Changement de paradigme pour la gestion obligataire, qui retrouve les faveurs des investisseurs dans un contexte de ralentissement de la croissance, voire de récession, d’inflation persistante et de hausse des taux. Funds s’interroge sur l’attractivité de la classe d’actifs obligataires. Assiste-t-on à un retour significatif des flux ? Faut-il anticiper la poursuite de la hausse des taux ? Quel impact sur les classes d’actifs ? Faut-il revenir sur les emprunts d’État ? Du côté des corporates, quels segments privilégier : investment grade ou high yield ? Faut-il s’intéresser aux subordonnées financières ? À la dette émergente ? Quels sont les risques qui pèsent sur les marchés obligataires (évolution du niveau de l’inflation, taux de défaut, risque de liquidité) ? Quelles stratégies privilégier pour revenir sur les obligations (fonds obligataires flexibles, globaux, fonds datés, etc.) ?
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- L’intérêt des investisseurs pour les obligations se matérialise-t-il dans les flux ?
- Quels sont les éléments qui plaident aujourd’hui en faveur de la classe d’actifs ?
- Les obligations permettent donc de mieux appréhender une phase de ralentissement économique, voire de récession ?
- Les flux sont importants sur les marchés obligataires, mais les marchés actions ont bien rebondi en ce début d’année… N’y a-t-il pas trop d’optimisme ?
- Quels sont vos principaux points d’attention dans les prochaines semaines ? Faut-il se focaliser sur l’évolution de l’inflation ?
- Comment se matérialise cette volatilité ?
- Le risque de liquidité est-il plus important dans le contexte actuel ?
- Selon vous, les taux vont rester élevés toute l’année ?
- Comment se comporte le marché primaire depuis le début d’année ?
- Dans un contexte de ralentissement économique, faut-il privilégier l’investment grade au high yield ? Quels sont les atouts de ces deux classes d’actifs ?
- Vous avez évoqué le cas des foncières : existe-t-il un risque immobilier dans la classe d’actifs obligataires ?
- A quoi doit-on s’attendre en termes de défaut dans les prochains mois ?
- Les lancements de fonds à échéance se multiplient. Quels sont leurs atouts par rapport à des fonds obligataires flexibles ?
Les intervenants :
- Matthieu Bailly, directeur des investissements, Octo AM
- Emmanuel Petit, responsable de la gestion obligataire, Rothschild & Co AM
- Thomas Giudici, responsable de la gestion obligataire, Auris Gestion
- Al Cattermole, gérant obligataire, Mirabaud AM
L’intérêt des investisseurs pour les obligations se matérialise-t-il dans les flux ?
Al Cattermole : En effet, la classe d’actifs dans son ensemble répond désormais à de nombreux critères d’investissements et suscite de plus en plus d’intérêt de la part des investisseurs institutionnels et privés.
Emmanuel Petit : Depuis que je travaille sur les marchés, je n’ai jamais vu un tel intérêt pour la classe d’actifs en un laps de temps aussi court. Intérêt que nous mesurons aussi bien par la collecte que par les nombreux appels que nous recevons tous les jours des investisseurs institutionnels ou des clients privés qui nous interrogent sur les fonds ouverts ou les fonds dédiés.
Matthieu Bailly : Les investisseurs, qu’ils soient institutionnels ou privés, nous sollicitent en même temps, ce qui est assez rare. D’autant que certains n’ont jamais été investis en obligations et ont donc un besoin de formation. Le choix du fonds dépend du type d’investisseur : les fonds à échéance sont plus orientés retail alors les fonds thématiques ou flexibles intéressent plutôt des investisseurs institutionnels, qui ont plus l’habitude de la classe d’actifs. Les entreprises replacent également leurs trésoreries, l’obligataire offrant une prime assez forte, pour l’instant, par rapport au compte à terme.
