Table ronde

Obligations convertibles : un couple rendement /risque attractif !

Publié le 29 janvier 2024 à 8h30

Catherine Rekik

Quel bilan peut-on faire de la classe d’actifs l’an dernier ? Comment a évolué le marché primaire ? Le renouvellement du gisement apporte-t-il des nouveautés en termes de secteurs, de profils d’émetteurs ? Quelles sont les perspectives pour 2024 ? Quels sont les atouts de la classe d’actifs dans un contexte de récession et de normalisation, voire de baisse des taux ? Quels sont les moteurs de performance ? Les principaux risques ? La décote des marchés actions européens, et notamment des mid & small caps européennes, est-elle un atout en faveur des fonds de convertibles exposés à cette zone géographique ou faut-il privilégier une approche globale ?

Les intervenants : 

  • Benjamin Schapiro, directeur de la gestion convertibles, UBP Asset Management (France) 
  • Julien Coulouarn, gérant obligations convertibles, Montpensier Finance 
  • Antoine Lesné, responsable stratégies et recherche SPDR ETF, State Street Global Advisors
  • Nicolas Schrameck, responsable convertibles & crédit, Ellipsis AM

Quel bilan faites-vous de la classe d’actifs en 2023 ? 

Antoine Lesné - L’année 2023 a plutôt été positive pour les obligations convertibles. Au sein de notre gamme d’ETFs, c’est la stratégie qui a délivré la meilleure performance : + 13,3 % en dollars. Les frais de couverture et de change ont un peu pesé sur la performance en euro, mais elle reste au-dessus de 12 %. La performance sur l’année a donc été meilleure que prévu puisqu’on attendait plutôt 7 à 8 %, un objectif que le rallye de fin d’année a permis de dépasser sur la plupart des indices. La classe d’actifs s’est comportée comme nous l’espérions, elle a bien supporté la baisse des marchés durant l’été puis renoué avec la performance, en particulier sur la partie américaine tirée par des émetteurs ayant des deltas élevés comme Palo Alto. 

2023 a cependant été une année décevante en termes de flux. Les investisseurs ont un peu alloué du côté américain, mais nous n’avons pas vu beaucoup de flux sur les fonds globaux. Toutefois, l’intérêt des investisseurs semble se matérialiser dans les flux en fin d’année alors que les valorisations étaient très intéressantes.

Benjamin Schapiro - Si cette discussion avait eu lieu fin octobre, nous n’aurions sans doute pas dressé le même bilan positif, car ce sont notamment les 2 derniers mois de l’année qui ont permis à la classe d’actifs de finir nettement en positif alors que l’année a traversé des périodes de volatilité importante. La normalisation des taux que nous avions anticipée comme étant un moteur de performance potentielle important dans la classe d’actifs s’est vraiment matérialisée sur les mois de novembre et décembre. Le 10 ans américain a baissé de plus de 100 points de base en 2 mois, ce qui est un mouvement historique. Or nous savons que la performance de notre classe d’actifs, via son prisme obligataire mais aussi via la composition des sous-jacents, dépend des mouvements de taux. Ce moteur, qui avait été défavorable en 2021 et surtout en 2022, est redevenu favorable à plusieurs moments de l’année, mais surtout au cours des 2 derniers mois. 

Les stratégies européennes ont ainsi délivré une performance de 5 à 7 % en euro, avec des indices actions en hausse de près de 14 %. Sur les fonds globaux, en moyenne, la performance des indices en euro se situe entre 8 et 10 % avec un indice MSCI World en euro en hausse de 20 %. Dans les 2 cas, les convertibles ont capté près de 50 % de la performance des marchés actions, ce qui est au-dessus des sensibilités actions moyennes affichées. 2023 aurait pu être une troisième année consécutive de performance en deçà des attentes pour la classe d’actifs mais, fort du très bon comportement de fin d’année, ce fut finalement un bon cru pour les obligations convertibles.

