table ronde

Gestion diversifiée : la prudence s’impose dans les portefeuilles

Publié le 24 juin 2024 à 10h59

Catherine Rekik    Temps de lecture 22 minutes

Les résultats de l’élection européenne ont été suivis de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, provoquant une vive réaction des marchés et une réelle inquiétude sur la trajectoire de la dette et des déficits
publics. Faut-il redouter un impact à plus long terme des résultats électoraux en Europe et surtout des législatives en France sur les marchés ? Quelles sont les perspectives macroéconomiques dans les prochains mois ? Quid de l’inflation ? Que peut-on attendre des banques centrales (baisse des taux en Europe, aux Etats-Unis ?) Comment construire une allocation d’actifs équilibrée dans un tel contexte, sur fond de tensions géopolitiques et de regain de volatilité ? Quelles sont les classes d’actifs à privilégier ? Comment diversifier et protéger les portefeuilles ? 

Les intervenants :

  • Loïc Bécue, gérant gestion diversifiée et allocation d’actifs, Sienna IM 
  • Julien-Pierre Nouen, directeur des études économiques, de la gestion diversifiée et de l’allocation d’actifs, Lazard Fères Gestion 
  • Joffrey Ouafqa, directeur des gestions, Pôle AM, Auris Gestion

Les résultats de l’élection européenne ont été suivis de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, provoquant une vive réaction des marchés. Cela remet-il en cause vos scénarios pour les prochains mois ?

Loïc Bécue - Les résultats de l’élection européenne ne sont pas une surprise, car nous savions que les formations de droite montaient en puissance. Cependant, à l’issue de ce vote, nous constatons que même si ces formations ont pris des sièges aux partis écologistes, elles n’ont pas la majorité. Cela ne va donc pas changer grand-chose. En revanche, en France, l’annonce du président Macron a été un choc qui s’est forcément répercuté sur les marchés financiers, qui ont horreur de l’incertitude. L’impact sur le CAC 40 par rapport à l’Eurostoxx ou sur le taux 10 ans comparé au Bund allemand a été immédiat, avec un effet marqué pour les banques, en raison des craintes quant à la dynamique d’écartement des spreads souverains, mais aussi car le RN a déjà évoqué l’hypothèse de surtaxer leurs profits. C’est peu probable mais cela génère de la volatilité sur le marché qui aurait dû plutôt se focaliser sur la baisse des taux annoncée par la BCE.

Joffrey Ouafqa - Au niveau européen, le résultat de l’élection est en effet un non-événement, car la modification du Parlement est assez mineure. En revanche, il faut noter l’évolution des attentes des électeurs européens – le recul des écologistes indiquant un moindre intérêt pour la transition énergétique – et des préoccupations qui se sont déplacées vers l’immigration, la sécurité ou le pouvoir d’achat. En France, la dissolution provoque une réelle inquiétude sur la trajectoire de la dette et des déficits. La répercussion sur le spread entre la dette française et la dette allemande a été rapide depuis l’annonce de la dissolution. Le programme économique du RN pourrait augmenter le déficit de 100 milliards par an. Et l’alliance de la gauche avec LFI entraînera également des dépenses budgétaires plus importantes, a minima du même montant que le programme du RN. Donc, d’un point de vue strictement budgétaire, la France est affaiblie. Même en cas d’équilibre au parlement entre la gauche et l’extrême droite, avec Renaissance au centre qui ferait l’arbitre entre les deux, le pays sera paralysé. Aucun des trois scénarios qui pourraient découler de cette élection législative n’est favorable à la trajectoire des finances publiques. Nous pensons donc que la dette française peut encore continuer de s’écarter par rapport à la dette allemande, mais a priori pas dans des proportions très importantes. La dette espagnole, dont le pays a de meilleurs ratios de dette/PIB et de déficit que le nôtre et qui est notée A contre AA − pour la France, traite autour de 85 points de base d’écart avec le 10 ans allemand (contre 75 points de base pour la dette française actuellement), ce qui permet d’anticiper les proportions d’écartement de spread qu’on peut attendre. Mais cet écartement de spreads aura malgré tout un impact économique.