Thomas Giudici : La classe d’actifs a toujours été plutôt institutionnelle. Ces dernières années, comme elle ne rapportait pas grand-chose, elle ne suscitait pas beaucoup d’intérêt auprès de nos clients CGP. Or, depuis trois mois, nous n’avons jamais eu autant d’allocations à faire en obligataire, en direct ou via des fonds flexibles ou datés pour nos clients. La classe d’actifs retrouve du portage et revient donc en force dans les allocations. D’autant que par rapport aux actions, le rendement escompté est assez significatif.
Matthieu Bailly : Depuis longtemps, les assureurs essayaient de convaincre les CGP de choisir des fonds obligataires. Sans succès puisque les rendements sur le fonds en euro étaient plus importants que ceux des obligations. Or, la situation s’est inversée puisque le fonds en euro offre un rendement autour de 1,5 % contre 4 à 6 % pour les obligations. Les CGP devraient donc désormais privilégier davantage d’unités de compte.
Thomas Giudici : Même si les flux sur la classe d’actifs sont significatifs, il reste quand même une belle marge avant d’effacer les sorties enregistrées l’an dernier ! En janvier, les flux sur l’investment grade euro s’élèvent environ à trois milliards, soit un tiers de ce qui a été perdu en 2022. Sur le high yield euro, le chemin sera en revanche un peu plus long.
Quels sont les éléments qui plaident aujourd’hui en faveur de la classe d’actifs ?
Emmanuel Petit : Nous vivons une période de normalisation monétaire inédite. Il y a eu une chute importante sur les actifs obligataires l’an passé – − 14,5 % sur l’investment grade et − 11,5 % sur le high yield –, qui a recréé des conditions de taux. L’investment grade est remonté à 4,4 % de rendement, ce qui était le pic de la crise des dettes périphériques. Par ailleurs, même si la perspective d’une récession semble s’éloigner, il reste beaucoup de questions sur l’impact que va avoir cette normalisation monétaire sur la croissance. Le choix entre investment grade et high yield se fait en fonction de ce qu’on a anticipé pour demain. Si l’on est confiant sur la croissance ou que l’on considère que le risque de récession est suffisamment valorisé, mieux vaut privilégier le high yield. Le marché valorise aujourd’hui une détérioration du taux de défaut, mais pas non plus une situation extrême.
Matthieu Bailly : Le high yield reste de l’obligataire ! Même si les défauts doublaient par rapport à 2008, la performance serait positive à l’horizon de trois ans. Les incertitudes, qui pénalisent surtout les marchés actions, sont fortes aujourd’hui, car elles concernent des sujets impossibles à maîtriser : il n’existe pas de modèles permettant de prévoir la fin de la guerre en Ukraine, la date de réouverture de la Chine, ou de dire si l’inflation est durable ou pas. Les perspectives de taux, de croissance ou d’inflation sont tellement différentes d’un opérateur de marché à un autre qu’il est difficile d’avoir un consensus. C’est encore plus vrai quand on regarde des sous-jacents tel que l’énergie, dont les prix ne cessent de varier. Toutes ces incertitudes plaident en faveur de l’obligataire, l’actif traditionnel de la prudence. Ensuite, en fonction de son optimisme, de son appétence au risque ou de sa contrainte de rendement, l’investisseur va choisir la classe d’actifs obligataires la plus adaptée.
Al Cattermole : Les taux sont très attrayants – et comme ils se composent à la fois de spreads élevés et d’obligations d’Etat élevées, il est possible d’obtenir de bons rendements, quel que soit le scénario. En cas de récession, les spreads s’élargissent, mais sont compensés par une baisse des emprunts d’Etat. En cas d’atterrissage en douceur, les spreads se resserrent et compensent la hausse des taux d’intérêt – avec en prime, un coupon attractif. Le rapport risque/rendement est très bien équilibré, surtout si l’on compare les obligations aux actions. Les entreprises sont également en bonne santé au sortir de la reprise post-covid – avec un accent mis sur la gestion du bilan et de la trésorerie plutôt que sur la croissance ou le versement de dividendes.