Julien Coulouarn - Trois des principales composantes des obligations convertibles – les actions, le crédit et les taux – ont bien fonctionné en 2023. Et sur les parties taux et crédits, 2 éléments se sont conjugués : la baisse des taux et des spreads et le portage à un niveau que nous n’avions pas vu depuis quasiment une dizaine d’années. En effet, le portage a fait son retour, et la classe d’actifs délivre de nouveau des coupons significatifs. C’est l’un des éléments qui permet d’anticiper des perspectives favorables à la classe d’actifs en 2024. La volatilité implicite, qui est le quatrième moteur de performance, a contribué négativement sur l’année. Mais la bonne nouvelle est qu’elle se situe sur des niveaux historiquement bas et constitue donc un support technique attractif pour la classe d’actifs.

Nicolas Schrameck  - Dans le bilan de l’année 2023, le phénomène le plus frappant est la réactivation d’un moteur historique de performance pour les obligations convertibles. En 2022, la classe d’actifs a connu un profond réajustement sur sa composante obligataire, les convertibles n’étant tirées les années précédentes que par un seul moteur, celui des actions. Mais si on prend du recul, historiquement, la composante obligataire est le principal moteur de performance des convertibles, et il nous avait manqué ! Au final, l’an dernier, les performances ont été équilibrées entre la contribution action et la contribution obligataire. Ce qui devrait être le cas en 2024 également, puisque nous démarrons l’année avec des niveaux de portage autour de 3 % en Europe et 2 % sur le gisement global. 

Par ailleurs, en 2021 et 2022, la classe d’actifs a subi une performance relative négative par rapport aux obligations et aux actions, ce qui a entraîné des sorties importantes. En 2023, la décollecte s’est poursuivie avec 7 Md€ de sorties sur les fonds globaux et 1,5 Md€ sur les fonds européens, soit quasiment 20 % de l’encours des fonds directionnels. Ce qui a contribué à diminuer la valeur des options de conversion, avec 10 à 11 % de chute de la volatilité implicite sur les options de conversion. Cela se traduit par une baisse de prix de 4 % pour les obligations convertibles. Le bilan a été très positif grâce à la composante obligataire et action mais, en réalité, la composante optionnelle, elle, s’est beaucoup dépréciée. Nous sortons d’une année de revalorisation des actions et de resserrement du crédit, mais, sur les convertibles, nous avons subi une baisse de valorisation. Malgré sa bonne performance en 2023, la classe d’actifs reste donc en retard par rapport aux actions et aux obligations.

«L’apparition de vraies décotes sur le marché primaire apporte un surplus de performance.»

Nicolas Schrameck Responsable convertibles & crédit ,  Ellipsis AM

Qu’est-ce qui pourrait rendre la classe d’actifs de nouveau attractive pour les investisseurs ? 

Nicolas Schrameck  - 2023 est une année de bonnes performances relatives, ce qui remet notre classe d’actifs en lumière. Pour qu’elle soit plus attractive, il faut qu’il y ait aussi un redémarrage du marché primaire. L’an dernier, le montant des émissions a été de 75 Md$ au global contre 40 Md$ en 2022, mais cela reste moitié moins que les 150 Md$ d’émissions en 2021. La nouveauté sur ce marché primaire, c’est que la capacité à négocier de meilleurs termes est de nouveau du côté des investisseurs et non plus de celui des émetteurs. C’est très important, car nous avons eu des structures d’obligations convertibles qui ont été émises ces dernières années, avec des caractéristiques peu avantageuses, avec zéro coupon, des primes de conversion très élevées, donc avec un potentiel de performance assez limité.

Aujourd’hui, les investisseurs sont de nouveau capables de promouvoir des structures plus dynamiques, avec des primes de conversion plus faibles, ce qui permet de mieux participer à la hausse des marchés. De plus, on voit de nouveau l’apparition de vraies décotes sur le marché primaire, qui apportent un surplus de performance.

