?
Xavier Le Blan - L’infrastructure est une classe d’actifs relativement jeune, d’une vingtaine d’années. Par construction, nous sommes sur du long terme et sur des actifs essentiels qui peuvent permettre de faire tourner une société et une économie. C’est une classe d’actifs facile à comprendre pour l’épargnant puisqu’elle adresse les besoins en eau, en électricité, etc. La construction et l’exploitation d’une infrastructure sont des projets de long terme. On n’investit pas dans un réseau électrique pour le vendre le mois suivant. L’horizon de temps est plutôt de 15 ou 20 ans, c’est d’ailleurs un des principaux freins pour investir dans les infrastructures. Dans cette perspective de long terme, face au manque de liquidité, on attend de ces actifs une certaine stabilité et une visibilité sur l’actif, ce qui est rassurant d’autant que l’investisseur détient un actif tangible et utile.
Alain Guélennoc - Pour ma part, je considère que, comme pour les actifs cotés, il existe 2 grandes classes d’actifs non cotés : l’action et la dette. Que ce soit en corporate, en immobilier ou en infrastructure, la dette a toujours les mêmes caractéristiques, à savoir une échéance fixe et un taux de rendement défini dès le départ.
Donc, sauf défaut de l’emprunteur, le rendement est quasi assuré en fonction de l’Euribor et de la marge retenue. Actuellement, les marges sont très élevées, un fonds d’infrastructure, par exemple, peut offrir un rendement Euribor + 600 points de base, soit un rendement instantané de 10 %, l’Euribor étant aujourd’hui autour de 4 %. A la différence, en private equity, on ne connaît pas forcément la date de sortie exacte du dossier. Que l’investisseur mette 10 M€ dans un fonds de private equity ou 1000 € s’il s’agit d’un particulier, il peut y avoir une sortie partielle au bout de 3 ans et le reste au bout de 7 ans, voire plus.
Xavier Collot - Les actifs privés se caractérisent par leur décorrélation des marchés financiers, ils n’en subissent pas les soubresauts ni la volatilité en fonction des contextes géopolitiques et économiques. Ce sont aussi des actifs tangibles. Si l’investisseur en est actionnaire, il a des responsabilités, donc il ne peut pas décider du jour au lendemain de sortir. L’engagement est beaucoup plus fort que lorsqu’on détient des actions d’une entreprise cotée. L’analyse économique préalable à l’investissement dans une entreprise non cotée est également plus fine, car il faut avoir confiance dans le management et ses équipes, dans la capacité de l’entreprise à se développer et à créer de la valeur sur une durée déterminée. Quand un fonds est au capital d’une entreprise non cotée, il participe à la prise de décision.
Xavier Le Blan - L’engagement est au cœur du sujet. Au sein d’une entreprise non cotée, il n’y a parfois que 2 ou 3 actionnaires, parfois nous pouvons même être le seul actionnaire aux côtés du management. Il y a donc un alignement d’intérêts et un engagement qui sont plus forts que dans les entreprises cotées.
La retailisation de l’offre arrive à un moment un peu particulier pour le private equity. Les particuliers ne s’étonnent-ils pas de se voir proposer une classe d’actifs sur laquelle les investisseurs institutionnels réduisent leur exposition et qui suscit
Xavier Collot - En effet, c’est une question que se posent certains épargnants. Encore une fois, l’investissement dans le non coté s’inscrit dans un horizon de temps long. On trouve de tout dans le private equity, de la prise de participation simple au capital avec un dialogue actionnarial fort à des investissements dans des entreprises qui ont un fort effet de levier.
Dans le contexte actuel, certaines entreprises qui s’étaient beaucoup endettées à taux variable peuvent avoir des difficultés. A ce stade, il n’y a toutefois pas eu beaucoup de défauts au niveau mondial. Les investisseurs institutionnels ont réduit leur exposition au private equity, car ils ont l’obligation de gérer à l’optimum leurs allocations actifs/passifs dans le cadre de la hausse des taux, mais je suis convaincu qu’ils reviendront sur cette classe d’actifs, probablement d’ici fin 2025. Encore une fois, l’investissement dans le non coté relève du temps long, raison pour laquelle l’assurance-vie et le PER sont des enveloppes adaptées. Dans ce temps long, les entreprises traversent plusieurs cycles économiques, certaines d’entre elles peuvent devenir des championnes mondiales et sortir ainsi sur des niveaux de valorisation élevés. Nous l’avons constaté avec certaines opérations de sortie récentes, donc la création de valeur ne fait pas de doute, et c’est ce qu’attend l’investisseur.