Thomas Giudici : Peu importent les sous-segments, les deux composantes du rendement, les taux et les spread, sont revenus à des niveaux assez historiques. On peut toujours débattre sur une poursuite ou pas de la hausse des taux ou sur la perspective d’une récession aujourd’hui, nous avons cet effet portage qui confère une forme de protection contre de nouveaux chocs de marché. Les entreprises sont à même de faire face à des vents contraires comme elles l’ont montré durant le covid.
Matthieu Bailly : Les entreprises sont prudentes, car elles ont traversé toute une série d’épreuves ces dernières années : le covid qui a mis à l’arrêt l’activité économique, la guerre en Ukraine, l’inflation et peut-être une récession bientôt… Elles sont moins endettées que par le passé et ont des politiques financières plus prudentes qu’en 2016 et 2017 quand la BCE inondait le marché et que les taux étaient à zéro.
«Aujourd’hui, le rendement des actions se situe autour de 3% alors que l’obligation d’une même entreprise peut rapporter entre 5 et 6%. »
Les obligations permettent donc de mieux appréhender une phase de ralentissement économique, voire de récession ?
Emmanuel Petit : D’une façon générale, le rendement protège contre les risques de récession. Quand on est investi dans le high yield, on encaisse une partie de la volatilité liée à une récession et des défauts. Si 5 ou 10 % de la classe d’actifs fait défaut – ce qui relève tout de même de scénarios très pessimistes –, il reste quand même 4 ou 5 % de performance au cours des prochaines années.
Al Cattermole : En cas de récession, les rendements des obligations d’Etat baissent, ce qui se répercute directement sur le prix des obligations investment grade et à haut rendement, offrant ainsi un certain soutien. Les taux sont également proches de leur niveau historique dans le cadre du cycle économique normal, ce qui signifie que l’investisseur est déjà payé pour une grande partie du risque de récession.
Thomas Giudici : En cas de récession, les taux seraient plutôt amenés à baisser, ce qui est donc favorable à une des composantes du rendement, et profiterait tout particulièrement à l’investment grade et aux emprunts d’Etat. Dans le cas d’un scénario plus mesuré, avec un atterrissage en douceur de la croissance, tous les segments devraient bien se comporter.
Emmanuel Petit : Sur l’investment grade, la composante taux est plus importante que sur le high yield. Tout dépend en fait de l’amplitude de récession que nous pourrions avoir. Il peut y avoir ensuite des mouvements de panique. Donc la volatilité peut être importante.
Matthieu Bailly : Beaucoup d’investisseurs, notamment institutionnels, sont obligés d’investir, en particulier quand l’inflation est élevée. Ils s’interrogent donc, compte tenu des risques actuels, sur les possibilités. Les obligations ont en proportion plus baissé que les autres classes d’actifs l’année dernière. Aujourd’hui, le rendement des actions se situe autour de 3 % alors que l’obligation d’une même entreprise peut rapporter entre 5 et 6 %.
Les flux sont importants sur les marchés obligataires, mais les marchés actions ont bien rebondi en ce début d’année… N’y a-t-il pas trop d’optimisme ?
Thomas Giudici : Le rebond des actions s’est fait en partie sur l’anticipation du pivot « dovish » des banques centrales. Attention cependant, car cela est surprenant si l’on considère que les taux vont baisser, car l’économie va entrer en récession.
Al Cattermole : Il y a eu une véritable déconnexion entre le marché actions et le marché des obligations d’Etat en ce début d’année. Les actions se sont négociées à la hausse avec l’amélioration de la situation économique en Chine et en Europe, ce qui est cohérent avec le scénario d’un atterrissage en douceur à l’échelle mondiale. Les obligations d’Etat et les taux avaient, jusqu’à très récemment, déjà intégré la réduction des taux d’intérêt des banques centrales pour 2023, ce qui est cohérent avec un schéma de récession. Nous devrons attendre les prochaines données macroéconomiques pour savoir ce qui est correct.