Antoine Lesné - Le retour des flux a déjà commencé. Il faut rappeler que le monde des convertibles est assez restreint, mais aussi qu’en 2019, 2020 et post-covid, certaines sociétés de la tech ou du e-commerce ont émis des convertibles avec zéro coupon, ce qui a changé le profil du gisement, au point de le comparer au Nasdaq. Nous sommes revenus vers un univers plus diversifié avec des émetteurs qui offrent désormais des coupons, ce qui, forcément, est plus favorable en tant qu’investisseurs. Par ailleurs, pour les allocataires d’actifs, 2024 ne devrait pas être une année spectaculaire pour les marchés actions. Ainsi, en complément du portefeuille actions, les investisseurs pourraient revenir sur notre classe d’actifs. Et si jamais il y avait une recrudescence de la volatilité, les valorisations des convertibles sont peu élevées. C’est donc un moment potentiellement intéressant pour se couvrir. C’est le comportement que nous analysons à travers les flux des investisseurs actuellement. Si le marché primaire est un peu plus dynamique, on devrait s’attendre à plus de flux. Pour notre part, nous avons vu les actifs sur notre fonds global croître de près de 10 % en 6 semaines, ce qui n’est pas négligeable pour cette classe d’actifs.

«Il y aura moins de volatilité dans la classe d’actifs grâce à la diversification et à la qualité du gisement. »

Benjamin Schapiro Directeur de la gestion convertibles ,  UBP Asset Management (France) 

Les investisseurs reviennent donc sur la classe d’actifs pour des raisons d’aversion au risque action ? 

Antoine Lesné  - En effet, ils reviennent potentiellement en recherche de protection contre un risque action. Cela dépend bien sûr de la typologie des investisseurs, mais ceux qui investissent dans notre ETF sont plutôt des banques privées et des investisseurs institutionnels qui cherchent une protection et une diversification dans leurs allocations.

Benjamin Schapiro - La classe d’actifs a traversé une période de performance compliquée entre 2021 et 2022, ce qui s’est traduit par une perte de confiance des investisseurs dans sa capacité à délivrer de la convexité. En 2021, les marchés actions ont très bien fonctionné, mais les convertibles ont peu délivré. A l’inverse, en 2022, quand les marchés ont baissé, les convertibles ont peu protégé. Les investisseurs ont été marqués par cette séquence, ce qui a généré un doute sur la capacité de la classe d’actifs à mieux capter les hausses que subir les baisses. 

2023 redevient une année où la classe d’actifs délivre ses objectifs. Le retour de la performance devrait permettre aux investisseurs de reprendre confiance. Les flux commencent à revenir, les discussions que nous avons avec les investisseurs sont beaucoup plus constructives. Ils voient que les taux se stabilisent, voire commencent à baisser, ce dont va profiter la classe d’actifs.  

Par ailleurs, en 2 ans, dans les nouvelles émissions, nous sommes passés d’un coupon moyen inférieur à 1,5 % à environ 3 %. Ce changement signifie de la performance obligataire supplémentaire pour les investisseurs. A l’inverse, la prime de conversion – c’est-à-dire la hausse que doit effectuer l’action dans la vie de la convertible pour arriver à la conversion – a baissé d’à peu près 10 % sur la même période. Nous avons donc près de 2 % de coupon en plus et 10 % de prime en moins : toutes choses égales par ailleurs, on est mieux rémunéré sur la partie obligataire et on profite plus rapidement de la hausse de l’action sous-jacente. L’investisseur est gagnant sur les 2 moteurs.

Julien Coulouarn - Comme pour toutes les classes d’actifs, les flux reviennent souvent avec la performance. Donc les flux négatifs étaient assez logiques après une année comme 2022. Nous avons en fait vécu 3 années exceptionnelles, 2020, 2021 et 2022, et même en incluant ces années, le track record des obligations convertibles demeure extrêmement positif sur une période de 20 ans. Désormais, l’année 2023, avec ses performances significativement positives, reflète à nouveau de bonnes conditions et donc le potentiel de performance des convertibles. Cela devrait inciter les investisseurs à revenir plus massivement sur la classe d’actifs.