Julien-Pierre Nouen - En effet, c’est la politique budgétaire française qui va être clé. Une procédure pour déficit excessif contre la France et certains pays européens a été ouverte par la Commission européenne. Les règles ont évolué vers plus de souplesse, mais il est clairement attendu de ces pays des efforts de contrôle des dépenses, même si les excès de rigueur qui avaient précipité la crise de la zone euro entre 2011 et 2013 seront évités. Le RN semble emprunter la voie de Giorgia Meloni en Italie. A son arrivée au pouvoir, il y a eu beaucoup d’inquiétudes sur les marchés, les spreads s’étaient bien nettement écartés, mais, dans les faits, le gouvernement Meloni a toujours eu une politique très en ligne avec ce qu’attendait la Commission européenne.

La perspective de l’élection présidentielle en 2027 rend finalement peu probables des mesures radicales ; un nouveau gouvernement évitera de provoquer une crise qui le décrédibiliserait. En revanche, il faudra surveiller, dans l’hypothèse d’un gouvernement RN, l’agitation qui affecterait l’image de la France, d’autant que le pays va être sous les projecteurs dans les prochaines semaines avec les JO de Paris. En ce qui concerne les nationalisations, on ne peut pas non plus faire n’importe quoi. Il y a des contraintes indiquées dans les contrats des concessions, par exemple, les nationalisations doivent se faire à leur juste valeur, ce qui signifie des opérations importantes et coûteuses pour un Etat très endetté.

Comment expliquez-vous la résilience de l’économie américaine ? La Fed baissera-t-elle finalement ses taux cette année ?

Loïc Bécue - La résilience de l’économie américaine a été plutôt surprenante puisque nous anticipions une récession au cours du premier trimestre 2024. Récession qui n’a pas eu lieu, mais finalement, en prenant un peu de recul, c’est plutôt logique. Pourquoi ? Parce que les bilans des banques centrales sont toujours aussi importants, donc il y a toujours autant de liquidités sur les marchés. A cela s’ajoutent les relances budgétaires des Etats, comme l’IRA américain, le Chips & Science Act ou le Next Generation EU en zone euro qui commencent à peine à se déployer. Par conséquent, la remontée des taux, notamment aux Etats-Unis où ils ont atteint un niveau élevé, n’a pas eu l’impact anticipé sur le ralentissement économique. Et, en toile de fond, le développement de l’intelligence artificielle générative qui se traduit par de forts gains de productivité pour les entreprises américaines, dont les publications de résultat ont soutenu les marchés et l’économie américaine depuis le début de l’année. Sans parler évidemment des Sept Magnifiques, de NVIDIA en particulier, qui tirent l’ensemble de l’économie via l’investissement des entreprises, mais aussi l’ensemble de la cote américaine. Le marché américain est sans doute cher, mais il a une bonne histoire à raconter aux investisseurs pour l’expliquer.

Julien-Pierre Nouen - D’autres raisons expliquent la résistance de l’économie américaine. Dans la période post-covid, elle a permis à un certain nombre d’acteurs de se protéger contre le risque de taux d’intérêt ; beaucoup d’entreprises se sont refinancées à des taux extrêmement bas et donc, elles ont encore aujourd’hui de faibles coûts de financement. Même chose pour les ménages qui ont emprunté à des taux hypothécaires autour de 3 %, qui renoncent peut-être à déménager pour garder leur emprunt à ce taux. L’argent destiné à un nouvel achat immobilier est finalement consommé. L’économie américaine a donc été finalement moins affectée que prévu par ces remontées de taux.  Autre point : les créations d’emplois sont restées relativement fortes, aidées notamment par une immigration importante aux Etats-Unis. Cette immigration a aussi permis de résorber les pressions salariales dans un certain nombre de secteurs. Toutefois, en regardant en détail, on constate certaines dichotomies. Dans certains secteurs affectés par le covid, comme l’hôtellerie et la restauration, le marché du travail s’est bien rééquilibré, mais dans d’autres secteurs dynamiques il y a encore des tensions salariales. La question est de savoir si c’est le courant déflationniste qui va l’emporter ou le courant toujours inflationniste. 

Joffrey Ouafqa - Le soft landing s’explique aussi par le comportement du consommateur américain qui a massivement puisé dans son épargne pour continuer à consommer et à maintenir son niveau de vie. Mais c’est sans doute terminé car on voit bien, par exemple, que si les ventes au détail sont en croissance grâce à l’effet prix, elles sont, en volume, en baisse depuis plusieurs mois. L’économie américaine est peut-être à la fin de ce soft landing, donc ça tombe plutôt bien que l’inflation commence à être en dessous des attentes, puisque la banque centrale pourra accompagner d’ici quelques mois la baisse de la croissance et de l’inflation en abaissant les taux d’intérêt et donc en permettant à la croissance d’accélérer. En Europe, le soft landing a aussi eu lieu même si la croissance est relativement faible. Nous voyons que, malgré des taux élevés depuis le début de l’année, il y a quand même eu une accélération de la croissance européenne et des prévisions de croissance plutôt revues à la hausse pour 2024. C’est très encourageant car, à l’inverse des Etats-Unis, le consommateur européen, lui, n’a pas encore puisé dans son épargne de précaution.