Emmanuel Petit : La récession n’est plus certaine, il y a un retournement de l’inflation et donc, les marchés se demandent si les banques centrales ne vont pas baisser les taux plus vite que prévu. Ce qui a favorisé les actifs risqués, et par conséquent, les actions, et explique la bonne performance du high yield et notamment, le segment des sociétés les plus fragiles. Cette combinaison d’éléments a contribué à rendre le marché optimiste en début d’année.
Matthieu Bailly : Le raisonnement a été le suivant : la récession va amener les banques centrales à rebaisser plus vite les taux, ce qui favorise les actions. Toutefois, nous ne reviendrons pas à des taux d’actualisation de zéro. Les niveaux de valorisation devraient être un peu inférieurs à ceux de janvier 2022. Or, ils sont aux mêmes niveaux.
Quels sont vos principaux points d’attention dans les prochaines semaines ? Faut-il se focaliser sur l’évolution de l’inflation ?
Thomas Giudici : En Europe comme aux Etats-Unis, les banquiers centraux et les investisseurs sont plus ou moins d’accord sur le niveau de taux terminal. La divergence porte sur la durée : les investisseurs sont sans doute un peu trop optimistes quand ils anticipent une baisse des taux en fin d’année, alors que les banquiers centraux disent plutôt vouloir maintenir un certain temps les taux à un niveau assez restrictif. Le principal danger, selon moi, serait un recalibrage des anticipations, avec des taux qui resteraient élevés plus longtemps. Cela pourrait entraîner des ajustements assez violents comme celui que nous avons connu à l’été 2022 quand Jerome Powell, lors de son intervention à Jackson Hole, a mis en garde les marchés pour leur signifier que le combat contre l’inflation était loin d’être gagné.
Al Cattermole : Il n’y a finalement que deux thèmes principaux : l’inflation et la récession. Celui qui domine l’autre dicte la direction du marché. Une forte inflation signifie une croissance économique forte, et donc une hausse des taux des banques centrales, courant ainsi le risque de conditions financières trop restrictives. Revenir à une inflation faible ravive à contrario les craintes d’une récession dans un futur proche. A la croisée des chemins, il y a la possibilité d’un atterrissage en douceur. Il est essentiel de disposer d’une approche top-down dans sa stratégie d’investissement.
Emmanuel Petit : Même si certains discours ont pu être interprétés comme étant plus « dovish », il me semble que les banquiers centraux ont de fortes convictions et sont très durs dans leurs postures. Les banquiers centraux, et notamment la Fed, vont rester avec des taux terminaux au maximum toute l’année. Le marché va essayer d’anticiper tandis que les banques centrales vont être attentistes pour évaluer l’impact de leurs politiques monétaires sur les niveaux d’inflation. Après avoir été en retard en 2022, il est peu probable qu’elles fassent une nouvelle erreur en se précipitant pour baisser les taux en 2023. J’ai plutôt le sentiment qu’elles vont rester fermes, car il y a encore beaucoup d’inflation. L’année sera marquée par des épisodes de volatilité, car il y a une sorte de conflit qui s’installe entre les banquiers centraux et le marché.
«Dans un contexte incertain, il convient d’avoir une exposition à une approche active et flexible et à un gestionnaire capable de naviguer à travers les différentes étapes du cycle économique, au travers de toutes les zones géographiques et dans tous les secteurs du fixed income.»
Comment se matérialise cette volatilité ?
Emanuel Petit : La volatilité se matérialise dans les taux souverains qui ajustent les anticipations des banques centrales. Et ensuite, cela impacte les spreads de crédit, car ils restent malgré tout aujourd’hui corrélés aux taux souverains, même s’il y a une meilleure résistance que l’an passé.
Matthieu Bailly : La volatilité se manifeste aussi par l’illiquidité : d’un coup, tout se grippe et plus personne n’achète. Mais la liquidité qui se réduit un peu n’est pas forcément un risque final pour l’investisseur. Il faut être patient.