Comment devrait évoluer le marché primaire cette année ? Quelles sont les nouveautés dans le gisement ? 

Nicolas Schrameck - La première motivation pour émettre une obligation convertible est d’économiser la charge d’intérêt. Une obligation convertible va être émise en général avec un coupon 2 à 3 % inférieur à une obligation équivalente non convertible. Dans un contexte de taux plus élevés, l’obligation convertible est évidemment une alternative beaucoup plus employée par les entreprises. En 2023, des entreprises ont émis avec un coupon moyen de 3 % alors qu’elles auraient payé des coupons de 5 à 6 % sur des obligations classiques. 

L’environnement de taux devrait donc être très favorable au retour des émissions sur les obligations convertibles. C’est d’autant plus vrai que les besoins de refinancement augmentent en 2024, d’abord, pour des entreprises investment grade, avec 30 % de maturité en plus qu’en 2023. Le marché sera donc soutenu cette année par des entreprises bien notées qui veulent se refinancer en ayant recours aux marchés convertibles. Nous allons également commencer à voir des entreprises sur le marché du high yield qui vont se refinancer avec des obligations convertibles, sans doute vers la fin 2024, en anticipation des maturités qui augmentent à partir de 2025. Et il y a le marché des convertibles lui-même, qui a connu un boom d’émissions en 2020 et 2021, qui va aussi devoir se refinancer. Il y a une multiplication des profils d’entreprises qui devraient chercher à se financer avec des convertibles, donc les volumes seront mécaniquement plus conséquents. 

Par ailleurs, nous avons constaté le retour de certains secteurs qui avaient un peu disparu de la classe d’actifs. C’est le cas des utilities sur le marché américain, qui ont ainsi réduit leurs charges d’intérêt en émettant des convertibles. Ce sont des émetteurs de bonne qualité. En Europe, nous avons vu le retour des acteurs de l’énergie comme ENI ou Saipem. Ces entreprises avaient disparu, et leur retour offre de la diversification. Ces secteurs offrent des performances décorrélées au sein des actions mais aussi au sein des obligations convertibles.

Benjamin Schapiro - La diversification est un élément important et nous en avons manqué ces dernières années. En 2020 et 2021, les volumes d’émissions primaires ont été très importants, de l’ordre de 140 à 150 Md$ par an, mais avec un biais très marqué sur des sociétés technologiques, peu matures, car nous étions dans un environnement post-covid où les taux étaient très bas. Elles sont venues sur notre marché parce qu’il est historiquement ouvert à des sociétés qui ne sont pas notées, qui sont plus jeunes, avec de fortes perspectives de croissance. C’est en partie ce qui a expliqué la corrélation de certaines performances en 2022, alors que les taux rebondissaient fortement. 

Désormais, dans l’univers actuel de taux, cette diversification va être bien meilleure, avec le retour de l’énergie et des utilities par exemple. 2023 a été aussi, en proportion d’émissions, l’année avec le plus d’émetteurs investment grade dans les convertibles depuis 10 ans. La qualité du gisement et la diversification dans les noms s’améliorent. Il y aura moins de volatilité dans la classe d’actifs grâce à cette diversification : des grandes capitalisations boursières, mais aussi des plus petites – ce qui a toujours été le cas dans notre marché –, des sociétés investment grade et du crédit high yield, ainsi qu’une meilleure représentation de différents secteurs. En Europe, nous avons déjà vu venir des capitalisations moyennes comme Spie, Saipem ou Bechtel, mais aussi un acteur comme Schneider avec une capitalisation de 100 Md€.

Le constat est-il le même pour tous les gisements ?