Aux Etats-Unis, il faut rester prudent au cas où l’atterrissage soit un petit peu plus fort que prévu. On le voit d’ailleurs à travers certains indicateurs comme le taux de chômage U9 qui augmente assez fortement par rapport au taux de chômage officiel. Puis, selon la règle de Sahm, si le taux de chômage moyen sur les 3 derniers mois augmente de 0,5 point par rapport à la moyenne trimestrielle la plus basse sur l’année écoulée, cela indique que la récession est proche. Or cet indicateur se situe aujourd’hui à 0,37. Enfin, il y a beaucoup de disparités au sein des Etats américains, avec des créations d’emplois vigoureuses dans certains Etats et beaucoup moins dans d’autres. Donc, oui, on peut parler de soft landing, mais attention à ces petits signaux qui laissent entendre qu’un ralentissement va arriver, d’autant qu’en règle générale, il se produit dans les 12 à 18 mois suivants le cycle de hausse de taux. Et nous y sommes.

«En Europe, les niveaux de valorisation sont plus intéressants, notamment sur les petites capitalisations.»

Julien-Pierre Nouen directeur de la gestion diversifiée ,  Lazard Fères Gestion

L’élection présidentielle de novembre peut-elle influencer la politique monétaire ?

Joffrey Ouafqa - Historiquement, la Fed n’intervient pas dans la vie politique, mais le fait de baisser les taux juste avant l’élection serait de nature à soutenir le bilan de Biden. Mais ce dernier a un tel retard dans les sondages qu’il semble peu probable qu’il puisse gagner face à Trump. Après cette élection, d’autres questions se poseront notamment sur la guerre commerciale avec la Chine, et potentiellement avec l’Europe, qui pourrait avoir des répercussions sur les marchés.

Julien-Pierre Nouen - La question de l’inflation n’est pas appréhendée de la même manière par les économistes et par les ménages. Pour les économistes, qui regardent les statistiques sur 12 mois glissants, l’inflation est en train de se normaliser alors que la plupart des ménages voient toujours de l’inflation parce que les prix sont beaucoup plus élevés qu’il y a 2 ou 3 ans. Ce qui a un impact sur leur confiance dans le contexte actuel.

Loïc Bécue - Biden rattrape un peu Trump dans les sondages. Ce dernier a un programme assez inflationniste qui peut poser problème. La Fed devrait annoncer une baisse de taux dans le courant de l’année, en juillet ou en septembre, car elle ne se réunit ni en août ni en octobre et il est peu probable qu’elle annonce une baisse de taux lors de sa réunion du 3 novembre, à 2 jours de l’élection. Une baisse des taux en septembre soutiendrait l’économie américaine. Cette dernière peut ralentir, mais quoi qu’il arrive, elle sera relancée comme l’économie européenne avec le début de la baisse des taux. C’est d’ailleurs positif que la Fed ne baisse pas les taux tout de suite puisque l’économie américaine fonctionne bien, et cela décalerait dans le temps la continuité du rebond de la croissance que l’on pourrait avoir. Le jour où la Fed baissera ses taux, elle enclenchera un redémarrage pour l’ensemble de l’économie mondiale et surtout pour tous les pays émergents. Une baisse des taux signifie une baisse du dollar, donc des devises émergentes moins attaquées. Ce qui nous rend d’ailleurs très positifs sur les marchés émergents.

Quelles peuvent être les conséquences de cette divergence de politique monétaire entre les Etats-Unis et la zone euro ?

Loïc Bécue - La baisse des taux de la BCE était nécessaire, car la prévision de croissance dans la zone euro pour 2024 est inférieure à 1 % contre 2 à 2,5 aux Etats-Unis, 5 % en Chine et 7 % en Inde. Donc, il était nécessaire de relancer l’économie en zone euro pour que les entreprises ne perdent pas de parts de marché, et de soutenir notamment l’économie allemande où un rebond est déjà perceptible alors qu’elle a été très affectée par le ralentissement chinois et par la guerre en Ukraine.