En ce qui concerne la macroéconomie, notre attention se porte sur deux points : la croissance et l’inflation. Contrairement aux Etats-Unis, en Europe, le problème est plus l’inflation que la croissance, car la BCE n’a pas le même mandat que la Fed sur la croissance. L’Europe est également plus proche des problèmes géopolitiques et de la Russie, qui pèsent sur l’inflation. En géopolitique, on peut intégrer les divergences entre les pays européens, qui génèrent aussi des difficultés pour la BCE. La marge de manœuvre pour relever les taux plus rapidement est plus limitée quand on gère à la fois l’Italie, l’Espagne, la Grèce, l’Allemagne, etc.
Le risque de liquidité est-il plus important dans le contexte actuel ?
Emmanuel Petit : La liquidité est un sujet depuis que les régulateurs ont réduit la capacité des banques à prendre du risque sur leurs bilans. Cela remonte pratiquement à 2009, donc nous avons appris à gérer ce risque. Il faut juste éviter de vendre quand tout le monde vend, mais plutôt acheter quand le marché est vendeur.
Al Cattermole : La liquidité s’est améliorée par rapport à 2022, mais elle a tendance à diminuer aux moments où le marché est le plus tendu. Les banques ne sont pas en mesure de détenir autant de risques dans leur bilan, et les flux sortants massifs dans les ETF peuvent aggraver les choses. Il est important de prendre en compte la liquidité des obligations dans l’analyse des entreprises, et les obligations illiquides nécessitent un niveau de conviction plus élevé.
Matthieu Bailly : L’obligataire reste un marché très liquide, notamment les obligations investment grade et souveraines.
Thomas Giudici : Il faut toutefois reconnaître qu’il y a moins de liquidité aujourd’hui sur le high yield et sur certains sous-segments à fort beta. Les banques ne jouent plus leur rôle de market maker et n’assurent plus autant la liquidité du marché. Dans les périodes de stress, il faut en effet être contrariant.
Matthieu Bailly : Certains segments sont moins liquides, mais il faut rappeler que l’investisseur peut vendre à tout moment, contrairement à d’autres classes d’actifs comme la dette privée ou l’immobilier.
Selon vous, les taux vont rester élevés toute l’année ?
Emmanuel Petit : Le taux terminal à 5,1 ou 5,2 % aux Etats-Unis et à 3,4 % en Europe aujourd’hui est déjà bien intégré dans les courbes. Les Etats-Unis sont en avance avec des taux réels positifs et c’est important de le souligner, car c’est un objectif de la banque centrale, qui donne par ailleurs une bonne visibilité sur l’atterrissage de la politique monétaire américaine. En Europe, les taux réels ne sont toujours pas positifs, mais la situation est compliquée en raison des risques systémiques à gérer. De plus, l’inflation n’est pas tout à fait de même nature, puisqu’elle est liée à des éléments plus exogènes tels que les prix de l’énergie. Cette inflation exogène est en partie gérée par les Etats qui prennent une partie de la facture sur leurs budgets.
Actuellement, nous avons donc une meilleure visibilité sur les Etats-Unis que sur l’Europe. Il n’est donc pas exclu que les taux montent encore dans la zone euro.
Matthieu Bailly : Je partage cet avis sur les Etats-Unis, qui ont des cycles économiques beaucoup plus lisibles alors qu’en Europe se mélangent des sujets politiques, budgétaires dans certains Etats, de restructurations pour d’autres, etc. Les causes de l’inflation américaine sont claires : la croissance, l’investissement et le faible taux de chômage. En Europe, l’inflation est de nature exogène, liée à une guerre et à la volonté des Etats d’aider les foyers pour éviter les tensions sociales.
Si jamais la BCE estime qu’elle a un peu de retard et décide de mettre un grand coup sur l’inflation en relevant les taux, ne serait-ce que de 50 points de base de plus que prévu, il y aura plus de volatilité, notamment entre mars et juillet, période durant laquelle le marché prévoit qu’elle arrive au bout de ces relèvements.