Antoine Lesné - En effet, les sociétés américaines émettent le plus. En Europe, on a vu revenir RAG-Stiftung, qui est un émetteur habituel sur la zone. Depuis le début du mois, Campari a émis 550 M€ pour financer l’achat de Courvoisier, une belle taille pour un papier européen. Nous constatons moins de participation de la Chine au marché en raison sans doute des problèmes domestiques. Quant au Japon, c’est encore timide, mais il y a eu quelques émissions en fin d’année de la part de sociétés industrielles telles que Kobe Steel. Cette diversification devrait attirer des investisseurs et, pour une fois, nous voyons pas mal de noms notés investment grade.

Julien Coulouarn - En termes de volumétrie, en 2023, l’investment grade a représenté 27 % des émissions du marché global des convertibles alors que, en moyenne, au cours des années précédentes, c’était plutôt aux alentours de 10 %. Par ailleurs, même si les taux ont baissé depuis le plus haut d’octobre dernier, le coût de l’emprunt reste important pour les entreprises. Et en cas de baisse des taux courts, les taux longs ne devraient pas revenir aux niveaux négatifs observés ces quelques dernières années. Le coût du financement est redevenu une réalité pour les directeurs financiers des entreprises, et cela devrait perdurer. L’intérêt des obligations convertibles afin d’économiser sur le coût du financement devrait donc également se poursuivre.

«La classe d’actifs délivre de nouveau des coupons significatifs. »

Julien Coulouarn Gérant obligations convertibles ,  Montpensier Finance

Dans ce marché primaire plus dynamique, quel est le profil de convertible qui vous séduit le plus ? 

Nicolas Schrameck - Nous cherchons avant tout des sources de performances équilibrées. Aujourd’hui, il redevient important de s’intéresser au portage obligataire. Si le crédit est de qualité, on est quasiment assuré de toucher ce rendement, c’est donc un des aspects à prendre en compte lorsqu’on s’intéresse à une émission. Un autre aspect concerne la participation à la performance de l’action et donc la probabilité d’avoir une conversion à la maturité de l’obligation convertible. En 2023, une part importante des convertibles ont encore été émises par des entreprises innovantes, avec des perspectives de croissance supérieures à celles du marché. Leurs actions ont donc un potentiel de performance intéressant. 

Il y aura toujours, structurellement, un biais croissance dans le gisement, parce que les entreprises en croissance n’ont pas envie de supporter une charge d’intérêts importante ni d’avoir la contrainte de remboursement de la convertible à maturité. Elles préfèrent mobiliser leurs liquidités pour des projets innovants et de croissance. Il y a un alignement d’intérêt total entre les émetteurs de convertibles que sont les entreprises de croissance et les investisseurs : tous ont intérêt à ce que la convertible aille à la conversion. Ce n’est pas le cas pour tous les émetteurs de convertibles ; certains peuvent choisir d’émettre une convertible pour économiser du coupon lorsqu’ils pensent que leur action est trop valorisée et que le risque de dilution est faible. Historiquement, sur les 30 dernières années, les émetteurs innovants qui opèrent des ruptures offrent 2 fois plus de performance que le reste du gisement des convertibles. Il est important que ces émetteurs restent prépondérants dans le gisement, car ils sont le moteur de performance à long terme de la classe d’actifs. Grâce à eux, sur 20 ans, les performances des obligations convertibles sont proches des actions avec moitié moins de volatilité.

Benjamin Schapiro - Quand on investit dans une convertible, et notamment sur le marché primaire, il est intéressant de comprendre les raisons qui ont motivé le management de la société à émettre une convertible. Avant la remontée des taux, certaines sociétés venaient sur le marché des convertibles motivées par leur niveau de cours ou par un rendement exceptionnellement bas, parfois même négatif. Elles profitaient d’un bon timing sans forcément avoir de rationnel industriel. Aujourd’hui, les motivations sont plus claires : économiser des coûts financiers dans le cadre de refinancement de dette ou financer une acquisition comme dans le cas de Campari récemment. Ce dernier exemple est intéressant, car derrière cette émission, il y a un rationnel industriel et pas uniquement de l’opportunisme pour lever des capitaux.