Julien-Pierre Nouen - En zone euro, nous avons eu une période de 18 mois de stagnation de l’activité en volume. La différence de trajectoire avec les Etats-Unis est donc très claire. Et des questions se posent sur le marché du travail. Après 18 mois de stagnation de l’activité, le chômage aurait dû repartir à la hausse, mais la remontée n’a pas eu lieu. Les entreprises qui avaient eu beaucoup de mal à recruter post-covid ont gardé les salariés, même si l’activité était un petit peu en dessous de la normale. Il sera intéressant d’observer dans les prochains mois si les entreprises conservent ces effectifs ou si elles vont faire des ajustements. Or, dans une reprise classique, les recrutements ont un effet accélérateur, car, en retrouvant du travail, les consommateurs dépensent davantage. Cet effet accélérateur sera peut-être moins présent dans le cycle actuel, donc nous avons du mal à anticiper une croissance qui serait au-dessus du potentiel de la zone euro.

Joffrey Ouafqa - Aux Etats-Unis, il était tout à fait justifié de décaler les baisses de taux, mais en zone euro, avec une croissance autour de 0,5 à 1 % cette année, une inflation, en baisse, autour de 2,6 %, le niveau de taux d’intérêt d’équilibre se situe entre 3 % et 3,5 %, bien en dessous des taux actuels de la BCE. Nous considérons que les taux sont encore en territoire restrictif malgré la baisse de taux de 0,25 % du 6 juin. Le marché intègre actuellement seulement deux baisses des taux par la BCE cette année, c’est peu.

Finalement, alors que la situation macroéconomique n’est pas du tout la même entre les Etats-Unis et la zone euro et que les fondamentaux européens justifient plus de baisses de taux, le marché reste très prudent et s’attend à ce que la BCE se cale sur les prochaines actions de la Fed.

Julien-Pierre Nouen - Il y a une vraie question sur le niveau des taux neutres aujourd’hui. La BCE refuse de donner une estimation de ce qu’est le taux neutre, c’est-à-dire le taux cohérent avec une inflation à la cible et sans impact sur l’activité économique. L’activité économique dans la zone euro est plutôt en train de réaccélérer, ce qui ne devrait pas être le cas avec des taux très restrictifs. La question se pose aussi aux Etats-Unis où l’économie vit assez bien avec des taux à 5,5 %, même si certains secteurs comme l’immobilier sont sous pression. Les projections des marchés à moyen terme voient, en zone euro, des taux aller progressivement vers les 2,5 %. La BCE suivra-t-elle ce chemin ou conservera-t-elle une politique plus restrictive ? La question reste très largement ouverte d’autant que les banquiers centraux veulent conserver des marges de manœuvre en cas de ralentissement plus marqué de l’activité économique. Et éviter à tout prix de devoir refaire du quantitative easing.

«Le marché américain est sans doute cher, mais il a une bonne histoire à raconter.»

Loïc Bécue gérant gestion diversifiée et allocation d’actifs ,  Sienna IM

Les tensions géopolitiques sont-elles de nature à relancer l’inflation ?

Loïc Bécue - Les problématiques du Proche-Orient pourraient s’étendre à toute la région et avoir un impact sur l’évolution du cours du pétrole. Ce risque inflationniste affecterait l’ensemble de l’économie mondiale et pourrait inciter les banques centrales à stopper la baisse des taux. Par ailleurs, la guerre russo-ukrainienne s’enlise complètement, ce qui pourrait ramener des tensions sur l’ensemble des prix des matières premières.

Julien-Pierre Nouen - Les questions commerciales sont également inflationnistes. La Commission européenne a annoncé une hausse des droits de douane sur les voitures électriques chinoises, ce qui sera sans doute suivi d’une réplique de la Chine. Et dans les prochaines semaines, la campagne électorale va commencer aux Etats-Unis, avec un Donald Trump qui veut augmenter très fortement les droits de douane et un Joe Biden qui n’est pas non plus insensible à cette question. Des augmentations de droits de douane sur certains produits chinois ne sont pas que symboliques, mais aussi potentiellement inflationnistes.

Joffrey Ouafqa - Au début du mandat de Trump, les droits de douane sur les produits chinois étaient en moyenne de 3 %. Ils sont montés à 20 % à la fin de son mandat et Biden ne les a pas baissés, au contraire, ils ont continué à augmenter légèrement. Et si Trump est élu, il prévoit de les augmenter encore plus significativement. Il faut se rendre à l’évidence : l’apogée de la mondialisation est derrière nous, les pays veulent relocaliser la production, et l’Europe, tiraillée entre les Etats-Unis et la Chine, commence, elle aussi, à relever les droits de douane, notamment sur les véhicules électriques chinois. Certes, ces derniers seront moins abordables en Europe, il y aura des représailles de la Chine sur les spiritueux, les produits de luxe, etc. Tout ceci est inflationniste.