Emmanuel Petit : Peut-être que l’avance prise par les Etats-Unis qui devraient entrer en récession aura un effet désinflationniste sur l’Europe. Et qu’ainsi l’Europe n’aurait potentiellement pas besoin d’aller jusqu’au bout de son durcissement monétaire. C’est un scénario à envisager. Par ailleurs, en Europe, la perspective d’une récession qui s’éloigne n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la BCE si elle veut baisser l’inflation. Cela peut aussi la pousser à durcir plus sa politique monétaire.
Matthieu Bailly : L’avantage du portage actuellement est que, sur l’investment grade, on peut supporter 100 points de base d’écartement, et sur le high yield, 200 sans que cela pèse trop sur la performance à horizon fin d’année. Ce début d’année est très différent de 2022, car nous avons du coussin pour supporter des soubresauts ou des écartements de spreads.
Al Cattermole : La Réserve fédérale a clairement indiqué qu’elle souhaitait atteindre rapidement son taux terminal et le maintenir pendant une longue période afin d’éviter un retour de l’inflation. C’est également l’opinion consensuelle des économistes, mais le marché a anticipé un pivot beaucoup plus tôt. Avec un marché du travail très solide et des conditions financières qui s’assouplissent, il est probable que la Fed ait encore du travail à faire et qu’elle ne procédera pas à une baisse des taux en 2023. Pour que la Fed procède à une baisse cette année, il faudrait un choc exogène ou un très fort ralentissement de la consommation américaine.
«Je préfère aujourd’hui investir dans l’investment grade. En termes de valorisation, le high yield a parcouru une bonne partie du chemin et, au regard des incertitudes à venir, mieux vaut avoir un biais défensif.»
Comment se comporte le marché primaire depuis le début d’année ?
Thomas Giudici : Janvier est un mois record pour les émissions en euros avec 290 milliards d’euros en comptant les emprunts d’Etat. Tout le monde est venu se refinancer. Pour certaines catégories de dettes, notamment les hybrides et les CoCos pour lesquelles il y avait des questions de refinancement, la plupart des émetteurs sont venus refinancer leurs obligations sans problème, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Le marché du high yield s’est rouvert aussi. Comme tout le monde était globalement prudent et avait du cash, ces émissions ont été un bon moyen de mettre du papier dans les portefeuilles et d’assurer de la liquidité.
Matthieu Bailly : Le timing était plutôt favorable même pour les investisseurs, mais, même si en janvier, il y a beaucoup de demandes, ça reste quand même très en deçà des sorties de 2022. Les primes ont donc été meilleures qu’en 2021.
Thomas Giudici : Certaines entreprises sont également venues se refinancer sur le marché alors qu’elles n’en avaient pas forcément besoin, en rappelant d’anciennes souches parce que le marché était porteur. Toutefois, le refinancement va être plus dur que par le passé. Les corporates high yield ont refinancé de la dette existante alors qu’auparavant, les montants levés pouvaient servir à remonter du dividende ou faire du LBO. Contrairement aux années précédentes, on constate également un soutien de l’actionnaire qui vient remettre au pot pour compléter certaines émissions.
Al Cattermole : Le marché primaire s’est considérablement rouvert, en particulier dans les secteurs de l’investissement grade et des services financiers. Mais le marché primaire des titres à haut rendement est encore relativement faible et utilise des financements beaucoup plus courts que ces dernières années, car les émetteurs veulent avoir la possibilité de retirer les titres à haut rendement dès que les taux recommenceront à baisser.
Dans un contexte de ralentissement économique, faut-il privilégier l’investment grade au high yield ? Quels sont les atouts de ces deux classes d’actifs ?