Julien Coulouarn - Pour notre part, nous recherchons une diversité d’émetteurs, des histoires de croissance, une certaine qualité de crédit même si les sociétés ne sont pas notées investment grade, un bon coupon, etc. C’est cet ensemble de critères qui fait la richesse du gisement composé de capitalisations boursières très variées.

Benjamin Schapiro - Le gisement des convertibles a évolué vers une meilleure qualité de crédit avec plus de large caps / sociétés investment grade, mais on n’y trouve pas, par nature, les 7 Magnifiques (on note en revanche que la plupart ont utilisé des convertibles au cours de leur développement pour financer leur croissance). La classe d’actifs apporte de la diversification par rapport à un investissement dans les grands indices actions internationaux du fait de la typologie des émetteurs.

Julien Coulouarn - En revanche, on peut trouver dans le gisement des convertibles des sociétés qui ont le potentiel pour faire partie un jour des 7 Magnifiques. Prenons le cas de Tesla qui a émis des convertibles à 5 reprises avant d’avoir le parcours boursier qu’elle a connu ensuite. Dans le gisement des sociétés technologiques aux Etats-Unis, certaines pourraient sans doute être appelées à faire partie des grandes capitalisations boursières dans le futur.

Nicolas Schrameck - Palo Alto est un bon exemple. Le leader de la cybersécurité mondiale, qui a été le plus gros contributeur à la performance des obligations convertibles l’année dernière, a dépassé les 100 Md$ de capitalisation boursière. Cette société a financé sa croissance à travers des émissions de convertibles et participé ainsi à la très bonne performance de la classe d’actifs depuis plusieurs années.  

«Les convertibles pourraient bénéficier des réallocations des poches de cash.»

Antoine Lesné Responsable stratégies et recherche SPDR ETF ,  State Street Global Advisors

La perspective de rebond du segment des small & mid caps européennes, dont les valorisations sont au tapis, renforce-t-elle l’attrait du gisement européen ? 

Benjamin Schapiro - C’est un fait que la valorisation des small & mid caps est faible – notamment en Europe – par rapport aux moyennes historiques, en relatif à d’autres segments de la cote. De mon point de vue, il faut avoir en tête qu’il y a effectivement un biais de composition dans notre classe d’actifs : c’est une forme de valeur qui va se matérialiser à un moment donné, quand il y aura un rebond des valorisations. Nous savons que c’est cyclique, que les valeurs moyennes sont plus corrélées à la croissance locale que le reste du marché. Ce qui explique les valorisations actuelles alors que les perspectives de croissance en Europe sont plus incertaines qu’aux Etats-Unis. Quand les perspectives de croissance s’amélioreront, les small & mid caps européennes vont certainement se revaloriser. Le timing est très difficile à prévoir. Je pense que c’est une des raisons qui poussent à se positionner tôt sur notre classe d’actifs. Quand ce type d’ajustement se matérialise, le mouvement peut aller très vite et il est presque impossible de se positionner dans la tendance. On l’a vu avec le mouvement de taux en fin d’année dernière.

Antoine Lesné  - Sur 20 ans, la sensibilité des small & mid caps et celles des convertibles à la pentification de la courbe est assez bonne. Mais comme pour le facteur value, si on n’est pas investi, on rate le départ de la fusée. Il est donc important d’être investi. Or beaucoup d’investisseurs sont encore très exposés au cash. Comme les taux devraient baisser, ces poches devraient être redéployées vers différentes classes d’actifs. Les convertibles pourront bénéficier de ces réallocations.  

Benjamin Schapiro - Le segment des valeurs moyennes est, par essence, plus volatil que le reste du marché. Il y a donc un intérêt particulier à profiter des obligations convertibles pour s’exposer à ce segment tout en limitant la volatilité. Pour des investisseurs qui croient au rebond des valorisations des petites et moyennes valeurs, je pense que les obligations convertibles représentent une alternative très crédible, que ce soit au niveau européen ou global.

