Les compagnies d’assurance suivies plus récemment par les plateformes d’épargne en ligne ne se contentent pas, comme la réglementation française l’impose, de proposer un fonds durable, un fonds vert et un fonds solidaire dans les contrats d’assurance vie, mais veulent aller plus loin. Elles référencent de façon privilégiée, voire exclusive pour certaines d’entre elles, les fonds durables conformes aux articles 8 et 9 du règlement SFDR.
Phénomène encore marginal dans l’épargne des particuliers il y a encore quelques années, les fonds intégrant des critères extra-financiers dans leur gestion se développent depuis 2019 à une vitesse accélérée. La taille du marché des fonds responsables en France a en effet presque doublé sur l’année 2021 pour atteindre les 896 milliards d’euros, selon les statistiques publiées par Novethic. Cette croissance fait suite à une progression de 66 % des encours en 2020 et de 89 % en 2019. Autre chiffre éloquent : le nombre de fonds disponibles à la commercialisation est passé entre 2019 et 2021 de 488 à 1 186 ! Ces progressions ne seraient pas ou peu imputables à la demande. Si les épargnants déclarent en effet vouloir accorder une place importante aux impacts environnementaux et sociaux dans leurs placements, ils sont encore peu nombreux à faire la démarche volontaire d’investir dans ces fonds. Selon la dernière enquête annuelle publiée par le Forum pour l’investissement responsable (FIR) à l’automne dernier, 59 % se disaient intéressés, mais concrètement seuls 7 % des sondés avaient déjà investi en ISR. L’impulsion provient ainsi davantage de l’offre et celle-ci se fait en réponse à la réglementation. La loi Pacte constitue dans ce cadre le point de bascule pour les distributeurs. Ce texte adopté en 2019 prévoit que tous les contrats d’assurance-vie multi-supports proposent au moins un fonds ISR, un fonds vert (labellisé Greenfin) ou un fonds solidaire à compter du mois de janvier 2020 et les trois depuis janvier 2022.
Une norme européenne pour les distributeurs
Les compagnies d’assurances enrichissent depuis quelques années leurs offres afin de répondre à cette réglementation. Et elles s’appuient dans ce cadre essentiellement sur un autre texte, européen cette fois-ci, à savoir la réglementation SFDR (voir encadré). Cette dernière catégorise les fonds durables selon un niveau d’exigence croissant : les fonds appartenant à la catégorie 8 relevant schématiquement des fonds ISR et les fonds article 9 des fonds à impact. « Il existe de très nombreux labels dédiés au développement durable et aux produits dits “verts” avec des niveaux d’exigence variables. A contrario, le règlement SFDR offre un cadre clair, cohérent et unifié pour l’ensemble des produits européens et facilite la visibilité pour les distributeurs et les clients finaux. Ces derniers peuvent par ce biais avoir accès à une échelle catégorisant les fonds au même titre que les échelles de risque SRI. Il devrait à ce titre s’imposer en France et sur l’ensemble des marchés européens », avance Yves Conan, directeur général de Linxea. Cette caractéristique a dans un premier temps intéressé plus particulièrement les grands groupes à vocation transnationale. « L’ensemble des grands distributeurs privilégient le règlement SFDR par rapport aux labels, confirme Hervé Thiard, directeur général de Pictet & Cie en France et de Pictet Asset Management France & Belux. Il est plus simple pour eux de sélectionner des fonds qui relèvent d’une norme européenne imposée dans l’ensemble de la zone que de sélectionner des fonds s’inscrivant dans des labels locaux. »
Ces acteurs vont parfois bien au-delà des exigences de la loi Pacte. La compagnie d’assurances Suravenir, filiale du groupe Crédit Mutuel Arkea, par exemple a fait évoluer sa politique de référencement des unités de compte (UC) depuis le 1er janvier 2022 et n’intègre plus que les fonds les plus stricts en matière d’ESG. « Nous ne nous référençons plus que des OPCVM relevant des catégories article 8 et article 9 du règlement SFDR et des fonds immobiliers labellisés, explique Dominique Collot, directrice marketing et communication de Suravenir, et nous allons progressivement encore augmenter nos exigences dans ce domaine. »
«Nous allons progressivement à partir de la fin de l’année essayer de transformer les stocks existants.»