Alain Guélennoc - La question du timing pour investir dans le private equity est légitime. En termes de valorisation, on peut estimer que le marché est cher, mais on constate par ailleurs que les entreprises se portent globalement bien. Les fonds de private equity ont fait la démonstration ces dernières années de leur capacité à piloter les entreprises dans lesquelles ils ont pris une participation au capital pour créer de la valeur de façon récurrente. A condition d’avoir sélectionné les bons fonds et les bons gérants. Par ailleurs, si le timing de marché est compliqué pour les actifs cotés, le non coté offre cet avantage de s’en extraire, car il y a moins cette volatilité de la valorisation.
Cela dit, il faut venir progressivement sur ces classes d’actifs en allouant au départ de petits montants pour aller jusqu’à 5 ou 10 % de son portefeuille. Enfin, investir dans le private equity au sein d’un contrat d’assurance-vie présente un gros avantage, car, face à un accident de vie, un décès, etc., le client peut vendre, puisque l’assureur est tenu d’assurer la liquidité. C’est donc très intéressant pour les particuliers, mais pour autant l’exposition reste faible en France en comparaison avec l’Allemagne où le private equity peut représenter jusqu’à 20 % de l’épargne des ménages. Le potentiel de développement est important !
Xavier Collot - En France, le non coté représente moins de 1 % d’un patrimoine moyen contre 15 % au Royaume-Uni. En Europe, c’est entre 30 et 50 % dans les portefeuilles des grandes familles fortunées. Et aux Etats-Unis, c’est 15 % environ au moment où le salarié américain part en retraite. Il existe donc un potentiel réel développement des actifs privés en France dans la dimension retail.
Xavier Le Blan - Quand un particulier investit dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie, il le fait aux côtés de l’assureur, qui se retrouve porteur en dernier ressort. Donc ce dernier a tout intérêt à faire très attention à la sélection du sous-jacent. L’alignement d’intérêts n’est pas négligeable. Par ailleurs, les assureurs sont aujourd’hui très sélectifs avec les produits proposés.
Alain Guélennoc - Ce qui vient d’être dit est très important. Face à la crise des SCPI, les assureurs assurent certains portages. Ils sont donc très vigilants sur ces risques et veillent à recommander de bons fonds aux assurés.
«Pour avoir du rendement, il faut prendre du risque. Et la meilleure façon d’y parvenir, sur du moyen/ long terme, est de coupler des actifs non cotés avec des actifs cotés.»
Beaucoup de sociétés de gestion ont recruté des équipes, réfléchissent à des lancements, ou sont sur le point de lancer des fonds investis en non coté. Comment s’y retrouver face à cette offre en développement ?
Xavier Le Blan - Pour l’instant, l’offre existante chez les assureurs est assez réduite. Dans certains contrats, il n’y a parfois qu’un produit disponible et la plupart du temps, le client particulier n’est même pas informé.
Xavier Collot - On parle beaucoup de la démocratisation de l’offre, mais force est de constater qu’elle est loin d’être pléthorique, même si les asset managers communiquent beaucoup à chaque lancement de fonds. L’offre disponible chez les grands assureurs ou distributeurs est limitée parce que, jusqu’à présent, la demande était surtout concentrée sur les produits immobiliers. Les clients voulaient essentiellement de la pierre papier.
L’offre va se développer car, dans le devoir de conseil, il y a l’obligation de proposer plusieurs fonds pour chaque classe d’actifs; la réglementation l’impose. A cela s’ajoute la RIS (Retail Investment Strategy) qui met une pression non négligeable sur le niveau de frais comparé au rendement. Finalement, dans un marché très concurrentiel, ce sont les rendements et les frais qui feront clairement la différence.
Alain Guélennoc - Chez notre assureur, Suravenir, la capacité de choix entre les fonds en non coté – exception faite des produits immobiliers – et les fonds investis dans les actifs cotés varie de 1 à 10. Et pourtant, c’est sans doute un des assureurs qui offrent le plus grand nombre d’UC. Par ailleurs, quand un assureur référence un fonds d’actifs privés dans un contrat d’assurance-vie, c’est souvent parce qu’il est déjà lui-même investi, donc il connaît l’équipe de gestion et les différents millésimes de fonds gérés. Ainsi, quand le fonds d’une société de gestion est référencé, il a déjà passé un certain nombre de filtres. Cela ne signifie pas que c’est gagnant à tous les coups, mais, en tout cas, cela implique que l’assureur a été très sélectif.