Al Cattermole : Nous pensons que les deux options sont valables et qu’elles offrent toutes deux une combinaison attrayante de spread et de rendement – la clé pour nous est d’améliorer la qualité. Nous privilégions les grandes entreprises liquides, dotées d’une souplesse opérationnelle nécessaire pour traverser avec succès un éventuel ralentissement économique. Les valorisations de ces entreprises sont suffisamment attrayantes pour que nous n’ayons pas besoin d’aller vers les secteurs les moins bien notés du marché. Dans le secteur du haut rendement, nous préférons les titres BB aux titres CCC, mais pour l’investment grade, nous étudions la majorité des entreprises. Pour l’investisseur final, cela dépend donc de ses anticipations. S’il craint une forte récession, mieux vaut choisir les obligations investment grade avec une durée un peu plus longue ; s’il s’attend à un atterrissage en douceur et au maintien de taux élevés pendant un certain temps, il peut préférer des obligations HY notées BB, avec un risque de crédit un peu plus élevé.
Emmanuel Petit : Je préfère aujourd’hui investir dans l’investment grade. Certes, la classe d’actifs a souffert de la hausse des taux, qui a été d’une violence inouïe, mais c’est derrière nous. La classe d’actifs offre une bonne résilience en cas de récession. On y trouve une sensibilité au taux souverain de l’ordre de 60 %, ce qui constituera un support quand les taux souverains baisseront. Le high yield a certes bien résisté l’an dernier, mais il est plus sensible à la récession même si, d’un point de vue fondamental, les entreprises sont peut-être mieux préparées. Leur situation va forcément se dégrader et on ne connaît pas l’impact des taux de défaut sur le segment high yield. En termes de valorisation, le high yield a parcouru une bonne partie du chemin et, au regard des incertitudes à venir, mieux vaut avoir un biais défensif.
Thomas Giudici : En ce début d’année, c’est plutôt l’investment grade qui a les faveurs des investisseurs, mais tout dépend aussi de la typologie de clients et des attentes en termes de rendement absolu. De notre côté, nous avons une préférence pour les subordonnées financières ou corporates pour lesquelles le rendement est presque aussi élevé que pour le high yield, pour un risque de crédit bien inférieur. Nous préférons le risque de subordination au risque de crédit.
Matthieu Bailly : Sur la partie high yield, nous allons opter pour des durations plus courtes, deux à quatre ans, ce qui donne un peu de visibilité. Si une société est bien gérée et solvable, il est rare qu’elle se retourne en deux ans. Cependant, nous évitons les entreprises trop exposées au contexte actuel : trop sensibles à l’inflation, trop consommatrices de matières premières ou d’énergie, trop cycliques ou pénalisées par la hausse des taux comme les foncières. Nous avons également arbitré le high yield au profit des financières, notamment les bancaires subordonnées, qui représentent 40 % de notre fonds flexible.
Emmanuel Petit : Les bancaires sont en effet très attrayantes. Nous sommes sur des niveaux confortables en termes de solvabilité et de rentabilité avec des prévisions de profits relevées de 5 %. Les banques profitent de la hausse des taux et des marges d’intérêts.
«On peut toujours débattre sur une poursuite ou pas de la hausse des taux ou sur la perspective d’une récession aujourd’hui, nous avons cet effet portage qui confère une forme de protection contre des nouveaux chocs de marché. »
Vous avez évoqué le cas des foncières : existe-t-il un risque immobilier dans la classe d’actifs obligataires ?
Matthieu Bailly : C’est à surveiller, car le secteur des foncières a été un gros émetteur, notamment dans la partie des Euro PP. Les situations sont très différentes selon les pays. En France, le secteur est plus régulé qu’en Allemagne. En Suède, le marché de l’immobilier a corrigé de 20 %, donc les foncières ont un peu souffert. Elles devraient s’en sortir, mais durant deux ou trois ans, elles vont être pénalisées par des taux d’emprunts plus élevés. Leurs cours de Bourse ont déjà bien baissé, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles vont toutes faire faillite et donc impacter le marché obligataire.