La prochaine étape consistera à renforcer les critères d’exclusion. « Nous devrions intégrer à partir du mois de septembre prochain des exclusions sectorielles vis-à-vis du charbon notamment », poursuit Dominique Collot. Les équipes veulent toutefois laisser le temps aux partenaires de s’adapter. « Nous commençons par les nouveaux référencements, nous allons aussi profiter des opérations sur titres (OST) pour appliquer nos critères et inciter nos clients à privilégier les fonds article 8 et article 9 et ensuite nous allons progressivement à partir de la fin de l’année essayer de transformer les stocks existants. » Pour l’heure, la compagnie d’assurances a prévu quelques exceptions. « Les ETF sont exclus pour l’instant car les supports conformes au règlement SFDR ne sont pas en nombre suffisant », détaille Dominique Collot.
Des plateformes d’épargne intéressées
Cette approche n’est pas propre aux compagnies d’assurances, des plateformes d’épargne en ligne leur ont emboîté le pas. Linxea par exemple souhaite encourager l’usage de fonds article 8 et article 9. « Nous sommes en train de travailler sur un nouveau questionnaire à destination des particuliers dans lequel nous allons leur poser la question de leur appétence pour des produits ESG, de même, nous avons déjà demandé à notre partenaire Montségur qui intervient dans le cadre de nos mandats de gestion pilotée de privilégier, quand cela est possible, des fonds article 8 et article 9 », détaille Yves Conan.
Les plateformes proposant des solutions d’investissement à destination d’un public jeune sont également très allantes sur le sujet. « La moyenne d’âge des utilisateurs de notre plateforme a 34 ans, les plus jeunes témoignent d’un appétit prononcé pour l’environnement et plus généralement pour la durabilité, nous privilégions de ce fait les fonds relevant des catégories 8 et 9 », relate Philippe de Gouville, fondateur d’ISMO, une application qui permet aux jeunes de se constituer une épargne en cumulant de très petites sommes. Mais pour le fondateur de cette start-up, cette stratégie doit s’inscrire aussi dans une recherche de performance. « Les jeunes sont attentifs au rendement servi, il ne s’agit pas de privilégier des fonds durables au détriment de celle-ci, nous sommes donc amenés dans certains cas à utiliser des fonds qui ne s’inscrivent pas dans ces catégories », poursuit Philippe de Gouville. Une façon de s’adresser aux particuliers avec pragmatisme.
Une classification qui prend en compte la matérialité des critères extra-financiers
Entré en vigueur le 10 mars 2021, le règlement SFDR s’applique à tous les produits financiers (ouverts et dédiés) distribués en Europe et à l’ensemble des acteurs des marchés financiers (assureurs, entreprises d’investissement, institutions de retraite, gestionnaires de fonds) et des conseillers financiers (conseil en investissement). Outre, sa capacité à harmoniser le corpus théorique des fonds durables, il vise à lutter contre le greenwahsing dans la mesure où les fonds doivent se donner des objectifs extra-financiers précis. « Le règlement prévoit que les sociétés de gestion rendent des comptes sur leur process extra-financier au régulateur ainsi que la mise en place de reportings qui vont progressivement intégrer des objectifs issus de la taxonomie verte dans un premier temps et sociale ensuite, l’impact des investissements pourra ainsi être mesuré à travers des indicateurs uniformes », détaille Hervé Thiard, directeur général de Pictet & Cie en France et de Pictet Asset Management France & Belux. Concrètement, ce règlement exige que la politique d’investissement détaille la façon dont sont intégrés les risques en matière de durabilité dans les processus d’investissement et dans les politiques de rémunération. De plus, l’industrie financière doit déclarer les incidences négatives des décisions d’investissement sur les facteurs de durabilité.
Plusieurs catégories de produits ont été définies à travers ce règlement selon un niveau d’exigence croissant : – les fonds article 6 : intégration a minima dans le process de gestion des critères ESG ; – les fonds article 8 : intégration et promotion des critères ESG à travers la prise en compte d’objectifs ; – les fonds article 9 : intégration et promotion des critères ESG à travers la prise en compte d’objectifs chiffrés. Schématiquement cette catégorie correspond aux fonds à impact.
Il revient aux sociétés de gestion d’identifier les produits relevant des articles 6, 8 et 9 du règlement SFDR et d’appliquer les exigences de transparence correspondantes prévues par le règlement.