Nicolas Schrameck - Il y a des raisons structurelles qui expliquent toutefois la faible valorisation des petites et moyennes valeurs. En moyenne, ces sociétés ont plus de levier financier et sont pénalisées par l’environnement de taux élevés. C’est un point qu’il faut bien garder en tête. Lorsqu’on investit dans des convertibles, on investit dans un instrument qui est avant tout obligataire. Ce segment est en effet en retard de valorisation, mais il faut être prudent sur les profils de crédit de certaines de ces entreprises. Les taux de défaut ont commencé à remonter sur les convertibles : autour de 3 % de taux de défaut réalisés sur les 12 derniers mois pour le gisement des convertibles. Il est très important d’être sélectif et de privilégier des secteurs comme la santé ou le cloud, qui sont peu endettés et offrent un potentiel de croissance avec moins de risque de crédit.

Quels sont les principaux risques que vous avez identifiés pour 2024 ?

Julien Coulouarn - Un marché primaire trop timide pourrait constituer un risque pour la classe d’actifs. Trop d’accidents de crédit également, même si beaucoup de sociétés, notamment aux Etats-Unis dans la technologie, bien qu’elles ne soient pas notées, sont relativement peu endettées et peuvent facilement réduire les coûts si c’est nécessaire. Souvent, ces entreprises, notamment des secteurs du cloud ou de la cybersécurité, n’ont que des obligations convertibles en termes d’endettement. D’un point de vue bilanciel, elles sont à l’opposé de sociétés issues de secteurs beaucoup plus capitalistiques, souvent présentes sur d’autres marchés obligataires.

Nicolas Schrameck  - Le principal risque serait une augmentation des taux de défaut qui concernerait les entreprises ayant des profils de crédit plus faible, avec de réelles difficultés de refinancement. C’est un risque pour les obligations convertibles, mais aussi pour toutes les obligations non convertibles. Notre gisement se compose de profils d’entreprises très différents qui ont, grâce au marché des obligations convertibles, une meilleure diversification des sources de financement. Mais les chiffres sont là : les taux de défaut augmentent à la fois sur le marché obligataire classique et sur celui des convertibles.

Benjamin Schapiro - Le marché a acté que les taux avaient fini de monter et qu’ils allaient baisser dans un horizon très proche. Un des risques aujourd’hui pourrait être lié à un excès d’optimisme sur les niveaux d’inflation et sur l’action des banques centrales. Si le marché se trompe sur ce scénario et que l’inflation repartait à la hausse dans les prochains mois, signifiant des baisses de taux décalées dans le temps, les mouvements seraient défavorables aux convertibles. 

Cependant, même en cas d’épisode de volatilité à court terme, le timing apparaît bon pour un investisseur de moyen/long terme sur les obligations convertibles.

Antoine Lesné - Le gisement global est très concentré sur les Etats-Unis et ce n’est pas là-bas que nous voyons le plus de risques. Du côté de la Chine, le consensus est plutôt négatif en règle générale, parce que le gouvernement ne fait pas tous les efforts nécessaires pour redynamiser l’économie. Il y a toute une partie du gisement qui a été complètement amortie, notamment dans le secteur de la tech chinoise ou du e-commerce. Le risque serait peut-être de sous-estimer un rebond potentiel de ce segment et donc de rater une partie de la performance si on n’est pas investi. 

Côté risque négatif, le risque géopolitique demeure et un événement de crédit que nous n’avons pas encore identifié complètement pourrait changer la donne. Globalement, nous n’attendons pas une performance très forte des actifs pour cette année tout en restant positifs.

Pour profiter des opportunités offertes par la classe d’actifs, faut-il privilégier une approche globale ou s’exposer à un gisement en particulier ? Quelles sont les innovations en termes d’offre ? 