Al Cattermole : Nous avons assisté à une réévaluation du secteur, car les conditions économiques ont changé avec la hausse des taux d’intérêt, mais le risque de contagion à d’autres secteurs est faible.
Emmanuel Petit : Les foncières ont déjà beaucoup souffert de la hausse des taux et le secteur affiche une décote boursière importante par rapport à la valeur d’actifs. Le marché actions redoute une violente correction. Les loans to value ou ratios de dettes sur actifs des foncières sont de 40 et 45 % en Europe, ce qui leur permet d’encaisser une baisse des valorisations de l’immobilier physique. Elles ont aussi de la liquidité, donc les inquiétudes sont peut-être un peu excessives.
A quoi doit-on s’attendre en termes de défaut dans les prochains mois ?
Emmanuel Petit : Les taux de défaut devraient se situer entre 5 et 10 % entre les Etats-Unis et l’Europe.
Matthieu Bailly : Tout dépend des segments aussi : sur la partie notée BB, le taux de défaut est quasiment de 0. Les risques de défaut se concentrent toujours sur les notations les plus faibles : 25 % de défaut annuel moyen environ pour les entreprises de catégorie CCC/C. L’incertitude concerne surtout le segment noté B, qui peut passer d’un taux de défaut proche de 0 à 3 ou 4 %. Si le taux de défaut devenait critique, les banques centrales interviendraient assez vite.
Thomas Giudici : En Europe, le taux de défaut ne devrait pas dépasser 3 %, y compris sur le high yield.
Les taux de défaut estimés par les agences de notation prennent en compte des émetteurs d’Euro PP ou autres, qui ne sont pas forcément représentatifs de ce que nous avons dans nos fonds.
Al Cattermole : Les défauts resteront relativement faibles par rapport aux normes historiques – les entreprises sont en meilleure forme depuis le covid. Il n’y a pas de mur de la dette important et il n’y a pas de grand secteur en difficulté susceptible d’exploser et de provoquer une contagion. Les défauts devraient se situer dans une fourchette de 4 à 5 % plutôt que de 7 à 9 %, mais au lieu d’un choc brutal, ils pourraient rester élevés à ce niveau pendant plus longtemps, car l’environnement de taux d’intérêt élevés persiste.
Les lancements de fonds à échéance se multiplient. Quels sont leurs atouts par rapport à des fonds obligataires flexibles ?
Emmanuel Petit : Le fonds à échéance a l’avantage du fonds classique, car il est bien diversifié tout en offrant une bonne visibilité sur l’atterrissage et la maturité. Avec un fonds flexible, l’avantage est que si le paradigme change, le gérant peut s’adapter, réduire son risque ou l’accroître, etc.
Matthieu Bailly : Dans un fonds à échéance, c’est le client qui choisit le timing alors que dans un fonds flexible, il fait confiance à un gérant dont c’est le métier pour choisir le bon timing et des sources de performances plus variées. Prenons l’exemple des subordonnées financières dont nous avons précédemment évoqué l’intérêt : ce sont des produits perpétuels avec des calls qu’il est très difficile de mettre dans un vrai fonds à échéance.
Thomas Giudici : Le fonds à échéance offre une visibilité sur le rendement. Ce n’est pas le cas pour un fonds flexible sur lequel il y a des actes de gestion discrétionnaire qui ne permettent pas d’avoir autant de certitudes sur le rendement retraité du taux de défaut.
Al Cattermole : Les niveaux de rendement actuels sont intéressants à capturer sur une courte période. Donc, lorsque vous avez des hausses de rendement, c’est le bon moment pour y placer de l’argent, car vous bénéficiez d’une forte certitude sur les rendements que vous devriez toucher. A plus long terme, cela dépend de l’évolution du marché : dans le contexte actuel incertain et dirigé par les données macro, il convient d’équilibrer ce risque avec une exposition à une approche active et flexible et à un gestionnaire capable de naviguer à travers les différentes étapes du cycle économique, au travers de toutes les zones géographiques et dans tous les secteurs du fixed income.