Xavier Le Blan - L’alignement est encore une fois très poussé puisque l’on va déjà retrouver le fonds ou la société de gestion chez l’assureur pour le compte de son fonds euro. En ce qui concerne l’offre, il faut rappeler que le non coté fait partie des produits rentables pour les asset managers dans une industrie qui subit une pression concurrentielle extrêmement forte sur les frais. Le développement de l’offre devrait avoir un impact sur les frais qui, à terme, devrait être favorable à l’épargnant. Quelles que soient les classes d’actifs, cotées ou non cotées, il y a toujours une poignée d’acteurs qui concentrent l’essentiel du marché. Ce qui ne signifie pas que leur offre n’est pas de qualité, mais les assureurs ne peuvent pas multiplier les référencements dans de bonnes conditions.
Xavier Collot - Les CGP – qui sont aujourd’hui un canal de distribution important en France – travaillent avec plusieurs contrats d’assurance vie et d’assurance retraite. Ils ont tout intérêt à avoir plusieurs offres avec des supports différents pour pouvoir répondre à des typologies de clients différentes allant du mass affluent au wealth management. Or aujourd’hui, l’offre en non coté est assez pauvre et plutôt concentrée chez quelques grands acteurs. Elle a également besoin de se démocratiser tout en étant très encadrée par le régulateur.
Entré en vigueur en janvier, le label Eltif 2.0, qui permet aux investisseurs particuliers une meilleure accessibilité aux marchés privés, est-il un bon moyen de développer le marché ?
Xavier Collot - Pour l’instant, nous ne connaissons pas toutes les normes techniques (RTS) auxquelles devraient répondre les fonds Eltif 2.0. La réglementation ne devrait pas être précisée avant l’automne, voire la fin de l’année. Donc, les sociétés de gestion qui commercialisent ces produits ne savent pas encore s’ils sont tout à fait conformes à cette réglementation. Par ailleurs, il reste à régler le problème concernant la poche de liquidité dans les produits Eltif. Si la poche imposée par le régulateur est trop importante, le produit n’a aucune chance de s’imposer. Il ne faut pas que la gestion de la liquidité détériore la performance sur la durée.
Xavier Le Blan - C’est une réflexion très franco-française, car Eltif 2.0 est déjà appliqué au Luxembourg. Des produits avec ce label sont donc commercialisés à l’étranger, mais ils ne sont pas éligibles en France.
Quels sont donc les produits accessibles aujourd’hui aux clients privés pour s’exposer aux actifs non cotés ?
Xavier Le Blan - Le FCPR est le véhicule que les assureurs ont décidé de retenir. Il y a une volonté manifeste des gouvernements, qu’ils soient français ou européens, de pousser les actifs privés, et des discussions sont engagées pour savoir à travers quels types de véhicules, peut-être des fonds labellisés Eltif 2.0. Face à cette volonté, nous voyons bien que le régulateur, lui, est prudent, ce qui est logique puisqu’il s’inscrit dans une démarche de défense de l’épargnant. Il pose beaucoup de questions sur la liquidité, la volatilité et donc la valorisation, partant du principe que s’il y a moins de volatilité dans les actifs privés, c’est parce qu’ils ne sont pas valorisés tout simplement. L’opposition n’est pas complètement dénuée de sens, mais, à nouveau, on essaie de rendre compatible ce qui ne l’est pas en voulant mettre de la liquidité pour des actifs illiquides. C’est pour cette raison que nous insistons tous sur ce point : le client qui souhaite investir avec un horizon de 1 à 2 ans ne doit pas avoir recours à des placements ayant des actifs privés comme sous-jacents, car ça ne sera pas en adéquation avec ses attentes. Il faut faire encore et toujours de la pédagogie pour bien expliquer comment fonctionnent ces sous-jacents.
Xavier Collot - Il ne faut en effet pas perdre de vue qu’un placement de long terme ne peut pas être liquide à tout moment. Investir dans les actifs privés, c’est donner du sens à son épargne en privilégiant des actifs tangibles et visibles.
Alain Guélennoc - Je suis d’accord avec ces notions d’actifs tangibles et de sens. Prenons un exemple pour illustrer le côté tangible des actifs privés. Pour les fonds à impact ou classés article 9, il faut démontrer l’additionnalité liée aux investissements réalisés. Chez Federal Finance Gestion, nous avons créé un fonds sur la thématique de la création de l’emploi, au sujet duquel nous avons eu des discussions avec le régulateur, qui nous a expliqué qu’il était impossible de démontrer l’additionnalité par nos investissements en actions cotées. Certes, le fonds soutient des fleurons de l’industrie française, mais il n’a pas d’additionnalité sur la création d’emplois. A contrario, quand un fonds de private equity investit dans une entreprise qui va créer des emplois, il peut démontrer que sa participation y a contribué. Cette additionnalité, qui est un critère important quand on veut avoir de l’impact, est facilement démontrable. Avec ce type de fonds, il est possible de justifier aisément l’impact de l’argent investi par nos épargnants. C’est une différence majeure avec les actifs cotés.