Nicolas Schrameck  - Il est important de regarder l’attrait relatif des différentes zones. En Europe, il y a quand même une décote un peu plus marquée que sur les autres zones. Le niveau de volatilité implicite des options de conversion – un indicateur que nous utilisons beaucoup pour juger de la cherté de la classe d’actifs – y est au plus bas historique. Cela indique un point d’entrée pour la classe d’actifs sur cette zone. Cela étant dit, la réserve de performance sur les sous-jacents est, comme souvent ces dernières années, centrée sur la partie américaine. 

Chez Ellipsis AM, au-delà de l’approche globale, nous avons développé une gestion thématique sur la classe d’actifs avec le lancement d’un fonds de convertibles concentré sur les entreprises innovantes et la disruption. Nous sommes convaincus qu’il y a de la valeur à aller chercher de l’exposition thématique sur les obligations convertibles avec un filtre sur les émetteurs les plus intéressants qui utilisent les convertibles pour les bonnes raisons. Il y a ainsi un bon alignement d’intérêts entre émetteurs et investisseurs. Ce fonds est naturellement principalement exposé sur les Etats-Unis où nous retrouvons les leaders mondiaux sur l’intelligence artificielle, le cloud, la digitalisation ou encore la santé.

Julien Coulouarn - Chez Montpensier, nous avons lancé en mai dernier un fonds daté global pour profiter d’une situation qui était exceptionnelle après le choc de 2022 et des années précédentes. Nous avons saisi une opportunité qui a peu de chances de se représenter rapidement. Beaucoup de convertibles se sont retrouvées avec des rendements actuariels très attractifs et une valeur optionnelle très peu valorisée : une situation très attractive pour les investisseurs, et nous essayons d’en tirer parti.

Pour répondre à la question sur la zone géographique, il me semble que le choix revient à l’allocataire d’actifs. Le gisement global et le gisement européen possèdent des différences en termes de composition. En Europe, la volatilité est plus faible que celle d’une exposition globale. La diversification sectorielle est plus élevée. Dans le gisement global, la partie américaine est fortement représentée. Et on y trouve toutes ces grandes entreprises à fort potentiel dans la technologie, le software, le cloud, la cybersécurité, mais aussi la biotech et la medtech. En ce qui concerne les small & mid caps, ce segment est présent à la fois sur la partie américaine et sur la partie européenne, et la décote existe sur ces 2 marchés.

Benjamin Schapiro - Les gérants de fonds de convertibles sortent en effet un peu plus des sentiers battus pour trouver des niches du gisement porteuses de valeur. De notre côté, à l’UBP, nous avons par exemple lancé un fonds de convertibles chinoises qui va bientôt fêter ses 3 ans. Mais je suis d’accord avec ce qui a été dit précédemment, le choix de la zone géographique revient à l’allocataire d’actifs. Ce qui est important, c’est d’avoir en tête les différentes typologies et de bien comprendre les différences entre les gisements. Traditionnellement, le gisement européen est plus investment grade que le gisement global. Le marché américain comprend en effet plus d’émetteurs non notés et de jeunes sociétés. Le gisement européen a tendance à être un peu moins volatil, avec une qualité de crédit moyenne meilleure alors que le gisement américain, qui représente la majorité du gisement global, comporte des segments de sociétés plus risquées comme les biotechs, qui utilisent régulièrement les convertibles pour se financer. 

Certains investisseurs ont aussi des contraintes réglementaires qui les obligent à investir uniquement dans des titres en euros, donc ils n’investiront pas par nature dans un fonds global.

Antoine Lesné - Il y a dans le gisement européen des émetteurs avec des deltas relativement bas. L’exposition à ce gisement est moins volatile et correspond potentiellement mieux à un certain type d’investisseurs qui souhaite un profil de rendement/risque ajusté. Si les taux baissent aux Etats-Unis, ce sera positif pour la tech ou les biotechs non profitables ; un biais trop européen pourrait faire rater une bonne partie du rallye.

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