Les marchés émergents hors Chine ne manquent pas d’attrait, mais il y a très peu de flux. Pourquoi une telle défiance des investisseurs ?

Joffrey Ouafqa - Depuis le début de l’année, il y a une divergence de performance sensible entre les régions. En Amérique latine, les indices sont en baisse marquée, notamment au Brésil et au Mexique. L’Inde continue de performer alors que la Chine a peut-être souffert d’un excès de pessimisme. Depuis le début de l’année, nous sommes un peu plus constructifs sur cette zone, les prévisions de croissance ayant été révisées à la hausse autour de 5 % et les impacts de la crise immobilière sur l’activité commençant à se modérer. Aucun investisseur ne surpondère aujourd’hui les actions chinoises dans les portefeuilles, mais une fois que la Fed aura donné le signal de la baisse des taux, on pourrait voir des flux se rediriger vers les émergents et bénéficier à d’autres pays que l’Inde ou encore le Vietnam et la Thaïlande, qui ont profité de la sortie des flux de la Chine car ils offraient une meilleure visibilité.

Loïc Bécue - Chez Sienna IM, nous sommes très positifs sur la Chine depuis un petit moment déjà. Le mois d’avril nous a bien aidés puisqu’il y a eu un vrai rattrapage de l’économie chinoise. Par ailleurs, dans cette région, c’est le Japon qui a capté des flux importants, mais si le yen remonte et devient préjudiciable pour la croissance et les marchés actions, ces flux reviendront en partie sur la Chine. Pour investir dans les marchés émergents, nous utilisons beaucoup d’ETF plus simples pour nous exposer aux indices MSCI China ou MSCI India. Dans une gestion diversifiée, le MSCI India apporte de la performance et de la décorrélation par rapport au S&P 500 ou MSCI Europe.

Julien-Pierre Nouen - Dans nos gestions, nous adoptons quand même une approche plus prudente sur la Chine. Et puis, cette crise immobilière qui se produit à un rythme très lent est quand même très importante. Le gouvernement a pris des mesures, mais elles semblent encore assez limitées par rapport à l’ampleur du problème et nous voyons que la baisse des prix s’accélère. Or, l’immobilier représente les deux tiers de l’épargne des ménages chinois. Il y a donc un problème de confiance des ménages en Chine et, plus globalement, un problème d’endettement. Les ratios de dettes totales de l’économie chinoise rapportées au PIB sont sur les mêmes niveaux qu’aux Etats-Unis, avec une progression très rapide sur les 15 dernières années, ce qui ne peut pas durer. La stratégie du gouvernement ne traite pas le sujet en profondeur et consiste à réorienter des flux financiers vers l’investissement manufacturier. Il recrée de la capacité manufacturière alors que la demande domestique est atone, ce qui est déflationniste.

«Nos portefeuilles diversifiés font toujours la part belle aux obligations d’entreprises. »

Joffrey Ouafqa directeur des gestions ,  Pôle AM, Auris Gestion

Aujourd’hui, comment sont constitués les portefeuilles diversifiés ? Quelle est la part allouée aux obligations ? Aux actifs risqués ? Comment évoluent les corrélations ?

Joffrey Ouafqa - Nos portefeuilles diversifiés au sein de notre gestion sous mandat ou nos fonds dédiés font toujours la part belle aux obligations d’entreprises. Mais il faut être désormais plus prudent et bien analyser tous les sous-segments du crédit, car nous avons connu un très beau rallye. Après avoir été très positifs sur le high yield, nous sommes passés neutres, car les spreads se sont bien resserrés. Certaines entreprises continuent à souffrir de la remontée des taux et quelques-unes ont déjà fait défaut. Notre allocation au crédit est équilibrée entre Haut Rendement et Investment Grade (IG), qui permet de rajouter de la duration dans les portefeuilles et d’avoir une approche patrimoniale et défensive. Nous investissons également dans certains segments du crédit comme la dette hybride dont le rendement se situe entre de la dette IG et de la dette high yield pour des émetteurs notés IG. Enfin, il y a encore beaucoup de valeur sur la dette subordonnée bancaire, notamment les Additional Tier 1. Enfin, ajoutons que le crédit présente un meilleur ratio de Sharpe que les actions européennes, par exemple ; il a donc toute sa place dans les allocations patrimoniales.