Xavier Le Blan - Les premiers produits proposés aux particuliers à travers l’assurance vie et le PER doivent démontrer leur capacité à être investis dans des actifs concrets, responsables, qui génèrent de l’impact, mais également prouver qu’ils peuvent délivrer les performances promises. C’est comme cela que nous ferons la différence. Le client, qu’il soit institutionnel ou privé, veut la performance qui lui a été promise chaque année. C’est à cette condition qu’il reviendra régulièrement.
Xavier Collot - La qualité du couple rendement/risque et la performance sont, en effet, ce qui permet de faire la différence sur la durée et de renforcer la crédibilité aussi bien pour les actifs cotés que pour les actifs privés.
Xavier Le Blan - J’espère donc que la qualité des premiers produits accessibles aux clients particuliers permettra de dynamiser le marché. Toutefois, comme ce sont des produits de long terme, ils ne pourront rien prouver au bout de 1 ou 2 ans. Mais si en plus de générer de la performance financière, ces produits permettent d’avoir de l’impact concret sur la société, les investisseurs devraient y adhérer. C’est tout le défi de notre industrie aujourd’hui.
«Avec ce type de fonds, il est possible de justifier aisément l’impact de l’argent investi par nos épargnants. C’est une différence majeure avec les actifs cotés.»
Quels sont les produits que vous avez choisi de proposer à la clientèle privée ?
Alain Guélennoc - Certains fonds proposés dans les réseaux sont investis sur une classe d’actifs, mais nous avons également développé une offre de produits mixtes, par exemple, un produit exposé à 60 % à de la dette privée et 40 % au private equity, car le format FCPR nous impose d’en avoir un minimum. L’avantage de cette offre mixte est de permettre d’amortir partiellement la courbe en J du private equity, notamment en ce moment, puisque la dette offre un rendement élevé. Nous avons ainsi un vrai moteur pour amortir la prime de risque, ce qui est très important dans la perception de l’épargnant. Si celui-ci se rend compte que, très vite, il retrouve une performance positive et qu’ensuite le rendement revient de façon assez récurrente, nous aurons gagné le pari. Nous n’en sommes qu’au démarrage, et les volumes ne sont pas encore significatifs, mais ces offres mixtes sont plutôt bien perçues dans les réseaux. Un travail de pédagogie a été fait au niveau des équipes dans les différents réseaux. La première étape pour bien vendre des produits non cotés est de convaincre le chargé de clientèle ou le conseiller en gestion de patrimoine. En termes de communication et de reporting, le soutien aux CGP est essentiel.
Xavier Collot - Chez Sienna IM, nous avons la chance de pouvoir associer différents actifs privés, que ce soit du private equity, de la dette ou de l’immobilier. Nous avons un produit de trésorerie dans lequel on associe de la dette privée non cotée court terme, à horizon 3 mois renouvelables, à des obligations cotées. Il vise un objectif €STER + 150 points de base, donc supérieur au CAT ou au DAT bancaire et s’adresse plutôt à la clientèle de banque privée et wealth management, dans des contrats de capitalisation ou des comptes-titres. La période est intéressante, car elle foisonne d’innovations qui permettent d’offrir autre chose que les produits classiques jusqu’alors proposés dans la distribution. Par ailleurs, notre offre comporte aussi un FCPR en private equity, un fonds evergreen géré en architecture ouverte, à échéance 99 ans, dans lequel les clients peuvent investir à tout moment à travers essentiellement des contrats d’assurance retraite et des PER. La sélection porte sur des sociétés de gestion reconnues du private equity et des fonds orientés sur les mid caps européennes. Ces produits sont exposés à 70 % à des fonds de private equity et à 30 % à une poche de fonds obligataires court terme qui permet d’avoir une liquidité autoportée.
Xavier Le Blan - SWEN Capital Partners développe une offre dédiée à la clientèle privée. Nous souhaitons offrir aux clients particuliers la gestion que nous proposons aux institutionnels. C’est possible à travers des fonds evergreen dont le principe de capitalisation permet de réinvestir en permanence les retours ou les intérêts. C’est un mode de fonctionnement différent de celui des fonds fermés traditionnels. Ce choix s’impose dès lors que l’on souhaite travailler avec les assureurs pour proposer des unités de compte. Ils souhaitent des FCPR de type evergreen.