Sur la partie actions, nous avons une approche très diversifiée géographiquement. Nous conservons une exposition aux Etats-Unis, même si, à court terme, nous sommes neutres sur la zone qui affiche de belles performances uniquement à la faveur de la performance des Sept Magnifiques. En Europe, les valorisations sont attractives, et ce, sur tous les secteurs, y compris les secteurs en croissance comme le luxe ou la technologie. Des secteurs plus value comme les banques, l’immobilier ou les utilities offrent un bon potentiel. Il y a beaucoup de valeur à chercher sur le marché européen, même si la dissolution a quelque peu troublé les perspectives à court terme pour les actions de la zone. Nous avons également à la marge une exposition aux marchés émergents, avec un léger biais favorable sur la Chine. En ce qui concerne la corrélation, elle est actuellement très élevée entre les actions et les taux souverains, quasiment au plus haut historique.

Loïc Bécue - Il n’y a plus le fly to quality que nous avions auparavant, ce qui est un peu gênant en gestion diversifiée, mais c’est largement compensé par un marché monétaire stable et qui rémunère bien depuis le début de l’année. En termes d’allocation d’actifs, nous sommes neutres sur les actions et les obligations, mais nous essayons de créer de la valeur sur les macro-classes d’actifs. Sur la partie actions, nous avons décidé récemment de surpondérer les actions européennes au détriment des actions américaines pour profiter de la baisse des taux et du redémarrage de la croissance européenne. Dans les émergents, nous sommes surpondérés sur la Chine et nous avons quelques positions récentes sur l’Inde. En termes de secteurs, nous privilégions les matériaux de base et l’immobilier européen, et enfin, nous revenons sur les mid & small caps, qui devraient profiter de la baisse des taux. De façon globale, pour être de nouveau positifs sur les actions, il faudrait que les risques géopolitiques soient moins forts, que le conflit au Proche-Orient ne s’enlise pas, car ils sont porteurs d’un risque inflationniste important.

Sur la partie obligataire, nous sommes neutres sur les obligations souveraines, nous avons pris nos bénéfices sur le high yield américain avant de revenir au high yield européen. Nous avons une exposition aux subordonnées financières et aux break‑even inflation, qui sont une sorte de valeur refuge quand il y a un peu de volatilité sur la dette souveraine comme actuellement. Sur une allocation monde, la dette émergente est un actif de diversification qui rémunère bien depuis le début de l’année en termes de performance. Nous avons une préférence pour la dette en devises locales dans la perspective d’une baisse du dollar. Nous avons aussi des convictions sur le change : l’euro devrait s’apprécier face au dollar et le yen face à l’euro.

Julien-Pierre Nouen - Nos fonds sont légèrement surexposés aux obligations, mais plutôt sur la partie crédit pour avoir du rendement. Les spreads sont effectivement bas, mais l’activité économique va dans le bon sens et nous allons vers un assouplissement des conditions de crédit des banques, ce qui limite le risque d’accident au niveau des spreads. Nous sommes plus prudents en termes de duration sur les parties longues de courbe. En effet, selon notre analyse, les économies sont en train de réaccélérer, donc cela nous semble contre-intuitif de penser que les banques centrales vont continuer à baisser les taux de manière importante. Il y en aura, mais certainement moins que ce qu’anticipe le marché. Les taux longs devraient s’ajuster à ce régime de taux directeurs plus élevés. Du côté des actions, je partage la prudence sur les marchés américains, qui sont aujourd’hui sur des niveaux de valorisation élevés. Aux Etats-Unis, les prévisions de croissance des résultats sont très solides, pour la tech, mais aussi pour le reste du marché. Les attentes ne sont pas cohérentes avec le niveau actuel de l’ISM manufacturier. De mauvaises nouvelles sur les résultats des entreprises américaines ne sont pas à exclure. En Europe, les niveaux de valorisation sont plus intéressants, notamment sur les petites capitalisations qui ont été vraiment délaissées sur les trois dernières années. Sur les devises, nous pensons également que le mouvement de dépréciation du yen est allé beaucoup trop loin et pénalise l’économie japonaise. La BOJ pourrait avoir une politique de hausse des taux moins prudente par rapport à ce que le marché anticipe aujourd’hui. 

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